Expériences nouvelles touchant le vide
FAITES DANS DES TUYAUX, SYRINGUES, SOUFFLETS ET SIPHONS DE PLUSIEURS LONGUEURS ET FIGURES : AVEC DIVERSES LIQUEURS, COMME VIF-ARGENT, EAU, VIN, HUYLE, AIR, ETC.
AVEC UN DISCOURS SUR LE MESME SUJET, OÙ EST MONTRÉ QU’UN VAISSEAU SI GRAND QU’ON LE POURRA FAIRE, PEUT ESTRE RENDU VUIDE DE TOUTES LES MATIERES CONNUES EN LA NATURE, ET QUI TOMBENT SOUS LES SENS, ET QUELLE FORCE EST NECESSAIRE POUR FAIRE ADMETTRE CE VUIDE.
DEDIÉ A MONSIEUR PASCAL, CONSEILLER DU ROY EN SES CONSEILS D’ESTAT ET PRIVÉ, PAR LE SIEUR B. P. SON FILS,
LE TOUT REDUIT EN ABBREGE ET DONNÉ PAR ADVANCE D’UN PLUS GRAND TRAICTÉ SUR LE MESME SUJET1.
Mon cher Lecteur, quelques considérations
m’empeschans de donner à présent un Traicté entier
où j’ay rapporté quantité d’expériences nouvelles
que j’ay faites touchant le vuide2 et les conséquences
environ quatre ans qu’en Italie on esprouva qu’un tuyau de verre de quatre pieds, dont un bout est ouvert et l’autre est scellé hermétiquement, estant remply de vif argent, puis l’ouverture bouchée avec le doigt ou autrement, et le tuyau disposé perpendiculairement à l’horizon, l’ouverture bouchée estant vers le bas, et plongée deux ou trois doigts dans d’autre vif argent, contenu en un vaisseau moitié plein de vif argent, et l’autre moitié d’eau ; si on desbouche l’ouverture demeurant tousjours enfoncée dans le vif argent du vaisseau, le vif argent du tuyau descend en partie, laissant au haut du tuyau un espace vuide en apparence, le bas du mesme tuyau demeurant plein du mesme vif argent jusques à une certaine hauteur. Et si on hausse un peu le tuyau jusques à ce que son ouverture, qui trempoit auparavant dans le vif argent du vaisseau, sortant de ce vif argent, arrive à la région de l’eau, le vif argent du tuyau monte jusques en haut, avec l’eau ; et ces deux liqueurs se brouillent dans le tuyau ; mais enfin tout le vif-argent tombe, et le tuyau se trouve tout plein d’eau5.
Cette expérience ayant esté mandée de Rome au R. P. Mersenne, Minime à Paris, il la divulga en France en l’année 1644, non sans l’admiration de tous les sçavants et curieux, par la communication desquels estant devenuë fameuse de toutes parts, je l’appris de Mr Petit, Intendant des Fortifications, et tres-versé en toutes les belles lettres, qui l’avoit apprise du R. P. Mersenne mesme6. Nous la fismes donc ensemble à Roüen, ledit sieur Petit et moy de la mesme sorte qu’elle avoit esté faite en Italie, et trouvasmes de poinct en poinct ce qui avoit esté mandé de ce pays là, sans y avoir pour lors rien remarqué de nouveau.
Depuis, faisant reflexion en moi-mesme sur les conséquences de ces expériences, elle me confirma dans la pensée où j’avois tousjours esté que le vuide n’estoit pas une chose impossible dans la Nature, et qu’elle ne le fuyoit pas avec tant d’horreur que plusieurs se l’imaginent.
Ce qui m’obligeoit à cette pensee estoit le peu de fondement que je voyois à la maxime si receüe, que
la Nature ne souffre point le vuide, qui n’est appuyée que sur des expériences dont la pluspart sont
tres fausses, quoy que tenuës pour tres-constantes : et des autres, les unes sont entièrement esloignées
de contribuer à cette preuve, et montrent que la Nature abhorre la trop grande plénitude, et non pas qu’elle fuit le vuide : et les plus favorables ne font
voir autre chose, sinon que la Nature a horreur pour le vuide, ne montrans pas qu’elle ne le peut souffrir.
