prit de Mme de Thièvre ; mais la douleur de Francia gâtait un peu son triomphe, et il avait hâte de la rejoindre pour l’apaiser. Il était aussi très impatient d’apprendre ce qui s’était passé entre elle et le comte Ogokskoï. Il est étrange que, malgré sa pénétration et son expérience des procédés du cher oncle, il ne l’eût pas deviné. Il commençait pourtant à en prendre quelque souci en franchissant la rue sombre qui le ramenait à son pavillon.
Or ce qui s’était passé, s’il l’eût pressenti plus tôt, eût beaucoup gâté l’ivresse de sa veillée auprès de la marquise.
Reprenons la situation de Francia où nous l’avons laissée, c’est-à-dire en tête-à-tête avec Ogokskoï dans sa loge du rez-de-chaussée à l’Opéra-Comique.
D’abord il se contenta de la regarder sans lui rien dire, et elle, sans méfiance aucune, car Mourzakine lui avait fort peu parlé de son oncle, continua à regarder le spectacle, mais sans rien voir et sans jouir de rien. Elle sentait revenir une migraine violente dès que Mourzakine n’était plus auprès d’elle. Elle l’attendait comme s’il eût tenu le souffle de sa vie entre ses mains, lorsque le comte lui annonça que son neveu venait de recevoir un ordre qui le forçait de courir auprès de l’empereur. — Ne vous inquiétez pas de votre sortie, lui dit-il, je me charge de vous mettre en voiture ou de vous reconduire, si vous le désirez.
— Ce n’est pas la peine, répondit Francia, tout attristée. Il y a M. Valentin qui m’attend avec un fiacre à l’heure.
— Qu’est-ce que c’est que M. Valentin ?
— C’est une espèce de valet de chambre qui est pour le moment aux ordres du prince.
— Je vais l’avertir, reprit Ogokskoï, afin qu’il se trouve à la sortie. — Il alla sous le péristyle, où se tenaient encore à cette époque tout un groupe d’industriels empressés qui se chargeaient, moyennant quelque monnaie, d’appeler ou d’annoncer les voitures de l’aristocratie en criant à pleins poumons le titre et le nom de leurs propriétaires. Ogokskoï dit au premier venu de ces officieux d’appeler M. Valentin ; celui-ci apparut aussitôt. — Le prince Mourzakine, lui dit Ogokskoï, vous avertit de ne pas l’attendre ici davantage ; remmenez la voiture, et allez l’attendre chez lui.
Malgré sa puissante intelligence, Valentin ne se douta de rien et obéit.
Le comte rentra dans les couloirs, écrivit à la hâte le billet qui devait mettre son neveu aux arrêts forcés dans la loge de la marquise, et revint dire à Francia que M. Valentin, n’ayant sans doute pas compris les ordres de Mourzakine, était parti. — En ce cas, répondit Francia, je prendrai tout de suite un autre fiacre ; je suis fatiguée, je voudrais rentrer.