Un traité manichéen retrouvé en Chine
UN
TRAITÉ MANICHÉEN RETROUVÉ EN CHINE,
Depuis quelques années, la découverte de sources orientales jusque-là inconnues a permis de reprendre sur des bases nouvelles l’étude du manichéisme. Les extraits du Livre des Scholies, de Théodore bar Khôni, publiés en 1898 par M. Pognon, ont été commentés en 1908 dans un travail excellent de M. Cumont, La cosmogonie manichéenne d’après Théodore bar Khoni. En même temps s’élaboraient peu à peu les riches matériaux recueillis dans la région de Tourfan, au Turkestan chinois. M. F. W. K. Müller ouvrait brillamment la voie en 1904 avec ses Handschriften-Reste in Estrangelo-Schrift aus Turfan ; il s’agissait de fragments manichéens en pehlvi et, pour une ou deux pièces, en sogdien. Des fragments turcs ont suivi, moins importants. Puis, en 1909, un texte considérable du manichéisme turc, le Khuastuanift ou Manuel de confession des auditeurs manichéens, était publié par M. Radlov ; une nouvelle traduction allemande et une traduction anglaise de ce même texte, dues à M. von Le Coq, ont paru en 1911[1]. La Chine enfin apportait sa contribution. Dans les grottes de Touen-houang, au Kan-sou, l’un de nous a recueilli en 1908 et signalé immédiatement un fragment d’un ouvrage manichéen en chinois[2] ; ce fragment a été publié à Pékin, au début de 1909, dans le Touen houang che che yi chou 敦煌右室遺書 ou Livres perdus de la chambre de pierre de Touen-houang[3]. Faute de pouvoir acquérir et rapporter à Paris tous les manuscrits de Touen-houang, il avait paru bon d’insister auprès des érudits chinois de Pékin pour que le Gouvernement chinois assurât le sort de ce qu’il avait fallu laisser sur place dans la niche. L’avis fut écouté. Les quelques milliers de textes ainsi entrés à la Bibliothèque nationale de Pékin ne contiennent bien dans l’ensemble que les sūtra bouddhiques auxquels force avait été de renoncer[4]. Il y a cependant au moins une exception : un des textes, rédigé à la manière des sūtra bouddhiques, est en réalité un ouvrage manichéen ; c’est lui que nous traduisons aujourd’hui.
Si nous pouvons entreprendre ce travail, c’est grâce à M. Lo Tchen-yu 羅振玉. Très bon philologue et archéologue, M. Lo Tchen-yu[5] est l’un des érudits qui, sur des photographies, ont édité le Touen houang che che yi chou. Depuis lors, d’autres photographies de manuscrits de Touen-houang entrés à la Bibliothèque nationale de Paris lui ont été envoyées par l’un de nous. Pour les éditer, M. Lo Tchen-yu a fondé en 1911 une publication bimestrielle, le Kouo hio ts’ong k’an 國學叢刊 ou Recueil d’érudition nationale, où paraissent, à côté de certains de nos manuscrits, des travaux indépendants dus à des savants chinois. Le second fascicule de cette publication contient l’ouvrage manichéen aujourd’hui conservé à Pékin[6]. M. Lo Tchen-yu, qui hésitait pour ce texte entre le nestorianisme, le mazdéisme et le manichéisme, s’est borné à le qualifier provisoirement de Po sseu kiao ts’an king 波斯教殘經, Livre saint incomplet d’une religion de la Perse.
Le manuscrit est en effet incomplet : le début manque. Mais il ne s’agit pas d’un texte fragmentaire. Le maniement même des rouleaux en endommageait très vite les premières sections ; il semble que ce fut le cas ici, et la lacune initiale ne doit pas être considérable. La fin du rouleau est intacte ; par malchance, le titre n’y a pas été répété ; nous ne pouvons donc dire immédiatement et sûrement de quelle œuvre manichéenne il s’agit. Toutefois, dans les premières lignes de la partie conservée, l’Envové de la Lumière, qui est certainement Mâni, s’adresse à un certain A-t’o (*A-da). Il semble bien que ce soit l’Ἀδδᾶς que les Acta Archelai indiquent comme l’apôtre du manichéisme en Orient, qui est nommé en outre dans les formules grecques d’abjuration à l’usage des manichéens et, sous la forme Addai, dans les Actes syriaques des martyrs persans ; ses écrits, selon Photius, auraient provoqué le traité de Titus de Bostra, et c’est aussi contre eux, plutôt que contre l’Évangile vivant de Mâni, qu’auraient été dirigés les sept premiers livres du traité de Diodore[7]. Notre ouvrage représenterait-il donc les τὰ Ἄδδου συγγράμματα dont parle Photius ? C’est possible, et peut-être l’étude ultérieure du texte autorisera-t-elle cette conclusion. Pour le moment, allant au plus urgent, nous nous bornerons à traduire ce traité avec un commentaire explicatif, sans insister autrement sur son origine ou sa composition.
Dans une seconde partie, nous étudierons le fragment manichéen de Paris, publié dans le Touen houang che che yi chou, ainsi que le passage consacré au manichéisme à la fin du chap. 1 du Houa hou king 化胡經[8] et les textes historiques chinois concernant le manichéisme[9]. Nous réunirons les renseignements épars qui concernent les deux livres saints que les textes chinois attribuent aux manichéens, c’est-à-dire le Eul tsong king 二宗經 ou Livre des deux principes, et le San tsi king 三際經 ou Livre des trois moments[10]. On aura alors sous la main à peu près tout ce que la Chine, dans l’état actuel de notre documentation, peut apporter de contribution à l’étude générale du manichéisme. C’était jusqu’à présent peu de chose ; l’heureux hasard de la découverte de Touen-houang veut au contraire que nous possédions désormais en chinois le texte manichéen le plus détaillé qu’on ait encore retrouvé[11].
La traduction d’ailleurs n’en va pas sans difficultés ; les unes proviennent d’une terminologie toute nouvelle et ne se résoudront que peu à peu ; les autres résultent de l’état même du texte. Nous avons dû nous contenter de l’édition de M. Lo Tchen-yu, qui n’est pas un fac-similé ; mais il est vraisemblable qu’elle est bien faite, et c’est le manuscrit même qui paraît incorrect en bien des cas. De la date de ce manuscrit, nous ne pouvons pas dire grand’chose. L’année 1035 environ est naturellement la date la plus basse à laquelle on puisse le faire descendre, puisque la niche de Touen-houang fut murée vers ce moment-là. Le style est beaucoup moins littéraire que celui du fragment de Paris, lequel, d’après son écriture, remonte matériellement au viiie siècle et ne dut guère être rédigé en chinois beaucoup plus tôt. Le texte que nous traduisons aujourd’hui est rythmé en groupes de quatre mots ; c’est là un mode populaire dont les sūtra bouddhiques offrent maints exemples[12]. Provisoirement, il nous paraît vraisemblable d’admettre, pour la traduction, la date approximative de 900 A. D., et de laisser une marge d’un siècle pour l’exécution du manuscrit lui-même[13].
Un certain nombre de corrections seront indiquées ou proposées dans les notes. Ici même, il faut en signaler deux qui portent sur l’ensemble du texte. L’une concerne 智惠 tche-houei, qui signifierait mot à mot « bienfaisance sage » ; mais cette expression est anormale, et comme, à l’époque des T’ang, 惠 houei et 慧 houei sont sans cesse confondus, nous avons toujours traduit comme s’il y avait 智慧 tche-houei, « sagesse »[14] ; la comparaison avec les sources orientales et occidentales ne laisse d’ailleurs aucun doute sur la légitimité de cette correction. Le cas de 相 siang est plus délicat. Ce mot a des sens assez divers, mais il apparaît que, dans les énumérations techniques de notre texte, là où on serait, à première vue, tenté de le traduire par « forme », il désigne en réalité une opération de l’esprit, et que c’est là le sens imposé également par la comparaison avec les sources chrétiennes et musulmanes. Force est donc d’admettre que dans tous ces cas 相 siang, « forme », est une faute généralisée pour 想 siang, « pensée »[15]. Les cas simplement douteux seront toujours signalés en note. Mais partout où, dans notre traduction, on trouvera le mot « pensée », nous prévenons une fois pour toutes que le texte, au moins dans l’édition de M. Lo Tchen-yu, donne « forme ».
TRADUCTION.
… Si on ne rencontre pas une cause occasionnelle, on n’a pas par où se libérer et poursuivre la délivrance[17].
La nature primitive du corps charnel[18] est-elle simple ou est-elle double[19] ? [Car] tous les saints sans exception qui sont apparus dans le monde ont distribué et inventé des méthodes qui fussent capables de secourir la nature lumineuse, et par lesquelles elle pût s’affranchir de la multitude des souffrances et être définitivement calme et heureuse.
Après qu’il eut posé cette question, il[20] s’inclina en signe de respect, et, reculant, il se tint debout de côté[21].
Alors l’Envoyé de la lumière[22] parla en ces termes à A-t’o[23] : « C’est fort bien ! C’est fort bien[24] ! En vue de profiter à la foule illimitée des êtres vivants, vous avez pu poser cette question qui a un sens extrêmement profond et mystérieux. Vous voilà bien maintenant un grand « ami excellent »[25] de la foule des êtres vivants qui, dans tous les mondes, sont aveuglés et égarés, et je vais vous donner une explication de point en point, afin que le filet de vos doutes[26] soit pour toujours rompu sans qu’il en reste rien. Vous tous donc, il vous faut savoir que, avant que ce monde fût établi, les deux Envoyés de la Lumière[27] qui sont Tsing-fong (Vent pur)[28] et Chan-mou (Mère excellente)[29] entrèrent dans le domaine sans lumière des gouffres d’obscurité[30] ; ils en retirèrent les vaillants toujours victorieux… [couverts de] la cuirasse de la grande connaissance[31], [à savoir] les cinq corps lumineux divisés[32] ; ils les prirent en main ingénieusement[33] pour qu’ils montassent et avançassent et ils les firent sortir des cinq gouffres. Les cinq sortes de démons[34] se collèrent[35] aux cinq corps lumineux, telle la mouche qui s’attache au miel, tel l’oiseau qui est retenu par la glu[36], tel le poisson qui a avalé l’hameçon. Pour cette raison, l’Envoyé de la Lumière nommé Tsing-fong (Vent pur), au moyen des cinq sortes de démons et des cinq corps lumineux et par la combinaison de leurs deux forces[37], constitua les dix cieux et les huit terres[38] de l’univers. Ainsi donc l’univers est la pharmacie où les corps lumineux guérissent, mais il est en même temps la prison où les démons obscurs enchaînent. Ces [deux Envovés de la Lumière], Tsing-fong (Vent pur) et Chan-mou (Mère excellente), établirent, par un procédé ingénieux, les dix cieux, ensuite ils instituèrent la roue des révolutions[39], ainsi que les palais du soleil et de la lune[40], et aussi les huit terres en dessous, les trois vêtements[41] et les trois roues[42], et même les trois calamités[43], les quatre cours à enceintes de fer[44], le mont Wei-lao-kiu-fou, ainsi que toutes les petites mon- tagnes, les océans et les fleuves[45]. Quand ils eurent fait toutes ces choses et eurent constitué l’univers, ils emprisonnèrent les cinq sortes de démons et les enchaînèrent[46] au moyen des treize grandes forces lumineuses. Ces treize sortes de grandes forces braves, ce sont les cinq fils lumineux de Sien-yi (Raisonnement antérieur)[47] et les cinq fils lumineux de Tsing-fong (Vent pur)[48], puis Hou-lou-chö-tö (Khroštag), P’o-leou-houo-tö (Padvakhtag)[49], ainsi que Sou-lou-cha-lo-yi (Sroš-ḥaråy)[50]. Les cinq corps lumineux furent comme la prison et les cinq sortes de démons furent ensemble enfermés dans cette prison[51]. Les cinq fils de Tsing-fong (Vent pur)[52] furent comme les magistrats gouvernant la prison. Chouo-t’ing (celui qui écoute quand on lui parle = Khroštag) et Houan-ying (celui qui répond quand on l’appelle = Padvakhtag) furent comme ceux qui crient les veilles de la nuit. Quand à la treizième (des grandes forces lumineuses), à savoir Sou-lou-chalo-yi (Sroš-ḥaråy), elle fut comme le roi qui juge les affaires.
Quand le démon de la convoitise[53] eut vu ces choses, dans son cœur empoisonné il conçut de nouveau un méchant projet ; il ordonna donc à Lou-yi[54] et à Ye-lo-yang[55] d’imiter Tsing-fong (Vent pur) et Chan-mou (Mère excellente). Dans ce [macrocosme], par transformation ils constituèrent le corps de l’homme et y emprisonnèrent les natures lumineuses afin d’imiter[56] le grand monde[57] ; ainsi donc le corps charnel avec sa convoitise et sa concupiscence empoisonnées et mauvaises, fut, bien qu’en plus petit, l’image fidèle de point en point de l’univers des cieux et des terres. La roue des révolutions, les constellations, les trois calamités et les quatre enceintes[58], les grandes mers et les fleuves, les deux terres du sec et de l’humide[59], les plantes[60] et les animaux[61], les montagnes et les cours d’eau ainsi que les buttes de terre et les tertres, le printemps, l’été, l’automne et l’hiver, les années, les mois, les heures et les jours[62], et même le limité et l’illimité[63], il n’y eut pas une seule formation de l’univers qu’ils n’imitassent [dans le corps charnel]. C’est ainsi que, quand un orfèvre, copiant[64] la forme d’un éléphant blanc, la grave à l’intérieur d’une bague, elle est exactement semblable au corps de l’éléphant lui-même ; c’est de la même manière que l’homme est semblable à l’univers.
[De plus], Tsing-fong (Vent pur) avait pris les cinq sortes de démons, et, dans les treize sortes de corps purs lumineux, il les avait emprisonnés et enchaînés, et ne leur avait plus permis d’être indépendants. Ce que voyant, le démon conçut des sentiments envieux et empoisonnés ; il enferma les cinq natures lumineuses dans le corps charnel dont il fit un petit univers (microcosme) ; à son tour, il se servit des treize forces obscures non lumineuses pour y emprisonner et y enchaîner [les cinq natures lumineuses], auxquelles il ne permit plus d’être indépendantes. Ainsi donc, ce démon de la convoitise enferma l’éther pur dans la ville[65] des os ; il établit la pensée obscure dans laquelle il planta un arbre de mort[66]). Puis il enferma le vent excellent dans la ville des nerfs ; il établit le sentiment obscur, dans lequel il planta un arbre de mort. Puis il enferma la force de la lumière dans la ville des veines ; il établit la réflexion obscure, dans laquelle il planta un arbre de mort. Puis il enferma l’eau excellente dans la ville de la chair ; il établit l’intellect obscur, dans lequel il planta un arbre de mort. Puis il enferma le feu excellent dans la ville de la peau ; il établit le raisonnement obscur, dans lequel il planta un arbre de mort. Le démon de la convoitise planta ces cinq arbres de mort empoisonnés dans les cinq sortes de terrains abîmés ; il les fit en toute occasion décevoir et troubler la nature primitive lumineuse, tirer au dehors la nature étrangère[67] et produire des fruits empoisonnés : ainsi, l’arbre de la pensée obscure pousse à l’intérieur de la ville des os : son fruit est la haine ; l’arbre du sentiment obscur pousse à l’intérieur de la ville des nerfs : son fruit est l’irritation ; l’arbre de la réflexion obscure pousse à l’intérieur de la ville des veines : son fruit est la luxure ; l’arbre de l’intellect obscur pousse à l’intérieur de la ville de la chair : son fruit est la colère ; l’arbre du raisonnement obscur pousse à l’intérieur de la ville de la peau : son fruit est la sottise. C’est ainsi donc que des cinq sortes de choses qui sont les os, les nerfs, les veines, la chair et la peau, il fit une prison et y enferma les cinq corps divisés (c’est-à-dire qui sont les divisions du premier principe lumineux), de la même manière que les cinq (corps) lumineux retenaient prisonniers les diverses sortes de démons. En outre, de la haine, de l’irritation, de la luxure, de la colère et de la sottise il fit les magistrats de la prison pour imiter les cinq fils vaillants de Tsing-fong (Vent pur). Au milieu, [il plaça le démon de] la convoitise [et celui de] la concupiscence[68] pour représenter Chouo-t’ing (Khroštag) et Houan-ying (Padvakhtag) qui crient les veilles de la nuit. Le feu violent, vorace et empoisonné[69], il lui laissa pleine liberté, afin qu’il imitât Sou-lou-cha-lo-yi (Sroš-ḥaråy).
Quand ces cinq corps lumineux eurent enduré de telles souffrances et furent emprisonnés et enchaînés, ils oublièrent leurs sentiments primitifs, comme le fait un fou, ou un homme ivre, ou encore comme [celui dont il est question dans la comparaison suivante] : quelqu’un ayant entrelacé une multitude de serpents venimeux pour en faire une cage où les têtes des serpents sont toutes tournées vers l’intérieur, et où elles crachent leur venin dans toutes les directions, si on introduit dans cette cage un homme et si on l’y suspend la tête en bas, alors, parce qu’il est menacé par le venin et parce qu’il est suspendu la tête en bas, cet homme sera égaré dans son cœur et dans sa pensée ; il n’aura plus le loisir de songer même à son père et à sa mère, et à ses parents, et à ce qui faisait primitivement sa joie. C’est de la même façon que se comportent les cinq natures lumineuses quand elles ont été emprisonnées et enchaînées par le démon dans le corps charnel où elles endurent des souffrances jour et nuit[70].
En outre, Tsing-fong (Vent pur) fit (ou avait fait) deux navires lumineux[71] qu’il mit sur la mer de la vie et de la mort[72] pour la faire traverser aux hommes de bien[73] et pour les amener dans leur monde primitif[74], en sorte que leur nature lumineuse fût définitivement calme et heureuse.
Quand le démon de la haine, le maître de la convoitise[75] eut vu cela, il en conçut des sentiments d’irritation et de jalousie ; il fit alors les formes des deux sexes, la mâle et la femelle, afin d’imiter les deux grands navires lumineux qui sont le soleil et la lune, et décevoir et troubler la nature lumineuse, en sorte qu’elle montât sur les bateaux d’obscurité, que, menée par eux, elle entrât dans les enfers[76], qu’elle transmigrât dans les cinq conditions d’existence[77], qu’elle subît toutes les souffrances et qu’en définitive il lui fût difficile d’être délivrée.
Quand il y a un Envoyé de la Lumière[78] qui apparaît dans le monde pour instruire et convertir la multitude des êtres vivants afin de les délivrer de toutes leurs souffrances, il commence par faire descendre par la porte de leurs oreilles[79] le son de la Loi merveilleuse ; ensuite il entre dans l’ancienne demeure[80] et, employant les grandes prières magiques, il emprisonne la multitude des serpents venimeux ainsi que toutes les bêtes féroces et ne leur permet plus d’être en liberté. En outre, muni de la hache de la sagesse, il coupe et abat les arbres empoisonnés, et il arrache leurs souches ainsi que toutes les autres plantes impures ; en même temps il ordonne d’orner purement et majestueusement la salle du palais et d’y disposer un siège [pour la prédication] de la Loi ; il s’y assied ensuite. De même que, lorsque le roi d’un royaume a triomphé d’un royaume ennemi et haineux[81], il orne dans ce pays une salle élevée, il y place un trône et il juge avec équité tous les hommes, bons et méchants, de même agit cet Envoyé de la Lumière bienfaisante[82]. Quand il est entré dans l’ancienne ville et qu’il a détruit les ennemis haineux, il lui faut aussitôt séparer les deux forces de la Lumière et de l’Obscurité, et ne plus leur permettre de se mélanger. Il commence par soumettre la haine ; il l’emprisonne dans la ville des os, et fait en sorte que l’éther pur puisse entièrement se délivrer de ses liens. II soumet ensuite l’irritation et l’emprisonne dans la ville des nerfs ; il fait en sorte que le vent pur et excellent soit immédiatement délivré. Il soumet ensuite la luxure et l’emprisonne dans la ville des veines ; il fait en sorte que la force lumineuse puisse de suite se débarrasser de ses liens. Il soumet ensuite la colère et l’emprisonne dans la ville de la chair ; il fait en sorte que l’eau excellente puisse être immédiatement délivrée. Il soumet ensuite la sottise ; il l’emprisonne dans la ville de la peau ; il fait en sorte que le feu excellent soit entièrement délivré. Les deux démons de la convoitise et de la concupiscence, il les emprisonne au milieu. Le feu violent, affamé et empoisonné, il le laisse en liberté. C’est ainsi qu’un orfèvre[83] qui désire fondre [du minerai] d’or commence par se procurer du feu ; s’il ne trouve pas de feu, la fonte ne se réalise pas. L’Envoyé de la Lumière bienfaisante est comparable à l’orfèvre ; quant au Yi-lieou-eul-yun-ni[84], il est comme le minerai d’or ; et quant au démon affamé, c’est le feu violent qui fond les cinq corps divisés [de la lumière primitive] et qui les fait devenir purs[85]. Le grand Envoyé de la Lumière bienfaisante, dans les corps d’excellence [des élus], se sert du feu affamé pour produire un grand profit[86].
Les cinq forces lumineuses[87] habitent dans [le corps formé par] les substances combinées [des deux forces lumineuse et obscure] ; c’est pourquoi l’homme excellent distingue et choisit entre les deux forces et les fait se séparer l’une de l’autre[88].
Le corps charnel est appelé aussi le « vieil homme ». Il consiste dans les os, les nerfs, les veines, la chair, la peau, la haine, l’irritation, la luxure, la colère, la sottise, ainsi que dans la convoitise, la gourmandise et la luxure ; ces treize termes constituent par leur réunion un seul corps qui symbolise [dans le macrocosme] le monde sans commencement et sans lumière[89].
La seconde nuit obscure[90] n’est autre que toutes les mauvaises natures[91] qui ont été méchamment conçues par le démon de la convoitise, à savoir : la sottise, la luxure, la vantardise, l’humeur incommode pour les autres, l’irritation, l’impureté, la destruction, la désagrégation, la mort, la tromperie, la révolte, la pensée obscure ; ce sont là les douze heures[92] de la nuit obscure sans clarté et redoutable. Ce sont là[93] des signes qui [montrent que cette nuit] est issue primitivement des démons[94].
Pour cette raison donc, le grand Sage de la Lumière bienfaisante[95], par des méthodes excellentes, distingua dans le corps charnel ainsi constitué la nature lumineuse et il vint à son aide en sorte qu’elle pût se délivrer. De ses propres cinq membres[96], il fit sortir par transformation les cinq libéralités[97] pour être utile à la nature lumineuse : d’abord, de sa pensée lumineuse, il fit sortir par transformation la pitié et l’ajouta à l’éther pur ; ensuite, de son sentiment lumineux…[98], il fit sortir par transformation le contentement et l’ajouta à la force de lumière ; ensuite, de son intellect lumineux, il fit sortir par transformation la patience et l’ajouta à l’eau pure ; ensuite, de son raisonnement lumineux, il fit sortir la sagesse et l’ajouta au feu pur ; [quant à] Hou-lou-cho-to (Khroštag) et P’o-leou-houo-tö (Padvakhtag), au trésor de [leurs] paroles, il ajouta la sagesse[99]. Ces treize termes, à savoir : l’éther, le vent, la lumière, l’eau, le feu, la pitié, la bonne foi, le contentement, la patience, la sagesse, avec Houlou-chô-tô (Khroštag), P’o-leou-houo-tö (Padvakhtag) et la Lumière bienfaisante, sont des signes qui symbolisent le Vénérable de la Lumière du monde de la lumière pure[100]. Ceux qui observent toutes les défenses sont comme le soleil. Le second jour[101] est celui où les douze grands rois [qui sont] la sagesse [et les autres][102], [se produisent] par transformation de [l’Envoyé de la] Lumière bienfaisante. Ce sont des signes qui symbolisent le soleil rond et complet.
Pour ce qui est du troisième jour, chaque fois que les sept sortes de Mo-ho-lo-sa-pen (Mahraspand)[103] entrent dans le corps d’un maître religieux pur[104], de la part de [l’Envoyé de la] Lumière bienfaisante celui-ci reçoit les cinq libéralités, et [ces] douze heures[105] réalisent le jour complet : ce sont des signes qui symbolisent la grande force de Sou-lou-cha-lo-yi (Sroš-ḥaråy).
Ces trois jours auxquels on ajoute les deux nuits sont les signes qu’il y a absolument deux mondes, tant pour les maîtres religieux que pour les simples dévots[106].
Parfois il arrive que le vieil homme entre en lutte avec l’homme nouveau qui est sage ; cela est semblable à [ce qui s’est passé] lorsque, pour la première fois, le démon de la convoitise décida d’envahir le monde de la lumière. Il y en a les signes suivants. De la pensée obscure et empoisonnée de ce vieil homme, des démons sortent par transformation, qui immédiatement luttent avec le membre de la pensée de l’homme nouveau. Si cet homme nouveau ne prend pas garde aux signes, il abolit et oublie sa pensée lumineuse, et immédiatement il y en a les signes [que voici] : un tel homme, dans sa conduite, n’aura pas de pitié ; dans les affaires qu’il rencontrera, il concevra de la haine ; de suite il souillera le membre de la pensée pure de sa nature lumineuse, et la nature étrangère qui habite provisoirement en lui en sera aussi atteinte et endommagée. S’il sait garder les signes, il s’éveillera, il chassera la haine et pratiquera la pitié ; le membre de la pensée de sa nature lumineuse retournera à sa pureté ; la nature étrangère qui habite provisoirement en lui se dégagera de tous les dangers. Heureux et trépignant de joie, il remercia en rendant hommage et s’en alla[107].
Parfois l’homme nouveau oublie et perd les signes[108] ; alors du milieu de son sentiment obscur, des démons sortent par transformation, qui immédiatement luttent contre le sentiment de l’homme nouveau. Dans le corps de cet homme, il y en a de grands signes : cet homme, dans sa conduite, n’aura pas de bonne foi ; dans les affaires qu’il rencontrera, il concevra de l’irritation ; la nature étrangère qui habite provisoirement en lui sera aussitôt infectée. Mais si le membre du sentiment de sa nature lumineuse revient aux signes et n’oublie pas son sentiment primitif, cela l’éveillera et il poursuivra [l’irritation] ; cette irritation reculera et se dispersera, et sa bonne foi sera la même qu’auparavant ; la nature étrangère qui habite provisoirement en lui évitera toutes les souffrances, et il parviendra à son monde primitif.
Parfois l’homme nouveau oublie les signes ; alors de sa réflexion obscure, empoisonnée et non lumineuse, des démons sortent par transformation qui immédiatement luttent contre le membre de la réflexion pure de l’homme nouveau. Alors, dans cet homme, il y en a de grands signes : cet homme, dans sa conduite, n’aura pas de contentement ; ses sentiments de concupiscence s’enflammeront ; la nature étrangère qui habite provisoirement en lui sera aussitôt infectée. Mais si pour cet homme les signes ne sont pas oubliés, en ce qui concerne le membre de son contentement[109], il pourra bien le protéger ; il renversera toutes les pensées de concupiscence et ne leur permettra pas de s’élever derechef. La nature étrangère qui habite provisoirement en lui évitera toutes les souffrances. Pur en tout temps, il parviendra à son monde primitif.
Parfois de l’intellect non lumineux de cet homme, des démons sortent par transformation qui immédiatement luttent contre l’intellect de l’homme nouveau. Si cet homme abolit et oublie son intellect primitif, il y en a des signes : cet homme, dans sa conduite, n’aura pas de patience ; dans les affaires qu’il rencontrera, il concevra de la colère. Les deux natures, celle qui est l’étrangère et celle qui est la maîtresse [de la maison], en tout temps seront infectées. Si, pour cet homme, les signes ne sont pas oubliés, il s’éveillera et repoussera l’ennemi ; ses sentiments de colère reculeront et s’en iront ; la grande force de la patience reviendra pour le soutenir et pour le protéger. La nature étrangère qui habite provisoirement en lui se libérera avec joie ; le membre de la pensée lumineuse de sa nature primitive redeviendra ce qu’il était auparavant.
Parfois, du raisonnement non lumineux de cet homme, des démons sortent par transformation qui immédiatement luttent contre le membre du raisonnement de l’homme nouveau. Si cet homme oublie et perd son raisonnement primitif, il y en a des signes : cet homme, dans sa conduite, aura beaucoup de sottise ; ses deux natures, celle qui est l’étrangère et celle qui est la maîtresse [de la maison], seront toutes deux infectées. Si, pour cet homme, les signes ne sont pas oubliés, au cas où la sottise se lèverait[110], immédiatement et de lui-même il s’éveillera et pourra promptement la soumettre ; avec zèle il s’efforcera à l’énergie[111] et réalisera la sagesse. La nature étrangère qui habite provisoirement en lui, à cause de ses bonnes actions, pourra être entièrement pure. Le membre du raisonnement de sa pensée lumineuse, d’une manière limpide, sera sans souillures.
Ces cinq sortes de très grands combats, l’homme nouveau et le vieil homme à tout instant s’en livrent un. L’homme nouveau, au moyen de ces cinq sortes de forces[112], se défend contre ses ennemis haineux. Ce sont des signes qui rappellent les saints du macrocosme[113] : la pitié symbolise l’Envoyé de la Lumière qui maintient le monde[114] ; la bonne foi symbolise le Grand roi des dix cieux[115] ; le contentement symbolise l’Envoyé vainqueur qui soumet les démons[116] ; la patience symbolise l’Envoyé de la lumière qui est aux entrailles de la terre[117] ; la sagesse symbolise l’Envoyé de la lumière qui accélère la clarté[118]. C’est pour cette raison que les saints du passé et la religion présente[119] parlent ainsi : l’homme qui entre en religion, s’il n’a pas à lutter avec le corps charnel limité, a à lutter contre les natures empoisonnées des démons illimités. Ainsi donc, les maîtres purs qui observent les défenses sont semblables aux saints : pourquoi cela ? c’est parce qu’ils soumettent les haines des démons non autrement que ne le font les saints.
Parfois les soldats du vieil homme reculent et sont battus ; la pensée religieuse de la Lumière bienfaisante[120] est alors à son aise et se promène ; elle parvient jusqu’aux royaumes innombrables des cinq sortes de mondes de l’homme nouveau ; alors elle entre dans la ville de la merveilleuse pensée pure ; dans la salle magnifique qui s’y trouve, elle dispose un siège pour [prêcher] la Loi et s’y installe. Ensuite elle arrive aux villes du sentiment, de la réflexion, de l’intellect et du raisonnement, de la même manière que précédemment, et elle entre successivement dans chacune d’elles.
Quand la Lumière bienfaisante[121] se promène dans la ville de la pensée [d’un maître], il faut savoir que ce maître prêche la Loi correcte d’une manière merveilleuse, se plaît à parler des trois permanences et des cinq grandeurs de la Grande Lumière[122], et, grâce à sa pénétration surnaturelle[123], produit par transformation toutes les pensées au complet ; ensuite, dans sa prédication de la Loi, il parle spécialement de la pitié.
Quand la Lumière bienfaisante se promène dans la ville du sentiment [d’un maître], il faut savoir que ce maître se plaît à discourir sur les palais lumineux du soleil et de la lune[124], et, grâce à sa pénétration surnaturelle, produit par transformation la force majestueuse au complet ; ensuite, dans sa prédication de la Loi, il parle spécialement de la bonne foi.
