à la tribune, des leçons d’Antiphon et des occasions favorables que leur offrait alors la vie agitée et comme brûlante d’Athènes. Sans goût ni science, Cléon, qui n’avait que du tempérament, a peut-être contribué pourtant aux progrès de l’éloquence ; il l’a un peu dégourdie, il a habitué les yeux, les oreilles et l’esprit à une action plus animée, à quelque chose de plus vif et de plus en dehors. Le nombre des gens qui parlent avec facilité et succès va toujours en augmentant vers la fin du ve siècle : il nous suffira de citer, pour les dernières années de la guerre du Péloponèse, Alcibiade, Phæax, Pisandre, Critias, Archinos, Théramène, Démophante. Andocide vient à propos, avec ses trois discours heureusement conservés, pour nous indiquer ce que pouvaient être vers 400 le goût et la moyenne de l’éloquence chez tous ces orateurs populaires dont aucun n’était un homme hors ligne. Ce que nous trouvons chez lui, ce que nous pouvons deviner chez ses contemporains, dont rien ne nous est parvenu, ce n’est pas encore l’habileté consommée d’un Lysias ou d’un Isée, cette élégante sobriété où la perfection d’un art très savant se dérobe sous les apparences d’une simplicité presque naïve, c’est encore moins l’éclat et la sonorité d’un Eschine, l’ardent pathétique d’un Hypéride, l’incomparable puissance d’un Démosthène ; mais c’est déjà quelque chose de bien plus coloré et plus vivant qu’Antiphon. On sent, en lisant cette prose, que cette génération, pour exprimer sa pensée, n’a plus à faire autant d’efforts que celle qui l’a précédée. L’usage a fixé le sens des termes abstraits, distingué les synonymes, assoupli la langue, donné le sentiment du nombre oratoire. Les moules sont préparés à l’avance ; chacun peut les remplir, les épreuves qu’on en tirera ne différeront que par la pureté et l’éclat du métal qu’on y aura versé. Nous sommes sortis de la période des essais et de l’invention ; un homme médiocre est maintenant à même d’écrire une prose claire et agréable. Quant aux hommes de génie, comme un Platon ou un Démosthène, ils peuvent naître et grandir. Lorsqu’ils voudront exprimer leurs sentimens et leurs idées, ils n’auront pas, comme Thucydide, une lutte héroïque à soutenir contre un instrument encore rebelle ; ils trouveront la prose attique prête à traduire avec une souplesse et une fidélité merveilleuses les plus hautes conceptions de leur pensée, les plus nobles sentimens de leur grande âme, éprise de l’éternelle vérité ou passionnée pour la gloire d’Athènes.
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G. Perrot.