turel de faire des saints du paganisme. Ce qui est tout à fait surprenant, c’est de voir Lucrèce, le violent ennemi des superstitions populaires, dans son admiration pour l’incrédule Épicure, le proclamer dieu, deiis ille fuit, deus, inclute Memmi.
Ainsi restreinte et limitée, réduite à n’être plus qu’une sorte d’expression métaphorique qui avait perdu toute signification sérieuse, l’apothéose pouvait être acceptée sans scrupule, même des sceptiques. Elle devint avec le temps plus simple et plus acceptable encore. Dès le début, elle avait eu un double caractère, religieux et civil ; il est facile de voir, à mesure qu’on avance, que le caractère civil l’emporte, et que partout elle se sécularise. Les temples de Rome et d’Auguste cessent bientôt d’être des sanctuaires pour devenir des lieux de réunions politiques : les prêtres des provinces prennent le caractère d’administrateurs ordinaires chargés des intérêts de leurs pays ; les flamines des cités ne sont plus des magistrats municipaux comme les autres, et on ne regarde la corporation des Augustales que comme une société de négocians réunis pour défendre leurs privilèges. Dans toutes ces institutions diverses, le culte impérial n’est bientôt qu’un prétexte : on a l’air de se rassembler pour des prières et des sacrifices ; en réalité, c’est pour s’occuper d’affaires communes. Ces sacrifices eux-mêmes et ces prières perdent vite leur première signification. Les hommages des fidèles deviennent de moins en moins personnels ; ils s’adressent à la dignité impériale beaucoup plus qu’à l’empereur lui-même : c’est l’adoration du pouvoir monarchique. En rendant les honneurs divins à César, on n’entendait guère que reconnaître solennellement son autorité ; c’était une profession de foi publique d’obéissance. Le caractère religieux du culte impérial n’était donc plus qu’une formalité dont on pouvait le débarrasser un jour ou l’autre sans qu’il fût tout à fait détruit. C’est ce qui arriva sous Constantin. Lorsqu’il devint le maître de l’empire, les peuples l’honorèrent comme ils en avaient l’habitude en lui bâtissant des temples et en célébrant des jeux pour lui. Constantin, quoiqu’il fût chrétien, accepta ces hommages ; il tint seulement à les dégager de tout mélange impur avec l’ancienne religion. Il répondit aux habitans d’Hispellum, qui demandaient à lui élever un temple, qu’il y consentait « à condition que l’édifice qui devait porter son nom ne serait pas souillé par les pratiques coupables d’une superstition dangereuse. » Ce n’était donc plus qu’un monument civil, une sorte d’hôtel de ville, où les décurions se réunissaient pour protester de leur dévoûment au prince et signer des décrets en son honneur.
Quand l’apothéose conservait encore son caractère religieux, les juifs et les chrétiens avaient courageusement protesté contre elle.