Quand la Lumière bienfaisante se promène dans la ville de la réflexion [d’un maître], il faut savoir que ce maître se plaît à discourir sur le grand ministre[125] Sou-lou-cha-lo-yi (Sroš-haråy), et, grâce à sa pénétration surnaturelle, produit par transformation le silence[126] au complet ; ensuite, dans sa prédication de la Loi, il parle spécialement du contentement.
Quand la Lumière bienfaisante se promène dans la ville de l’intellect [d’un maître], il faut savoir que ce maître se plaît à discourir sur les cinq lumières[127], et, grâce à sa pénétration surnaturelle, manifeste par transformation…[128] ; ensuite, dans sa prédication de la Loi, il parle spécialement de la patience.
Quand [la Lumière bienfaisante] se promène dans la ville du raisonnement [d’un maître], il faut savoir que ce maître se plaît à discourir sur les Envoyés de la Lumière du passé, de l’avenir et du présent[129], et, grâce à sa pénétration surnaturelle, produit par transformation la liberté d’être invisible ou visible ; ensuite, dans sa prédication de la Loi, il parle spécialement de la sagesse.
Ainsi donc, celui qui est sage, en examinant attentivement un tel maître, sait immédiatement dans quel royaume se trouve la Lumière bienfaisante.
S’il y a des tien-na-wou (dênâvar)[130] purs qui de la sorte assurent la prospérité[131] de la Loi correcte sans supérieure, et jusqu’à la fin de leur vie ne reviennent pas en arrière, après leur mort leur vieil homme, avec la force obscure non lumineuse de sa foule de soldats, tombera dans les enfers d’où il ne sortira jamais[132]. Au même moment, la Lumière bienfaisante, entraînant le parent pur de sa propre armée lumineuse, ira tout droit dans le monde de la Lumière ; définitivement [ce maître] n’aura plus de crainte et perpétuellement il recevra de la joie[133].
Le Ying louen king [texte chinois] (Livre de la roue des rétribu- tions)[134] dit : « Si des tien-na-wou (dênâvar) ont au complet dans leur personne la Loi excellente, [alors] le Père de la Lumière, le Fils de la Lumière et le Vent de la Loi pure[135] sont tous dans sa personne et constamment s’y promènent ou s’y arrêtent. Le Père de la Lumière, c’est le Vénérable de la Lumière sans supérieur du monde de la Lumière. Le Fils de la Lumière, c’est l’éclat du soleil et de la lune[136]. Le Vent de la Loi pure, c’est Houei-ming (Lumière bienfaisante). »
Le Ning wan king [texte chinois] (Livre de l’apaisement universel ?) dit : « Si des tien-na-wou (dênâvar) réalisent entièrement en eux la Loi excellente, [alors] la Lumière pure et la Sagesse grandement forte seront entièrement cultivées et présentes dans leur personne. Alors les mérites de l’homme nouveau seront au complet. »
Vous tous, écoutez attentivement[137]. Quand le grand Envoyé de la Lumière bienfaisante fut entré dans ce monde, il renversa les quartiers tortueux de la ville de l’hérésie[138], il détruisit les anciennes demeures et il pénétra jusqu’au palais du démon.
Or ce démon de la convoitise, voyant que ses quartiers avaient été détruits, fit une nouvelle ville impure ; à cause de la sottise qui lui appartient en propre, il y fit agir sans restriction les cinq concupiscences.
Or il arriva que les enfants religieux vaillants du Vent pur merveilleux[139] qui est une colombe blanche[140], et les fils du grand Saint[141] entrèrent dans cette ville ; ils regardèrent des quatre côtés et ne virent que de la fumée et des nuages qui tout autour protégeaient les innombrables quartiers tortueux [de la ville impure]. Quand ils eurent vu cela de loin, ils continuèrent à avancer progressivement et arrivèrent au sommet du rempart [de la ville] ; regardant de loin droit en bas[142], ils aperçurent sept perles précieuses ; chacune de ces perles précieuses prise isolément a une valeur inestimable ; toutes étaient recouvertes de souillures diverses qui s’enroulaient au-dessus d’elles et les recouvraient.
Alors l’Envoyé de la Lumière bienfaisante choisit une terre grasse et fertile et y sema sa propre semence sans supérieure de lumière ; en outre, il enleva de ses propres membres les modèles, si bien que tous les joyaux surabondèrent pour luimême [d’après ces modèles] ; avec un grand profit, il fit naître de façon prospère toutes sortes d’ornements[143] ; il contenta la nature intérieure et en fit une colonne d’appui ; la semence de vérité, en s’appuyant sur cette colonne, put sortir hors des cinq sortes de gouffres obscurs non lumineux[144]. Ce fut comme dans le macrocosme, où Sien-yi (Raisonnement primitif) et Tsing-fong (Vent pur) avaient eu chacun cinq fils qui avaient servi de colonne d’appui pour les cinq corps lumineux[145].
Alors le Laboureur habile de la Lumière bienfaisante[146], parce qu’il détestait les cinq terres escarpées et dangereuses de la non-lumière[147], les rasa et les combla ; il commença par enlever les ronces[148] et toutes les herbes empoisonnées et il les brûla par le feu ; ensuite il abattit les cinq sortes d’arbres empoisonnés. Quand les cinq terres ténébreuses eurent été rasées et ruinées, à l’usage de l’homme nouveau il établit une salle princière avec des palais ; dans les jardins de ces palais, il planta toutes sortes de fleurs odorantes et d’arbres précieux ; puis, à l’usage de sa propre personne, il décora un palais avec une salle du trône ; ensuite pour tous ceux qui l’accompagnaient et qui étaient innombrables, il fit aussi des palais.
Cet Envoyé de la Lumière bienfaisante, par son majestueux pouvoir surnaturel[149], institua donc ces réalisations de toutes sortes. Puis il bouleversa les terres obscures, empoisonnées et mauvaises, de la convoitise et de la concupiscence, et il les fit se renverser. Alors les cinq sortes de membres purs de la nature lumineuse purent graduellement se développer ; ces cinq membres sont : la pensée, le sentiment, la réflexion, l’intellect, le raisonnement.
Puis, l’Envoyé de la Lumière bienfaisante, dans les cinq sortes de terres précieuses de la pureté, planta les cinq sortes d’arbres précieux lumineux, dépassant tout éloge et sans supérieurs. Ensuite, sur les cinq sortes de terrasses précieuses lumineuses, il alluma les cinq lampes précieuses lumineuses qui durent toujours.
Quand l’Envoyé de la Lumière bienfaisante eut fait les cinq libéralités, il commença par chasser la pensée obscure non lumineuse ; il abattit et enleva les cinq sortes d’arbres de mort empoisonnés et mauvais[150] : la racine de cet arbre est la haine ; son tronc est la violence ; ses branches sont l’irritation ; ses feuilles sont l’aversion ; ses fruits sont la division[151] ; son goût est le fade ; sa couleur est le dénigrement. Ensuite il chassa le sentiment obscur non lumineux, dont il abattit et enleva l’arbre de mort ; cet arbre a pour racine le manque de foi ; son tronc est l’oubli ; ses branches sont l’hésitation et la négligence ; ses feuilles, la violence ; ses fruits, les tourments ; son goût, l’avidité et la concupiscence ; sa couleur, la résistance[152]. Il chassa ensuite la réflexion obscure non lumineuse, dont il abattit et enleva l’arbre de mort ; la racine de cet arbre est la concupiscence ; son tronc, la paresse ; ses branches, la violence ; ses feuilles, la haine des supérieurs[153] ; ses fruits, la raillerie : son goût, la convoitise ; sa couleur, l’amour sensuel. Les diverses sortes d’actions impures, on les commet d’abord et on s’en repent ensuite[154]. Puis il chassa l’intellect obscur, dont il abattit et enleva l’arbre de mort. La racine de cet arbre est la colère ; son tronc est la stupidité ; ses branches sont le manque de foi ; ses feuilles sont l’inintelligence ; ses fruits sont le dédain ; son goût, c’est l’orgueil[155] ; sa couleur, c’est le mépris pour autrui. Ensuite il chassa le raisonnement obscur, dont il abattit et enleva l’arbre de mort ; la racine de cet arbre est la stupidité ; son tronc est l’absence de mémoire ; ses branches sont la lenteur d’esprit[156] ; ses feuilles sont de regarder son ombre[157] et de se croire sans rival ; ses fruits sont de surpasser le commun des hommes par le luxe des vêtements et des parures ; son goût est d’aimer les colliers, les perles, les bagues, les bracelets et de se couvrir le corps de toutes sortes de bijoux ; sa couleur, c’est le désir immodéré des boissons et des aliments de toutes sortes de saveurs afin d’en faire profiter le corps charnel.
Les arbres que nous venons de décrire sont les arbres de mort. Le démon de la convoitise, dans ces antres obscurs non lumineux, avait mis tout son zèle à les planter.
Puis, quand l’Envoyé de la Lumière bienfaisante, s’étant servi de la hache tranchante de la sagesse, eut successivement abattu tous ces arbres[158], il prit ses propres arbres précieux de cinq sortes, lumineux, purs et sans supérieurs, et il les planta dans les terres de la nature primitive ; il arrosa ces arbres précieux avec l’eau de l’ambroisie et ils produisirent des fruits qui donnent l’immortalité.
D’abord il planta l’arbre de la pensée. Pour cet arbre de la pensée, la racine, c’est la pitié ; son tronc, la joie ; ses branches, la félicité ; ses feuilles, l’éloge de la multitude[159] ; ses fruits, le calme absolu ; son goût, le respect ; sa couleur, la fermeté. Il planta ensuite l’arbre précieux, merveilleux et pur du sentiment ; la racine de cet arbre est la bonne foi ; son tronc, la foi ; ses branches, la crainte ; ses feuilles, la vigilance ; ses fruits, l’application à l’étude ; son goût, la lecture et la récitation (des textes saints) ; sa couleur, la joie calme. Il planta ensuite l’arbre de la réflexion ; la racine de cet arbre, c’est le contentement ; son tronc, la pensée bonne ; ses branches, les règles imposantes[160] ; ses feuilles, la vérité qui orne tous les actes ; ses fruits, les paroles véridiques par lesquelles il n’y a plus de propos menteurs ; son goût, les discours[161] sur la Loi correcte et pure ; sa couleur, le plaisir à rencontrer autrui. Ensuite il planta l’arbre de l’intellect ; la racine de cet arbre est l’endurance des injures ; son tronc, le calme absolu ; ses branches, la patience ; ses feuilles, les défenses et les préceptes de discipline ; ses fruits, le jeûne et les hymnes[162] ; son goût, le zèle à pratiquer [la religion] ; sa couleur, l’énergie. Ensuite il planta l’arbre du raisonnement ; la racine de cet arbre, c’est la sagesse ; son tronc, c’est l’intelligence complète du sens des deux principes[163] ; ses branches, c’est l’habileté à discuter sur la Loi lumineuse ; ses feuilles, c’est de connaître les arguments d’une manière appropriée aux circonstances, d’être capable d’écraser les doctrines hétérodoxes, d’honorer et d’affermir la vraie Loi ; ses fruits, c’est d’être habile à interroger et à répondre, et d’exceller à parler en se servant des arguments appropriés ; son goût, c’est d’exceller à se servir d’apologues qui font que les hommes comprennent bien ; sa couleur, ce sont les belles expressions affubles qui font que ce qu’on expose plaît à la foule.
Les arbres que nous venons de décrire sont ce qu’on appelle les arbres de vie.
Alors donc l’Envoyé de la Lumière bienfaisante prit ces arbres excellents ; puis, dans les cinq terres de la nature primitive qui sont des quatre côtés du trône du palais merveilleux de cette nouvelle ville et dans les pavillons de ses jardins, dans ces terres il les planta.
Dans ces [terres], le roi, c’est la pitié ; la pitié est l’ancêtre de toutes les actions méritoires ; elle est comme le soleil brillant qui, au milieu de toutes les lumières, l’emporte sur elles ; elle est comme la pleine lune qui, au milieu de toutes les étoiles, est la plus vénérable ; elle est encore comme le diadème du roi d’un royaume qui est la plus belle et la première de toutes les parures ; elle est aussi comme les arbres dont les fruits sont [la partie] la meilleure ; elle est comme la nature lumineuse qui habite dans ce corps obscur, et qui, dans ce corps, est une merveille sans égale ; elle est aussi le sel ordinaire qui peut donner leur goût aux viandes et aux mets les plus excellents et de toutes sortes ; elle est aussi comme le sceau du roi d’un royaume qui fait, partout où il est apposé, qu’on obéit sans réserve ; elle est encore comme la perle précieuse dite « lune claire »[164] qui est le premier entre tous les joyaux ; elle est encore comme le vernis incolore fait avec de la colle[165] qui est plus tenace que toutes les couleurs ; elle est aussi comme les surfaces qu’on enduit de chaux et qui sont en chacun de leurs points fraîches et blanches ; ou encore, comme est un palais au milieu duquel est le roi et, à cause de ce roi, le palais est imposant et pur ; telle aussi est la pitié. Celui qui possède la pitié possède par là même la Loi excellente ; si on n’a pas la pitié, aucune action méritoire ne saurait réussir. C’est pour toutes ces raisons qu’on l’appelle le roi.
À l’intérieur de la pitié il y a encore la bonne foi ; cette bonne foi est la mère de toutes les choses excellentes. Elle est comme l’épouse du roi qui peut aider le roi du pays à soutenir et à nourrir tous les êtres ; elle est aussi comme la force du feu qui peut cuire tous les aliments et nous procurer toutes les saveurs. De même encore que le soleil et la lune sont sans comparaison possible les plus vénérables de tous les astres et, en répandant leur éclat, illuminent tout, en sorte qu’il n’est rien qui n’en bénéficie ; de la même manière, la pitié et la bonne foi font que les diverses actions méritoires réussissent et sont au complet. La pitié et la bonne foi sont aussi, pour tous les saints du passé et de l’avenir, la base fondamentale[166] des causes lumineuses, la porte merveilleuse qui laisse voir partout. Elles sont aussi le chemin étroit sur lequel on marche en se tenant de côté le long de la grande mer des tourments dans les trois mondes[167] ; parmi des centaines et des milliers d’hommes[168], rarement il s’en trouve un seul pour s’engager dans ce chemin ; s’il y en a qui s’y engagent, grâce à ce chemin, ils peuvent naître dans la Terre pure[169], s’affranchir des peines et se délivrer ; définitivement sans crainte, ils se réjouiront perpétuellement dans le calme et la tranquillité.
Puis l’Envoyé de la Lumière bienfaisante fit briller entièrement sur le corps obscur du démon les trois grands jours bienfaisants de lumière et il soumit les deux sortes de nuits obscures non lumineuses[170]. C’est un signe qui symbolise la Lumière sans supérieure.
Le premier jour, c’est la Lumière bienfaisante ; ses douze heures, ce sont les douze grands rois à la forme victorieuse[171].
C’est là un signe qui symbolise [l’excellence] sans supérieure du monde de la Lumière pure.
Le second jour, c’est la semence pure de l’Homme nouveau. Les douze heures, ce sont les douze rois lumineux de transformation secondaire[172] ; ce sont aussi les merveilleux vêtements de la forme victorieuse[173] de Yi-chou (Yîšô, Jésus)[174] qu’il donne à la nature lumineuse ; au moyen de ces vêtements merveilleux, il pare la nature intérieure et fait que rien ne lui manque ; la tirant en haut, il la fait monter et avancer et se séparer pour toujours de la terre souillée[175]. Ce jour de l’Homme nouveau imite le vaste et grand Sou-lou-cha-lo-yi (Sroš-ḥaråy) ; les douze heures imitent les cinq fils lumineux de Sien-yi (Raisonnement antérieur) et les cinq fils lumineux de Tsing-fong (Vent pur), ainsi que Hou-lou-chö-tö (Khroštag) et P’o-leou-houo-to (Padvakhtag) ; en les réunissant, cela fait treize[176] membres purs lumineux qui forment un jour.
Le troisième jour, ce sont Chouo-t’ing (l’Appelant, Khroštag) et Houan-ying-cheng (le Répondant, Padvakhtag). Les douze heures, ce sont : de sorte merveilleuse[177], la pensée, le sentiment, la réflexion, l’intellect et le raisonnement, combinés avec la pitié, la bonne foi, le contentement, la patience des injures et la sagesse…[178] symbolisent l’Envoyé de la Lumière du soleil dans le macrocosme. Les douze heures de la pitié, etc., et de la forme, etc., symbolisent les douze filles de transformation du palais du soleil[179]. La lumière [de ces douze heures] étant au complet, elles forment en se réunissant un jour.
Ensuite, il y a encore les deux nuits obscures.
La première nuit, c’est le démon de la convoitise. Les douze heures, ce sont les os, les nerfs, les veines, la chair et la peau, ainsi que la haine, l’irritation, la concupiscence, la colère et la sottise, (auxquels on ajoute) les feux affamés de la convoitise et de la concupiscence[180]. Les poisons impurs de toutes ces catégories sont ce qui symbolise la première nuit obscure sans commencement et sans clarté dans le monde de l’obscurité.
La seconde nuit, c’est la flamme ardente de la concupiscence[181] violente et empoisonnée. Ses douze heures, ce sont les douze pensées obscures et empoisonnées. Cette nuit obscure est un signe qui symbolise la première réussite des démons.
En ce temps, le jour de la Lumière bienfaisante s’opposant à ces nuits obscures, de non-lumière et de ténèbres profondes, par la force de sa lumière soumit leur nature obscure et il n’y eut rien [de ces nuits] qui ne reculât et ne se dispersât. C’est là un signe qui symbolise la soumission du démon par le premier Envoyé de la Lumière[182].
En outre, l’Envoyé de la Lumière bienfaisante qui, dans le corps non lumineux, était libre de toutes façons, soumit tous les démons. Tel un roi qui, dans sa salle d’audience, récompense et punit sans avoir aucune crainte.
Pour ce qui est des [douze] formes de la Lumière bienfaisante[183], la première est le grand roi ; la seconde est la sagesse ; la troisième est la victoire constante ; la quatrième est la joie ; la cinquième est l’application à pratiquer [les préceptes de la religion] ; la sixième est l’égalité[184] ; la septième est la foi ; la huitième est l’endurance des injures ; la neuvième est la pensée droite ; la dixième est les actions méritoires ; la onzième est le cœur uniforme ; la douzième est la lumière totale [de la nature] du dedans et [de la nature] du dehors. Ces douze grandes heures lumineuses, lorsqu’elles entrent dans les cinq royaumes qui sont la pensée, le sentiment, la réflexion, l’intellect et le raisonnement, y font pousser dans chacun d’eux, tour à tour, une lumière illimitée ; chacun d’eux successivement manifeste des fruits qui, eux aussi, sont illimités ; ces fruits se manifestent tous dans la foule des adeptes purs.
Si des tien-na-wou (dênâvar) ont au complet les douze heures de clarté, il vous faut savoir que de tels maîtres diffèrent de la foule ; si on dit qu’ils diffèrent, c’est en ceci que ces mou-chö[185] et ces fou-to-tan[186] dans leur corps et leur cœur, con- çoivent toujours des connaissances extraordinaires, bienveillantes et affables, et qu’ils sont calmes et harmonieux. De tels signes marquent que les [douze] arbres des douze formes [de la Lumière bienfaisante] font apparaître leurs premiers bour- geons ; sur ces arbres constamment s’épanouissent en abondance les fleurs précieuses qui n’ont pas de supérieures ; quand elles se sont ouvertes[187] leur éclat illumine tout. À l’intérieur de chacune de ces fleurs, d’innombrables Buddhas de transformation[188], successivement et sans interruption, produisent leurs personnes innombrables par transformation.
Si des tien-na-wou (dênâvar) ont en eux le premier arbre qui est celui de la grande royauté, il vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes : 1o Ils ne se plaisent pas à demeurer toujours au même endroit[189] ; tel un roi qui, étant indépendant, ne demeure pas toujours au même endroit, mais se promène parfois en emmenant avec lui la multitude de ses soldats, tenant leurs armes de manière imposante et ayant leur équipement au complet ; il peut faire ainsi que toutes les bêtes féroces et que tous les ennemis haineux se tapissent dans leurs repaires. 2o Ils ne sont point avares. Dans l’endroit où ils s’arrêtent, s’ils reçoivent des aumônes[190], ils n’en font point un usage privé, mais ils les remettent à la grande assemblée. 3o Chastes, ils se gardent de toutes les fautes et de tous les maux ; capables eux-mêmes d’être purs, ils peuvent encore exciter à leur tour ceux qui s’appliquent aussi à l’étude et les font, eux aussi, devenir purs. 4o Ils se tiennent toujours auprès de leurs maîtres vénérables qui possèdent la sagesse, mais s’il y a des hommes sans sagesse, qui aiment à discuter à vide et qui sont querelleurs, ils s’en écartent au loin. 5o Ils se plaisent toujours à demeurer dans la société des adeptes purs ; dans quelque lieu qu’ils soient, ils ne s’isolent pas de la foule [des fidèles] pour demeurer seuls dans une chambre[191] : s’il y a des hommes qui agissent ainsi, on les nomme des malades ; c’est ainsi en effet que, dans le monde, un malade étant tourmenté par son mal désire toujours rester seul et ne souhaite pas avoir auprès de lui ses parents et ses amis. Tels aussi sont ceux qui n’aiment pas la société [des fidèles].
Le second [arbre] est celui de la sagesse. Si des tien-na-wou (dênâvar) observant les défenses[192] ont en eux la nature de sagesse, il vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes : 1o Ils se plaisent toujours à célébrer et à louer les hommes purs qui possèdent la sagesse et ils aiment les adeptes purs et sages ; à demeurer [avec ceux-ci] en un même lieu, ils conçoivent de la joie dans leur cœur et ne s’en lassent jamais. 2o Si leur propre racine de sagesse [est faible, en sorte que] ce qu’ils voient et comprennent est étroit et insuffisant, lorsqu’ils entendent les paroles imprégnées de sagesse que prononcent les autres sages, ils n’en conçoivent aucune jalousie. 3o Dans toute leur conduite, ils étudient avec ardeur et leur cœur ne se relâche point. 4o Ils s’appliquent incessamment à étudier toutes les bonnes règles imposantes des moyens d’[obtenir] la sagesse ; ils encouragent aussi les autres hommes à s’y appliquer avec eux. 5o En ce qui concerne les défenses, ils ont grand soin de ne pas les violer ; s’ils les violent par mégarde, ils en font aussitôt la confession[193] devant l’assemblée et expriment leur repentir.
Le troisième [arbre] est celui de la victoire constante. Si des tien-na-wou (dênâvar) purs ont en eux la nature de victoire, il vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes : 1o Ils ne se plaisent ni à calomnier, ni à flatter, ni à être cruels ; s’ils rencontrent des hommes agissant ainsi, ils ne s’en approchent point. 2o Ils ne se plaisent point aux querelles et aux criailleries ; s’ils rencontrent des querelleurs, ils s’en éloignent au plus vite ; si des hommes leur cherchent querelle de force, ils savent être humbles et patients. 3o Si, dans une discussion[194], l’autre a été vaincu, ils ne se permettent pas de profiter de l’excès de son péril, mais le louent[195] pour le mettre à son aise. 4o En toute occasion, ils ne manifestent pas d’une manière désordonnée [leur pensée] et, si on ne les interroge pas, ils ne parlent pas ; si quelqu’un vient les interroger, ils ne répondent qu’après avoir réfléchi ; il ne s’exposent pas à être, en définitive, couverts de honte pour quelque propos. 5o Quand ils parlent avec autrui, ils sont conciliants et non contrariants : ils ne font pas non plus de démonstrations contraignantes de manière à rendre évidentes les fautes de leur interlocuteur. S’ils sont avec la foule des adeptes de la religion, leurs cœurs sont en harmonie et il n’y a pas de divisions.
Le quatrième [arbre] est celui de la joie. Si des tien-na-wou (dênâvar) purs ont en eux la nature de joie, il vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes : 1o En ce qui concerne les prescriptions de la sainte religion au sujet des défenses, du progrès et de l’arrêt selon les règles imposantes, ils s’en réjouissent de point en point et y adhèrent de toutes leurs forces ; jusqu’à la fin de leur vie, leur cœur ne les abandonne point. 2o Les ordonnances des saints[196] relatives au vêtement qu’on change une seule fois par an et à la nourriture qu’on prend une seule fois par jour[197], ils les observent avec joie et n’estiment pas qu’elles soient vexatoires ; ils ne font pas non plus de fausses démonstrations en disant : « Les saints ont établi provisoirement ces règles » ; ni ne citent à tort les livres saints et les traités doctrinaux[198] pour dire que ceux qui, comprenant la seconde révélation, cherchent la délivrance[199], n’ont pas à observer ces défenses. 3o Ils étudient uniquement la loi correcte[200] et pure de leur propre secte et ils ne recherchent pas les diverses doctrines hérétiques et funestes. 4o Leur cœur est toujours humble[201] ; dans leurs rapports avec ceux qui étudient comme eux, ils ne haïssent pas ceux qui leur sont supérieurs. 5o S’ils sont dans une condition inférieure[202], ils ne dépassent pas ceux qui sont au-dessus d’eux ; s’ils sont eux-mêmes des chefs vénérables, ils considèrent la multitude comme eux-mêmes et n’ont aucune partialité dans leurs affections.
Le cinquième [arbre] est celui du zèle. S’il y a des tien-na-wou (dênâvar) purs qui ont en eux la nature zélée, il vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes : 1o Ils ne se plaisent pas à dormir, [de peur que] cela ne les empêche d’accomplir des actions [menant] à la perfection. 2o Ils se plaisent constamment à lire et à réciter [les livres saints] et leur cœur zélé ne se lasse point ; si ceux qui étudient avec eux leur donnent un enseignement, ils y font attention et les en remercient avec joie ; et d’autre part, pour un enseignement qu’ils ont reçu, leur cœur ne conçoit aucun ressentiment ; étant toujours zélés, ils excitent aussi le zèle des autres. 3o Ils se plaisent toujours à exposer, en la commentant, la loi correcte de pureté. 4o Les hymnes[203], ils les récitent suivant les rites, puis ils transcrivent ce qu’ils ont récité et ensuite ils le répètent dans leur pensée ; de cette façon, il n’y a jamais un moment passé en vain. 5o Les défenses qu’ils observent, ils s’y tiennent fermement et sans défaillance.
Le sixième [arbre] est celui de la vérité[204]. S’il y a des tien-na-wou (dênâvar) purs qui ont en eux la nature de vérité, il vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes : 1o Les explications qu’ils donnent sur les livres saints et la doctrine religieuse sont entièrement vraies ; ils se conforment absolument à la sainte religion et ils n’exposent rien de faux ; ils disent oui quand c’est oui et non quand c’est non. 2o Leur cœur et leur pensée sont toujours d’accord avec le vrai : ils n’attendent pas une occasion venue du dehors pour se régler d’après elle[205]. 3o Les actes qu’ils accomplissent en se conformant aux défenses sont toujours véridiques ; qu’ils soient seuls ou qu’ils soient au milieu de la foule, leur cœur n’a pas deux aspects. 4o À l’égard de leurs maîtres, leur cœur est constamment décidé ; ils les servent de toutes leurs forces et ne conçoivent aucun doute ; jusqu’à leur mort même, ils n’ont pas d’autre idée. 5o En ce qui concerne ceux qui étudient avec eux, ils les encouragent à s’exercer [à la pratique de la religion] ; par leur conduite véridique, ils servent de guides à tous.
Le septième [arbre] est celui de la foi. S’il y a des tien-na-wou (dênâvar) purs qui ont en eux la nature de foi, il vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes : 1o Ils croient au sens des deux principes ; leur cœur est pur et ne conçoit aucun doute ; ils rejettent l’obscurité et suivent la lumière, comme l’ont prescrit les saints. 2o À l’égard de toutes les défenses et règles de discipline, leur cœur est bien résolu. 3o En ce qui concerne les livres saints, ils ne se permettent d’ajouter ou de retrancher ni une phrase ni un mot. 4o En ce qui concerne la vraie doctrine, pour tout ce qui lui est profitable, leur cœur s’associe à sa joie ; mais s’ils voient qu’elle est blessée et tourmentée par le démon, alors ils en conçoivent de la compassion et participent à ses inquiétudes. 5o Ils ne divulguent pas imprudemment les fautes d’autrui ; ils ne se permettent aucun dénigrement et ne répandent pas des propos avec fourberie ; leur naturel est toujours affable ; ils sont droits sans duplicité.
Le huitième [arbre] est celui de la patience. S’il y a des tien-na-wou (dênâvar) purs qui ont en eux la nature de patience, ils vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes : 1o Leur cœur est constamment bienveillant et ne conçoit pas de colère. 2o Ils sont toujours joyeux et n’ont pas d’irritation. 3o En tout lieu, leur cœur est sans haine, 4o Leur cœur n’est pas violent ; leurs paroles ne sont ni grossières ni méchantes ; constamment, avec des paroles affables, ils plaisent au cœur de la foule. 5o Si, soit au dedans soit au dehors, il y a des tourments mauvais qui se dressent contre eux et viennent les envahir et les humilier, ils savent tout supporter avec patience ; ils restent joyeux et n’ont point de haine.
Le neuvième [arbre] est celui de la pensée droite. S’il y a des tien-na-wou (dênâvar) purs qui ont en eux la nature de pensée droite, il vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes : 1o Ils ne sont pas liés par les tourments et sont toujours joyeux de leur pensée droite et pure. 2o En ce qui concerne la religion, que ce soit un petit ou un grand qui les interroge, ils accueillent [sa question] avec respect et y répondent avec joie[206]. 3o Quand ils parlent avec ceux qui étudient comme eux, ils ne répliquent pas d’une façon embarrassante ; ils ne défendent pas leurs propres erreurs et ne nourrissent pas (les sentiments de mécontentement. 4o Leurs paroles et leurs actions sont d’accord ; leur cœur est toujours simple et droit ; ils ne recherchent pas les fautes d’autrui de façon à produire des disputes. 5o Si parmi leurs frères en religion il y en a qui, à l’égard de la sainte religion, ont des sentiments hétérodoxes, ils s’éloignent d’eux aussitôt ; ils ne demeurent pas avec eux et ne restent pas auprès d’eux de façon à former avec eux une force qui trouble intentionnellement l’assemblée des gens de bien.
Le dixième [arbre] est celui des actions méritoires. S’il y a des tien-na-wou (dênâvar) purs qui ont en eux la nature d’actions méritoires, il vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes ; 1o Les paroles qu’ils prononcent ne font de tort à personne. Constamment, par les ressources d’habileté excellente de leur cœur compatissant, ils font [en sorte] que la multitude des hommes soit tout entière joyeuse. 2o Leur cœur est toujours pur et ne hait point autrui ; ils ne font pas non plus de calomnies capables d’irriter les autres ; leurs paroles sont toujours aimables et ils écartent d’eux les quatre sortes de fautes[207]. 3o Ni envers les grands ni envers les humbles ils n’éprouvent aucune jalousie. 4o Ils ne rassemblent pas[208] une foule d’adeptes, disciples instruits dans les livres saints et les traités doctrinaux ; en quelque lieu qu’ils arrivent, s’il y a un lieu de résidence qui soit pur, il se plaisent à s’y arrêter, et ne choisissent pas d’[habitation] somptueuse. 5o Ils se plaisent toujours à donner des enseignements[209] à tous les hommes et, par leur sagesse aux ressources merveilleuses, ils leur font pratiquer la conduite correcte.
