tandis que tout leur effort tend au contraire à bien délimiter les deux ordres de faits.
Devons-nous, avant de finir, parler de cette assimilation, prêtée à un grand esprit par des écrivains qui ne l’ont pas lu, entre le cerveau et une glande qui sécrète la pensée ? Cabanis, comme on peut s’en convaincre par son mémoire présenté à l’Académie en l’an V, n’a jamais rien dit de semblable. Le passage qu’on cite si mal est au contraire des plus significatifs. Cabanis répond à ceux qui prétendent qu’il suffit de ne pas comprendre le fonctionnement de l’intelligence pour la croire avec Platon d’essence divine, qu’à ce compte nous ne sommes point au bout de notre ignorance, et que les mouvemens de l’estomac, la digestion des alimens, sont aussi d’essence divine, puisqu’ils sont tout aussi incompréhensibles ; seulement il compare les impressions du dehors à des alimens transmis au cerveau, travaillés, digérés par lui, et qu’il renvoie « métamorphosés en idées que le langage de la physionomie et du geste, le signe de la parole et de l’écriture, manifestent au dehors. » Au temps de Cabanis, on ne pouvait en vérité mieux dire, et la science moderne n’a nullement répudié, comme on l’a vu, cette idée d’une élaboration par le cerveau des impressions extérieures renvoyées au dehors sous une forme nouvelle. D’une comparaison qu’emploie Cabanis pour rendre sa pensée plus claire, on a presque fait une doctrine. Mieux que ceux qui l’attaquent, il savait ce qu’est une glande, et qu’une sécrétion est toujours un corps pondérable, comme la bile. Lui prêter l’opinion qu’il prenait pour telle la pensée, c’est comme lui faire dire par exemple que les muscles sécrètent le raccourcissement et les os la résistance. La pensée, l’imagination, la mémoire, le rêve, la volonté, tout cela résulte d’une propriété spéciale inconnue dans son essence comme toutes les autres, et dont la substance nerveuse est douée. Un Anglais, M. Lewes, a depuis longtemps proposé pour elle le nom de névrilité à mettre à côté des mots contractilité, élasticité, etc. Quant à l’essence de cette propriété, comme de toutes les autres, la biologie laisse aux métaphysiciens ce thème commode sur lequel, depuis Platon jusqu’à Descartes, ils écrivent des variations qui ont persuadé le monde. Pour elle, elle envisage non les causes premières, à jamais celées à nos efforts, mais les effets, et dès à présent on peut entrevoir dans ses premières conquêtes sur ce terrain tout nouveau le fondement d’une science nouvelle que l’avenir appellera la psychologie scientifique.