des visages, l’insouciance sur quelques-uns. La cathédrale était belle encore sous ce ciel gris, quoique moins resplendissante que huit jours auparavant. À l’intérieur résonnaient les grandes orgues, mais sur un ton plaintif, comme pour se mettre à l’unisson de la patrie en deuil. Tout y était grave et sombre. Dans la nef encore vide, de petits groupes de soldats venaient se ranger sur les chaises. Était-ce pour prier ou pour se reposer et se mettre à l’abri ? Qui l’eût pu dire ? Eux-mêmes peut-être ne le savaient pas ; ils restaient là calmes, immobiles, le sac à terre, le fusil entre les genoux. L’église était un refuge contre les balles, contre le froid, mais non contre la faim. Dans les rues, la foule des militaires augmentait d’heure en heure ; on apercevait de temps en temps des officiers qui dirigeaient les évacuations ; d’autres s’efforçaient de ramener les fuyards au combat. Sur les boulevards, un régiment de cavalerie, avec ses chevaux sellés et bridés, se tenait prêt à couvrir la retraite. Les trains se succédaient rapidement sur le chemin de fer pour l’évacuation de l’énorme matériel que contenait la gare d’Orléans. Le canon résonnait de plus en plus fort, car le champ de bataille se rapprochait. Et cependant, au milieu de cette confusion apparente, on sentait qu’il régnait un certain ordre ; c’était une retraite, non une déroute. Toute la question était de savoir si la défense durerait assez longtemps pour que tous les équipages et les traînards de l’armée eussent le temps de se réfugier sur l’autre rive de la Loire. Que se passait-il donc au dehors ? Au point du jour, après une longue et froide nuit d’hiver, le 15e corps s’était vu attaqué de deux côtés par les troupes du grand-duc de Mecklembourg et par les Prussiens du général Manstein. Les événemens de la veille avaient entamé le moral des mobiles dont ce corps était presque entièrement composé ; après leur avoir promis le vendredi matin une marche triomphante en avant, il avait fallu dès le samedi les ramener en arrière, sous prétexte que la présence de forces ennemies supérieures les obligeait à rentrer dans leurs lignes de défense. La première de ces lignes était déjà perdue. La résistance devenait molle ; les bataillons se débandaient facilement. Néanmoins il était déjà midi quand les batteries de marine placées à Cercottes furent enlevées par l’infanterie allemande. Les jours sont si courts en cette saison, qu’on pouvait espérer tenir l’ennemi à distance des faubourgs jusqu’au soir. La nuit vint en effet vers cinq heures, et nos troupes se battaient encore en avant de leurs dernières redoutes. La nuit était noire ; mais à sept heures la lune se levait sur un ciel clair. L’attaque reprit aussitôt, malgré le froid, en dépit de l’épuisement des hommes. À onze heures, les Allemands étaient à l’entrée des faubourgs. La lutte aurait pu se continuer encore dans les rues ; ou bien, si le général français voulait assurer sa retraite
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