Le onzième [arbre] est celui de l’uniformité du cœur. S’il y a des tien-na-wou (dênâvar) purs qui ont en eux la nature d’uniformité de cœur, il vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes : 1o Tous les enseignements que leur ont donnés le chef de la religion[210], les mou-chô et les fou-to-tan, au sujet des moyens d’habileté excellente de la sagesse, et du progrès et de l’arrêt selon les règles imposantes, ils s’y conforment de point en point dans leur conduite ; ils n’osent pas y rien changer et ne se cantonnent pas dans leurs propres opinions. 2o Ils se plaisent toujours à habiter harmonieusement en compagnie de la multitude [des fidèles] ; ils ne souhaitent pas demeurer à part et nourrir chacun des projets différents. 3o Leur cœur uniforme est en harmonie [avec celui d’autrui] ; à cause de cette harmonie, les aumônes qu’ils reçoivent, ils en font une œuvre méritoire à l’usage de tous. 4o Ils obtiennent constamment que les Auditeurs[211], avec respect, leur fassent des offrandes, et avec amour les louent. 5o Ils se plai- sent toujours à se tenir loin des excitations[212], des moqueries et des querelles, et ils protègent excellemment leurs deux natures combinées, celle du dedans et celle du dehors.
Le douzième [arbre] est celui de la lumière totale [de la nature] du dedans et [de la nature] du dehors. Si des tien-na-wou (dênâvar) purs ont en eux la nature de lumière totale, il vous faut savoir que de tels maîtres en montrent cinq signes : 1o Ils excellent à extirper leur cœur souillé et à ne pas tolérer la convoitise et la concupiscence, en sorte que leur propre nature lumineuse peut toujours être libre ; pour ce qui est des femmes, ils peuvent les considérer comme des apparences vides et trompeuses ; ils ne sont pas arrêtés et embarrassés par les charmes sensuels : tel l’oiseau qui, volant[213] haut, ne périt pas dans les filets. 2o Dans leurs rapports avec les Auditeurs, ils n’ont pas de partialité ni d’estime spéciale ; ils ne s’attachent pas non plus aux familles des Auditeurs en les considérant comme leurs propres maisons ; s’ils voient que des laïques qui ne sont pas des adeptes de la religion subissent quelque dommage ou éprouvent des chagrins, leur cœur ne s’en afflige pas ; si, au contraire, il s’agit de quelque avantage et de quelque occasion de bonheur, leur cœur reste inchangé[214] . 3o Qu’ils marchent ou qu’ils restent immobiles, qu’ils soient assis ou qu’ils soient couchés, ils ne chérissent pas leur corps charnel en recherchant des vêtements fins et souples, ou en ayant une literie, des boissons et des aliments, des soupes et des remèdes, des oiseaux et des chevaux, des chars et des montures de façon à glorifier leur corps, 4o Ils songent constamment au jour difficile, pénible et périlleux où leur vie prendra fin ; ils considèrent toujours l’impermanence, et le Roi de l’Égalité[215] est comme présent devant leurs yeux ; en aucun moment ils n’abandonnent cette pensée, ne fût-ce qu’un instant. 5o Ils sont personnellement affables ; ils ne molestent point leurs frères et leurs amis et n’excitent point leur irritation ; ils ne font pas non plus de démonstrations mensongères[216] pour donner une mauvaise réputation à autrui ; ils peuvent constamment, d’un cœur ferme, rester paisiblement dans la loi pure.
Ces [arbres] que nous venons d’énumérer sont ce qu’on appelle les arbres précieux des douze rois de lumière. Moi[217], je suis parti du monde de la lumière et de la félicité éternelle et je suis venu ici en votre faveur, en apportant ces arbres que je voulais planter dans votre multitude pure. Vous donc, hommes et femmes de forme supérieure[218] et de sagesse excellente[219], il faut que chacun de vous plante ces arbres dans son cœur pur, qu’il les fasse prospérer et grandir ; de même que, lorsqu’on sème dans une terre extrêmement bonne, sans sable et sans salpêtre, pour un grain semé, on en récolte dix mille, et cela se développant incessamment, on arrive à l’infini. Si maintenant vous voulez réaliser en vous les fruits de pureté de la grande Lumière sans supérieure, il vous faut tous orner ces arbres précieux et leur faire avoir tout ce qui leur est nécessaire. Pourquoi le faut-il ? C’est parce que, ô gens de bien, c’est au moyen des fruits de ces arbres que vous pourrez vous affranchir des quatre difficultés[220] et que tous les êtres ayant corps se délivreront de la vie et de la mort, et, de manière définitive toujours victorieux, iront dans la région de la félicité immuable.
Alors, quand dans l’assemblée les mou-chö et autres eurent entendu prononcer le texte saint, ils trépignèrent de joie et s’écrièrent que jamais il n’y avait rien eu de tel. Les dieux et les bons esprits[221], les limités et les illimités, ainsi que les rois des royaumes, la multitude des ministres et la foule des quatre catégories[222], tant hommes que femmes, infinis et innombrables, après avoir entendu ce texte saint, se réjouirent tous grandement. Tous purent concevoir le désir de la perfection sans supérieure ; tels les herbes et les arbres qui, au moment où survient le printemps vivifiant, se développent et poussent sans exception, se couvrent de fleurs et nouent leurs fruits qui parviennent à maturité[223] ; seules les racines arrachées et gâtées ne peuvent plus se développer et grandir.
Alors les mou-chö et les autres adorèrent en se prosternant l’Envoyé de la lumière, ils se mirent à deux genoux, joignirent les mains et lui dirent : « Il n’y a que le Grand Saint, le Vénérable unique dans les trois mondes[224] qui soit universellement pour la multitude des êtres vivants un père et une mère doués de compassion ; il est aussi le grand guide des trois mondes ; il est aussi le grand médecin pour les êtres qui ont en eux une âme ; il est aussi l’espace merveilleux qui peut contenir toutes les formes[225] ; il est aussi le ciel supérieur qui enveloppe toutes choses ; il est aussi la terre véritable qui peut produire les fruits véritables ; il est aussi la grande mer d’ambroisie pour tous les êtres vivants ; il est aussi la montagne parfumée, vaste et grande, de tous les joyaux ; il est aussi la colonne précieuse de diamant qui supporte la foule des êtres ; il est aussi le pilote habile et sage sur la grande mer ; il est aussi la main secourable et compatissante dans les gouffres de feu ; il est aussi celui qui, dans la mort, donne la vie éternelle ; il est aussi la nature centrale entre les natures lumineuses de tous les êtres vivants ; il est aussi la porte de lumière qui délivre des prisons solides des trois mondes. »
Les mou-chö et les autres adressèrent encore à l’Envoyé de la Lumière ces paroles : et Seul le Vénérable unique de la Grande Lumière[226] peut louer la sainte vertu ; ce n’est pas nous qui, avec les connaissances médiocres de notre langue de chair, pourrons célébrer les mérites et la sagesse du Tathāgata[227] ; sur les mille myriades de parties qu’il contient, nous ne pouvons connaître que peu de parties. Maintenant, nous avons excité notre faible vertu et notre faible savoir, nous avons élevé notre pensée petite et mesquine et nous avons loué la grande bienveillance du Saint. Notre désir serait que le grand Saint fît descendre sur nous son cœur pitoyable pour supprimer les graves crimes non lumineux que nous avons accomplis depuis d’immenses kalpa jusqu’à maintenant, en sorte qu’ils soient abolis. Nous maintenant, nous ne nous permettrons pas d’être négligents ; en toute occasion nous aurons soin de veiller sur les arbres précieux sans supérieurs afin qu’ils aient tout ce qui leur est nécessaire. En nous servant de cette eau de la Loi, nous laverons toutes nos impuretés et nos graves souillures[228], en sorte que notre nature lumineuse puisse constamment être pure. Nous nous servirons de ce remède de la Loi et des grandes incantations surnaturelles pour conjurer et pour soigner toutes nos graves maladies de nombreux kalpa, en sorte qu’elles puissent être entièrement supprimées et guéries. Nous nous servirons de l’armure solide de la sagesse et nous nous en revêtirons pour tenir tête à ces méchants ennemis et pour obtenir en toute occasion une victoire écrasante. Nous nous servirons des vêtements et des coiffures merveilleux de toutes les « formes »[229] et nous nous en parerons afin d’obtenir en toute circonstance le contentement. Nous nous servirons des modèles lumineux [sortis] de la nature primitive[230] et nous les imprimerons[231] sur nous pour qu’ils ne se perdent point. Nous nous servirons des boissons et des aliments variés de cette excellente nourriture pour nous en rassasier et éloigner de nous la faim et la soif. Nous nous servirons de ces sons musicaux merveilleux et innombrables pour nous réjouir et pour éloigner de nous les tristesses. Nous nous servirons de ces joyaux extraordinaires de toutes sortes pour nous en faire des libéralités en sorte que nous devenions riches et opulents. Nous nous servirons de ce filet de lumière et le mettrons dans la vaste mer pour nous recueillir, nous sauver et nous déposer dans le bateau précieux. — Maintenant, par l’avantage bienheureux de la forme supérieure[232], nous avons pu voir les marques distinctives[233] extraordinaires du Grand Saint ; en outre, nous avons entendu la porte de la Loi merveilleuse telle qu’elle a été exposée précédemment, ce qui a supprimé pour nous les tourments et les impuretés : notre cœur a pu s’ouvrir et comprendre ; il a reçu en lui l’éclat majestueux de la perle qui fait se réaliser les désirs[234] ; nous avons pu marcher dans la droite voie. Les saints du passé, en nombre incalculable, ont tous pu, grâce à cette porte, s’affranchir des quatre difficultés, et tous les êtres qui ont des corps sont parvenus dans le domaine de la lumière où ils ont reçu une félicité illimitée. Notre seul désir est que dans l’avenir toutes les natures lumineuses puissent rencontrer une semblable porte de lumière ; si elles la voient et si elles l’entendent, qu’alors, comme l’ont fait les saints du passé et comme nous l’avons fait nous-mêmes aujourd’hui, en entendant la Loi, elles se réjouissent, et que leurs cœurs s’ouvrent et comprennent ; et qu’en vénérant profondément et en se prosternant, elles acceptent [cet enseignement] sans concevoir de doute ou d’anxiété.
Alors, quand tous les membres de la grande assemblée eurent entendu ce texte saint, ils l’acceptèrent avec foi comme loi et le mirent en pratique avec allégresse[235].
Notes additionnelles. — 1o M. N. Péri (Une mission archéologique japonaise en Chine, p. 3, extrait du B.É.F.E.-O., janv.-juin 1911, t. XI) parle, d’après des articles de revues scientifiques japonaises, de la présence, parmi les manuscrits rapportés de Touen-houang à Pékin, d’un « rouleau d’environ 6 mètres de long, contenant un ouvrage nestorien ». Il semble bien qu’il s’agisse du texte que nous venons de traduire, et dont le caractère manichéen avait été méconnu par les érudits pékinois.
2o M. Prosper Alfaric, qui connaît à merveille tout l’œuvre de saint Augustin, nous a signalé deux rapprochements intéressants.
α. P. 525, n. 2. Pour la constitution du microcosme à l’image du macrocosme, ajouter un passage de l’Epistula Fundamenti de Mâni, cité par saint Augustin, De natura boni (éd. Migne, col. 570) : « In eadem (principis tenebrarum conjuge) enim construebantur et contexebantur omnium imagines, caelestium ac terrenarum virtutum, ut pleni videlicet orbis id quod formabatur, similitudinem obtineret. »
β. P. 535, n. 3. Au sujet du « vieil homme » et de l’« homme nouveau », de la « nature extérieure » et de la « nature intérieure », il faut faire intervenir tout le chapitre 24 du Contra Faustum (éd. Migne, col. 473-478) ; le manichéen Faustus s’y réclame de saint Paul : « Quoniam quidem sunt secundum Apostolum homines duo, quorum alterum quidem interdum exteriorem vocat, plerumque vero terrenum, nonnunquam etiam veterem ; alterum vero interiorem et caelestera dicit ac novum. »
3o [L’existence très probable de *mōže en pehlvi (cf. p. 670) est confirmée par celle de son équivalent sogdien exact mwčk’, « maître », que j’ai retrouvé dans l’un des manuscrits de la collection Pelliot, Inventaire no 3515. Il y répond (car il s’agit d’un bilingue) au chinois 師 che dans le groupe 從師 ts’ong-che, en sogdien č’wn mwčk’. On aperçoit les conséquences : le persan āmōxtan se trouve confirmé et ne semble décidément pas devoir être ramené à *ham + vač- comme le propose M. Salemann (Munich. St., s. v. חמוצאג), et le pehlvi de Tourfan ḥmwč’g est simplement *ham + mōčāg, soit *hamōčag. — R. G.]
- ↑ Le lecteur verra sans peine tout ce que nous devons aux travaux de MM. Cumont, Müller, Radlov, von Le Coq ; les efforts de ces devanciers ont beaucoup facilité et guidé notre tâche. Notre ami M. Robert Gauthiot nous a fourni en outre quelques notes très ingénieuses sur des mots iraniens transcrits en chinois ; on les trouvera entre crochets, et suivies des initiales R. G.
- ↑ Cf. B. É. F. E.-O., VIII, 518.
- ↑ Cf. Comptes rendus de l’Acad. des Inscriptions, 1910, p. 365.
- ↑ Cf. T’oung Pao, II}, xii, 286-287.
- ↑ M. Lo Tchen-yu est le plus actif collaborateur de la revue d’art et d’archéologie publiée à Chang-hai sous le titre de 神州國光集 Chen tcheou kouo kouang tsi (sur laquelle cf. B. É. F. E.-O., IX, 573 et suiv.) ; cf. aussi, sur Lo Tchen-yu, le J. A. de janvier-février 1911, p. 129 et suiv.
- ↑ Cf. Comptes rendus de l’Acad. des Inscriptions, 1911, p. 604.
- ↑ Cf. Acta Archelai, chap. 4, p. 5 ; chap. 13, p. 22 ; chap. 64, p. 93 ; G. Hoffmann, Auszüge aus den syrischen Akten persischer Märtyrer, Leipzig, 1880, p. 76 ; Photius, Bibliotheca, no 85 ; Kessler, Mani, p. 70, 105, 108-109, 112, 156-157, 173-174, 177, 240, 364. Le texte de Photius est assez intéressant (nous citons la Bibliotheca d’après la traduction latine, 1606, in-4°, § 85) : Lecti sunt Heracliani Chalcedonensis Episcopi adversus Manichaeos libri viginti… Recenset item eos, qui ante se in Manichaeorum impietatem calamum strinxerunt… ; et Titum, qui cum se putavit contra Manichaeos scribere, in Addae magis libros scripsit… Denique et Diodorum illum, qui libris quinque et viginti cum Manichaeis certavit. Quorum septem prioribus putat quidem et Vividum se Manichaeorum Evangelium refellere ; at non assequitur : dum non illud, sed quod ab Addaa scriptum erat, et Modium appellatur, evertit… » Nous n’avons pas à rechercher ici dans quelle mesure les apôtres Thomas, Addas et Hermas du manichéisme sont indépendants des personnages du même nom que connaît la tradition chrétienne. Il suffit, pour autoriser l’hypothèse que nous faisons ici, que le manichéisme ait eu des écrits mis sous le nom d’Addas.
- ↑ Cf. B. E. F. E.-O., VIII, 518.
- ↑ La majeure partie de ces textes ont déjà été étudiés par nous, tant dans le J. A. que dans le B. E. F. E.-O. mais ces recherches ont besoin d’être aujourd’hui reprises et complétées.
- ↑ Nous nous bornons à signaler ici que les « trois moments », définis par un texte chinois comme « le passé, le présent et l’avenir », mais de façon plus technique, dans le fragment de Paris, comme « l’antérieur, le médian et le postérieur », sont évidemment identiques aux « initium, medium et finem » que décrivait l’Epistula fundamenti (cf. saint Augustin, De actis cum Felice, l. 2, chap. 1, col. 536 ; et aussi l. 1, chap. 9 et 10, col. 525) ; chap. 12, col. 527), et d’autre part que la mention côte à côte des « deux principes » et des « trois moments » se retrouve dans le Khuastanift turc où, à la section VIII, il est question successivement des « deux racines » (äki yiltiz) et des « trois moments » (üč öd).
- ↑ MM. Grünwedel et von Le Coq ont encore rapporté à Berlin, surtout depuis le travail publié par M. Müller en 1904, d’autres documents manichéens, principalement en sogdien ; mais rien n’en est encore publié. Le seul renseignement précis que nous ayons à leur sujet se trouve dans les Sitzungsber. der k. preuss. Akad. der Wissensch., 1909, 25 février, p. 325, où il est fait mention de la présentation à l’Académie des traductions d’un important fragment cosmogonique en sept feuillets, d’un document manichéen sur la mort de Mâni, et d’une portion assez considérable des épîtres de Mâni à Mârî Amû.
- ↑ Ce rythme facilite la lecture à haute voix, mais le texte est en prose. Il est d’ailleurs très rare que les textes religieux du bouddhisme chinois contiennent de véritables vers, observant les règles de la versification chinoise. Par contre, le petit texte nestorien intitulé Éloge de la sainte Trinité, qui provient également de Touen-houang et est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de Paris, a été traduit en vers réguliers de sept syllabes (cf. à son sujet B. E. F. E.-O., VIII, 518-519 ; ce texte est également édité dans le Touen houang che che yi chou).
- ↑ On verra au cours de la traduction que le texte n’est pas exempt de lacunes d’interpolations et même d’un certain désordre.
- ↑ Dans les noms de moines bouddhistes débutant par l’un de ces deux caractères, on ne sait même souvent en faveur duquel on doit se décider. Par exemple on trouvera un même moine appelé 惠生 Houei-cheng dans le Wei Souei chou et le Lo yang k’ie lan ki, mais 慧生 Houei-cheng dans le Pei che et le Souei chou (cf. B. E. F. E.-O., III, 379, 380, 382, 388) ; le moine Houei-tch’ao, dont le récit de voyage en Inde, également retrouvé à Touen-houang, a été édité lui aussi dans le Touen houang che che yi chou, est appelé 慧超 Houei-tch’ao à la table du chapitre 100 du Yi ts’ie king yinde Houei-Lin, et 惠超 Houei-tch’ao dans le corps de ce même chapitre ; et la confusion est si naturelle que l’éditeur du Touen houang che che yi chou, M. Lo Tchen-yu, en la signalant dans le texte de Houei-lin, n’y a pas échappé lui-même, car il écrit successivement 慧琳 Houei-lin et 惠琳 Houei-lin. La véritable expression tche-houei, « sagesse », est employée, à propos d’un prêtre manichéen, dans le chapitre 971 du Ts’ôfou yuan kouei, mais la confusion reparaît quand ce même texte est reproduit dans le chapitre 997 (cf. Chavannes, Le nestorianisme, p. 47-48). Le fragment manichéen de Paris donne la bonne forme tche-houei, « sagesses ». Par contre l’inscription de Kara-balgasoun, qui est en partie consacrée, elle aussi, au manichéisme, porte à la ligne 21 智惠, tche-houei, où le second caractère est sûrement inexact (cf. Schlegel, Die chinesische Inschrift, p. 67, où la traduction « Weisheit und Herzensgüte » est à rejeter). Le véritable caractère 慧 houei n’apparaît qu’une fois au cours de tout notre texte (fol. 13 ro), dans une expression qui n’est d’ailleurs pas tche-houei.
- ↑ Le vrai mot 想 siang, « pensée », ne se trouve qu’une fois dans notre texte (fol. 4 vo) ; ce n’est pas dans une énumération technique. L’absence presque absolue d’un mot aussi usuel, dans un texte de religion et de philosophie comme celui-ci, serait à elle seule un indice sérieux en faveur de notre correction.
- ↑ Les indications finales données entre parenthèses sont celles des titres abrégés qui sont adoptés pour les références dans le cours de ce travail.
- ↑ L’édition de M. Lo Tchen-yu débute par cette phrase, mise au milieu d’une ligne, comme une rubrique. Elle est d’allure toute bouddhique. Pour obtenir la délivrance, il faut non seulement des causes premières, des causes efficientes (因 yin, nimitta), mais aussi des causes secondaires, occasionnelles (緣 yuan, pratyaya), comme la rencontre d’un « ami excellent » qui vous guide dans la bonne voie (cf. S. Lévi, Mahāyāna-sūtrālaṃkāra, ii, 26). L’expression de 解脫 kiai-t’o, « délivrance », s’applique bien au manichéisme, puisqu’il s’agit de délivrer les éléments de lumière emprisonnés dans la matière ; mais c’est la traduction usuelle et littérale du vimokṣa bouddhique. Quoi qu’il en soit de cette phrase, on va voir qu’à la suite d’une question de A-t’o, l’Envoyé de la Lumière raconte la délivrance des cinq corps lumineux emprisonnés dans les gouffres des ténèbres par les démons ; c’est le second acte de la cosmogonie manichéenne, celui qui correspond à la délivrance, par l’Esprit Vivant, des cinq « fils » de l’Homme primitif. Le début, aujourd’hui disparu, devait donc mentionner l’existence des deux principes lumineux et obscur, puis l’envahissement de la terre de lumière par le roi des ténèbres, l’évocation, par le Père de la Grandeur, de l’Homme primitif et de ses cinq « fils », enfin la défaite de l’Homme primitif vaincu par les démons.
- ↑ L’expression de « corps charnel », quoique d’une clarté absolue, n’est pas très usuelle dans le bouddhisme chinois. En turc de l’époque des T’ang, on a également ät’öz, qui semble bien composé de ät « chair » et öz « personne » (cf. W. F. K. Müller, Uigurica, I, p. 55 ; von Le Coq, Chuastuanift, p. 304) ; peut-être l’expression turque a-t-elle été frappée par des manichéens. Dans notre texte, le mot 肉 jeou est écrit avec la forme 宍, usuelle sous les T’ang.
- ↑ On verra plus loin que l’homme a une « nature primitive » et une « nature étrangère, qui habite en lui provisoirement ». Nous avons ajouté « car » dans notre traduction, puisqu’il s’agit d’une question dont la seconde phase ne peut être que le développement. Mais il subsiste quelque obscurité, puisque nous ne pouvons encore préciser s’il s’agit d’opposer la « nature primitive » à la « nature étrangère », ou la « nature lumineuse » à une « nature obscure », qui seraient toutes deux « primitives ». Il semble seulement que le texte, plus littéralement, soit en faveur de cette seconde interprétation. La « nature lumineuse » correspond au giyân rôšan « âme de lumière » du pehlvi manichéen (cf. par exemple Müller, Handschr., 52). Sur le dualisme des âmes dans le manichéisme, cf. le De duabus animabus de saint Augustin, et Bousset, Hauptprobleme, p. 368.
- ↑ Celui qui pose la question doit être A-t’o, puisque c’est à lui que l’Envoyé de la Lumière va répondre.
- ↑ Tout ce début est construit à la manière d’un sūtra bouddhique. Il faut supposer, tel le Buddha dans les sūtra, l’Envoyé de la Lumière assis au milieu d’une assemblée de divinités et de fidèles auxquels il expose la loi. Survient un disciple qui rend hommage au Maître, puis lui adresse une question, et, en attendant la réponse, se recule pour prendre place dans l’assemblée ; la réponse à cette question fait l’objet du sūtra. La fin même de notre traité montre que tel est bien le cadre adopté. Au lieu de « reculant, il se tint debout de côté », la formule ordinaire des sūtra bouddhiques est « reculant, il s’assit de côté ».
- ↑ L’Envoyé de la Lumière est ici certainement Mâni ; c’est le frêstagrôšân des textes pehlvi (cf. Müller, Handschr., 88). Mâni n’est d’ailleurs pas le seul Envoyé de la Lumière : il a été précédé par exemple par Zoroastre, le Buddha, Jésus (cf. Albîrûnî, Chronology of ancient nations, trad. Sachau, p. 190 ; Kessler, Mani, p. 817). Un passage de notre texte parle même (cf. p. 553) d’Envoyés de la Lumière futurs ; il y a peut-être là une adoption ancienne d’idées messianiques dans le manichéisme, mais on peut songer tout aussi bien au Saošyant du mazdéisme, ou même à une contamination due aux théories bouddhiques sur Maitreya, le Buddha à venir.
- ↑ 阿馱 A-t’o (*‘A-da). Nous avons proposé, dans l’introduction à notre traduction, d’identifier A-t’o à Ἀδδᾶς. Dans tout le cours de ce travail, les prononciations anciennes sont précédées d’un astérisque ; elles sont restituées, pour l’époque des T’ang, en tenant compte simultanément des tables du K’ang hi tseu tien, des indications fournies par les prononciations dialectales modernes, des transcriptions de mots étrangers en chinois, et aussi des transcriptions anciennes de caractères chinois en caractères manichéens, ouïgours, tibétains et ’phags-pa. Le système est solide dans son ensemble ; il y a cependant quelques incertitudes de détail, qui seront indiquées le cas échéant.
- ↑ C’est là aussi un emprunt au bouddhisme ; les réponses du Buddha aux questions des disciples commencent régulièrement par cette double exclamation en sanscrit : sādhu, sādhu.
- ↑ Le 善知識 chan tche-che, « ami excellent », est une expression technique du bouddhisme, traduisant le kalyāṇamitra du sanscrit ; sur le rôle du kalyāṇamitra, cf. B. E. F. E.-O., IX, 384. L’expression simple tche-che, au sens d’ « ami », ne se rencontre guère non plus dans la littérature profane ; elle se retrouve plus loin dans notre texte (p. 574), sans valeur technique cette fois.
- ↑ Encore une expression bouddhique ; cf. par exemple, Chavannes, Cinq cents contes et apologues extraits du Tripiṭaka chinois, 1911, in-8o, t. III, p. 61.
- ↑ Le chinois 使 che, tout comme le pehlvi frêstag, répond aux deux sens d’ἄγγελος et d’ἀπόστολος ; il ne s’agit plus ici des « apôtres » qui sont venus éclairer l’homme sur la religion, tels Zoroastre ou Mâni, mais des « anges », des « messagers » du Père de la Grandeur chargés de lutter contre les démons. Nous traduisons par « lumière » aussi bien 明 ming que 光明 kouang-ming ; ce sont uniquement des raisons de rythme qui ont fait employer, dans le texte chinois, tantôt le mot simple, tantôt l’expression double.
- ↑ Nous traduisons les noms littéralement ; mais 風 fong, « vent », a beaucoup du sens de « souffle », « esprit », روح rouh. Il s’agit ici du Spiritus Vivens (τὸ Ζῶν Πνεῦμα) des Acta Archelai (chap. 7, 8, p. 10, 11), du Spiritus potens de saint Augustin (Contra Faustum, l. 20, chap. 9, col. 375), du Δημιουργός d’Alexandre de Lycopolis (chap. 3, dans Migne, Patrologie grecque, t. XVIII, col. 416) et de la formule d’abjuration (cf. Kessler, Mani, p. 360 ; Cumont, Cosmogonie, p. 21), de l’Esprit de Vie du Fihrist (Flügel, Mani, p. 88, 91, 99, 102 et les notes correspondantes) ; c’est lui qui constitue et organise le monde. Le manichéisme l’identifiait certainement avec l’Esprit Saint, car on le verra plus loin nommé dans une Trinité après le Père de la Lumière et le Fils de la Lumière (p. 556), et assimilé ailleurs à une colombe blanche (p. 557). Dans l’inscription nestorienne de Si-ngan-fou, il est question d’Eloha, puis du Messie, et enfin on arrive à « il établit la nouvelle religion ineffable du Vent pur de l’Unité trine » (設三一淨風無言之新教). Les traducteurs modernes ont donné de cette phrase des interprétations parfois étranges : Pauthier (L’inscription syro-chinoise de Si-ngan-fou, Paris, 1858, in-8o, p. 9) en a tiré : Il établit la doctrine pure de l’Unité trine, sans l’appeler une nouvelle religion. » Legge (Christianity in China, Londres, 1888, in-8o, p. 7) traduit : « Il établit ses doctrines nouvelles, opérant sans paroles par l’influence purifiante de l’Unité trine. » Heller (Das nestorianische Denkmal in Singan fu, Budapest, 1897, in-4o, p. 31) parle, sans autre explication, de « l’action silencieuse de l’esprit pur ». Seul le P. Havret (La stèle chrétienne de Si-ngan-fou, IIIe partie, Changhaï, 1902, in-8o, p. 46) a pressenti le véritable sens d’Esprit Saint et admis que King-tsing, l’auteur de l’inscription, avait tout au moins « eu en vue cette interprétation comme secondaire ». Cependant il est certain que c’est là le sens, non pas secondaire, mais unique, de Tsing-fong dans l’inscription de Si-ngan fou. Si on conservait le moindre doute à cet égard, il suffirait de se reporter au petit Éloge de la Sainte Trinité retrouvé à Touen-houang, et où l’Esprit Saint, troisième personne de la Sainte Trinité, est bien rendu par Tsing-fong. Il est curieux de voir que là où tous les exégètes modernes se sont mépris, quelqu’un avait vu clair, le P. Rho, qui traduisit une première fois l’inscription de Singan-fou l’année même de sa découverte, en 1625, et rendit bien Tsing-fong par Spiritus Sanctus (cette version est reproduite en appendice par Havret, Stèle chrétienne, III, 68).
- ↑ La Mère excellente n’est autre que la δύναμιν λεγομένην Μητέρα τῆς Ζωῆς qu’évoque le Père Excellent dans les Acta Archelai (chap. 7, p. 10 ; cf. Cumont, Cosmogonie, p. 14) ; la Mère des Vivants apparaît aussi dans le Fihrist (Flügel, Mani, p. 91, 100, 250-251, 343) et dans les textes pehlvi de Tourfan (Müller, Handschr., p. 47, 55) ; Titus de Bostra (éd. de Lagarde, Berlin, 1859, in-8o, i, 24) l’appelle δύναμις τοῦ ἀγαθοῦ (cf. Flügel, Mani, p. 210), ce qui, combiné avec la mention des Acta Archelai, justifie le nom chinois. Dans Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 185), la Mère de Vie apparaît dès le premier acte de la cosmogonie manichéenne, mais elle intervient aussi, à côté de l’Esprit Vivant, dans la constitution du monde (Pognon, Inscriptions, p. 188, 189) ; c’est aussi le cas ici pour la Mère excellente. MM. Bousset (Hauptprobleme, chap. 1 et 2) et Cumont (Cosmogonie, p. 15) ont montré les origines de la Mère de Vie, qui se retrouve dans les sectes gnostiques. Pour la triade Père, Mère et Fils, cf. les textes parallèles pehlvi et sogdien publiés par Müller (Handschrift., p. 102-103) : la Mère y est appelée Râmrâṭûkh ; dans le Fihrist (Flügel, Mani, p. 90 et note 292), la Mère des Vivants semble porter le nom de Nahnaha, que Flügel traduit hypothétiquement par « Abwendung des Bösen ».