À la foiblesse de ce principe, j’adjoustois les observations que nous faisons journellement de la raréfaction et condensation de l’air, qui, comme quelques uns ont esprouvé7, se peut condenser jusques à la milliesme partie de la place qu’il sembloit occuper auparavant, et qui se rarefie si fort, que je trouvois comme nécessaire, ou qu’il y eut un grand vuide entre ses parties, ou qu’il y eut penetration de dimensions. Mais comme tout le monde ne recevoit pas cela pour preuve, je creus que cette expérience d’Italie estoit capable de convaincre ceux-là mesmes qui sont les plus preoccupez de l’impossibilité du vuide.
Neanmoins la force de la prevention fit encore trouver des objections qui lui osterent la croyance qu’elle meritoit. Les uns dirent que le haut de la sarbatane estoit plein des esprits du Mercure ; d’autres, d’un grain d’air imperceptible raréfié ; d’autres, d’une matière qui ne subsistoit que dans leur imagination ; et tous, conspirans à bannir le vuide, exercerent à l’envi cette puissance de l’esprit, qu’on nomme Subtilité, dans les Escoles, et qui, pour solution des difficultez veritables, ne donne que des vaines paroles sans fondement8. Je me résolus donc de faire des expériences si convainquantes, qu’elles fussent à l’espreuve de toutes les objections qu’on y pourroit faire ; et j’en fis au commencement de cette annee un grand nombre, dont il y en a qui ont quelque rapport avec celle d’Italie, et d’autres qui en sont entierement esloignees, et n’ont rien de commun avec elle, et elles ont esté si exactes et si heureuses, que j’ay montré par leur moyen, qu’un vaisseau si grand qu’on le pourra le faire, peut estre rendu vuide de toutes les matières qui tombent sous les sens, et qui sont connuës dans la Nature ; et quelle force est necessaire pour faire admettre ce vuide. C’est aussi par là que j’ay esprouvé la hauteur nécessaire à un siphon, pour faire l’effet qu’on en attend, apres laquelle hauteur limitée, il n’agit plus, contre l’opinion si universellement receuë dans le monde durant tant de siecles9, comme aussi le peu de force necessaire pour attirer le piston d’une syringue, sans qu’il y succede aucune matiere, et beaucoup d’autres choses que vous verrez dans l’ouvrage entier, dans lequel j’ay dessein de montrer quelle force la Nature employe pour esviter le vuide, et qu’elle l’admet et le souffre effectivement dans un grand espace, que l’on rend facilement vuide de toutes les matières qui tombent sous les sens. C’est pourquoy j’ai divisé le Traicté entier en deux Parties, dont la première comprend le récit au long de toutes mes experiences avec les figures, et une recapitulation de ce qui s’y voit, divisée en plusieurs maximes. Et la seconde, les consequences que j’en ay tirees, divisees en plusieurs propositions, où j’ay montré que l’espace vuide en apparence, qui a paru dans les experiences, est vuide en effet de toutes les matieres qui tombent sous les sens, et qui sont connuës dans la Nature. Et dans la conclusion, je donne mon sentiment sur le sujet du vuide, et respons aux objections qu’on y peut faire. Ainsi, je me contente de montrer un grand espace vuide, et laisse à des personnes sçavantes et curieuses à esprouver ce qui se fait dans un tel espace : comme, si les animaux y vivent10 ; si le verre en diminuë sa refraction ; et tout ce qu’on y peut faire : n’en faisant nulle mention dans ce Traicté, dont j’ay jugé à propos de vous donner cet Abbrégé par avance : parce qu’ayant fait ces experiences avec beaucoup de frais11, de peine et de temps, j’ay craint qu’un autre qui n’y auroit employé le temps, l’argent, ny la peine, me prevenant, donnat au public des choses qu’il n’auroit pas veuës, et lesquelles par consequent il ne pourroit pas rapporter avec l’exacteté et l’ordre necessaire pour les déduire comme il faut : n’y ayant personne qui ait eu des tuyaux et des siphons de la longueur des miens ; et peu qui voulussent se donner la peine nécessaire pour en avoir12.
