parfois pour tout patrimoine une tente, de belles armes, un bon cheval, un maigre troupeau et quelques serviteurs, moitié bergers, moitié bandits. N’importe ; en France, le titre de prince reprenait son prestige aux yeux de la Parisienne, et le luxe relatif où campait pour le moment Mourzakine, riche en tout des deux cents louis donnés par son oncle, n’avait pas pour elle d’échelle de comparaison. C’était dans son imagination un prince des contes de fées, et il était si beau ! Elle n’avait pas songé à lui plaire, elle s’en était même défendue. Elle avait bien résolu, en allant chez lui, de n’être pas légère, et elle pensait avoir mis beaucoup de prudence et de sincérité à se défendre. Pouvait-elle résister jusqu’à faire de la peine à un homme à qui elle devait sa vie, celle de son frère, et peut-être le prochain retour de sa mère ? Et cela, pour ne pas offenser M. Guzman, qui la battait et ne lui était pas fidèle ?
D’où vient donc qu’elle avait comme des remords ? Ce n’était pas qu’elle eût une peur immédiate de Guzman : il ne venait jamais dans la matinée, et il ne pouvait pas savoir qu’elle, était rentrée si tard. Le portier seul s’en était aperçu, et il la protégeait par haine du perruquier, qui l’avait blessé dans son amour-propre. Francia tenait énormément à sa réputation. Sa réputation, elle s’étendait peut-être à une centaine de personnes du quartier qui la connaissaient de vue ou de nom. N’importe, il n’y a pas de petit horizon, comme il n’y a pas de petit pays. Elle avait toujours fait dire d’elle qu’elle était sincère, désintéressée, fidèle à ses piètres amans ; elle ne voulait point passer pour une fille qui se vend, et elle cherchait le moyen de faire accepter la vérité sans perdre de sa considération ;mais ses réflexions n’avaient pas de suite, l’enivrement de son cerveau dissipait ses craintes : elle revoyait le beau prince à ses pieds, et pour la première fois de sa vie elle était accessible à la vanité sans chercher à s’en défendre, prenant cette ivresse nouvelle pour un genre d’amour enthousiaste qu’elle n’avait jamais ressenti. Enfin l’arrivée de Théodore vint l’arracher à ses contemplations.
— Pas plus habillée que ça ? lui dit-il en la voyant en jupe et en camisole, les cheveux encore dénoués. Qu’est-ce qu’il y a donc ?
— Et toi ? Tu rentres à des neuf heures du matin, quand je t’attends depuis…
— Tu sais bien que j’ai été arrêté par ces tamerlans du boulevard ? T’as donc pas vu ?
— Tu as été mis en liberté au bout d’une heure !
— Comment sais-tu ça ?
— Je le sais !
— C’est vrai ; mais j’avais encore vingt sous de Guzman dans ma poche… Fallait bien faire un peu la noce après ? Vas-tu te fâcher ?