- ↑ Cf. saint Augustin, De moribus Manichaeoram, liv. II, chap. 9, dans Migne, Patr. lat., t. XXXV, col. 1351 : « ..... malum esse quinque antra elementorum, aliud tenebris, aliud aquis, aliud ventis, aliud igni, aliud fumo plenum. » D’après Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 184), les cinq mondes du Roi des Ténèbres sont le monde de la fumée, le monde du feu, le monde du vent, le monde des eaux et le monde des ténèbres. C’est, en ordre inverse, l’énumération même de saint Augustin. Saint Augustin donne ailleurs (De haeresibus, chap. 46, col. 35) l’ordre : fumus, tenebrae, ignis, aqua, ventus. Le Fihrist (Flügel, Mani, p. 86) indique pour les « membres » de l’obscurité les noms suivants : brouillard, flamme, vent pestilentiel, poison, ténèbres, et (p. 87) : fumée, flamme, ténèbres, vent pestilentiel, brouillard ; il semble bien que, dans la première liste, le « poison » résulte d’une faute de texte (cf. Flügel, Mani, p. 186-187 et 205). L’ordre de Šahrastâni, comme l’indique Flügel, correspond à la seconde énumération du Fihrist ; de même celui d’Ibn al-Murtaḍâ (Kessler, Mani, p. 351). Une description des horreurs de la « terre » des ténèbres est encore donnée dans un autre passage du Fihrist (Flügel, Mani, p. 94). M. Cumont (Cosmogonie, p. 12) a proposé de voir une description des cinq régions des enfers dans un passage obscur des textes pehlvi de M. Müller (Handschr., p. 40) ; mais si la « terre des ténèbres » (târ zamîq) y est nommée, il semble qu’il s’agisse à son propos d’une série de quatre calamités, et non de cinq « éléments » ou « membres ». Il va de soi que les cinq « membres » de l’obscurité sont les correspondants mauvais des cinq « membres » bons de la lumière, éther, vent, lumière, eau, feu ; cf. d’ailleurs Cumont, Cosmogonie, p. 36-37.
- ↑ Le texte chinois a ici une lacune qui, dans l’édition de M. Lo Tchen-yu, correspond à trois caractères ; le rythme de la phrase est d’accord avec cette estimation. Le mot que nous traduisons par « victorieux » est en partie manquant ; il n’en reste que la clef ; mais le rapprochement avec le caractère précédent ne laisse aucun doute sur la restitution. Même en tenant compte de la lacune, le passage est assez étrange. Théodore bar Khôni dit bien (Pognon, Inscriptions, p. 185) que l’Homme primitif évoqua « ses cinq fils, comme un homme qui revêt ses armes pour le combat » ; mais ce sont ces cinq fils qui sont à la fois l’armure et les armes, et non pas eux qui sont couverts eux-mêmes de la « cuirasse de la grande connaissance ». De plus ils ont été vaincus, et il est peu naturel, quand on va précisément pour les délivrer, de les qualifier de « vaillants toujours victorieux ». Enfin l’Esprit vivant, pour aller au secours de l’Homme primitif, évoque lui aussi cinq fils (cf. Théodore bar Khoni, dans Pognon, Inscriptions, p. 186-187), qui sont glorieux entre tous dans le manichéisme (cf. Cumont, Cosmogonie, p. 22-23), et ces fils seront mentionnés, à diverses reprises, dans la suite de notre texte. Deux fois à leur propos, et à propos d’eux seuls, reparaîtra, avec des variantes insignifiantes (驍健 hiuo-kien et 勇健 yong-kien au lieu de 驍徤 hiao-kien), l’expression que nous traduisons ici par « vaillants ». Il semble donc assez vraisemblable que le texte soit ici altéré non seulement au point de vue matériel, mais même dans son fond.
- ↑ 五分明身. On verra plus loin qu’il s’agit des cinq éléments, éther, vent, lumière, eau, feu. Les sources grecques et latines qui les concernent sont indiquées dans Cumont (Cosmogonie, p. 16-17) et dans Bousset (Hauptprobleme, p. 281 et suiv.). Pour l’énumération des éléments en pehlvi et en sogdien, cf. Müller, Handschr., p. 99 ; ils sont énumérés en turc dans le Khuastuanift (cf. von Le Coq, Khuastuanift, p. 284-285) ; le Fihrist les donne dans le même ordre comme les « membres » de la « terre de la lumière » et aussi comme les « cinq dieux », « espèces (Geschlechter) de l’Homme primitif » (cf. Flügel, Mani, p. 86, 87, 203-204). Dans le manichéisme pehlvi et turc, c’est Ormuzd qui est considéré comme l’Homme primitif ; il suffit, pour s’en convaincre, de comparer un texte pehlvi de M. Müller (Müller, Handschr., p. 20) avec le texte parallèle du Fihrist que M. Müller en a rapproché à bon droit. Les premières sections du Khuastuanift sont également décisives à ce point de vue. Il faut donc corriger dans ce sens les traductions proposées par M. von Le Coq (Chuastuanift, p. 280 et passim, et note 10 de la page 301), et admettre que biš tängri désigne « les cinq dieux », fils d’Ormuzd, tout comme dans le Fihrist ils sont « les cinq dieux », fils de l’Homme primitif. Il semble bien d’ailleurs que ces « cinq dieux », qui sont, comme on le verra, les éléments lumineux emprisonnés dans l’homme, soient considérés comme nos âmes, et que, par suite, le bizning üzütümüz de la page 280 du Khuastuanift soit, comme le propose M. Radlov (Nachträge, p. 870), une apposition de biš tängri ; les lignes 301-302 de la page 297, pour lesquelles nous proposerions par suite une traduction très différente de celle de MM. von Le Coq et Radlov, nous paraissent en faveur de cette interprétation. Le nom de « fils » employé par Théodore bar Khôni (p. 185-186) et le parallélisme nécessaire avec les « fils » de l’Esprit Vivant montrent que, dans le Khuastuanift, il faut bien laisser à ογlan son sens ordinaire de « fils » comme l’a fait M. von Le Coq, et rejeter le sens secondaire de « guerrier » qu’a proposé M. Radlov (Nachträge, p. 870). Les cinq « fils » de l’Homme primitif, tout en étant ses émanations, l’armure dont il s’est entouré, continuent à faire partie de sa personne lumineuse ; ils sont ses « membres » ; c’est ce qu’entend le texte chinois par « corps lumineux divisés ». Ici encore, notre texte permet de préciser le sens d’une phrase de l’inscription de Si-ngan-fou. On a beaucoup bataillé sur le sens de 分身 fen-chen, qui est employé dans cette inscription à propos de l’incarnation du Messie, et la question s’est surtout embrouillée de ce qu’on voulait donner à l’expression une valeur spécialement nestorienne. Le P. Havret a bien montré que fen-chen n’avait rien de nestorien, et il a traduit (Stèle chrétienne, III, 35) la phrase 我三一分身景尊彌施訶 … par « Cependant notre Trinité s’est comme multipliée ; l’illustre et vénérable Messie… ». Nous ne croyons pas que ce soit là le sens. Le P. Havret a mentionné (ibid., p. 38), sans s’y arrêter, que certains ont cru devoir faire de fen-chen un participe, et traduire par « personne divisée » ; ce sens nous paraît résulter du texte même. Il suffit, pour s’en convaincre, de rapprocher du présent passage celui qui est consacré à Éloha : [texte chinois], « le corps merveilleux de notre Unité trine, le vrai maître sans commencement Éloha », pour être amené par le parallélisme à traduire la phrase relative au Messie par « le corps divisé de notre Unité trine, le brillant et vénérable Messie ». Mais si des doutes sur la valeur de participe ou d’adjectif de fen dans fen-chen pouvaient subsister pour quelques-uns, ils seraient levés par le présent texte manichéen, où wou-fen-ming-chen ne peut signifier que « les cinq corps lumineux divisés ».
- ↑ [texte chinois]. Le mot [texte chinois] ts’ö signifie un « plan » au sens stratégique ; l’expression militaire [texte chinois] ts’ö-ying signifie « secourir » (un corps de troupes, une place) ; ts’ö-tch’e, dans notre texte, paraît avoir la même valeur que ts’ö-ying, avec cette nuance que ce secours est opéré en tirant les cinq corps lumineux comme par la main. Dans notre texte, ts’ö est écrit avec la forme [texte chinois] ; cette forme se retrouve dans l’inscription de Si-ngan-fou (cf. Legge, Christianity in China, p. 12) et dans nombre de manuscrits de l’époque des T’ang.
- ↑ Ces cinq sortes de démons sont les cinq éléments mauvais correspondant aux cinq terres de ténèbres. Le Khuastuanift (von Le Coq, Khuastuanift, p. 280) connaît aussi les cinq sortes de démons (biš türlüg yäkärlüg) qui luttent contre Ormuzd (l’Homme primitif) et les cinq dieux ses fils.
- ↑ Le terme chinois et les comparaisons qui suivent sont à rapprocher, à cause de leur précision, du verbe qatïlo qu’emploie au même propos le Khuastuanift (von Le Coq, Khuastuanift, p. 280, 285, 291) et qui, selon Radlov (Nachträge, p. 870), signifie « adhérer », « être collés ensemble ».
- ↑ Le caractère [texte chinois] donné par le texte n’est qu’une variante de [texte chinois] tch’e, « glu ».
- ↑ [texte chinois]. Il ne nous semble pas qu’il faille traduire ici houo-ho par « union harmonieuse », comme on serait tenté de le faire d’abord, puisque les deux natures ou forces de lumière et d’obscurité ne vivent pas dans le monde en bonne harmonie. Houo-ho a ici la valeur d’un terme technique marquant la combinaison stable, mais susceptible pourtant de dissociation, dans laquelle le Vent pur a réuni les deux natures pour former le monde.
- ↑ Les dix cieux et les huit terres sont bien connus. Cf. saint Augustin, Contra Faustum, xxxii, § 19 : « octo esse terras et decem caelos ». Les Acta Archelai (chap. 8, p. 11) mentionnent les huit terres. Cf. aussi, [pour le Fihrist, Flügel, Mani, p. 89, et la note, p. 218-290. Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 188) parle de onze cieux (douze dans le ms. de Berlin) et de huit terres ; le nombre des cieux est certainement fautif (cf. Cumont, Cosmogonie, p. 28). Les dix cieux se retrouvent chez les Ophites et les disciples de Battai (Pognon, Inscriptions, p. 213, 228). Pour deux textes nouveaux sur les dix cieux et les huit terres, cf. Müller, Handschr., p. 97, et von Le Coq, Khuastuanift, p. 285 (dans ce dernier passage, les « dix cieux en haut » et les « dix terres en bas » rappellent le « en dessous » qui sera joint à une nouvelle mention des huit terres un peu plus loin). On voit que notre texte est muet sur l’écorchement des démons dont la peau aurait servi à tendre le ciel et dont les os auraient formé les montagnes (cf. à ce sujet de Beausobre, Histoire, II, 366 ; Cumont, Cosmogonie, p. 26).
- ↑ 業輪 ye-louen. Dans un texte bouddhique, on interpréterait tout naturellement ye-louen par « roue des rétributions », encore que nous n’ayons pas souvenir d’avoir rencontré cette expression sous cette forme ; ye, « action », est en effet un mot usuel pour désigner le karman, c’est-à-dire l’enchaînement des actes à travers les existences successives. Mais ici il s’agit évidemment d’un phénomène cosmique. Il nous semble que, par ye-louen, notre texte entend ici la mise en mouvement du firmament. Toutefois, il faut noter que, d’après deux passages de saint Augustin qu’a signalés M. Cumont, en les rapprochant d’une phrase de Théodore bar Khôni, le mouvement du ciel ne dut pas être, pour les manichéens, contemporain de sa création (cf. Cumont, Cosmogonie, p. 87). Il y a d’ailleurs d’autres différences entre la théorie cosmogonique de Théodore bar Khôni, sur laquelle s’appuie principalement M. Cumont, et notre traité. Pour Théodore bar Khôni, l’auteur principal du deuxième acte de la cosmogonie, l’Esprit vivant, crée les vaisseaux du soleil et de la lune, mais ils restent immobiles, et c’est l’agent de la troisième création, le Messager (ou Legatus tertius des Acta Archelai), qui met ces deux astres en mouvement. Dans notre traité, le Vent pur (qui correspond à l’Esprit vivant) semble constituer d’abord les « palais » du soleil et de la lune, puis, à un acte suivant, construire les « vaisseaux » de ces deux astres ; les « palais » seraient donc différents des « vaisseaux » ; mais ce ne doit être là qu’une apparence due à une rédaction un peu ambiguë ; nous reviendrons sur cette question à propos des « vaisseaux ».
- ↑ Les « palais » (宮 kong) du soleil et de la lune reparaissent à deux reprises dans la deuxième section du Khuastuanift : « Pour le dieu du soleil et de la lune et pour les dieux assis dans leurs deux palais (ordu) lumineux » (cf. von Le Coq, Khuastuanift, p. 283-284).
- ↑ 三衣 san yi. Les « trois vêtements » reparaissent dans un texte pehlvi de Tourfan (Müller, Handschr., 89) : « Puis, par la même purification, il habilla le dieu du soleil (mîḥryazd) de trois vêtements (pêmôg seh), qui sont le vent, l’eau et le feu. » M. Müller avait rendu un peu plus librement pêmôg par « enveloppe » (Hülle) ; notre texte montre qu’il vaut mieux laisser au mot son sens propre. Le mot « vêtement » a d’ailleurs été adopté pour cette phrase par M. Salemann (Manich. Stud., I, 50), qui traduit : « Puis, par cette même purification, Mihr-yazd fit trois vêtements, de l’air, de la terre et du feu. »
- ↑ 三輪 san louen. Les « trois roues » sont connues par saint Augustin, Contra Faustum, xv, 6 : « tres rotas ... ignis, aquae et venti », et xx, 10 : « rotas ignium, ventorum et aquarum ». Notre texte confirme ce témoignage, et met hors de doute que, dans le passage correspondant de Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 189-190), il faut bien, comme le croit M. Cumont (cf. Cosmogonie, p. 31), traduire agānā par roue, ou au plus par orbe, mais non par vase. Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 190) parle de l’ascension, de la montée des trois roues. M. Cumont {Cosmogonie, p. 32, 37-38) a justement rapproché de ce passage trois phrases des textes pehlvi de M. Müller (Handschr., p. 17, 19, 42) où il est question du vent, du feu, de l’eau et de leur ascension. Mais l’action des trois « roues » n’en reste pas moins assez obscure. M. Cumont admet (Cosmogonie, p. 33) qu’il y a là un souvenir « des sphères concentriques des éléments, eau, air, feu, qui, suivant les stoïciens, entourent la terre placée au centre de l’univers ». C’est en effet très possible, mais la conception avait certainement beaucoup dévié, et ni les rotae de saint Augustin, ni les louen du chinois ne peuvent s’interpréter normalement par « sphère ». Enfin on doit se demander en quoi les « trois roues » diffèrent des « trois vêtements » ; jusqu’à présent, nous n’en savons lien. Il se pourrait, à la rigueur, qu’au lieu de comprendre « les trois vêtements et les trois roues », on dût considérer les deux termes comme dépendant l’un de l’autre et dire : « les trois roues des trois vêtements » ; nous ne le croyons pas. Provisoirement, voici l’explication que nous supposons. Les trois « vêtements » seraient ces « matelas » ou ces « lits » dont parle Théodore bar Khoni (Pognon, Inscriptions, p. 189) ; M. Cumont (Cosmogonie, p. 83) propose d’y voir des séparations constituées par le vent, le feu et l’eau, qui « doivent empêcher les habitants des cieux d’être brûlés par le poison des archontes ». Peut-être touchons-nous là à une question qui semble avoir joué un grand rôle dans les controverses manichéennes, celle de savoir si quelque chose s’interposait entre la lumière et l’obscurité (cf. Acta Archelai, chap. 97, p. 89), ou si ces deux mondes étaient simplement contigus, comme l’ombre d’un objet l’est à la lumière (cf. par exemple Titus de Bostra, éd. de Lagarde, I, x, p. 5-6, et le texte parallèle du Škand-gumânik Vižâr, dans Salemann, Ein Bruchstük, p. 20). Quant aux trois « roues », les Acta Archelai (chap. 8, § 8, p. 12) nous paraissent en donner une explication assez précise (il s’agit du « démiurge », c’est-à-dire de l’Esprit vivant) : Ἐλθῶν οὖν ποιεῖται τὴν δημιουργίαν πρὸς σωτηρίαν τῶν ψυχῶν καὶ μηχανὴν συνεστήσατο ἔχουσαν δώδεκα κάδους, ἤ τις ὑπὸ τῆς σφαίρας στρεφομένη, ἀνιμᾶται τῶν θνησκόντων τὰς ψυχὰς καὶ ταύτας ὁ μέγας φωστὴρ ταῖς ἀκτῖσι λαβὼν καθαρίζει καὶ μεταδίδωσι τῆ δελήνῃ, καὶ οὕτως πληροῦται τῆς σελήνης ὁ δίσκος, ὁ παρ’ ἡμῖν προσαγορευόμενος » ; et dans la traduction latine : « Cum ergo venisset, machinam quandam concinnatam ad salutem animarum, id est rotam, statuit, habentem duodecim urceos ; quae per hanc spheram vertitur, hauriens animas morientium quasque luminare majus, id est sol, radiis suis adimens purgat et lunae tradit, et ita adinpletur lunae discus, qui a nobis ita appellatur. » Le texte des Acta Archelai ne paraît avoir de correspondant exact nulle part. À ses douze « seaux » correspondent, dans Épiphane (Hæres., lxvi, 9, cité par Flügel, Mani, p. 231), les douze signes du zodiaque ; la parenté paraît certaine. Par contre, le Fihrist et Šahrastâni font monter les âmes des morts vers le soleil et la lune par la « colonne de gloire » dont il sera question plus loin (cf. Flügel, Mani, 227-234) ; c’est une autre tradition, car pour les Acta Archelai (et pour Épiphane), la « colonne de gloire » est au contraire la dernière étape des âmes qui ont déjà passé par la lune et le soleil. Nous sera-t-il permis de faire une hypothèse sur la « roue » des Acta Archelai ? Les manichéens, qui se figuraient toutes leurs abstractions à l’image d’objets réels, ont dû prendre cette roue dans la réalité. Or la « machine » à douze « seaux », qui tourne en puisant les âmes des morts, c’est-à-dire la lumière, toute l’Asie, depuis la Perse jusqu’à la Chine, la connaît bien ; c’est la roue élévatrice de l’eau, la « noria ». Il nous semble que les trois « roues » du vent, de l’eau et du feu ont pu être trois « noria » qui, actionnées par le Roi de Gloire (cf. infra, p. 550, n. 1), faisaient progressivement monter la lumière délivrée des liens terrestres vers la lune et le soleil.
- ↑ 三灾. Ces « trois calamités » reparaissent un peu plus loin, mais ne rappellent rien de connu dans le manichéisme lui-même. Pour une hypothèse à leur sujet, cf. la note suivante.
- ↑ 鐵圍四院 t’ie-wei sseu-yuan ; elles reparaissent un peu plus loin sous la forme abrégée de sseu-wei, « les quatre enceintes » ; les deux fois, elles sont précédées des « trois calamités ». Dans un passage des manuscrits pehlvi de Tourfan (Müller, Handschr., p. 41), on lit : « Et tout autour de cette même terre, il fit quatre murs (čaḥâr parîsp) et trois fossés (seh pârgén). » Dans l’expression chinoise t’ie-wei sseu-yuan, t’ie-wei est le terme même qui, pour les bouddhistes chinois, traduit le nom du Cakravāla, c’est-à-dire des deux chaînes de montagnes qui sont à la périphérie de l’univers, et qui, entre elles deux, abritent les enfers. Il paraît bien que les « cours » n’aient en elles-mêmes aucune importance, et ne figurent ici que pour le rythme de la phrase de quatre mots ; elles disparaissent d’ailleurs quand, la deuxième fois, il n’est question que des quatre enceintes ; quant au nom d’enceinte de fer, il a bien dû être amené par un rapport de nature avec le Cakravāla. Il s’agirait donc dans le texte de Tourfan, sous le nom de « quatre murs », d’une quadruple barrière, qui, entre ses quatre plissements, laisserait naturellement place aux « trois fossés ». Telle devrait être aussi l’explication pour le chinois ; mais que faire alors des « trois calamités » ? Il se pourrait que le texte fût fautif, et qu’au lieu de 三灾 san-tsai, il fallût lire 三穴 san-hiue, les « trois fosses », qui correspondraient approximativement aux seh pârgên. Enfin peut-être les fossés eux-mêmes ne sont-ils pas sans rapports avec les enfers situés dans le plissement interne du Cakravāla : ce serait là le tombeau préparé d’avance dont parle le Fihrist (Flügel, Mani, p. 90), et où, quand toutes les parcelles de lumière auront été dégagées du monde, l’obscurité s’engouffrera au terme de la troisième « époque ». Dans son récit de la création manichéenne, le Fihrist ne parle que d’un seul fossé et d’un seul mur (cf. Flügel, Mani, p. 89) : « [L’ange créateur] disposa tout autour du monde un fossé, pour y jeter l’obscurité qu’il voulait séparer de la lumière. Derrière ce fossé, il édifia un mur afin que rien de l’obscurité qui serait séparée de la lumière ne s’échappât. » Mais cette simplification ne devait pas être conforme à l’enseignement de Mani, car le Fihrist lui-même, en énumérant les œuvres de Mani, nous apprend (Flügel, Mani, p. 109) que le quatorzième chapitre du Livre des Secrets était intitulé : « Des trois fossés » ; il doit bien s’agir des « trois fossés » situés entre les « quatre murs ». Ces « quatre murs » ne paraissent pas devoir être confondus avec les « murs » (τεῖχος) des cinq éléments, dont il est question dans les Acta Archelai (chap. 13, p. 21) et qui habiteront dans la lune jusqu’à ce que le grand incendie ait consumé le monde. Kessler (Mani, p. 116) a cru voir dans l’emploi du mot « mur » une preuve en faveur de la rédaction première en syriaque des Acta Archelai ; « mur » proviendrait de la confusion du mot syriaque qui a ce sens avec un autre mot syriaque qui signifie « protecteur ». Mais les textes pehlvi de Tourfan parlent nettement des cinq « murs » (parîsp), composés des cinq éléments lumineux, qui font partie du vaisseau (?) du soleil, et des cinq « murs » identiques qui font partie de celui du dieu de la lune (mâh yazd) [cf. Müller, Handschr., 38-39, 99]. Il semble donc bien qu’on ne doive plus incriminer les « murs » des Acta Archelai. L’existence des « trois fossés » est donc bien attestée dans la cosmogonie manichéenne ; mais les « trois calamités » existent dans le bouddhisme. Il y en a deux séries : les « trois grandes calamités » (feu, eau, vent), qui correspondent aux grandes destructions cosmiques, et les « trois petites calamités » (famine, peste, massacre), qui sévissent au contraire sur l’homme, sur le microcosme (cf. Eitel, Handbook of Chinese buddhism, s. v. dhyāna et kalpa, et surtout Kojima Sekiho, Bukkō jiden, p. 350). La religion mandéenne (cf. Brandt, Die mandäiche Religion, Leipzig, 1889, in-8o, p. 123) connaît aussi « trois catasirophes », qui sont : épée et peste, incendie, inondation : l’analogie est assez frappante. D’autre part, on sait les rapports du manichéisme et de la religion mandéenne. Il se peut donc que le manichéisme lui-même ait parlé des « trois calamités ».
- ↑ 未勞俱孚 Wei-lao-kiu-fou (*Mw’i-lao-k’u-fhu : l’apostrophe, dans ces restitutions, indique le yod, et non l’aspiration) : on peut, pour le premier caractère, songer éventuellement à sa confusion fréquente avec 末 mo (*mwat et *mwar). Il doit évidemment s’agir d’une montagne centrale du monde, analogue au Sumeru de l’Inde ou à l’Alburz de l’Iran. La seconde moitié du nom rappelle le pehlvi kof, « montagne », mais on ne peut rien certifier avant d’avoir une hypothèse vraisemblable pour wei-lao. D’après Ya’qûbî, Mâni aurait exposé dans le Šâbûḥragân que le monde repose « auf einem abwärts geneigten Berge » (cf. Kessler, Mani, p. 191, 329) ; mais le passage est obscur, et le nom de la montagne n’est pas donné.
- ↑ Le terme de « lier », « enchaîner », pour désigner l’union temporaire des deux principes lumineux et obscur dans le monde, fait certainement partie du vocabulaire primitif du manichéisme, et s’explique fort bien par le caractère épique donné par Mâni à sa création : tous les agents y apparaissent comme des êtres vivants. Cf. par exemple saint Augustin, De actis cum Felice (I, 2, chap. 1, col. 536) : « Deum… miscuisse naturae daemonum polluendam et ligandam partem suam » : Škand-gumânik Vižâr (dans Salemann, Ein Bruchstük, p. 20) : « L’àme est enchaînée dans le corps » ; saint Éphrem (Kessler, Mani, p. 275) : « Ils disent que le Mauvais a fixé l’âme dans le corps, comme si elle y était enchaînée ».
- ↑ Il est assez difficile de dire de façon certaine qui est 先意 Sien-yi (Raisonnement antérieur). Nous traduisons le nom en donnant à 意 yi la même valeur que nous avons adoptée pour ce mot dans les énumérations techniques : mais il équivaut régulièrement aux mots sanscrits manas et citta, et on pourrait aussi bien dire « Pensée antérieure ». La première idée qui vient à l’esprit est qu’il doit s’agir de la première émanation du Père de la Grandeur, de celui qui, avant la constitution du monde et de l’homme, est l’Homme primitif des Acta Archelai, du Fihrist et de Théodore bar Khôni, l’Ormuzd du manichéisme pehlvi et turc (cf. sur l’Homme primitif, Bousset, Haupt probleme, chap. iv ; Cumont, Cosmogonie, p. 14 et suiv.). Les « cinq fils lumineux » seraient naturellement les cinq éléments, identiques aux « cinq corps lumineux que le Vent pur et la Mère excellente ont tirés des gouffres d’obscurité ; en ce cas il devait déjà être question de Sien-yi dans le début qui manque aujourd’hui à notre texte. Cette hypothèse paraît confirmée par la suite du texte où, en indiquant les rôles des treize forces, il est question des « cinq corps lumineux », mais non plus des « cinq fils » de Sien-yi ; si les uns ne sont pas identiques aux autres, il manquera une série de cinq dans cette seconde énumération. Enfin, on conçoit assez bien que les cinq corps lumineux, même contaminés par les démons et devenus leur prison, continuent à être considérés comme des forces lumineuses. Toutefois, dans la suite du texte (cf. infra, p. 558-559), il est dit : « Ce comme dans le macrocosme où Sien-yi (Raisonnement antérieur) et Tsing-fong (Vent pur) avaient eu chacun cinq fils qui avaient servi de colonne d’appui pour les cinq corps lumineux. » Cette fois, les cinq corps lumineux, c’est-à-dire les cinq éléments, fils de l’Homme primitif, sont nettement distingués des cinq fils de Sien-yi (Raisonnement antérieur). Malgré tout, il nous répugne de séparer Sien-yi de l’Homme primitif. Peut-être pourrait-on songer pour lui, comme c’est le cas pour le Père de la Grandeur dans le Fihrist (cf. Flügel, Mani, p. 86), à une double série de cinq membres, les uns étant ses éléments, les autres ses vertus transcendantes ; mais c’est une hypothèse que nous ne pouvons, en ce qui concerne l’Homme primitif, appuyer sur aucun texte. Quant au nom même de Raisonnement antérieur, nous proposons d’y voir l’équivalent de la « première intelligence » (pratûmîn khrad), si ce terme, dans les textes de Tourfan, s’applique bien, comme l’admet M. Müller (Handschr., p. 22) à l’Homme primitif.
- ↑ Les cinq fils de Tsing-fong doivent être les cinq « membres » dont il sera question plus loin (cf. p. 559) [texte chinois] siang pensée ; [texte chinois] sin, sentiment ; [texte chinois] nien, réflexion ; [texte chinois] sseu, intellect ; [texte chinois] yi, raisonnement. Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 187) connaît les cinq fils de l’Esprit vivant, qui est le même que Tsing-fong ; nous citons la version un peu modifiée de M. Cumont (Cosmogonie, p. 22) : « Il fit sortir de son intelligence l’Ornement de Splendeur, de sa raison le grand Roi d’honneur, de sa pensée Adamas-Lumière, de sa réflexion le Roi de gloire et de sa volonté le Porteur. » Le Fihrist (Flügel, Mani, p. 86 ; Kessler, Mani, 387) connaît une double série analogue qu’il donne à la fois comme les « membres » du Père de la Grandeur et comme les « membres » de l’orbe de l’air : « longanimité, science, raison, secret (ou discrétion), pénétration ». Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 184) connaît également les cinq « demeures » du Père de la Grandeur : « intelligence, science, pensée, réflexion, sentiments. Les Acta Archelai disent (chap. 10, p. 15) : τῆς δὲ ψυχῆς ἐστι τὰ ὀνόματα ταῦτα, νοῦς, ἔννοια, φρόνησις, ἐνθύμησις, λογισμός. Sur les rapports de ces listes, cf. Cumont, Cosmogonie, p. 10. Nous retrouverons plus loin l’Ornement de Splendeur et les autres fils de Tsing-fong sous un autre aspect.