Et comme les honnestes gens13 joignent à l’inclination generale qu’ont tous les hommes de se maintenir dans leurs justes possessions, celle de refuser l’honneur qui ne leur est pas deu, vous approuverez sans doute, que je me defende également, et de ceux qui voudroient m’oster quelques-unes des experiences que je vous donne icy, et que je vous promets dans le Traicté entier, puis qu’elles sont de mon invention ; et de ceux qui m’attribuëroient celle d’Italie dont je vous ay parlé, puis qu’elle n’en est pas. Car encore que je l’aye faite en plus de façons qu’aucun autre, et avec des tuyaux de douze et mesme de quinze pieds de long, neanmoins je n’en parleray pas seulement dans ces escrits, parce que je n’en suis pas l’Inventeur ; n’ayant dessein de donner que celles qui me sont particulières et de mon propre genie.14
i . Une syringue de verre avec un piston bien juste, plongée entierement dans l’eau, et dont on bouche l’ouverture avec le doigt, en sorte qu’il touche au bas du piston, mettant pour cet effect la main et le bras dans l’eau ; on n’a besoin que d’une force mediocre pour le retirer, et faire qu’il se des-unisse du doigt, sans que l’eau y entre en aucune façon : (ce que les Philosophes ont creu ne se pouvoir faire avec aucune force finie) : et ainsi le doigt se sent fortement attiré et avec douleur ; et le piston laisse un espace vuide en apparence, et où il ne paroist qu’aucun corps ait peu succeder, puis qu’il est tout entoure d’eau qui n’a peu y avoir d’accez, l’ouverture en estant bouchée, et si on tire le piston davantage, l’espace vuide en apparence devient plus grand ; mais le doigt ne sent pas plus d’attraction15. Et si on16 le tire presque tout entier hors de l’eau, en sorte qu’il n’y reste que son ouverture et le doigt qui la bouche ; lors, ostant le doigt, l’eau, contre sa nature, monte avecque violence, et remplit entierement tout l’espace que le piston avoit laissé.
2. Un souflet bien fermé de tous costés fait le mesme effet, avec une pareille preparation, contre le sentiment des mesmes Philosophes.
3. Un tuyau de verre de quarante-six pieds, dont un bout est ouvert, et l’autre scellé hermetiquement, estant remply d’eau, ou plustost de vin bien rouge, pour estre plus visible, puis bouché, et eslevé en cet estat, et porté perpendiculairement à l’horison, l’ouverture bouchée en bas, dans un vaisseau plein d’eau, et enfoncé dedans environ d’un pied ; si l’on desbouche l’ouverture, le vin du tuyau descend jusques à une certaine hauteur, qui est environ de trente-deux pieds depuis la surface de l’eau du vaisseau, et se vuide, et se mesle parmy l’eau du vaisseau qu’il teint insensiblement, et se des-unissant d’avec le haut du verre, laisse un espace d’environ treize pieds vuide en apparence, où de mesme il ne paroist qu’aucun corps ait peu succéder. Et si on incline le tuyau, comme alors la hauteur du vin du tuyau devient moindre par cette inclination, le vin remonte jusques à ce qu’il vienne à la hauteur de trente-deux pieds : et enfin si on l’incline jusques à la hauteur de trente-deux pieds, il se remplit entierement, en resucçant ainsi autant d’eau qu’il avoit rejetté de vin : si bien qu’on le void plein de vin depuis le haut jusques à treize pieds prez du bas, et remply d’eau teinte insensiblement dans les treize pieds inferieurs qui restent.
4. Un siphon scaléne, dont la plus longue jambe est de cinquante pieds, et la plus courte de quarante-cinq, estant remply d’eau, et les deux ouvertures bouchées estans mises dans deux vaisseaux pleins d’eau, et enfoncées environ d’un pied, en sorte que le siphon soit perpendiculaire à l’horison, et que la surface de l’eau d’un vaisseau soit plus haute que la surface de l’autre, de cinq pieds : si l’on desbouche les deux ouvertures, le siphon estant en cet estat, la plus longue jambe n’attire point l’eau de la plus courte, ny par conséquent celle du vaisseau où elle est, contre le sentiment de tous les Philosophes et artisans ; mais l’eau descend de toutes les deux jambes dans les deux vaisseaux, jusques à la mesme hauteur que dans le tuyau precedent, en comptant la hauteur depuis la surface de l’eau de chacun des vaisseaux. Mais ayant incliné le siphon au dessous de la hauteur d’environ trente et un pieds, la plus longue jambe attire l’eau qui est dans le vaisseau de la plus courte ; et quand on le rehausse au-dessus de cette hauteur, cela cesse, et tous les deux costés desgorgent, chacun dans son vaisseau ; et quand on le rabaisse, l’eau de la plus longue jambe attire l’eau de la plus courte comme auparavant.