- ↑ [texte chinois] Hou-lou-chö-tö (*χu-lu-s’yt-tyk) et [texte chinois] P’o-leou-houo-tö (*Bwyt-lyu-γwak-tyk) ; les caractères p’o et houo, simples caractères de transcription qui ne se trouvent pas dans le K’ang hi tseu tien, sont considérés ici comme les équivalents de leur partie phonétique ; y représente un i très sourd, qui transcrit souvent un ā, et a d’ailleurs abouti à ă dans plusieurs dialectes modernes ; il a pratiquement disparu de très bonne heure après la semi-voyelle labiale. Les deux noms reparaissent à plusieurs reprises dans notre texte, tantôt en transcription, tantôt en traduction ; le premier est traduit par [texte chinois] Chouo-t’ing, « celui qui écoute quand on lui parle », le second par [texte chinois] Houan-ying (et une fois, pour un motif de rythme, [texte chinois] Houan-ying-cheng), « celui qui répond quand on l’appelle ». Ce sont là évidemment les dieux (tängri) Khroštag et Padwakhtag du Khuastnanift, restés jusqu’ici mystérieux (cf. von Le Coq, Khuastnanift, p. 294 ; Radlov, Nachträge, p. 884). La traduction chinoise nous donne l’explication de leur nom. En pehlvi, : khrôs signifie « appeler », et on connaît déjà une forme khrôstak (cf. Geiger et Kuhn, Grundriss, I, i, 305 ; et aussi R. Gauthiot, dans J. A., juillet-août 1911, p. 64) ; dans les textes pehlvi de Tourfan, on a la forme khrôstar, l’« appelant » (Müller, Handschr., p. 24). Tel est aussi, malgré l’apparence de participe passif plutôt qu’actif de ce nom, le sens de Khroštag, c’est-à-dire l’Appelant (nous gardons pour les deux noms la forme du Khuastnanift, à g final ; le chinois ne peut distinguer, comme implosives finales, entre k et g). Padwakhtag s’explique aussi facilement. En pehlvi, on connaît : paδvâž « répondrez (cf. Geiger, Grundriss, I, i, 298 ; Horn, Grundriss der neupers. Etymol., p. 288, s. v. « patvāχtan » ; Salemann, Manich. Stud., p. 109) ; Padwakhtag, c’est le Répondant. Nous retrouvons alors ces deux « divinités » chez Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 188 ; Cumont, Cosmogonie, p. 26) : « [L’Esprit vivant] dit encore [à l’Homme primitif] : « Comment vont nos pères, les fils de la lumière, dans leur cité ? » L’Appelant lui répondit : « Ils vont bien. » L’Esprit vivant, l’Appelant et le Répondant s’attachèrent l’un à l’autre et montèrent vers la Mère de vie et vers l’Esprit vivant. L’Esprit vivant revêtit l’Appelant, et la Mère de vie revêtit le Répondant, son fils chéri. Ils descendirent vers la terre des ténèbres à l’endroit où se trouvaient l’Homme primitif et ses fils. » Comme l’a fait remarquer M. Cumont, il y a certainement une faute dans ce texte, puisque l’Esprit vivant ne peut monter vers lui-même. M. Cumont propose, sous réserves, l’interprétation suivante : l’Appelant serait « la Parole de l’Esprit qui serait personnifiée », le Répondant serait « l’image ou la Forme de l’Homme [entendez de l’Homme primitif], qui serait distincte de lui ». La question est très obscure, et nous croyons vraie, en partie, l’explication de M. Cumont, mais en partie seulement. Sans pouvoir produire d’arguments certains, il nous paraît que l’Appelant et le Répondant doivent tous deux se rattacher à l’Homme primitif. Tous deux seraient sa Parole, conçue d’une part comme évocatrice, d’autre part comme répondant à l’évocation d’autrui. L’Appelant et le Répondant sont inséparables. Nous verrons un peu plus loin que, joints aux cinq éléments, ils doivent constituer les sept émanations qui correspondent dans le manichéisme aux sept Amešaspenta du mazdéisme ; or, les deux derniers Amešaspenta, Haurvatât et Ameretât, constituent eux aussi une paire inséparable, et il se pourrait qu’il y eût un lien à établir, de forme, sinon de fond, entre les deux conceptions. Il semble que Khroštag et Padvakhtag, qui sont bien, dans une certaine mesure, partie intégrante des cinq éléments lumineux, n’aient pas été contaminés comme eux chez les démons et ne le soient pas davantage dans le monde. Aussi, de même qu’ils ont été les hérauts de la libération de l’Homme primitif, ils sont, d’après le Khuastuanift et pour autant qu’on puisse comprendre un passage assez obscur, les hérauts de la libération des parcelles lumineuses enchaînées dans le monde et dans l’homme.
- ↑ [texte chinois] Sou-lou-cha-lo-yi (*Swt [ou Svyr]-lu-š’a-la-’i) ; nous admettons l’alternative t ou r parce que, si la plupart des dialectes attestent encore le t implosif final primitif, les transcriptions de caractères chinois en écritures manichéenne, ouigoure et tibétaine établissent pour l’époque des T’ang, dans le nord et l’ouest de la Chine, un passage de t final à r qui est aujourd’hui représenté par l’l final de la prononciation coréenne. Sou-lou-cha-lo-yi est évidemment le Sroš-ḥaråy qui apparaît dans un des textes pehlvi de Tourfan (Müller, Handschr., p. 76). On voit par là que ḥaråy, dont M. Müller ne savait que faire, est une épithète devenue partie intégrante du nom. La transcription chinoise elle-même, en supprimant l’ḥ de ḥaråy, montre que ce nom composé se prononçait comme un seul mot. Sroš-ḥaråy est le Sroš pehlvi, le Sraoša (l’Obéissance), auquel est consacré le onzième yašt de l’Avesta ; c’est l’un des trois juges des âmes. « Comme ange de l’obéissance religieuse, Sraoša est devenu un dieu sacerdotal, une incarnation du service divin, un esprit protecteur qui protège du mal le monde endormi » (Geiger et Kuhn, Grundriss, II, 643). Dans le texte publié par M. Müller, il est qualifié de « fort » et de « puissant » ; « saint » et « puissant », telles sont en effet ses épithètes courantes dans l’Avesta ; notre texte parle à son tour de la « grande force » de Sroš-ḥaråy. Peut-être est-ce lui le « Dieu fort » (küčlük tängri) dont il est question à deux reprises dans le Khuastuanift (von Le Coq, Khuastuanift, p. 291, 293 ; il ne nous semble pas qu’il s’agisse là, comme le suppose M. von Le Coq, d’une des trois grandeurs de Zervan). L’épithète ḥaråi reste jusqu’ici inexpliquée (cf. Salemann, Manich. Stud., p. 104, où il est fait seulement mention, sans en tirer aucune conclusion, de l’épithète courante de Sraoša dans l’Avesta, asya). — [En fait, la graphie chinoise donne exactement en pehlvi, car c’est bien le pehlvi qui est à la base du texte manichéen chinois traduit ici par MM. Chavannes et Pelliot, *srōšāray ; cette forme représente srōšahray, comme pūr « fils » équivaut à puhr. Mais srōšahray lui-même est la forme attendue et correcte d’un groupe ancien srauša- + artay-, avest. sraoša+ ašya- (où š représente une ligature qui contient rt ; cf. Bartholomae, Altiran. Wb., col. 1634) que la traduction pehlvi rend d’ailleurs par srōšahryak, dans le dialecte particulier des Parses (cf. Hübschmann, Pers. Stud., p. 195-196) ; le persan aurait *srōšard-. Le sens ainsi obtenu est exactement celui que demande le contexte chinois : šraōšō ašyō est bien « comme le roi qui juge les affaires ». Au point de vue de la langue, il est à noter qu’ici, tout comme dans le cas des (a)mahraspand (cf. p. 564), on se trouve en présence de formes parses, qui relèvent de la langue savante du mazdéisme. Quant au sroš-ḥaråy de M. F. W. K. Müller (Handschr., p. 76), on est évidemment tenté plus que jamais de l’interpréter, comme M. Salemann a proposé très discrètement de le faire (Man. St., p. 104), en le rapprochant des termes avestiques cités plus haut. Il suffit pour que tout s’arrange que sroš forme un mot avec ḥaråy : on aurait alors, en effet, סרושהרי qui serait à lire srošaḥaråy et non srošaḥaråy, הר étant la graphie régulière dans les textes de Tourfan du -hr- pehlvi. — R. G.]
- ↑ Cf. saint Éphrem (dans Kessler, Mani, p. 298) : « L’obscurité fut emprisonnée… La prison est construite avec la substance du bien. »
- ↑ Rappelons que si, contrairement à notre opinion, il ne fallait pas voir dans les cinq corps lumineux les cinq fils de Sien-yi, on devrait ajouter ici les cinq fils de Sien-yi aux cinq fils de Tsing-fong pour obtenir le total final des treize grandes forces lumineuses : mais on verra qu’il faudrait alors faire une addition analogue dans le microcosme, c’est-à-dire dans l’homme : cela nous paraît invraisemblable.
- ↑ [texte chinois] t’an-mo. Ce « démon de la convoitise » correspond comme nom au soq yäk du Khuastnanift ; le sens est le même, et dans le Khuastnanift ce démon reçoit en outre, à chaque fois, les épithètes de todunčsuz ovutsuz ; « insatiable et éhonté » (cf. von Le Coq, Khuastnanift, p. 281, 295, 297, 298) ; c’est aussi le Âz des textes pehlvi de Tourfan (Müller, Handschr., p. 18, 90 ; cette équivalence a déjà été indiquée par M. Salemann dans Radlov, Nachträge, p. 871). Âz (dans l’Avesta Âzi) est en effet un grand démon avide dans la littérature mazdéenne (cf. les index de West, Pahlavi Texts). Mais son rôle dans notre texte n’est pas aussi simple. Dans les textes de Tourfan, âz reparaît assez souvent comme nom commun, parfois suivi de avarzôg (cf. Müller, Handschr., 13, 15, 23, 24, 53) ; M. Müller a traduit âz par « concupiscence » et avarzôg par « désir » ; il faut renverser les termes (cf. Salemann, Manich. Stud., p. 40, 51). Mais l’essentiel pour nous est cette réunion de la convoitise et de la concupiscence. On verra plus loin qu’en créant l’homme, le démon y mit la convoitise et la concupiscence, pour y représenter le Khroštag et le Padvakhtag du macrocosme (cf. p. 530) ; un autre passage (cf. p. 537) parlera nettement des « deux démons de la Convoitise et de la Concupiscence ». Dans le Fihrist, la Convoitise et la Concupiscence sont plusieurs fois nommées côte à côte (cf. Flügel, Mani, p. 91, 94, 100) et si, dans un cas (p. 100 ; cf. p. 341), Flügel paraît admettre qu’elles ne font qu’un démon à elles deux, il est clairement dit ailleurs (p. 100 ; cf. p. 258) que ce sont là deux démons distincts, la Convoitise étant un démon mâle, et la Concupiscence un démon femelle : peut-être ce dernier trait est-il hérité du Varenya de l’Avesta (Darmesteter, The Zend-Avesta, II, 29), « démon femelle de l’envie et de la luxure ». La tradition du Fihrist est confirmée par Théodore bar Khôni, qui dit que Jésus, ayant réveillé Adam, « chassa de lui le démon séducteur et enchaîna loin de lui la puissante Archonte femelle » (cf. Pognon, Inscriptions, p. 199 ; Cumont, Cosmogonie, p. 67). Ainsi la Convoitise et la Concupiscence sont deux démons puissants, le plus souvent associés ; comment l’un d’eux crée-t-il le microcosme, l’homme, à lui seul ? C’est qu’en réalité le démon de la Convoitise a usurpé dans notre texte un rôle qui n’est pas le sien. Pour puissant que soit le démon de la convoitise, le soq yäk du Khuastnanift, au-dessus de lui, il y a le šamnu ; c’est le šamnu qui est le Démon primitif, le vainqueur de l’Homme primitif (cf. von Le Coq, Köktürkisches, p. 1056 ; Khuastnanift, p. 280-282) ; c’est le šamnu qui est Ahriman (cf. les phrases parallèles sur la parenté zervanite d’Ormuzd et d’Ahriman, d’Ormuzd et du Šamnu, dans Müller, Handschr., p. 94, et dans von Le Coq, Köktürkisches, p. 282). Or c’est Ahriman qui crée le microcosme. On voit ainsi que le démon de la convoitise, dans notre texte, représente bien parfois le vrai démon de la convoitise, l’Âz des textes pehlvi, mais que le plus souvent il répond au Démon primitif lui-même, à Ahriman, qui n’apparaît jamais ici sous son nom véritable.
- ↑ [texte chinois] Lou-yi (*Lu-’i) ; on pourrait songer, pour le second caractère, à une confusion facile avec [texte chinois] t’ang (*thaṅ). D’après Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 191 ; Cumont, Cosmogonie, p. 42), le roi des Ténèbres confie la création de l’homme au démon Ašaqloun et à sa compagne Namraël (Nabrôël) ; nous reviendrons sur Nebroël à la note suivante. M. Cumont (p. 42-44, 73) a montré qu’Ašaqloun est le Σακλᾶς des textes grecs, et que, sous ce dernier nom, il a été également connu de saint Augustin (dans la note 2 de la page 44, la seconde mention d’Adam est une inadvertance pour Saclas) ; mais en disant (p. 42) que le nom d’Ašaqloun paraît nouveau, M. Cumont paraît avoir momentanément perdu de vue la forme Šaqloun donnée par Al-Jâḥiẓ (cf. Kessler, Mani, p. 361, 368, dont les conjectures étymologiques sont d’ailleurs ruinées par le texte de Théodore bar Khôni). Lou-yi doit donc représenter une forme altérée (?) de Saklas-Ašaqloun.
- ↑ [texte chinois] Ye-lo-yang (*N’äp-la-‘’aṅ) ; pour le dernier mot, une confusion est facile avec [texte chinois] kiue (*kwät ou *kw’är). M. Cumont Cosmogonie, p. 42) a discuté les diverses formes du nom attribué à la femme d’Ašaqloun, et conclut en faveur de Nabrôël ou Nebrôël, donné par Michel le Syrien. Ye-lo-yang doit en être une transcription, assez aberrante cependant pour la consonne initiale et la consonne finale. L’initiale ancienne de ye est ṅ et non n, et dans les mots de ce type, l’élément guttural paraît l’avoir emporté à l’époque des T’ang sur la nasalisation. Dans un texte ouigour de Tourfan, on trouve en transcription turque le nom chinois Kitsi, qui répond à [texte chinois] Yi-tsing (*Ṅi-tsiṅ) [cf. Müller, Uigurica, I, p. 14-15, où l’équivalence [texte chinois] Yue-tche n’est pas exacte ; l’initiale ancienne de yi et de yue, dans ces deux cas, est d’ailleurs la même ; la chute de ṅ après i est usuelle dans les transcriptions d’Asie centrale à l’époque des T’ang]. L’inscription de Si-ngan-fou, qui nous donne, transcrits en chinois avec beaucoup de liberté, un certain nombre de noms syriaques, rend Gabriel par [texte chinois] Ye-li (*Ṅ’āp-li) (cf. Heller, Das nestorianische Denkmal, p. 36). Même au xive siècle, la nasale gutturale subsistait ; et si [texte chinois] yen (sous les T’ang *ṅäm ou *ṅ’äm) est donné sous la forme nem dans Müller, Handschr., p. 113), c’est soit une faute d’impression pour *ṅem, soit une véritable anomalie de la transcription tibétaine, car le mot apparaît correctement en transcription ’phags-pa, dans une inscription de 1334, sous la forme *ṅäm (cf. Toung Pao, II, ix, pl. 9 après la page 428). Si l’initiale de Ye-lo-yang est surprenante, la finale l’est également. Même une correction kiue (*kw’är) ne nous avancerait guère, car si la transcription de la finale devient par là absolument régulière, nous ne pouvons rendre compte de l’explosive k. Au fond, la transcription chinoise paraît d’ailleurs plutôt faite sur Gabraël (Gabriel) que sur Nebroël.
- ↑ Notre texte écrit toujours [texte chinois] fang pour [texte chinois] fang ou [texte chinois] fang ; c’est un archaïsme.
- ↑ La création de l’homme par le démon est une théorie fondamentale du manichéisme. Cf. par exemple Kessler, (Mani, p. 278), citant saint Éphrem : « Si, comme ils blasphèment, le créateur du corps est mauvais,…et si l’obscurité a eu le projet de constituer une prison pour l’âme… » Les textes analogues abondent. À ceux déjà connus depuis longtemps, on joindra celui du Škand-gumânik Vižâr (Salemann, Ein Bruchstük, p. 20). Quant à l’idée que l’homme est un microcosme fait à l’image du macrocosme, on la retrouve très clairement dans le Škand-gumânik Vižâr, quand on a écarté, comme l’a fait avec raison M. Cumont (Cosmogonie, p. 44), une confusion commise par l’auteur mazdéen de ce traité. Cf. aussi Acta Archelai, chap. 9, p. 14 : τὸ γὰρ σῶμα τοῦτο κόσμος καλεῖται πρὸς τὸν μέγαν κόσμον. La théorie existait (un peu différente peut-être) dans le mazdéisme ; cf. la note de Darmesteter (The Zend-Avesta, I, 191). Le passage du Grand Bundeheš auquel Darmesteter fait allusion est celui qui a été traduit par M. Blochet dans la Rev. d’hist. des Relig., t. XXXI, p. 243, et qui débute ainsi : « Il est dit dans l’Avesta : Le corps de l’homme est une représentation du monde matériel… »
- ↑ Sur ces deux expressions, cf. supra, p. 617.
- ↑ Les « terres sèche et humide » reparaissent à deux reprises dans le Khuastuanift (von Le Coq, Khuastuanift, p. 286, 298). Cf. aussi Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 191) : « Alors ce péché tomba sur la terre, la moitié dans la partie humide, la moitié dans la partie sèche. » M. Cumont (Cosmogonie, p. 89) a rappelé que cette distinction se trouve dans la Genèse, I, 9.
- ↑ Dans le manichéisme, où le nombre cinq joue un rôle prédominant, on reconnaissait cinq sortes de plantes et d’arbres (cf. von Le Coq, Khuastuanift, p. 286.
- ↑ De même qu’il y avait cinq sortes de plantes, il y avait cinq catégories d’êtres animés (cf. von Le Coq, Khuastuanift, p. 286, 287, 298). Les cinq catégories d’êtres animés (bipèdes [les hommes], quadrupèdes, oiseaux, poissons, reptiles) sont énumérées dans le Khuastuanift (p. 287) ; M. von Le Coq a rappelé avec raison que saint Augustin (Contra Epistulam Fundamenti, chap. 31) donne exactement la même énumération, mais en ordre inverse ; il faut y joindre le texte de saint Augustin, De haeresibus, chap. 46 (éd. Migne, col. 35), où chacune des catégories d’êtres vivants est rattachée à un des cinq éléments. On trouve aussi énumérées dans les Acta Archelai (chap. 10, p. 17) les espèces « hominum et animalium et volatilium et piscium et repentium ».
- ↑ [texte chinois] che je. On pourrait être tenté de traduire « les saisons et les jours ». Mais, dans la suite du texte, che est toujours employé au sens d’heures ; de plus les quatre saisons ont déjà été énumérées séparément. Il ne reste donc que la petite anomalie de voir citer les heures avant les jours.
- ↑ [texte chinois] yeou-ngai wou-ngai. Le dictionnaire de Giles donne un emploi bouddhique de wou-ngai dans une expression « les quatre connaissances illimitées », dont nous ne connaissons pas l’original sanscrit. Le terme analogue [texte chinois] pou-ngai traduit anantarya (anantara), « sans intervalle », « sans interruption », dans un vocabulaire bouddhique (Toung Pao, VII, 38 1). Pour le mot turc correspondant, cf. Müller, Uigurica, II, 48. Le sens n’est pas douteux, et il semble bien que la double expression « le limité et l’illimité » se rattache à un problème considérable du manichéisme, mais dont le détail nous échappe encore. Il s’agit sans doute de la distinction entre une forme finie et des éléments infinis ; dans la suite du texte (cf. infra, p. 551), on verra le corps charnel limité opposé aux démons illimités. En tout cas, c’est bien à ce même sujet que paraît se rapporter toute la réfutation mazdéenne du manichéisme dans le Škand-gumânik Vižâr ; elle commence par ces mots (West, Pahlavi Texts, III, 246 ; Salemann, Ein Bruchstük, p. 22) : « Maintenant, parlons avant tout de l’impossibilité qu’aucune chose existante soit illimitée, en dehors seulement de ce que j’appelle illimité : l’espace et le temps. » Cf. aussi le livre 25 du Contra Faustum.
- ↑ [texte chinois] mo est ici employé pour [texte chinois] mo ; ce sens est omis à tort dans le dictionnaire de Giles. On retrouve [texte chinois] mo dans l’inscription de Si-ngan-fou (Legge, Christianity in China, p. 12-10), quand il est dit qu’un portrait de l’empereur fut « copié » (reproduit) sur les murs du monastère nestorien de Si-ngan-fou.
- ↑ [texte chinois] tch’eng. Nous traduisons ce mot par « ville », parce que plus loin il sera question de la « ville » du démon, et de son palais. Mais tch’eng signifie aussi « muraille », « enceinte », et l’emploi technique du mot « mur » dans le manichéisme ne nous paraît pas absolument exclu ici.
- ↑ Nous voyons ici apparaître les cinq arbres de mort ; on trouvera plus loin les cinq arbres de vie. La théorie des arbres de mort et des arbres de vie est intéressante, car il y est fait allusion dans saint Augustin. Le manichéen Fortunat prétendait justifier par l’évangile même la distinction de ces deux sortes d’arbres, et par suite de deux natures opposées dans l’homme ; ne lit-on pas en effet dans saint Matthieu (xv, 13) : « Tout arbre que n’a pas planté mon père céleste sera déraciné » ; et ailleurs (iii, 10) : « Tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. » Surtout les Acta Archelai (chap. 5, p. 7) ne manquent pas d’invoquer les deux passages parallèles de Matthieu, vii, 18, et Luc, vi, 45 : « Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits, ni un arbre mauvais porter de bons fruits. » Les manichéens voyaient dans ces textes la preuve qu’il y a des arbres qui sont foncièrement mauvais et qui n’ont pas été plantés par le principe suprême du bien. Saint Augustin répond à Fortunat en expliquant que c’est la volonté humaine qui, en vertu du libre arbitre, peut devenir soit un arbre bon, soit un arbre mauvais (cf. Contra Fortunatum disputatio, § 14 ; Contra Adimantum, § 26). Le traité manichéen que nous traduisons en ce moment du chinois permet de voir l’importance et l’ampleur de la théorie des deux sortes d’arbres dans la religion manichéenne. Les cinq arbres du mal sont connus de Théodore bar Khôni qui écrit (Pognon, op. cit., p. 191 ; cf. aussi Cumont, Cosmogonie, p. 40) : « Le péché qui était tombé sur la partie sèche [de la terre] se mit à germer sous la forme de cinq arbres. » L’ouvrage gnostique Pistis Sophia cite à plusieurs reprises les cinq arbres du bien (trad. Amélineau, p. 10, 98-99). Dans les Acta Archelai (chap. 19, p. 30), Mâni, sommé par Archelaüs de développer sa pensée au sujet de l’arbre du mal, dit que « la racine est mauvaise, l’arbre détestable, que sa croissance ne vient pas de Dieu, que ses fruits sont les fornications, les adultères, les homicides, l’avarice et tous les actes mauvais de cette racine mauvaise ». Quant au goût des fruits de ces arbres, l’injustice et l’avarice qui sont dans le cœur des hommes nous révèlent ce qu’il est. Dans ce passage des Acta Archelai où il est question des racines, des fruits et du goût de l’arbre du mal, il y a évidemment une réminiscence de la théorie qu’on va voir développée dans notre traité.
- ↑ La nature étrangère paraît constituée par les cinq sortes d’éléments spirituels obscurs que vient d’établir le démon. Par « tirer au dehors », nous traduisons le chinois [texte chinois] tch’eou, il s’agit sans doute de faire agir la nature étrangère, de la faire se manifester.
- ↑ [texte chinois] t’an yu ; un peu plus loin on a [texte chinois] t’an yu eul kouei. Sur ces deux démons, cf. supra, p. 524, note.
- ↑ [texte chinois] tch’an-tou-mong-houo. Ce feu violent, opposé au feu bon, n’est pas seulement un des cinq éléments de l’obscurité, comme on l’a vu plus haut (cf. p. 523, n. 3) ; il a une sorte d’existence à part, car un rôle cosmique spécial lui est dévolu ; à la fin de la période médiane, il doit produire le grand incendie qui embrasera le monde et durera 1,468 ans (cf. Flügel, Mani, p. 90, 237-239 ; Müller, Handschr. p. 19). Une des épîtres de Mâni était consacrée à cet incendie (cf. Flügel, Mani, p. 104, 379 ; Kessler, Mani, p. 235). Ce doit être du feu violent qu’il est question dans Müller, Handschr., p. 53. Pour ce qui est de l’épithète d’« empoisonné », on a vu plus haut (p. 516, n. 3) les précautions que prit l’Esprit vivant, selon Théodore bar Khôni, pour éviter que les dieux ne fussent « brûlés » par le « poison » des Archontes. C’est contre la théorie de ce feu, capable de consumer, mais n’ayant rien de lumineux, qu’est dirigé le dernier chapitre (chap. 26) du traité d’Alexandre de Lycopolis.
- ↑ Les éléments de lumière enfermés dans le microcosme se souillent comme s’étaient souillés les fils de l’Homme primitif quand ils avaient été vaincus par le démon et s’étaient mêlés aux puissances obscures.
- ↑ Ces deux navires lumineux seront appelés de façon plus précise un peu plus loin « les deux navires lumineux du soleil et de la lune ». Cette conception du soleil et de la lune sous forme de deux navires chargés d’épurer et de transporter les âmes des morts est bien connue par les autres sources. Cf. par exemple Acta Archelai (chap. 9, p. 13) : « Naves enim vel transitorias cumbas esse dicit duo ista luminaria » ; saint Augustin, De Natura boni, chap. 44, citant le 7e livre du Trésor de Mâni (éd. Migne, col. 568) : « Tunc beatus ille Pater, qui lucidas naves habet… Suas virtutes, quae in clarissima hac navi habentur, transfigurat… Ubi penitus abiutae animae ascendant ad lucidas naves… » ; saint Augustin, De haeresibus, chap. 46 (éd. Migne, col. 35) : « Quidquid vero undique purgatur luminis, per quasdam naves, quas esse lunam et solem volunt, regno Dei, tamquam propriis sedibus reddi… Naves autem illas, id est, duo caeli luminaria, ita distinguunt, ut lunam dicant factam ex bona aqua, solem vero ex igne bono » ; saint Éphrem (dans Kessler, Mani, p. 285) parle longuement de la cargaison lumineuse du vaisseau de la lune, en des termes qu’il faut rapprocher de ceux d’Alexandre de Lycopolis (chap. 4 et 22) ; Barhebraeus (Abû’l-Faraj), dans Kessler, Mani, p. 357 : « Il créa au ciel deux grands navires, à savoir le soleil et la lune » ; la formule grecque d’abjuration (Kessler, Mani, p. 362) dit la même chose ; les « navires » se retrouvent enfin dans Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 189-190 ; Cumont, Cosmogonie, p. 29) et dans les textes pehlvi de Tourfan (cf. Müller, Handschr., p. 62, et peut-être p. 38). Plusieurs conceptions assez différentes semblent avoir contribué ici à la formation de la doctrine manichéenne. L’idée que la lune est faite d’eau et le soleil de feu se retrouve bien ailleurs que chez les manichéens ; pour les textes chinois à ce sujet, cf. Chavannes, Le T’ai-chan, 1910, in-8o, p. 187-190 ; les Hindous considéraient la lune comme composée d’eau (cf. Kern, Hist. du bouddh. dans l’Inde, I, 820). Par ailleurs, M. Cumont (p. 29) a justement rappelé que « les astres ont été souvent regardés comme les barques glissant dans le ciel ». Mais, au moins sous son habit chinois, le texte que nous traduisons impose un autre rapprochement. La « mer de la vie et de la mort » que les navires du soleil et de la lune doivent faire « traverser » aux âmes des morts pour les amener à leur « domaine primitif » évoque une idée bouddhique : c’est la traduction régulière de saṃsaramahāsamudra, le « grand océan des existences successives », qu’il faut « traverser » ([texte chinois] tou, comme dans le présent texte) pour arriver à « l’autre rive » ([texte chinois] pei-ngan). L’idée de ces « navires de salut » était d’ailleurs suffisamment répandue, au moins comme image, pour qu’on lise dans l’inscription nestorienne de Si-ngan-fou : [texte chinois] « il fit avancer à la rame la barque de la miséricorde pour faire monter au palais lumineux » (cf. Legge, Christianity in China, p. 7 ; Havret, III, 44, 50, où la traduction est un peu différente). Enfin il reste une dernière difficulté. On a vu que, dès le début de la création, l’Esprit vivant avait constitué le soleil et la lune ; comment se fait-il que leurs « navires » n’apparaissent que maintenant ? On pourrait à la rigueur concevoir le soleil et la lune comme existant indépendamment de leur fonction de navires de salut ; ces navires ne seraient qu’un de leurs aspects ; Flügel (Mani, p. 226) fait une distinction qui n’est pas sans quelque analogie avec celle-là. Mais nous ne croyons pas que cela soit le cas. Le chinois ne distingue guère entre les temps, et c’est pourquoi, à côté de « lit », nous avons ajouté dans notre traduction la version alternative « avait fait ». De même que plus haut le texte a rappelé la constitution du macrocosme pour justifier celle du microcosme, de même ici on rappelle, avec un peu plus de détails que par le passé, la constitution de « deux » navires du soleil et de la lune dans le macrocosme de l’Esprit vivant pour expliquer la constitution de « deux » sexes dans le microcosme du démon.
- ↑ [texte chinois] cheng-sseu-hai. On a vu à la note précédente que, dans le bouddhisme, c’est là la traduction usuelle de saṃsaramahāsamudra ; mais, la mer mise à part, l’expression chinoise traduit une expression composée qui est attestée dans les textes pehlvi de Tourfan, zâdmûrd, « vie et mort » (cf. Müller, Handschr., p. 67, 77 ; Salemann, Munich. Stud., p. 78).
- ↑ [texte chinois] chan-tseu, mot à mot « fils bons ». Le mot chan a dans tout notre texte une sorte de valeur technique ; il désigne les parcelles « bonnes », c’est-à-dire lumineuses, qui se dégagent des liens de l’obscurité ; il s’agit en somme ici de « l’âme » de tout ce qui existe. Chan-tseu paraît bien être l’équivalent du dašnêzâdag des textes de Tourfan (Müller, Handschr., p. 58, qui en rapporte encore ابناء ليمين d’ibn al-Murtaḍâ ; Salemann, Manichaeische Studien, p. 69). doute aussi leur rôšan qâv et leur bârîst ‘i rôšan (cf. Müller, Handschr. p. 38, 48, 49) ; enfin il apparaît dans ces mêmes documents (p. 29, 55, 56, 74, 102) sous le nom de Zarvân. En turc, le nom correspondant est Äzrua ; on retrouve le Père de la Grandeur dans le Khuastuanift (von Le Coq, Khuastuanift, p. 281) comme « le dieu Äzrua de la Lumière pure 57 ; on reconnaîtra là à peu près la même formule que dans notre texte. Comme M. Cumont l’a fait remarquer avec raison, il résulte de ces constatations que les manichéens ont connu le mazdéisme sous sa forme zervanite, c’est-à-dire sous celle du Temps infini, contre laquelle argue l’Arménien Eznik de Kolb (cf. le deuxième livre de son Wider den Selden, dans la traduction de Schmid, Vienne, 1900). On peut en fournir une nouvelle preuve. Nous savons aujourd’hui que les anciens Turcs bouddhistes, comme aujourd’hui à leur suite les Mongols lamaïstes, connaissaient respectivement Indra et Brahma sous les noms d’Äzrua (Zervan) et d’Ormuzd. Or, ces emprunts eux aussi ne s’expliquent que par un manichéisme où Zervan était devenu le dieu suprême, le Père de la Grandeur, pour pouvoir être identifié à Brahma, tandis que Ormuzd, devenu l’équivalent de l’Homme primitif, du héros de la lumière luttant contre les démons, a pris facilement la place d’Indra, le grand lutteur célébré depuis les Veda. — [Le turc äzrua est, simplement, la forme sogdienne de l’avestique zrvan, reproduite de façon toute mécanique. Le sogdien a, en effet, ’zrw’, comme équivalent de Brahma, dans les textes bouddhiques, simplement parce qu’il est le principe premier et sans que Indra soit encore appelé Ormuzd, ce qui paraît être un fait relativement récent. — R. G.]
- ↑ [texte chinois] pen-kiai. Ce « domaine primitif » est celui du Père de la Grandeur, celui de la Lumière absolument pure où se trouvaient les éléments lumineux avant l’invasion du démon. Saint Augustin le connaît bien, comme on le voit par les textes suivants : (De haeresibus, chap. 46, éd. Migne, col. 35) « Quidquid vero undique purgatur luminis,… regno Dei, tanquam propriis sedibus reddi » ; « …purgatumque illis navibus [lumen] imponatur ad regna propria reportandum » ; (De natura boni, chap. 44, éd. Migne, col. 568) « ablutae animæ… ad suae patriae transfrerationem sunt preparatae ». M. Müller reconnaît ce « domaine primitif », avec raison selon nous, dans un passage pehlvi qui mentionne « la terre où tu as été dès le commencement » (Müller, Handschr., p. 53).
- ↑ [texte chinois] yuan-mo t’an-tchou ; il s’agit toujours du démon de la convoitise jouant le rôle d’Ahriman. Le terme de « maître » ou « chef » de la convoitise n’apparaît que dans ce passage. Il nous paraît la traduction évidente de princeps, ἄρχων, qui est le nom technique des puissances des ténèbres dans le manichéisme. Ce mot semble se retrouver sous la forme arqon dans un passage, d’ailleurs assez étrangement construit, du Khuastuanift (cf. von Le Coq, Khuastuanift, p. 291, 303).
- ↑ [texte chinois] ti-yu, « prison de la terre » ; c’est l’expression bouddhique. On ne voit pas que ces « enfers » doivent différer des cinq terres obscures ; cependant les textes de Tourfan (Müller, Handschr., p. 43) parlent de douze enfers répartis par groupes de trois entre les quatre points cardinaux.
- ↑ [texte chinois] louen-houei wou-tsiu, mot à mot « revenir en cercle dans les cinq voies » ; c’est encore un emprunt au bouddhisme ; louen-houei traduit régulièrement saṃsara ; les « cinq voies » sont les cinq gati du bouddhisme, dieux, hommes, habitants des enfers, prêta, animaux (cf. Feer. Fragments traduits du Kandjour, dans Annales du Musée Guimet, V, 514-528) : le chiffre de cinq gati se retrouve également dans les textes sogdiens et turcs ; il a même été emprunté par le taoïsme (cf., par exemple, Wieger, Le Canon taoïste, no 368) ; mais, dans le bouddhisme chinois, on comptait le plus souvent six gati, par l’addition des asura entre les hommes et les habitants des enfers (c’est le seul chiffre connu d’Eitel, Handbook of Chin. Buddhism, s. v. gâti). Ni la métempsycose, ni même la transmigration bouddhique ne furent peut-être dans le système original de Mâni ; mais le pas, semble-t-il, fut vite franchi. Mâni admettait seulement une sorte d’animisme universel ; il y a des parcelles lumineuses éparses dans la nature, et il faut les dégager ; or c’est au moment de la procréation que se fait, pour les êtres vivants, la plus grande transmission de ces parcelles lumineuses. C’est là, à part les origines mythiques, le sens de l’épisode si peu édifiant de la séduction des archontes enchaînés (cf. Cumont, Cosmogonie, p. 54-68) ; c’est une raison du même ordre qui explique des passages comme celui de saint Augustin, De haeresibus, chap. 46 (éd. Migne, col. 36) : « Coguntur Electi eorum velut eucharistiam conspersam cum semine humano sumere, ut etiam inde, sicut de aliis cibis quos accipiunt, substantia illa divina purgetur. » La différenciation des sexes dans le microcosme du démon est donc une sorte de contrepartie de la séduction des archontes dans le macrocosme de l’Esprit vivant ; elle a bien pour but d’empêcher la libération de la lumière, en la faisant passer d’existence en existence ; c’est pourquoi les Manichéens condamnaient la procréation. Notre texte, qui est parfaitement chaste, ne dit rien de la séduction des archontes, mais peut-être y est-il fait indirectement allusion par le rapport établi entre les deux sexes et les deux vaisseaux : d’après Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 190), c’est lorsque « les vaisseaux marchèrent et arrivèrent au milieu du ciel » que se manifestèrent les formes lumineuses mâle et femelle qui séduisirent les archontes. Pour des Chinois, au moins, le rapprochement avait un sens subsidiaire évident : le soleil est en effet rattaché au principe mâle ([texte chinois] yang), la lune au principe femelle ([texte chinois] yin). Reste la mention des « cinq gâti » ; on comprend très bien que le traducteur, ayant le choix dans les termes bouddhiques entre cinq et six « voies », ait choisi le chiffre de « cinq », qui cadrait avec les catégories numériques du manichéisme, mais certainement en l’interprétant autrement que ne le faisaient les bouddhistes. Peut-être, bien que le microcosme seul, c’est-à-dire l’homme, soit à proprement parler l’œuvre du démon, la différenciation des sexes porte-t-elle sur les cinq catégories animales dont il a été question plus haut, et dont l’homme ne formait que la première. D’autres écrivains, comme Barhebraeus, ont parlé de la « transmigration des âmes » dans le manichéisme (cf. Kessler, Mani, p. 357). L’idée d’une sorte de « roue » des existences ne doit pas être étrangère aux livres de Mâni, car on lit dans le Fihrist (Flügel, Mani, p. 101 ; Kessler, Mani, p. 400) que l’homme mauvais « erre en cercle incessamment dans le monde parmi les tourments, jusqu’au temps de la fin du monde, où il sera jeté dans l’enfer ». À ce propos il est bon de rappeler un passage d’Albirûni dans son ouvrage sur l’Inde (cf. Sachau, Alberuni’s India, I, 54-55) : « Lorsque Mâni fut banni de l’Êrânšahr, il alla dans l’Inde, apprit des Hindous la métempsycose, et la transporta dans son propre système. Il dit dans le Livre des Mystères : « Comme les Apôtres savaient que les âmes sont immortelles, et que dans leurs migrations elles revêtent toutes les apparences, et prennent la forme de tous les animaux, et sont moulées dans le moule de toutes les figures, ils demandèrent au Messie quelle serait la fin de ces âmes qui n’auraient pas reçu la vérité ni appris l’origine de leur existence. Sur quoi il dit : “Toute âme faible qui n’a pas reçu tout ce qui lui appartient de vérité, périt sans aucun repos ou bonheur.” » Par « périr », Mâni entend sa « punition, mais non sa disparition totale. » Cf. aussi la formule grecque d’abjuration : « Je maudis ceux qui croient à la métempsycose, et qui la nomment elle-même un transvasement des âmes » (Kessler, Mani, p. 363, 404). Les Acta Archelai (chap. 10, p. 15) parlent on ne peut plus nettement de la transmigration dans les espèces animales et végétales.
- ↑ Mâni n’est pas le seul Envoyé de la lumière. Il a été précédé par Zoroastre, le Buddha, Jésus, etc. (cf. supra, p. 509, n. 3) ; mais on verra un peu plus loin (cf. p. 536, n. 2) que le nom d’Envoyé de la lumière répond à plusieurs conceptions différentes, et ne va pas sans amphibologie.
- ↑ [texte chinois] eul-men. Peut-être y a-t-il ici un écho de la distinction mazdéenne entre la science innée et la science « apprise par l’ouïe » ; cf. Darmesteter, The Zend-Avesta, II, 4.
- ↑ [texte chinois] kou-tchai ; c’est le corps du [texte chinois] kou-jen, « vieil homme, homme ancien », c’est-à-dire de l’homme non converti et purifié par la loi religieuse ; au kou-jen s’oppose le [texte chinois] sin-jen, l’ » homme nouveau » (cf. p. 540). Ce sont là évidemment des termes techniques du manichéisme, mais pour lesquels nous ne pouvons pas encore établir de correspondances certaines. Il est bien question dans les textes pehlvi de Tourfan d’un « dieu du nouveau royaume » (nôg šaḥr … yazd) et de « nouvelles habitations » (nôg ḥû’abâdîh) (cf. Müller, Handschr., 20, 47], mais le premier passage peut se rapporter à toute autre chose, et le sens du second n’est pas absolument établi (cf. Salemann, Manich. Stud., p. 82, qui rend ḥû’abâdîh par « wohlbefinden »). Toutefois, nous croyons bien que c’est de l’« homme ancien » et de l’« homme nouveau » qu’il s’agit dans le passage du Khuastuanift où il est question de l’« ancien moi » (ilki-i özûn) et de « ce moi-ci » (bu ôzûn) [cf. von Le Coq, Khuastuanift, p. 288, et les remarques antérieures de Radlov, Chuastuanit, p. 31].
- ↑ Nous considérons [texte chinois] yuan comme l’équivalent de [texte chinois] yuan, et non de [texte chinois] yuan qu’indique le dictionnaire de Giles ; l’alternance est usuelle dans les manuscrits des T’ang.
- ↑ [texte chinois] houei-ming che. Ici apparaît pour la première fois une difficulté très sérieuse et qui va se répéter à travers toute la suite du texte. Il s’agit de savoir qui est désigné tantôt sous le nom d’Envoyé de la Lumière bienfaisante, et tantôt sous celui de Lumière bienfaisante tout court. Ses analogies avec Tsing-fong (l’Esprit vivant) sont certaines, et un ouvrage manichéen que cite notre texte (cf. infra, p. 556) affirme l’identité des deux. Mais d’autre part on ne s’expliquerait pas ce changement de nom sans un changement de personne, ou au moins d’aspect. On remarquera que si Tsing-fong est le démiurge du macrocosme, l’Envoyé de la Lumière bienfaisante est plus spécialement en rapport avec le microcosme, avec l’homme, qu’il défend contre le démon. Or ce dernier rôle est joué dans la cosmogonie manichéenne par un personnage spécial, qui est le « Heilsbote » du Fihrist (Flügel, Mani, p. 91. 250, 310-311), et qu’on connaît aujourd’hui surtout par Théodore bar Khôni, qui l’appelle le Messager (Pognon, Inscriptions, p. 189-190). M. Cumont a montré, grâce à une correction ingénieuse, que ce Messager, « troisième création » du Père de la Grandeur, était connu des Acta Archelai sous le nom de « troisième Messager » (cf. Cumont, Cosmogonie, p. 34 et suiv., 67 et suiv.). Or, de même que le Messager de Théodore bar Khôni évoque douze vierges qu’il énumère, nous trouverons plus loin (cf. p. 568-569) une liste des douze « formes » de la Lumière bienfaisante qui correspond rigoureusement aux douze noms de l’auteur syriaque. Il nous paraît donc que, quels qu’aient pu être les traits communs, les points de contact, entre Tsing-fong (l’Esprit vivant, le Saint-Esprit) et l’Envoyé de la Lumière bienfaisante, il faut en principe les séparer, et voir dans ce dernier le Messager de Théodore bar Khôni et le legatus tertius d’Évodius.
- ↑ La comparaison qui suit devait être usuelle dans le manichéisme ; le Fihrist (Flügel, Mani, p. 88) et Ibn al-Murtaḍâ (Kessler, Mani, p. 353) en donnent comme un écho quand ils parlent du mélange de la lumière et de l’obscurité dans l’or et dans l’argent.
- ↑ [texte chinois] yi-lieou-eul-yun-ni. Le premier caractère répond à *nik, à moins que, considéré comme simple caractère de transcription, il ne faille lui donner sa valeur subsidiaire *ṅi, qui est aussi celle de sa phonétique. Le second caractère n’est pas attesté ; ce doit donc être un simple caractère de transcription formé par l’addition de la clef de la bouche à un caractère connu, et il faut le lire d’après sa phonétique, *liu. Le mot [texte chinois] eul est une particule disjonctive qui ne se prête guère à réunir deux mois transcrits : d’autre part, les mots du type eul n’apparaissent guère en transcription ; ils sont l’aboutissement moderne de *ṇi, en notant par ṇ un phonème combiné de chuintante sonore et de nasale palatale, quelque chose comme žñ, qui est à l’époque des T’ang rendu par ž en écriture manichéenne (cf. Müller, Die « persischen » Kalendarausdrücke, p. 5), et également par ž à l’époque mongole en écriture ’phags-pa (cf. par exemple Toung-Pao, 11, ix, pl. 1, à la suite de la p. 428, où [texte chinois] eul est transcrit ži en ’phags-pa). Yun répond à *’wyn. Quant à ni, le caractère n’existe pas plus que lieou ; on pourrait songer à [texte chinois] jo (*ṇ’a) ; il est beaucoup plus probable qu’il faut simplement le lire d’après sa phonétique, et qu’il répond par suite à *nik. Nous aurions donc deux noms *ṅik-liu et *’wyn-nik, ou un seul nom *ṅik[ou ṅi]-liu-ṇi-’wyn-nik (pehlvi °vanag ?). Puisque, dans la comparaison de l’orfèvre, Yi-lieou-eul-yun-ni répond au minerai d’or composé d’or pur et d’éléments impurs, Yi-lieou-eul-yun-ni doit représenter le corps. — [Ici encore le chinois rend fort exactement une forme pehlvie. Si l’on tient compte du fait établi que le ṅ chinois initial sert à transcrire g, on rétablit sans peine au moyen de la transcription un original גריווֹיונג, c’est-à-dire * girēwžīwanag, dont le sens est « forme, personne vivante » ; c’est bien ce qui convient pour le sens, puisque c’est le corps vivant qui est comme le minerai d’or et qui est purifié au moyen du feu. Pour la forme, il n’y a rien à dire sur žīvanag pour lequel il suffit de renvoyer aux Manichaeische Studien, I, de M. Salemann, (Lexique, s. v. זיונג) Le mot gi rēw se trouve dans le même ouvrage, sous גריו ; M. Salemann ne le traduit pas et cite expressément M. F. W. K. Müller comme l’auteur de l’interprétation par « Geist », « esprit ». C’est d’ailleurs là un sens que M. Müller n’est arrivé à proposer qu’avec le temps et par conjecture : il avait d’abord traduit גריו qu’il transcrit garêv, par « Keim », « germe » (Handschriften-Reste, II, p. 108). Nous le rapprochons du sogdien γr’yw qui a exactement le sens de « Geslalt », « forme, personne, corps », et cela de façon sûre, car il se trouve plusieurs fois dans un bilingue sogdien et chinois. Cette signification semble convenir aussi aux textes pehlvis cités par M. F. W. K. Müller (voir Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1905, p. 1079 et suiv.) ; à la page 1079, 3e ligne du bas, on aurait simplement : « en leur propre personne », c’est-à-dire « en eux-mêmes », au lieu de « en leur propre esprit » ; — à la page 1082, note 6, on aurait de même au lieu de » der lebendige Geist », « die lebendige Gestalt » ; garêv vå tan serait « Gestalt und Leib », gyân — garêv « Seele — Gestalt(ung) ». Mais il n’y a là rien de décisif et nous ne savons pas à quoi se rattachent les citations de M. F. W. K. Müller. En tout cas, ce qui paraît clair, c’est seulement que le mot transcrit par les Chinois comporte un mot gi rēw qui a le sens de sogdien γr’yw (lire gi rēw). — R. G.]
- ↑ Il y a ici quelque faute dans le texte, puisqu’il faudrait qu’un des éléments de la comparaison se rapportât aux opérations de l’orfèvre ; il nous semble vraisemblable qu’il y avait à peu près ceci : « Et quant au feu violent [de l’orfèvre], c’est [pour les opérations de l’Envoyé de la Lumière] le feu affamé qui fond… » ; la confusion serait née de la mention simultanée du feu cosmique et du feu de l’orfèvre.
- ↑ On sait le grand rôle que jouait dans le manichéisme la purification des aliments qui passaient par le corps des Élus ; c’est par la digestion des Élus que les parties lumineuses contenues dans ces aliments étaient digérées. Les « corps d’excellence » ([texte chinois] chan-chen) sont certainement les corps des « hommes nouveaux ». Le « feu affamé » doit être utilisé ici comme feu de la digestion, bien connu dans toute la philosophie hindoue.
- ↑ Au lieu de [texte chinois] li « force », amené par les « deux forces » nommées un peu plus loin, il faut presque sûrement lire [texte chinois] chen « corps » ; il s’agit des cinq corps lumineux, c’est-à-dire des cinq éléments.
- ↑ Ici encore il s’agit certainement de la libération de la lumière par la digestion des Élus. Les textes à ce sujet sont nombreux. Nous nous contenterons de citer une fois de plus le chapitre 46 du De haeresibus de saint Augustin, qui contient un si bon résumé du manichéisme (éd. Migne, col. 35) : « Ipsam vero boni a malo purgationem ac liberationem, non solum per totum mundum et de omnibus ejus elementis virtutes Dei facere dicunt, verum etiam Electos suos per alimenta quao sumunt. Et eis quippe aiimentis, sicut universo mundo, Dei substantiam perhibent esse commixlam : quam purgari putant in Electis suis eo genere vitae, quo vivunt Electi Manichaeorum velut sanctius et excellentius Auditoribus suis. » — Dans ses Confessions (IV, 1, et III, 10), saint Augustin dit aussi que, lorsqu’il était adepte du manichéisme, il apportait aux élus la nourriture de laquelle, en la mangeant, ils devaient dégager de la lumière ; c’était en effet la règle pour les Auditeurs, et c’est la classe à laquelle appartenait saint Augustin. Nous traduisons par « distinguer et choisir » les mots [texte chinois] ts’iuan-kien du texte chinois. Dans le fragment manichéen de la Bibliothèque nationale, il est question des trois [texte chinois] ts’iuan-kien qui sont à la tête de chaque temple manichéen (ce sont ceux dont les titres ont été étudiés par M. Gauthiot dans le J. A. de juillet-août 1911, p. 57-63). Dans les manuscrits des T’ang, la clef du « bambou » et la clef de l’« herbe » s’emploient presque indifféremment ; les deux caractères kien sont donc équivalents, et répondent en fait au seul [texte chinois] kien moderne, « choisir ». Le mot [texte chinois] ts’iuan, qui signifie au propre « expliquer », est également ici, sans aucun doute, le substitut plus ou moins régulier de son homophone [texte chinois] ts’iuan discerner, apprécier, choisir ». La forme exacte est donc celle que donne notre texte, et il est certain que nous avons là un terme technique du manichéisme, le correspondant chinois de « electus ». Dans le fragment chinois de la bibliothèque nationale, il est pris dans son acception substantive ; dans le texte que nous traduisons, il reçoit au contraire une valeur en quelque sorte active, et l’Élu n’est pas seulement « celui qui est choisi », mais aussi « celui qui choisit », celui qui sépare les éléments lumineux des éléments obscurs dans les aliments qu’il absorbe.
- ↑ Autrement dit, le corps charnel, si on le considère à part des éléments lumineux qui y sont emprisonnés, représente le monde de l’obscurité, éternel comme celui de la lumière, avant que l’invasion du démon n’eût amené le conflit et le mélange des deux principes.
- ↑ Il n’a pas été question de la « première nuit obscure », et on peut se demander si le texte n’est pas altéré. Nous croyons cependant qu’on peut reconnaître la suite des idées. Cette « première nuit obscure », c’est en réalité le « corps charnel » dont il vient d’être question, c’est-à-dire le corps considéré à part des éléments lumineux qui y sont emprisonnés, et précisément cet état antérieur n’a été rappelé ici que pour justifier la mention de la « seconde nuit » qui apparaît maintenant, et contre laquelle une puissance lumineuse va venir lutter.
- ↑ [texte chinois] tchou pou-chan sing, « les natures pas bonnes », avec le sens technique de « bon » dont il a été question plus haut ; cf. supra, p. 532, n. 2.
- ↑ Par heures ([texte chinois] che), il faut toujours entendre les heures doubles ; ces douze heures sombres sont en réalité pour nous une révolution diurne de vingt-quatre heures.
- ↑ [texte chinois] jou che teng. Le rythme est brisé par un mot de trop : il faut sans doute supprimer teng.
- ↑ [texte chinois]. Nous trouvons ici pour la première fois une expression technique assez embarrassante, [texte chinois] ki-yen, qui reviendra souvent. Ki signifie « marque » ; yen signifie « vérification » ; nous traduirons toujours par « signe », sans nous dissimuler que cette traduction ne donne pas un résultat satisfaisant dans tous les cas. Parfois on a, au lieu de ki-yen, [texte chinois] ki-men cette dernière expression, qui signifie au propre « souvenir, memento », est assez voisine de ki-yen comme son et comme sens ; nous la considérerons comme un substitut moins exact de l’expression que nous avons ici.
- ↑ [texte chinois] houei-ming ta-tche. Au lieu du dernier mot, il faut probablement lire [texte chinois] che, et traduire : « le grand Envoyé de la Lumière bienfaisante ».
- ↑ Le mot chinois [texte chinois] t’i signifie « membre » et « substance ». La comparaison avec saint Augustin et le Fihrist montre qu’il faut traduire par « membre ».
- ↑ On a vu plus haut (cf. p. 520, n. 1) que le Fihrist (Flügel, Mani, p. 86) énumère cinq « membres » du Roi du paradis de la Lumière (c’est-à-dire du Père de la Grandeur des textes occidentaux), qui sont la longanimité, la science, la raison, le secret (ou la discrétion), la pénétration ; mais il lui attribue en outre cinq membres spirituels (se rapportant aux qualités du cœur et non plus de l’intelligence ; cf. Kessler, Mani, p. 387) : amour, foi, fidélité, bravoure, sagesse. Cette seconde série correspond approximativement à celle des « cinq libéralités » ([texte chinois] wou-che) que fournit le texte chinois.
- ↑ Le texte omet ici un membre de phrase qu’il est facile de rétablir : [texte chinois] « il fit sortir par transformation la bonne foi et l’ajouta au vent pur ; ensuite, de sa réflexion lumineuse… ». L’Envoyé de la Lumière bienfaisante a donc les deux mêmes séries de « membres » ? que le Père de la Grandeur ; cf. supra, p. 541, n. 5. Nous traduisons [texte chinois] tch’eng-sin par « bonne foi » ; tcheng signifie « sincérité » ; sin signifie « foi » ; mais, pour « foi » tout court, nous avons dans notre texte d’autres expressions. « Bonne foi » nous paraît maintenir en partie la double idée de l’expression chinoise ; peut-être pourrait-on aussi dire « confiance ».
- ↑ [texte chinois]. Cette phrase n’est guère intelligible. De toute façon, la construction est rompue à propos de l’Appelant et du Répondant, qui, une fois de plus, constituent une paire un peu en marge dans cette énumération. Le rythme n’est pas détruit, mais il est inadmissible que la sagesse, déjà nommée, reparaisse ici une seconde fois. En récapitulant à la phrase suivante les treize termes, l’Appelant et le Répondant sont suivis de la Lumière bienfaisante ; il nous paraît donc probable que c’est la Lumière bienfaisante elle-même, et non la sagesse, que l’Envoyé de la Lumière bienfaisante ajoute à Khroštag et à Padvakhtag. Quant au « trésor des paroles », il semble bien qu’il y ait là une allusion au rôle parlant joué par l’Appelant et le Répondant. Reste à savoir si la traduction « trésor » est juste ; le mot tsang a encore, dans le bouddhisme, le sens de « essence », « embryon », tout au moins dans le nom de [texte chinois] Ti-tsang, Kṣitigarbha, que nous retrouverons plus loin ; nous ne voyons pour le moment rien à en tirer ici.
- ↑ [texte chinois] ts’ing-tsing kouang-ming che-kiai ming-tsouen. Le Vénérable de la Lumière reparaîtra dans la suite de notre texte ; il n’est autre que le Père de la Grandeur de Théodore bar Khôni (qui le connaît aussi à propos des disciples de Battai ; cf. Pognon, Inscriptions, p. 222) et de la formule grecque d’abjuration ; cf. à son sujet Cumont, Cosmogonie, p. 8. C’est le Père de la lumière (pidar rôšan) des documents pehlvi de Tourfan, et sans
- ↑ De même que la première nuit n’a pas été mentionnée explicitement, le texte est en apparence muet sur le premier jour. Il nous semble cependant que le premier « jour » du microcosme est précisément constitué par la réunion des treize termes qui symbolisent le Vénérable de la Lumière, de même que la première nuit était représentée par les seuls éléments d’obscurité qui symbolisaient le monde des démons. Quant à la théorie des trois jours, elle n’est développée, croyons-nous, dans aucune autre source. Nous devons toutefois signaler que le 16e chapitre du Livre des Secrets de Mâni était intitulé : « Des trois jours » (cf. Flügel, Mani, p. 102 ; Kessler, Mani, p. 197).
- ↑ Les « douze grands rois » sont donc les cinq éléments lumineux et les cinq membres spirituels de l’Envoyé de la Lumière bienfaisante, plus Khroštag et Padvakhtag. Dans la suite de notre texte, il sera encore question des « trois jours », et nous retrouverons deux séries de « douze rois ».
- ↑ [texte chinois] Mo-ho-lo-sa-pen (*ma-ha-la-sat[ou sar]-pwyn). Ce mot transcrit certainement un pehlvi (Mahraspand. La première interprétation à laquelle on songe est naturellement celle du Mahraspand usuel, représentant le Māthra-spenta de l’Avesta, la « Parole sainte » (cf. par ex. Darmesteter, The Zend-Avesta, II, 12) ; ce mot Mahraspand apparaît correctement dans les textes pehlvi de Tourfan comme le nom du 29e jour du mois iranien (cf. Müller, Handschr., p. 95). Mais il ne sort de là aucun sens acceptable pour nos sept Mahraspand. Si on se reporte aux paragraphes précédents, il est bien probable que cette série de sept qui, jointe aux cinq libéralités, fait douze heures, doit comprendre les cinq éléments lumineux, plus Khroštag et Padvakhtag. Or, dans les premiers fragments sogdiens (« pehlvi-dialekt ») étudiés par M. Müller, on trouve (p. 98) la mention des panj marδâspandtîh, que M. Müller proposait alors de traduire par « les cinq éléments saints » ; le mot reparaissait sous la forme mârδanîj à la page 103 ; dans ses Manich. Stud., p. 94, M. Salemann déclare que cette dernière forme n’est pas claire. Toutefois la première des deux formes se retrouve encore, écrite mardâspanṭê et traduite par « éléments », dans Müller, Neutestamentl. Bruchst., 1907, p. 6. M. Andraeas a montré (Zwei soghdische Excurse, 1910, p. 311) que la forme sogdienne mardâspanṭê, qu’il écrit murδāspondē, pluriel de murδāspond, répond à amuhrosponto ; or amuhrosponto correspond à avest. amešaspenta, pehlvi amahraspand. Cette fois, nous avons la solution, car il y a bien dans le mazdéisme un groupe de sept divinités connues sous le nom des sept amešaspenta (cf. Geiger et Kuhn, Grundriss, 11, 633-640). M. Salemann a vu (Ein Bruchstük, p. 17, 23), en étudiant le chapitre consacré au manichéisme dans le Škand-gumânik Vižâr, que les Amešaspenta (Amešaspand) étaient connus des manichéens ; il faut seulement supposer, dans l’original de notre texte, une forme aphérétique mahraspand au lieu d’amahraspand. L’emploi sogdien du nom et celui qu’atteste notre texte montrent toutefois que, pour les manichéens, les sept Mahraspand n’avaient plus que des rapports lointains avec les sept Amešaspenta du mazdéisme. Au lieu des sept « archanges », ils sont devenus les cinq éléments lumineux, auxquels on a joint, pour compléter le nombre de sept, l’Appelant et le Répondant. Nous avons eu l’occasion de dire plus haut (cf. p. 521, n. 1) que l’apparition en fin de série, dans les sept Mahraspand manichéens, de cette paire inséparable, pouvait ne pas être sans quelque rapport avec la présence, en fin de liste des Amešaspenta mazdéens, du couple non moins inséparable de Haurvatât et d’Ameretât. Pour le chiffre de sept dans le manichéisme, cf. les remarques de M. Cumont sur l’hebdomade (Cosmogonie, p. 34) ; cf. aussi les sept « aumônes » (pusí) et les sept yimki dans le Khuastuanift (von Le Coq, Khuastuanift, p. 290, 291, 296-298). Les catégories (les disciples de Battai ne sont pas sans analogie ; voici ce que dit à leur sujet Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 223) : « Le Seigneur Dieu prononça également sept mots et cinq forces naquirent de lui. Ensuite sept démons montèrent, enchaînèrent le Seigneur Dieu et les sept forces nées de lui et enlevèrent au Père de grandeur le principe de l’âme ; les démons se mirent à l’œuvre ainsi que les sept et les douze et firent Adam le premier homme. » Il faut remarquer d’ailleurs que cinq et douze étant les deux nombres préférés du manichéisme, sept était le complément de l’un à l’autre. Le septième chapitre du Livre des Secrets de Mâni était intitulé, d’après le Fihrist, « Des sept esprits ». Flügel, (Mani, p. 102, 360) déclare ne rien savoir de ces sept esprits. Kessler (Mani, p. 196) y voit les sept esprits méchants de l’ancienne mythologie babylonienne qui jouent un grand rôle dans la cosmogonie comme adversaires des dieux (cf. à leur sujet le premier chapitre de Bousset, Hauptprobleme). On vient de voir que la cosmogonie de Battai est d’ailleurs à base de sept plutôt que de cinq. Mais la mythologie iranienne connaissait également ce groupement, puisque non seulement elle célébrait les sept Amešaspenta, mais leur opposait nommément sept démons créés par Ahriman (cf. Blochet, dans Rev. Hist. des Relig., XXXII, 112). Pour le manichéisme, il y a un témoignage important de saint Éphrem (cf. Kessler, Mani, p. 277) : « Sous ce rapport, Bardaisan, le maître de Mani, s’est montré un homme de parole sensée, quand il dit que l’âme est composée de sept parties mélangées et soudées ensemble… » Réserve faite d’un sens spécial du mot « esprit » en arabe, qui obligerait à lui donner le sens d’ » esprit mauvais » qu’adopte Kessler, il ne nous paraît donc pas évident qu’il s’agisse, dans le chapitre du Livre des Trésors, d’esprits démoniaques, et peut-être sont-ce là seulement nos sept Mahraspand.
- ↑ [texte chinois] ts’ing-tsing che-sen. Le mot seng, « moine », est naturellement emprunté au bouddhisme, puisqu’il représente étymologiquement le sanscrit saṅgha ; mais il avait perdu toute valeur de secte, et les nestoriens l’ont adopté également. Par contre, il nous est actuellement difficile de dire si, par che-seng, il faut seulement entendre ici les Élus, ou si les Maîtres, supérieurs aux Élus, sont directement visés dans l’expression.
- ↑ Ces douze heures sont obtenues en ajoutant les cinq « libéralités » aux sept Mahraspand.
- ↑ [texte chinois] hing-tchö, « ceux qui pratiquent » ; ce peuvent être les Auditeurs, mais ceux-ci seront désignés plus loin par un terme spécial ; il peut s’agir de simples catéchumènes. Par « deux mondes », notre texte doit entendre les deux mondes de la lumière et de l’obscurité.
- ↑ Cette phrase, qui est usuelle à la fin des sūtra, paraît une simple interpolation.
- ↑ C’est dans ce paragraphe qu’on rencontre [texte chinois] ki-nien au lieu de [texte chinois] ki-yen cf. supra, p. 541, n. 2.
- ↑ [texte chinois] kiu-tsou t’i. « Contentement » est pris ici au sens d’« avoir son content de quelque chose ». L’analogie des autres paragraphes amène d’ailleurs à proposer une correction ; au lieu de kiu-tsou t’i, il faut sans doute [texte chinois] ming-nien t’i, « le corps de sa réflexion lumineuse ».
- ↑ La forme [texte chinois] donnée dans le texte, et qui se retrouve encore une fois plus loin, est l’équivalent de [texte chinois] k’i, « se lever ».
- ↑ [texte chinois] tsing-tsin, mot à mot « progrès essentiel ». C’est un emprunt au chinois bouddhique, dans lequel cette expression traduit le sanscrit vīrya, « énergie ».
- ↑ [texte chinois] wou-tchong che-li. Peut-être faut-il lire [texte chinois] che au lieu de [texte chinois] che, et comprendre : « par la force des cinq libéralités » ; mais la correction n’est pas évidente.
- ↑ Les cinq divinités du macrocosme ici qualifiées de « saints » paraissent répondre aux cinq fils glorieux de l’Esprit vivant tels qu’ils sont énumérés par Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 187) et par saint Augustin (Contra Faustum, l. 15, chap. 6, éd. Migne, col. 309) ; nous essayerons d’établir les équivalences dans les notes suivantes. Signalons seulement que, dans Théodore bar Khôni, ces cinq fils sont mis en rapport avec les membres de l’Esprit vivant de la catégorie : intelligence, raison, etc., qui correspond dans notre texte à la série : pensée, sentiment, etc., au lieu qu’ici ces « saints » sont rapportés aux cinq « libéralités » émanées des cinq membres de l’Envoyé de la Lumière bienfaisante, et qui correspondent à la série des membres spirituels indiqués par le Fihrist : amour, foi, etc. Cf. supra, p. 541, n. 5 ; et aussi Cumont, Cosmogonie, p. 22-23.
- ↑ [texte chinois] tch’e-che ming-che. Dans la conception manichéenne, un ange tenait les cieux par en haut, tandis qu’un autre portait les terres sur ses épaules ; c’est du premier qu’il s’agit ici. Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 187, 188) l’appelle l’Ornement de splendeur ; saint Augustin le décrit ainsi : « Splenditenentem magnum, sex vultus et ora ferentem, micantemque lumine. »
- ↑ [texte chinois] che-t’ien ta-wang. On a vu plus haut qu’il y a dix cieux dans la théorie manichéenne. Ce roi est le « Grand roi d’honneur » de Théodore bar Khôni qui, « lorsque les cieux et les terres eurent été faits », « s’assit au milieu du ciel et monta la garde pour les garder tous » ; dans saint Augustin, nous trouvons de même le « Regem honoris, Angelorum exercitibus circumdatum ».
- ↑ [texte chinois] kiang-mo cheng-che. C’est l’Adamas-Lumière de Théodore bar Khôni, pour saint Augustin « Adamantem heroam belligerum ; dextra hastam tenentem, et sinistra clypeum. »
- ↑ [texte chinois] ti-tsang ming-che. Pour les trois premiers noms, l’ordre a été le même que dans Théodore bar Khôni et dans saint Augustin ; nous devons proposer une interversion pour les deux derniers. Le nom du quatrième envoyé, dans notre texte, est d’ailleurs assez surprenant. Ti-tsang est uniquement un terme du bouddhisme (emprunté ensuite par le taoïsme), où il traduit le nom du bodhisattva Kṣitigarbha. Kṣitigarbha semble être apparu relativement tard dans le bouddhisme. Le Lotus de la bonne loi l’ignore, et aucun des sūtra spéciaux qui lui sont consacrés (Nanjio, Catalogue of the Chinese Tripiṭaka, nos 64, 1003, 1457, auxquels il faut joindre le Ti tsang p’ou sa yi kouei [texte chinois] du Tripiṭaka de Kyōto, Supplément, t’ao III, pen 1) n’a été traduit avant le viie siècle. Mais, pour être un peu tardive, la fortune de Kṣitigarbha n’en a pas moins été rapide et assez inattendue. Son nom prêtait à quelque amphibologie ; kṣiti signifie nettement « terre », mais garbha a les sens de « giron maternel », « partie interne », « embryon ». Les Tibétains ont rendu le nom par Saḥi-sñiṅ-po, « Embryon de la terre » (cf. Sarat Chandra Das, Tibetan-English Diction., p. 1261, où il faut restituer comme original sanscrit Kṣitigarbha au lieu de Bhūmigarbha). La traduction chinoise Ti-tsang peut signifier en apparence « Trésor de la terre », et c’est de cette interprétation que dérive la traduction turque Yir-aγlïqï, « Grenier de la terre » (cf. Müller, Uigurica, p. 18). Mais le mot [texte chinois] tsang signifie étymologiquement « cacher », « secret » ; il est apparenté étymologiquement, aussi bien par la phonétique que par l’écriture, à [texte chinois] tsang, « entrailles », et l’identité foncière des deux mots était restée d’autant plus sensible que, dans la langue des classiques chinois, on ne connaît encore, même au sens d’« entrailles », que la première forme ; l’autre est sortie d’elle par une différenciation toute graphique et assez tardive. Le vrai sens de Ti-tsang, conforme au nom sanscrit, est donc « Entrailles de la terre ». Or une tradition chinoise, qui paraît née au Sseu-tch’ouan vers le xe siècle, place dans cette province l’entrée des enfers, à [texte chinois] Fong-tou, et connaît dix rois des enfers sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir dans une prochaine note (cf. infra, p. 584, n. 1). Ti-tsang, « Entrailles de la terre », avait un nom trop significatif : il a été associé aux légendes infernales, et le petit sūtra apocryphe, datant approximativement de l’an 1000, qui a consacré la popularité des « dix rois », est intitulé dans les éditions modernes Fo chouo ti tsang p’ou sa fa sin yin yuan che wang king [texte chinois] « Sūtra des dix rois, prononcé par le Buddha, et se rapportant aux causes du vœu du bodhisattva Kṣitigarbha ». C’est également par le sens même de Kṣitigarbha, et surtout de Ti-tsang, « Entrailles de la terre », qu’il faut expliquer, selon nous, l’intrusion apparente de ce personnage dans notre texte manichéen. Le cinquième des fils de l’Esprit Vivant est appelé par Théodore bar Khôni « le Porteur » ; saint Augustin l’appelle « maximum Atlantem mundum ferentem humeris, et eum, genu flexo, brachiis utrimque secus fulcientem ». Ainsi, de même qu’au haut du monde un ange tenait en mains les cieux, un autre ange, habitant sous les terres, les portait de ses épaules et de ses bras ; cette dernière conception a été étudiée par M. Cumont dans un appendice spécial, « L’Omophore » (Cosmogonie, p. 69-75). Il nous semble bien que c’est la présence de cet ange sous les huit terres qui a déterminé ici le traducteur, et que dans Ti-tsang, « Entrailles de la terre », nous devons reconnaître simplement le Porteur, Atlas.
- ↑ [texte chinois] ts’ouei-houang ming-che. Ce doit être là le quatrième fils de l’Esprit Vivant dans la liste de Théodore bar Khôni et de saint Augustin. Théodore bar Khôni l’appelle le Roi de gloire, et dit ailleurs (Pognon, Inscriptions, p. 189 ; Cumont, Cosmogonie, p. 3i) que c’est le Roi de gloire qui fait monter [la lumière puisée par] les trois roues du vent, de l’eau et du feu (sur cette conception, cf. supra, p. 516, n. 3). Saint Augustin décrit de même le « Gloriosum regem tres rotas impellentem, ignis, aquae, et venti ». C’est donc bien lui qui, comme le veut notre texte, « accélère [l’ascension de] la lumière ? ».
- ↑ [texte chinois] ki hien tsai kiao. Nous rattachons [texte chinois] tsai à [texte chinois] hien, et faisons de [texte chinois] hien-tsai, « présent », la contre-partie du [texte chinois] kouo-k’iu, « passé », qui précède. Mais on pourrait aussi soutenir que hien seul signifie « présent » ou « présentement », et que tsai-kiao signifie « être de la religion » : l’expression existe et a même pris aujourd’hui, du moins à Pékin, une valeur spéciale, puisque « être de la religion » y a le sens « d’être musulman ». Mais l’autre interprétation nous semble plus naturelle.
- ↑ [texte chinois] houei-ming fa-siang ; c’est ici un des cas où la correction adoptée [texte chinois] siang pour [texte chinois] siang (cf. supra, p. 504-505) ne nous paraît pas absolument sûre.
- ↑ La Lumière bienfaisante représentée par son Envoyé.
- ↑ [texte chinois] ta-ming san-tch’ang wou-ta. Par la Grande Lumière, il nous semble qu’on doit entendre le Vénérable de la Lumière, le Père de la Grandeur ; toutefois la qualification de « Grande Lumière », vazurg rôšan, reparaît dans les textes pehlvi de Tourfan pour Naresaf (cf. Müller, Handschr., p. 63). L’expression [texte chinois] san-tch’ang, mot à mot « les trois permanents », se retrouve dans l’inscription nestorienne de Si-ngan-fou, où on est d’accord pour y voir les trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité (cf. Legge, Christianity in China, p. 7 ; Havret, Stèle chrétienne, III, 48). Le P. Havret a signalé un emploi différent de san-tch’ang dans [texte chinois] Kouan-tseu. L’expression est naturellement calquée sur celle de [texte chinois] wou-tch’ang, les « cinq permanences », qui s’applique aux cinq « vertus fondamentales » des Chinois. Ici le sens nous paraît être différent, et les « trois permanences » de la Grande Lumière doivent être les trois attributs essentiels du Père de la Grandeur, c’est-à-dire sa Lumière, sa Force et sa Sagesse, ou, comme le veulent les textes pehlvi de Tourfan pour leur Zervan, « sa Lumière, sa Force et sa Bonté » (cf. Müller, Handschr., p. 74 ; Cumont, Cosmogonie, p. 8). Quant aux cinq grandeurs, mot à mot les « cinq grands », il faut sans doute y voir les « cinq membres » du Père de la Grandeur.
- ↑ [texte chinois] chen-t’ong. C’est un emprunt à la langue du bouddhisme, où chen-t’ong traduit abhijñā.
- ↑ Sur ces palais, cf. supra, p. 516, n. 1. Le Khuastuanift (von Le Coq, Khuastuanift, p. 283) emploie à leur propos l’expression de « première porte » du royaume de Lumière ; le même mot de « porte », appliqué au soleil et à la lune, est mis dans la bouche de Mâni par Albirûni (Sachau, Alberuni’s India, II, 169).
- ↑ [texte chinois] ta-siang. Nous avons gardé ici la leçon originale du texte. La place de ta-siang avant le nom propre ne permet pas de traduire par « la pensée [ou la forme] de Sroš-haråy » ; tout au plus pourrait-on proposer « Sroš-haråy à la grande pensée [ou forme] ».
- ↑ [texte chinois] mo-jan. Il y a sans doute un lien à établir entre cette vertu et le « membre » de la discrétion dont il a été question plus haut d’après le Fihrist (cf. supra, p. 541, n. 5).
- ↑ [texte chinois] wou-ming. Dans le bouddhisme, cette expression a une valeur technique, et traduit pañca vidyā, les « cinq sciences » (çabda, etc.). En chinois profane, les wou-ming sont les cinq planètes. Ici le sens est certainement différent ; nous proposons de voir dans les « cinq lumières » les cinq éléments lumineux.
- ↑ Il y a ici manifestement dans le texte une lacune de quatre caractères.
- ↑ Cf. supra, p. 509, n. 3.
- ↑ [texte chinois] tien-na-wou (*d’än-na-mwyt [ou mwyr]) ; ce mot représente manifestement un pehlvi *dênâvar. Nous avons par le Fihrist (Flügel, Mani, p. 66-67, 97-98) quelques renseignements sur une secte manichéenne dite des دنياورية Denyâvarîya, qui ne reconnaissaient pas le chef du manichéisme établi en Mésopotamie et avaient eux-mêmes leur centre au Khorâsân. D’autre part, un texte important de Gardîzî dit en parlant des Toghuzghuz, c’est-à-dire des Ouïgours de Tourfan : « Et là, dans la maison du préfet, il se rassemble tous les jours trois ou quatre cents des ديناورى Dênâvarî, et ils récitent à haute voix les livres de Mâni. Puis ils passent devant le préfet, le saluent, et s’en retournent chez eux. » (cf. Müller, Handschr., p. 109, citant M. Barthold). M. Müller en a conclu que les Manichéens de Tourfan étaient de la secte des Dênâvari, et que leur langue devait être le dialecte persan du Khorâsân. De ces deux textes du Fihristet de Gardîzî, il faut encore rapprocher le passage de Hiuan-tsang (Mémoires, II, 179) où il est question de la présence en Perse de nombreux « hérétiques t’i-na-pa » ([texte chinois]) ; comme l’a reconnu M. Marquart [Osteuropäische und ostasiatische Streifzüge, p. 502), il faut voir dans ces t’i-na-pa (*di-na-bwat [ou bwar]) les Dênâvari manichéens. Reste à expliquer le nom. Flügel (Mani, p. 318) s’est demandé si Denyâvariya dérivait d’un nom de lieu Denyâvarîya, ou d’un nom d’homme Denyâvarî ou simplement d’une forme denyâvar. Pour des raisons linguistiques et géographiques, il écarte la première hypothèse, qui faisait songer à Dinâvar, ville située à trois jours de Hamadân. Les autres noms de sectes manichéennes dérivant de noms d’hommes, il lui paraît possible qu’on doive se rallier à la seconde, tout en ne trouvant aucune raison de fait pour confirmer l’existence d’un personnage manichéen appelé Denyâvarî. Il nous semble qu’on peut chercher la solution d’un autre côté. Dans notre texte, rien n’indique que, par tien-na-wou, on entende aucune désignation spéciale de secte. Bien au contraire, ces tien-na-wou (dênâvar) « purs » semblent être simplement les Élus, dont « les Purs » (’ardavâṅ) est une désignation dans les textes pehlvi de Tourfan (cf. par exemple Müller, Handschr., p. 80). En turc, les Élus sont appelés dintar (ou dêntar, dérivé de dên, « foi »), mais ce mot, qui apparaît six fois dans le Chuastuanift (cf. von Le Coq, Khuastuanift, à l’index, et aussi, dans un texte chrétien de Müller, Uigurica, p. 9, uluγ dintar « grand prêtre »), y est précédé les six fois de ärïγ, « pur », tout comme l’épithète « pur » précède régulièrement tien-na-wou dans notre texte. Or, dans les textes pehlvi de Tourfan publiés par M. Müller, on trouve une dizaine de fois le mot dênvar « pieux », et dans au moins trois des passages, M. Salemann (Manich. Stud., p. 68) a déjà reconnu que le mot avait la valeur spéciale d’« adhérent de Mâni ». En réalité, le mot signifierait donc seulement « les Pieux », puis, chaque secte ayant une tendance à considérer qu’elle seule possède la vraie religion et la vraie piété, de ce mot général serait dérivé le nom de la secte spéciale que le Fihrist désigne sous le nom de Denyâvarîya. Toutefois cette forme, tout comme le dênâvarî de Gardîzî et le tien-na-wou de notre texte, suppose au milieu du mot un â qui manque dans dênvar. — [L’interprétation de la transcription chinoise tien-na-wou ne s’impose pas à première vue. La difficulté réside dans la valeur qu’il convient d’attribuer à l’a de na. En effet, דינור dēnvar a été prononcé en pehlvi *dēnəwar comme l’indique très justement M. Salemann dans ses Manichaeische Studien, I, p. 167 (§ 51) ; le chinois peut donc avoir noté tien-na-wou tout comme l’arabe a écrit دينَورىّ. S’il en est ainsi, les tien-na-wou sont simplement les dēnwar. Mais il est tout aussi probable, sinon davantage, que l’a de na représente une voyelle franche et non furtive, un ā et non un ə : en ce cas, c’est *dēnāwar qu’il faut lire. Au point de vue du sens, rien n’est changé : le composé de dēn et de -bar, -war « qui porte, qui possède » (cf. pers. بردن), et celui de dēn et de *āwar- « qui apporte, qui possède », sont synonymes : le sogdien a régulièrement δyn”βr « religieux », tout comme le pehlvi de Tourfan דינור. En persan même on a côte à côte kīnvar et kīnāvar « plein d’animosité, de colère », bārvar et bārāvar « fructueux, fertile » (cf. Horn, Grundriss, t. II, p. 188-189). — R. G.]
- ↑ [texte chinois] tchou-tch’e. C’est là un terme technique du bouddhisme. Cf. à son sujet Chavannes, Cinq cents contes et apologues, II, 269, mais en précisant et complétant par les diverses citations du Bukkō jiden de M. Kojima Sekiho, p. 35-36. Le terme à peu près synonyme de [texte chinois] tch’ang-tchou se retrouve, appliqué aux biens temporels qui permettent à la religion de subsister, dans une inscription nestorienne de l’époque mongole (cf. Havret, Stèle chrétienne, II, 386).
- ↑ Cf. ce passage du Fihrist (Flügel, Mani, p. 100) : [Après la mort d’un Élu, ses éléments de lumière vont au ciel] ; « mais le reste de son corps, qui est tout obscurité, est jeté dans l’enfer. »
- ↑ Le rôle de psychopompe attribué ici à la Lumière bienfaisante est joué dans le Fihrist par le Sage conducteur (der leitende Weise) ; cf. Flügel, Mani, p. 100.
- ↑ Nous ne savons rien sur cet ouvrage, pas plus que sur celui qui est nommé au paragraphe suivant.
- ↑ [texte chinois] Tsing-fa-fong ; c’est le même que Tsing-fong (Vent pur) ; le caractère fa n’est ajouté que pour des raisons de rythme. On a ici l’équivalent de la Trinité chrétienne : Père, Fils et Saint-Esprit ; cf. Müller, Handschr., p. 96. Pour une autre Trinité composée du Père, de la Mère et du Fils, cf. Müller, Handschr., p. 102-103, et supra, p. 511, n. 1.
- ↑ Baur (Das manich. Relig., p. 291) dit déjà que le Christ trône dans le soleil et la lune. Cf. par exemple saint Augustin (Contra Faustum, l. 20, chap. 6, éd. Migne, col. 372) : « Filii autem in sole virtutem, in luna sapientiam. » Cf. aussi Flügel, Mani, p. 256.
- ↑ [texte chinois] jou-teng-t’i-t’in. Formule empruntée au bouddhisme.
- ↑ [texte chinois], forme de l’époque des Tang pour [texte chinois] = [texte chinois] sie ; la confusion des deux caractères est constante.
- ↑ Le texte a fautivement [texte chinois] tcheng au lieu de [texte chinois] wei.
- ↑ Cette assimilation du Vent pur à une colombe est une nouvelle preuve de son identité avec le Saint-Esprit. La 41e épître de Mâni était intitulée « sur la Colombe » (cf. Flügel, Mani, p. 104). Flügel a songé (p. 377) à la colombe que le Buddha, dans une existence antérieure, a sauvée en donnant sa propre chair, ou aux colombes sacrées d’Istar-Sémiramis ; Kessler, (Mani, p. 299) s’est prononcé pour la seconde hypothèse. Ne s’agirait-il pas tout simplement de la colombe du Saint-Esprit ? Dans les Acta Archelai (chap. 59, p. 86), on trouve une discussion au cours de laquelle Manès déclare que Jésus n’est pas plus un homme véritable que le Saint-Esprit n’est une colombe véritable. Le symbole qui représentait le Saint-Esprit par une colombe était donc bien connu des manichéens.
- ↑ [texte chinois] Notre traduction est hypothétique. On pourrait aussi songer à considérer les deux termes au singulier, et à voir dans le second une apposition du premier. En ce cas, il s’agirait uniquement de l’Envoyé de la Lumière bienfaisante qui reparaît au paragraphe suivant. Le « grand Saint » paraît être le Père de la Grandeur (cf. infra, p. 586, n. 2).
- ↑ Nous comprenons que les personnages [ou le personnage] en question sont arrivés au sommet de la muraille d’enceinte très élevée, et regardent en bas à l’intérieur de la ville. On se rappellera que la fumée et le brouillard sont au nombre des « membres » du démon.
- ↑ Tous ces ornements paraissent se rattacher aux préceptes manichéens relatifs à l’ornement des défunts, et d’autre part à la croyance que le Sage conducteur et les divinités qui l’accompagnent viennent aussi apporter aux morts des parures. Cf. Flügel, Mani, p. 100, 339 et suiv. ; Kessler, Mani, p. 233, 238. Les cinq Phervardaghân dont parle Flügel (p. 339) sont peut-être à rapprocher des cinq anges collecteurs d’âmes que mentionnent dans le soleil et dans la lune les textes pehlvi de Tourfan (cf. Müller, Handschr., p. 38, 39). Il pourrait bien s’agir d’une conception analogue dans le 11e paragraphe du Khuastuanift (von Le Coq, Khuastuanift, l. 224-229), d’ailleurs assez obscur, et pour lequel les traductions proposées ne paraissent que des pis aller.
- ↑ Il doit s’agir ici de la « colonne de louange » qui, selon le Fihrist (cf. Flügel, Mani, p. 90, 100), menait les éléments lumineux des morts vers la sphère de la lune ; à la « colonne de louange » du Fihrist répond dans Šahrastâni la « colonne de l’aurore » (cf. Flügel, Mani, p. 228-229), et Kessler, (Mani, p. 311, 312, 368) croit que cette dernière leçon est meilleure. Les Acta Archelai donnent une traduction différente (chap. 8, p. 13) : τῆς οὖν σελήνης μεταδιδούσης τὸν γόμον τῶν ψυχῶν τοῖς αἰωσι τοῦ πατρός, παραμένουσιν ἐν τῷ στύλῳ τῆς δόξης, ὅς καλεῖται ἀὴρ ὁ τέλειος. ὁ δε ἀὴρ οὗτος στύλος ἐστὶ φωτός, ἐπειδὴ γέμει ψυχῶν τῶν καθαριζομένων, αὔτη ἐστὶν ἡ αἰτία, δι’ ἦς αἱ ψυχαὶ σώζονται (la traduction latine est défigurée par une fausse lecture ἀνήρ au lieu de ἀήρ ; Épiphane reproduit la version des Acta Archelai. Il apparaît donc, quelle que soit l’épithète exacte de la « colonne », que les Acta Archelai y voient le domaine suprême de la lumière, au lieu que le Fihrist et Šahrastâni n’en font que la première étape de la libération. Notre texte est en faveur de cette dernière conception. Toutefois, il faut noter que le Fihrist et Šahrastâni ignorent les « trois roues » (cf. supra, p. 516, n. 3), que Théodore bar Khôni, qui connaît les trois roues, ne nomme pas la colonne de gloire, et que les Acta Archelai, qui connaissent une roue au moins comme première étape de la libération des âmes, mettent la colonne de gloire au terme de l’œuvre de salut. Seul notre texte paraît placer le rôle des trois roues et celui de la colonne de gloire au seuil de la libération de la lumière. Nous manquons d’éléments nécessaires pour résoudre actuellement cette difficulté. Des colonnes (‘istûn) jouent dans les textes pehlvi de Tourfan (Müller, Handschr., p. 40-41) un rôle cosmogonique qui reste jusqu’à présent obscur ; mais elles ne paraissent avoir rien à faire avec la libération des âmes ; elles rappellent plutôt les « colonnes inégales » de la terre de l’obscurité dans le Fihrist (Flügel, Mani, p. 94).
- ↑ Sur ce passage, et les difficultés qu’il présente pour l’identification de Sien-yi, cf. supra, p. 519, n. 3.
- ↑ Ce nom ne peut être qu’une autre appellation de l’Envoyé de la Lumière bienfaisante.
- ↑ Pour un aperçu des horreurs de la terre de l’obscurité, avec ses abîmes, ses failles, ses marais, cf. Flügel, Mani, p. 94 ; les « quinque terrae pestiferae » sont également décrites dans saint Augustin (Contra Epistulam Fundamenti, chap. 15, éd. Migne, col. 184).
- ↑ Le second caractère [texte chinois] n’est qu’une variante anormale de [texte chinois] ki.
- ↑ [texte chinois] wei-chen, mot à mot « surnaturalité majestueuse ».
- ↑ Sur les arbres de mort et les arbres de vie, cf. supra, p. 528 n. 2. Le texte est évidemment altéré. Il faut lire : « Quand l’Envoyé de la Lumière bienfaisante eut fait les cinq libéralités, il abattit et enleva les cinq sortes d’arbres empoisonnés et mauvais. Il commença par chasser la pensée obscure non lumineuse dont il abattit et enleva l’arbre de la mort ; la racine de cet arbre est la haine… »
- ↑ Au lieu de [texte chinois] fen-tchö, il faut lire [texte chinois] fen-si, qu’on retrouve correctement infra, p. 576.
- ↑ Au lieu de [texte chinois] kiu-houei, il faut lire [texte chinois] kiu-wei.
- ↑ Au lieu de [texte chinois] tseng-chang, il faut lire [texte chinois] tseng-chang, comme infra, p. 677.
- ↑ Cette phrase ne peut être qu’une interpolation. Au lieu de [texte chinois] houei, il faut lire [texte chinois] houei.
- ↑ [texte chinois] kong-kao. Notre traduction est hypothétique ; le premier caractère paraît fautif, mais nous ne voyons pas de correction qui s’impose.
- ↑ Au lieu de [texte chinois] man-touen, lire [texte chinois] man-touen.
- ↑ [texte chinois] kou-ying ; l’expression est toute faite, et signifie « s’admirer soi-même ».
- ↑ Le texte a un caractère de trop ; il faut sans doute supprimer [texte chinois] yi.
- ↑ [texte chinois] mei-tchong. Le premier caractère est écrit [texte chinois], forme fréquente de mei dans les manuscrits des T’ang ; on la retrouve dans l’inscription de Si ngan-fou ; peut-être cependant faut-il lire [texte chinois] sien ; le sens n’en est pas beaucoup changé. La « multitude » désigne la multitude des croyants.
- ↑ [texte chinois] wei-yi. Ce terme existe dans le bouddhisme, où il désigne les rites, le karman ou karmavacana ; cf. les titres de Nanjio), Catalogue of the Buddhist Tripiṭaka, nos 1126, 1145, 1164.
- ↑ Il manque un caractère pour le rythme de la phrase ; il faut sans doute ajouter [texte chinois] ngai ou [texte chinois] lo, et traduire : « Son goût est d’aimer à discourir sur la Loi correcte et pure. »
- ↑ Les hymnes et les actes pieux libèrent la lumière et la font monter le long de la colonne de louange ; cf. Flügel, Mani, p. 90, 282.
- ↑ On retrouvera ce membre de phrase dans le fragment manichéen de la Bibliothèque nationale.
- ↑ [texte chinois] pao-tchou. La perle dite « lune claire » est nommée dans l’inscription de Si-ngan-fou (cf. Legge, Christianity in China, p. 12-13). Elle y est associée à l’« anneau qui brille la nuit » ; il en était déjà de même dans le Heou han chou (cf. T’oung Pao. II, viii, 181), et dans la notice du Wei lio sur le Ta-ts’in.
- ↑ [texte chinois] kiao-ts’ing. Notre traduction est hypothétique. Nous avons songé a un produit dans le genre du vernis copal.
- ↑ [texte chinois] ki-tche. L’expression rappelle le töz yiltiz, « base et racine », qui revient plusieurs fois dans le Khuastuanift (cf. l’index de von Le Coq, Khuastuanift).
- ↑ [texte chinois] san-kiai. L’expression, usuelle dans le bouddhisme, y traduit trailokya. Mais nous ne connaissons pas « trois mondes » dans le manichéisme.
- ↑ [texte chinois] po-ts’ien. C’est là la traduction correcte. Mais, dans le bouddhisme, po-ts’ien s’emploie souvent au lieu de [texte chinois] che-wan pour 100 000, traduisant littéralement çatasahasra (cf. par exemple les titres de Nanjio, Catalogue, nos 503, 1457) ; peut-être est-ce aussi le cas ici.
- ↑ [texte chinois] tsing’-t’ou. Cette expression s’applique bien à la terre de pureté et de lumière où séjourne définitivement la lumière dégagée de l’obscurité. Mais le terme même est emprunté au bouddhisme, où tsing-t’ou répond à la Sukhāvatī occidentale, c’est-à-dire au paradis d’Amitābha. Il n’est pas sûr, d’ailleurs, que les conceptions de la Sukhāvatī et d’Amitābha se soient développées à l’écart de toute influence iranienne.
- ↑ Sur les trois jours et les deux nuits, cf. supra, p. 540-545.
- ↑ [texte chinois] cheng-siang che-eul ta-wang ; il nous paraît qu’il faut garder ici le siang du texte, avec sa valeur de « forme ». Les douze rois ont déjà été mentionnés supra, p. 543. Le Fihrist (cf. Flügel, Mani, p. 87) nomme les « douze éléments » du roi du Paradis de la Lumière (c’est-à-dire du Père de la Grandeur) comme ayant contribué à la formation de l’Homme primitif ; ailleurs, il dit (p. 94) que le Dieu de la terre de Lumière « a douze Dominations, qui s’appellent les Premiers nés, et dont les formes sont semblables à sa forme ». Flügel (Mani, p. 184-185, 276-277) doute qu’il soit possible de rapprocher les « douze éléments » des « douze Dominations » ; peut-être a-t-il raison, mais cela ne nous paraît pas évident. Saint Augustin (Contra Epistulam Fundamenti, chap. 13, éd. Migne, col. 102) cite un passage de l’Epistula Fundamenti de Mâni où il est dit : « Per quos etiam duodecim membra luminis sui comprehendit… » Et dans le Contra Faustum (l. 15, chap. 5, éd. Migne, col. 307-308), on lit : « Sequeris enim cantando, et adjungis duodecim saecula floribus convestita, et canoribus plena, et in faciera patris flores suas jactantia. Ubi et ipsos duodecim magnos quosdam deos profiteris, ternis per quatuor tractus, quibus ille unus circumcingitur. » Même si on doit laisser de côté ici les « douze éléments » et les « douze membres », il semble bien que les « douze Dominations » et les « douze Éons » (saecula) correspondent aux « douze grands rois à la forme victorieuse » de notre texte. Enfin ce pourrait bien être eux les « douze Dominants » qui, dans le Škand-gumânik Vižâr, font apparaître les [douze] filles du Temps devant les archontes mâles (cf. Salemann, Ein Bruchstük, p. 19) ; M. Cumont (Cosmogonie, p. 35) paraît identifier les « douze Dominants » aux douze vierges elles-mêmes ; il ne nous semble pas que ce soit exact.
- ↑ [texte chinois] che-eul ts’eu-houa ming-wang ; on pourrait aussi comprendre : « … des transformations secondaires » ou « successives ». Nous ne savons quels sont ces douze rois.
- ↑ [texte chinois] cheng-siang ; nous gardons ici siang, au sens de « forme ».
- ↑ [texte chinois] Yi-chou (*’I-s’u) ; c’est sûrement la transcription de Yišô, Jésus. Il ne saurait être question d’étudier ici le rôle de Jésus dans le manichéisme. Aux informations de Baur, il faudra joindre les mentions de Jésus dans les textes pehlvi de Tourfan (cf. Müller, Handschr., à l’index) et les renseignements de Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 191-193 ; Cumont, Cosmogonie, p. 46-49). Du texte de Théodore bar Khôni, il faut rapprocher le passage du Fihrist sur la mission de Jésus auprès d’Adam (Flügel, Mani, p. 91 ; cf. aussi p. 254-258, 284-285, 358-351). Les manichéens distinguaient deux Jésus, le Crucifié et une sorte de Jésus transcendant ; c’est peut-être à ce second Jésus que s’applique dans notre texte la qualification de « forme victorieuse » ; le reste de la phrase viserait le rôle secourable que le Fihrist et même Théodore bar Khôni lui font jouer auprès d’Adam.
- ↑ [texte chinois] wei-t’ou. Il semble bien que cette expression ait été frappée comme la contre-partie de [texte chinois] tsing-t’ou, « terre pure », dont il a été parlé supra, p. 565, n. 3.
- ↑ « Treize » paraît une faute de texte pour « douze ».
- ↑ [texte chinois] wei-miao.
- ↑ Les mots [texte chinois] sont certainement altérés. Il est probable qu’il faut lire [texte chinois]. Ces Chouo-t’ing (Khroštag) et Houan-ying (Padvakhtag)… »
- ↑ Ce sont là les douze vierges que les Acta Archelai appellent (chap. 13, p. 21) οἱ δώδεκα κυβερνῆται, et qui sont considérées comme les pilotes du bateau du soleil (cf. Cumont, Cosmogonie, p. 35) ; toutefois le texte grec des Acta Archelai est bizarrement construit, et la traduction latine en est ici très infidèle.
- ↑ Au lieu de [texte chinois] yu, il faut lire [texte chinois] yu.
- ↑ Il manque un mot pour le rythme de la phrase ; il faut sans doute ajouter 婬 yin devant 慾 yu.
- ↑ Il semble que ce soit Tsing-fong, l’Esprit Vivant.
- ↑ 惠明相者 houei-ming siang-tcho ; nous laissons à siang sa valeur de « forme ». Ces douze « formes » répondent aux douze Vierges qui sont énumérées par Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 189) comme des créations ou évocations du Messager. Elles figurent également dans les textes pehlvi de Tourfan, en une liste des douze Dominations (šaḥrdârêft) [cf. Müller, Handschr., p. 44]. La liste de M. Müller a été reprise par M. Salemann (Manich. Studien, p. 8), et M. Cumont (Cosmogonie, p. 35) l’a comparée à celle de Théodore bar Khôni. La liste de Théodore bar Khoni donne : 1o Royauté ; 2o Sagesse ; 3o Victoire ; 4o Persuasion ; 5o Pureté ; 6o Vérité ; 7o Foi ; 8o Patience ; 9o Droiture ; 10o Bonté ; 11o Justice ; 12o Lumière. La liste pehlvi, reprise par M. Salemann et approuvée par M. Nöldeke, donne : 1o Herrlichkeit ; 2o Einsicht ; 3o Erlöstheit ; 4o Zufriedenheit ; 5o Herrlichkeit ; 6o Wahrheit ; 7o Glaubensgenossenschaft ; 8o Langmut ; 9o Gerechtigkeit ; 10o Gute Handlung ; 11o Gut… ; 12o Licht. Enfin la liste chinoise indique : 1o Grand roi ; 2o Sagesse ; 3o Victoire constante ; 4o Joie ; 5o Zèle religieux ; 6o Égalité ; 7o Foi ; 8o Endurance des injures ; 9o Pensée droite ; 10o Actions méritoires ; 11o Cœur uniforme ; 12o Lumière totale du dedans et du dehors ; mais il faut remarquer immédiatement que, dans la suite du texte, l’Égalité est remplacée comme sixième forme par la Vérité, qui est certainement la leçon originale du texte. Si on met maintenant en parallèle les trois listes, on voit qu’elles cadrent à peu près complètement. Toutefois, la liste Salemann-Noldeke reproduite par M. Cumont contient le même nom comme premier et cinquième terme ; le premier nom pehlvi, Šahrdareft, signifie bien sûrement Royauté, Domination ; quant au cinquième, Abrang, si le mot est bien expliqué par M. Salemann, il faut peut-être le rendre plutôt par Éclat, Majesté, mais il ne répond alors aucunement à la Pureté et au Zèle religieux des textes syriaque et chinois.
- ↑ 平等 p’ing-teng ; c’est là une vieille expression bouddhique, dont nous aurons à reparler plus loin (p. 584, n. 1). Mais dans la liste des « douze formes » de la Lumière bienfaisante, elle a usurpé la place de 眞實 tchen-che, la Vérité, qui correspond aux autres listes, et qui est bien donnée au lieu de p’ing-teng quand la liste est reprise en détail dans la suite du texte.
- ↑ 幕闍 mou-chö (*mu-ž’a). Le mot va reparaître plusieurs fois dans la suite ; il désigne évidemment un des degrés supérieurs de la hiérarchie sacerdotale. Ce titre s’était déjà rencontré dans un texte du Ts’ö fou yuan kouei relatif à la venue en Chine, au cours de l’année 719, d’un « grand mou-chö » du Tokharestan (cf. Chavannes, Le nestorianisme, J. A., janvier-février 1897, p. 45-50), et dans l’inscription de Karabalgasoun (cf. Schlegel, Die chinesische Inschrift, p. 66-69). Tout naturellement, et comme la lettre même des passages en question invitait à le faire, on avait vu alors dans mou-chö un nom d’homme. Nous n’insistons pas ici sur ces textes, qui seront repris dans la seconde partie de notre travail. On sait que la hiérarchie sacerdotale manichéenne, fidèle aux répartitions quinaires de tout le système, comprenait cinq degrés ; ils sont énumérés dans la formule grecque d’abjuration (Kessler, Mani, p. 405) : διδασκάλους καὶ ἐπισκόπους καὶ πρεσβυτέρος καὶ ἐκλεκτοὺς καὶ ἐκλεκτὰς καὶ ἀκροατὰς καὶ μαθητάς… « maîtres, évêques, prêtres, élus (et élues), auditeurs (et élèves) » ; le Fihrist (cf. Flügel, Mani, p. 95, 293-299) les connaît également. Enfin il faut citer ici le De haeresibus de saint Augustin, chap. 46 (éd. Migne, col. 38) : « Propter quod etiam ipse Manichaeus duodecim discipulos habuit, ad instar apostolici numeri, quem numerum Manichaei hodieque custodiunt. Nam ex Electis suis habent duodecim, quos appellant magistros, et tertium decimum principem eorum : episcopos autem septuaginta duos, qui ordinantur a magistris ; et presbyteros, qui ordinantur ab episcopis. Habent etiam episcopi diaconos. Jam caeteri tantummodo Electi vocantur. » Nous aurons à revenir sur cette hiérarchie dans la deuxième partie de ce mémoire. Pour l’instant, il nous est impossible de dire à quel degré correspond le titre de mou-chö ; les restitutions phonétiques qui se sont offertes à notre esprit nous paraissent trop hypothétiques pour qu’il vaille de les mentionner actuellement. En tout cas, il n’y a rien à retenir de l’hypothèse du P. Heller (Das nestorianische Denkmal), p. 50, 62) qui veut voir, dans mou-chö, Timotheus. — [Les mou-chö dont il est question ici, dans l’inscription de Karabalgasoun et ailleurs, ne peuvent guère être que des « maîtres », des « religieux éminents » ou des « missionnaires ». Dès lors il sera permis d’émettre à leur sujet une hypothèse. On a pu constater au long de ce travail et aussi à propos de l’étude publiée dans le J. A. sur Quelques termes techniques bouddhiques et manichéens (juillet-août 1911, p. 57 et suiv.) que les transcriptions chinoises sont faites avec une justesse remarquable et suivant des règles qui apparaissent dès maintenant comme assez fixes, bien qu’il s’en faille encore qu’on les ait toutes déterminées : la notation mou-chö doit donc donner une représentation sensiblement exacte de l’original iranien. Or *mōże, s’il n’est pas attesté aujourd’hui en persan sous cette forme, a dû exister en pehlvi, ou du moins a fort bien pu s’y trouver : c’est en effet pour la forme le substantif correspondant au verbe persan āmōzaδ « il enseigne, il apprend », pehlvi āmōžēt écrit āmōčēt, auquel il se rattache comme l’emprunt arménien amič (pehlvi *āmēž) « condiment » à pers. āmēzaδ « il mêle » par exemple. Son sens serait donc celui de « maître », διδασκάλος, c’est-à-dire qu’il recouvrirait l’une des désignations favorites des grands personnages du clergé manichéen, l’une des dénominations qui sont précisément caractéristiques des hauts dignitaires de la religion fondée par Mâni. — R. G.]
- ↑ 拂多誕 fou-to-tan (*fhwyt [ou fhwyr]-ta-dan). Ici encore, il doit s’agir d’un des titres supérieurs de la hiérarchie manichéenne ; mais la transcription prête à plusieurs restitutions possibles, et toutes sont encore trop problématiques pour que nous en voulions faire état ici. Le titre de fou-to-tan s’est rencontré lui aussi antérieurement dans un texte où il semblait être un nom d’homme : c’est « un Persan Fou-to-tan » qui, en 694, apporta en Chine la religion du Livre des deux Principes (cf. Chavannes, Le nestorianisme, dans J. A., janvier-février 1897, et la deuxième partie de ce mémoire). — [Le mot que les Chinois ont transcrit fou-to-tan n’est décidément pas plus un nom de personnage que mou-chö auquel il est constamment joint dans le texte étudié ici et avec lequel il a ceci de commun qu’il a désigné lui aussi les premiers et les plus importants missionnaires du manichéisme en Chine. Sa transcription est fort intéressante : on se trouve en présence de quelque chose qui est très près de *fur-ta-dan et qui, par conséquent, est fait pour attirer l’attention ; un original pehlvi de cette forme est, en effet, impossible. D’après ce que l’on a vu jusqu’ici, la sonorisation des anciennes sourdes apparaît comme dûment accomplie dans tous les emprunts faits par le chinois du texte ci-dessus au pehlvi ; nous savons d’ailleurs par les documents de Tourfan que c’était là une chose faite dès le iiie siècle de notre ère. Dès lors le t de ta, qui est assuré, atteste que nous avons affaire à une transcription non pas de *fur-ta- ou de *fura-ta, mais de *fur(a)-staou de fur(a)-šta-. Et en ce cas il est une explication qui se présente immédiatement à l’esprit et que nous énoncerons, à titre d’hypothèse bien entendu : fraštay- est, en effet, la désignation propre de la (bonne) doctrine dans l’Avesta, et nous savons, par les précieux textes pehlvis de Tourfan, qu’un mot tel que *frašta- était prononcé *furašta- : on y trouve par exemple ’fwrym, « nous louons », à côté de ’frywn, « louange » (cf. Salemann, Manich. St., I, s. v.). La graphie chinoise *fur-ta a tout l’air de représenter *fur(as)ta-, « la doctrine ») (cf. pour le sens et la survivance du terme s. v. אאפראה dans le Lexique des Manich. Stud. de M. Salemann), et -*dan ne peut plus être alors que le second terme d’un composé, le pehlvi -*dân, « qui sait », « qui connaît » : fou-to-tan serait *furašta-dān, « celui qui sait la doctrine », donc au moins un ἐκλεκτός, sinon davantage. Cette désignation rentrerait elle aussi à merveille dans le système manichéen qui distingue tant de degrés d’initiation et oppose avec tant de netteté ceux qui connaissent la doctrine entière et secrète à ceux qui ne la possèdent pas ou seulement en partie. Ce nom s’accorderait bien en outre avec celui de mou-chö « maître » et l’on comprendrait pourquoi les grands propagateurs du manichéisme en Chine et en Asie centrale ont été soit des mou-chö « διδάσκαλοι », soit des fou-to-tan, des « initiés complets ». — R. G].
- ↑ Il manque un caractère pour le rythme de la phrase. Sans doute le mot fleur était primitivement suivi du signe de la répétition, qui est tombé soit dans notre manuscrit, soit seulement dans l’édition de M. Lo Tchen-yu.
- ↑ 化佛 houa-fo. Nous ignorons la valeur technique que peut avoir cette expression. On sait que Mâni reconnaissait le Buddha comme un des Envoyés de la Lumière qui étaient venus avant lui ; mais il doit s’agir ici d’autre chose. Le Khuastuanift emploie à diverses reprises le mot burkhan, qui est l’équivalent de Buddha, et, dans un certain nombre de cas, en particulier quand le mot burkhan est accompagné de yalavači, il semble qu’on entende par là les divers Envoyés de la Lumière (cf. von Le Coq, Khuastuanift, à l’index, et Müller, Uigarica, II, 21, 22 ; Radlov, Nachträge, p. 877, 878) ; Zoroastre (Zrušč) est aussi toujours qualifié de burkhan dans von Le Coq, Ein manich. uigur. Fragment, p. 400-401). La mention de la naissance dans les fleurs rappelle de nombreux textes et monuments figurés du bouddhisme.
- ↑ Mâni, à ce qu’il semble, prescrivait à ses adeptes de voyager toujours. Albirûnî dit (Chronology, trad. Sachau, p. 190) que Mâni ordonnait à ses adhérents « d’errer continuellement dans le monde, prêchant ses doctrines et guidant les gens dans la voie droite ». M. de Stoop (Essai, p. 35, n. 2) explique par là qu’aucun dignitaire de l’Église manichéenne ne nous soit désigné avec sa résidence. Kessler, (Mâni, p. 319) fait remarquer que si la remarque isolée d’Albîrûni est exacte, Mâni doit avoir emprunté ce précepte au bouddhisme, dont les moines errants seraient le prototype des Élus voyageurs. Toutefois il faut noter que les moines bouddhiques ne devaient voyager que neuf mois et avaient, pour la saison des pluies, une retraite de trois mois ; c’est peut-être à une retraite analogue que répond le « mois de jeûne » des Manichéens, connu par le Fihrist (cf. Flügel, Mani, p. 97, 325) et par le Khuastuanift (cf. von Le Coq, Khuastuanift, p. 296). Il ne faudrait pas cependant prendre trop au pied de la lettre la théorie de M. de Stoop. Nous savons que le chef de la religion manichéenne résidait en Mésopotamie, et la question des sièges est un peu liée à celle des temples, dont l’existence est déniée par les sources occidentales, mais attestée aujourd’hui par maintes preuves ; nous reviendrons sur ce sujet dans la seconde partie.
- ↑ [texte chinois] ts’in-che. C’est une expression hybride, dont le second élément, che, « donner », est seul vraiment chinois. L’autre mot, pour lequel on rencontre aussi les formes [texte chinois], [texte chinois] et [texte chinois], est une transcription abrégée du sanscrit dakṣiṇā, qui signifie « aumône » (cf. Watters, Essays on the Chinese language, p. 415). Il est curieux de voir ce texte chinois manichéen employer une expression à demi sanscrite, d’origine bouddhique, au lieu que les documents turcs, aussi bien manichéens que bouddhiques, donnent le mot puši, où M. Müller a reconnu justement une transcription de la véritable expression chinoise [texte chinois] pou-che, « donner, faire l’aumône, aumône » (cf. par exemple von Le Coq, Khuastuanift, p. 290, 296, 298, où le texte distingue « sept sortes d’aumônes » qui ne nous sont pas connues par ailleurs).
- ↑ Les religieux manichéens n’avaient pas le droit d’avoir une maison pour eux seuls. C’est ce qui est sans doute exprimé par les Acta Archelai (chap. 10, p. 16) : εἰ δέ τις οἰκοδομεῖ ἑαυτῷ οἰκίαν, διασπαραχθήσεται εἰς τὰ ὅλα σώματα, « Qui autem aedificaverit sibi domum, dispergetur per omnia corpora. »
- ↑ Il a déjà été question une fois (cf. p. 542) de l’observation des défenses [texte chinois] tch’e-kiai, qui est le terme usuel du bouddhisme chinois). Le manichéisme avait son décalogue, tout comme le bouddhisme d’ailleurs. Ces dix « préceptes » ou « défenses » sont énumérés dans le Fihrist (cf. Flügel, Mani, p. 95, 299-301). Il en est question à plusieurs reprises dans le Khuastuanift, qui les désigne sous le nom de čaχšapat, emprunté du sanscrit çikṣāpada qui désigne les dix préceptes bouddhiques (cf. Müller, Uigarica, I, 46). Le Khuastuanift (p. 292) divise les dix préceptes en « trois pour la bouche, trois pour le cœur [= la pensée], trois pour la main, et un pour tout le corps ». De façon analogue, les bouddhistes répartissent les dix sortes d’actions bonnes et mauvaises, répondant aux dix préceptes, en trois pour le corps, quatre pour la parole (ou la bouche) et trois pour la pensée (cf. Bukkō jiden, [texte chinois] et aussi Chavannes, Cinq cents contes, I, 37). La division manichéenne doit se rattacher à la théorie des « trois sceaux » de la bouche, des mains et du cœur (signacula oris, manuum et sinus) qui jouent un si grand rôle dans la doctrine de Mâni (cf. Flügel, Mani, p. 95, 289-291 ; Baur, Das manich. Relig., p. 248 et suiv. ; Müller, Handschr., p. 63 ; von Le Coq, Khuastuanift, p. 298). M. Müller (p. 63) s’est borné à rapprocher les « trois sceaux » manichéens de la série « corps, parole et pensée » (kāya-vâk-citta) du bouddhisme, ce qui était fort légitime. M. Cumont (Cosmogonie, p. 52) a cru pouvoir aller plus loin, et admet la vraisemblance d’un emprunt du manichéisme au bouddhisme. Ceci n’est pas impossible, mais le seul rapprochement des termes ne suffit pas à faire admettre cette hypothèse. La véritable série bouddhique mentionne le « corps » et non la « main » ; la forme donnée par Eitel (Handbook, s. v. yoga) et que rappelle à bon droit M. Müller, est peut-être tardive, et en tout cas aberrante. D’autre part, la division tripartite en pensée, parole, action, qui est à la base des trois sceaux, est toute naturelle, et peut s’expliquer sans emprunt. En tout cas, elle a été connue du mazdéisme, et se rencontre entre autres dans le Grand Bundeheš : « La mauvaise pensée, la mauvaise parole, la mauvaise action luttent contre la bonne pensée, la bonne parole, la bonne action » (Blochet, dans Rev. Hist. des Relig., XXXII, 111). Il nous semble donc qu’il faut actuellement réserver notre jugement sur l’origine des signacula du manichéisme.
- ↑ Le Khuastuanift n’est autre que le Confiteor des Auditeurs manichéens. On trouvera dans Müller, Uigurica, II, p. 76 et suiv., 84 et suiv., des pièces analogues d’origine bouddhique.
- ↑ 論難 louen-nan. Le texte a un mot de trop ; il faut sans doute supprimer nan.
- ↑ Le texte a 口羙, ce qui devrait correspondre à 羙, plus la clef de la bouche. Mais ce caractère n’existe pas ; nous lisons 口羨 sien 羨 sien ; cf. supra, p. 562, n. 1.
- ↑ Le texte a 但聖 tan-cheng, qui n’est guère satisfaisant. Nous admettons que tan a été amené par sa présence au début du paragraphe suivant, et lisons en place 諸 tchou.
- ↑ Sur cette prescription, cf. Albirûni (Chronology of ancient nations, trad. Sachau, p. 190) : « Il leur défendit de rien posséder, à l’exception de la nourriture pour un jour et du vêtement pour une année ». Le manichéen Faustus dit qu’il est « quotidiano contentus cibo » (saint Augustin, Contra Faustum, l. 5, chap. 1, éd. Migne, col. 219). Deux des épîtres de Mâni (nos 58 et 66) paraissent avoir porté sur la défense de posséder (cf. Kessler, Mani, p. 236). Le renseignement d’Albirûni se retrouve dans Ibn al-Murtaḍâ et dans Abu’lma‘âlî (cf. Kessler, Mani, p. 354-372). Les textes pehlvi de Tourfan ont donné la même information, mais avec une nuance, car ils mentionnent « l’habit pour un an et le déjeuner et le repas pour un jour » (cf. Müller, Handschr., p. 33, corrigé p. 111, et Salemann, Manich. Stud., p. 103) ; il y avait donc une légère collation le matin. L’unique repas par jour a été aussi remarqué par les Chinois comme une des caractéristiques de la religion manichéenne, car il faut décidément traduire [texte chinois] par « ils ne manquent que le soir » dans le texte du Sin t’ang chou étudié dans le Journal asiatique de janvier-février 1897 (Chavannes, Le nestorianisme, p. 68), et sur lequel nous reviendrons dans la deuxième partie du présent travail. La coutume manichéenne devait paraître d’autant plus singulière que les religieux bouddhistes ne devaient bien, eux aussi, faire qu’un repas par jour, mais qu’il leur était défendu de le prendre après midi (cf. par exemple Kern, Hist. du bouddhisme, II, 17). Notre texte permet de voir que la règle stricte de Mâni qui défendait à ses adeptes de rien posséder n’était plus acceptée sans difficultés.
- ↑ [texte chinois] king-louen. Dans le bouddhisme, ces mots désignent les sūtra et les çāstra.
- ↑ [texte chinois]. Notre traduction de cette phrase obscure est hypothétique.
- ↑ Le texte a pour [texte chinois] tcheng une forme anormale.
- ↑ Les manichéens se faisaient une règle d’un extérieur humble et affable. Cf. ce que dit saint Augustin (De duabus animabus, chap. 9, éd. Migne, p. 102) : « Sed me duo quaedam maxime, quae incantam illam aetatem facile capiunt, per admirabiles [ou amicabiles] attrivere circuitus ; quorum est unum familiaritas, nescio quomodo repens quadam imagine bonitalis, tanquam sinuosum aliquod vinculum multipliciter collo involutum. » Et encore (Contra Faustum, l. 5, chap. 1, éd. Migne, col. 219) : « Faustus dixit… : “Vides pauperem, vides mitem, vides pacificura, puro corde, lugentem, esurientem, sitientem, persecutiones et odia sustinentem propter justitiam ; et dubitas utrum accipiam Evangelium ?” »
- ↑ Nous avons supprimé dans notre traduction le mot [texte chinois] pa wei visiblement interpolé.
- ↑ [texte chinois] tsan-pai. C’est encore une expression hybride, dont le premier terme seul est chinois, tsan, « hymne ». Le second mot est une transcription du sanscrit pâtha (cf. Watters, Essays on the Chinese language, p. 425).
- ↑ C’est là le véritable nom de la sixième « forme » ; dans la liste générale, il a été indûment supplanté par l’Égalité (cf. supra, p. 569, n. 1).
- ↑ [texte chinois] tsiu-tsö. L’expression se retrouve à la fin de l’inscription de Si-ngan-fou.
- ↑ Le texte a [texte chinois]. ce qui fait un mot de trop. L’expression souei-hi est empruntée au bouddhisme, et répond au préfixe sanscrit anu° + joie. Le mot chan a été évidemment introduit par erreur à cause de sa ressemblance avec hi ; nous n’en avons pas tenu compte dans notre traduction.
- ↑ Nous n’avons pas de renseignements sur ces quatre sortes de fautes.
- ↑ La forme anormale donnée dans le texte ne peut être que l’équivalent de [texte chinois] tsi, « rassembler ».
- ↑ Au lieu de [texte chinois] kiao-houei, lire [texte chinois] kiao-houei.
- ↑ Ce « chef de la religion » est celui que le Fihrist appelle l’imâm (cf. Flügel, Mani, p. 97-98, 105-107, 316-322, 404-405) son siège était à Babylone. On a vu plus haut (cf. supra, p. 569, n. 2) que saint Augustin mentionne dans le manichéisme « duodecim, quos appellant magistros, et tertium decimum principem eorum ». Ce [texte chinois] fa-tchou, « chef de la religion », est le même dignitaire que l’inscription de Karabalgasoun appelle [texte chinois] fa-wang, « roi de la « religion » (cf. Schlegel, Die chinesische Inschrift, p. 64) ; les deux noms peuvent se justifier, et il est difficile de dire a priori si l’un est une altération graphique de l’autre. Schlegel (p. 64) a voulu voir, dans le « roi de la religion » de Karabalgasoun, le titre qu’on retrouve, donné à A-lo-pen, dans l’inscription nestorienne de Si-ngan-fou, et l’identifie au titre de « pape de Chine » qu’aurait porté Adam, l’auteur de l’inscription. Mais ce soi-disant « pape de Chine », comme l’a montré le P. Heller (Das nestorianische Denkmal, p. 42-43, 61, 62), n’a jamais existé. De plus, l’inscription de Si-ngan-fou porte fa-tchou et [texte chinois] ta-fa-tchou, « chef de la religion » et « grand chef de la religion », mais non pas, comme le dit Schlegel, « roi de la religion » (cf. Havret, Stèle chrétienne, I, p. xliv, lxxi). Dans le corps même de l’inscription, il s’agit seulement d’un titre conféré en Chine par l’empereur au religieux A-lo-pen, mais non pas de celui porté par le patriarche nestorien. Toutefois, à la fin de l’inscription, il est question du « religieux chef de la religion [texte chinois] Ning-chou », qui « dirige les assemblées brillantes de la région orientale », et dans lequel on a vu le patriarche nestorien Mar Hnanišo mentionné par la partie syriaque ; c’est possible, mais il y a à cette solution des difficultés qui n’ont pas été examinées, et la question méritera d’être reprise. Dans le petit texte nestorien intitulé Éloge de la Sainte Trinité, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale, les prophètes, les apôtres et les évangélistes sont uniformément appelés fa-wang, « rois de la religion ».
- ↑ [texte chinois] t’ing-tchö. Le mot a ici sa valeur technique. Cf. saint Augustin, Epistularum, cl. VII, no ccxxxvi, éd. Migne, t. XXXVI, col. 1033 : « Auditores autem qui appellantur apud eos, et camibus vescuntur, et agros colunt, et, si voluerunt, uxores habent ; quorum nihil faciunt qui vocantur Electi. » Les textes pehlvi de Tourfan appellent les Auditeurs nigôšâg (ou niyôšâg) [cf. Müller, Handschr., p. 32, 54, 85, 86, et Salemann, Manich. Stud., p. 97] ; dans les textes turcs, le mot a passé sous la forme niγošak (cf. von Le Coq, Khuastuanift, p. 291, 298).
- ↑ Le texte a [texte chinois] tiao-houei, où le second caractère est sûrement fautif.
- ↑ Au lieu de [texte chinois] fei, lire [texte chinois] fei.
- ↑ Les pères de l’Église ont souvent accusé les manichéens d’inhumanité ; cette inhumanité est même formellement dénoncée dans la formule grecque d’abjuration. Kessler (Mani, p. 363) dit que ce reproche n’est pas fondé, et que, si pour ne pas en faire perdre les parcelles de lumière que peuvent seuls dégager les croyants, les manichéens ne voulaient pas donner d’eau et de pain aux infidèles, ils leur faisaient de larges aumônes en argent, etc. Ce n’est pas absolument sûr. Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 184) dit aussi des manichéens qu’ils « n’ont pas de pitié ». Et sans doute il s’agit d’un auteur chrétien lui aussi, mais notre texte, qui, lui, est purement manichéen, montre que la vertu de pitié, si grandement célébrée quelques pages plus haut, ne devait s’appliquer qu’aux adeptes de Mâni.
- ↑ [texte chinois] p’ing-teng-wang. La présence de ce personnage est tout à fait surprenante. Il a été question plus haut (cf. supra, p. 549, n. 5) du Sûtra des dix rois, œuvre apocryphe qui doit remonter au xe siècle. Ces dix rois des enfers sont aujourd’hui très populaires dans tout l’Extrême-Orient (cf. Chavannes, Le T’ai-chan, p. 95-96, 111), et leur histoire méritera d’être étudiée dans une monographie spéciale. Qu’il nous suffise de remarquer ici que le Roi de l’Égalité est le huitième d’entre eux. L’expression de p’ing-teng, « égalité », que nous avons vu remplacer abusivement la Vérité dans l’énumération des douze « formes » de la Lumière bienfaisante (cf. supra, p. 669, n. 1), est un vieux terme bouddhique qui apparaît dès le iie siècle dans le titre du no 95 de Nanjio. Comme le contexte montre que, dans notre paragraphe, il s’agit de la mort, il ne paraît pas douteux que le Roi de l’Égalité mentionné ici soit bien identique au huitième roi de la série des dix rois pseudo-bouddhiques. Mais il est probable qu’il y répond à un original iranien tout différent, peut-être à Rasnu, l’un des trois juges des enfers, qui est chargé de peser les âmes des morts et que le manichéisme aurait adopté (cf. Geiger et Kuhn, Grundriss, II, 641-642).
- ↑ Au lieu de [texte chinois] wang, lire [texte chinois] wang.
- ↑ C’est l’Envoyé de la Lumière qui parle, en fait Mâni.
- ↑ Nous laissons la forme du texte, [texte chinois] chang-siang ; peut-être faudrait-il corriger en « pensée supérieure ».
- ↑ [texte chinois] chan-houei. C’est la seule fois où le mot houei apparaisse dans notre texte sous sa vraie forme.
- ↑ [texte chinois] sseu-nan ; nous ne savons quelles sont « ces difficultés » ; cf. infra, p. 589.
- ↑ [texte chinois] chan-chen. Ils sont peut-être les équivalents des nevvakhš de Müller, Handschr., p. 56 ; le mot a passé en turc ancien sous la forme naivaziki (cf. Müller, Uigurica, II, 83).
- ↑ [texte chinois] sseu-pou. Cette expression paraît être analogue à l’expression bouddhique [texte chinois] sseu-pe, qui désigne les moines, les nonnes, et les fidèles laïques des deux sexes. Si l’assimilation était exacte, ce serait un indice en faveur de l’énumération de la formule d’abjuration citée supra, p. 569, n. 2, et où il est question d’Élues à côté d’Élus ; on aurait alors ici les Élus, les Élues, les Auditeurs et les Auditrices.
- ↑ Il manque dans le texte un caractère pour le rythme de la phrase.
- ↑ Cf. supra, p. 57, n. 3. Pour « unique », la partie de gauche de tou manque dans l’édition.
- ↑ [texte chinois] tchong-siang.
- ↑ [texte chinois]. La phrase a un caractère de trop, et il est probable que [texte chinois] yi est une interpolation. Il faudra alors traduire : « Seul le Vénérable de la Grande Lumière… »
- ↑ [texte chinois] Jou-lai, Tathāgata, épithète usuelle du Buddha. Son sens est, au moins en chinois, « celui qui est ainsi venu », et il semble qu’on l’applique ici à Mâni.
- ↑ Peut-être y a-t-il ici une allusion au baptême. Sur le baptême chez les manichéens, cf. Baur, Das manich. Relig., p. 278-279. La 50e épître de Mâni était « Sur le baptême » (cf. Flügel, Mani, p. 104, 878 ; Kessler, Mani, p. 232-233).
- ↑ [texte chinois]. Sur le rôle des « ornements » dans le manichéisme, cf. supra, p. 558, n. 1. Les Manichéens aimaient les fleurs, les parfums et les ornements. Saint Augustin a raillé dans le chapitre 5 du livre 15 du Contra Faustum l’abus des fleurs dans la cosmogonie de Mâni.
- ↑ Cf. supra, p. 557-558.
- ↑ Nous n’avons pas réussi à identifier le caractère qui suit [texte chinois] yin, « imprimer », et qui doit avoir un sens analogue.
- ↑ [texte chinois] chang-siang ; cf. supra, p. 585, n. 1.
- ↑ [texte chinois] siang-hao. Emprunt au bouddhisme, où ces deux mots désignent respectivement les trente-deux signes principaux (lakṣaṇa) et les quatre-vingts marques secondaires (anuvyañjana) du Buddha.
- ↑ [texte chinois] jou-yi tchou. La construction est brisée, et il pourrait y avoir quelque altération dans le texte.
- ↑ Nous retrouvons à la fin du texte les mêmes formules caractéristiques, le même cadre de sūtra bouddhique que dans les premiers paragraphes conservés.