5. Si l’on met une corde de prez de quinze pieds avec un fil attaché au bout (laquelle on laisse longtemps dans l’eau, afin que s’imbibant peu à peu, l’air qui pourroit y estre enclos, en sorte) dans un tuyau de quinze pieds, scellé par un bout comme dessus, et remply d’eau, de façon qu’il n’y ait hors du tuyau que le fil attaché à la corde, afin de l’en tirer, et l’ouverture ayant esté mise dans du vif argent : quand on tire la corde peu à peu, le vif argent monte à proportion, jusques à ce que la hauteur du vif argent, jointe à la quatorziesme partie de la hauteur qui reste d’eau, soit de deux pieds trois pouces : car après, quand on tire la corde, l’eau quitte le haut du verre, et laisse un espace vuide en apparence, qui devient d’autant plus grand, que l’on tire la corde davantage. Que si on incline le tuyau, le vif argent du vaisseau y r’entre, en sorte que, si on l’incline assez, il se trouve tout plein de vif argent et d’eau qui frappe le haut du tuyau avecque violence, faisant le mesme bruit et le mesme esclat que s’il cassoit le verre, qui court risque de se casser en effet. Et pour oster le soubçon de l’air que l’on pourroit dire estre demeuré dans la corde, on faict la mesme experience avec quantité de petits Cylindres de bois, attachez les uns aux autres avec du fil de laton.
6. Une syringue avec un piston parfaitement
juste, estant mise dans le vif argent, en sorte que son ouverture y soit enfoncée pour le moins d’un pouce, et que le reste de la syringue soit eslevé perpendiculairement au dehors : si l’on retire le piston,
la syringue demeurant en cet estat, le vif argent entrant par l’ouverture de la syringue, monte et
demeure uny au piston jusques à ce qu’il soit eslevé dans la syringue deux pieds trois pouces. Mais après
cette hauteur, si l’on retire davantage le piston, il n’attire pas le vif argent plus haut, qui, demeurant
tousjours à cette hauteur de deux pieds trois pouces, quitte le piston : de sorte qu’il se faict un espace
vuide en apparence, qui devient d’autant plus grand, que l’on tire le piston davantage : Il est vray-semblable gue la mesme chose arrive dans une pompe par aspiration ; et que l’eau n’y monte que jusques à la hauteur de trente et un pieds, qui respond à celle de deux pieds trois pouces de vif argent17. Et ce qui est plus
remarquable, c’est que la syringue pezée en cet estat sans la retirer du vif argent, ny la bouger en aucune
façon, peze autant (quoy que l’espace vuide, en apparence, soit si petit que l’on voudra) que quand, en retirant le piston davantage, on le fait si grand qu’on voudra, et qu’elle peze toujours autant que le corps de la syringue avec le vif argent qu’elle contient de la hauteur de deux pieds trois pouces, sans qu’il y ait encore aucun espace vuide en apparence ;
c’est à dire, lors que le piston n’a pas encore quitté le vif argent de la syringue, mais qu’il est prest à s’en des-unir, si on le tire tant soit peu. De sorte que l’espace vuide en apparence, quoy que tous les corps qui l’environnent tendent à le remplir, n’apporte
aucun changement à son poids, et que, quelque
difference de grandeur qu’il y ait entre ces espaces, il n’y en a aucune entre les poids18.
7. Ayant remply un siphon de vif argent, dont la plus longue jambe a dix pieds, et l’autre neuf et demy, et mis les deux ouvertures dans deux vaisseaux de vif argent, enfoncées environ d’un poulce chacune, en sorte que la surface du vif argent de l’un soit plus haute de demy pied que la surface de vif argent de l’autre : quand le siphon est perpendiculaire, la plus longue jambe n’attire pas le vif argent de la plus courte ; mais le vif-argent, se rompant par le haut, descend dans chacune des jambes, et regorge dans les vaisseaux, et tombe jusques à la hauteur ordinaire de deux pieds trois poulces, depuis la surface du vif argent de chaque vaisseau. Que si on incline le siphon, le vif argent des vaisseaux remonte dans les jambes, les remplit, et commence de couler de la jambe la plus courte dans la plus longue, et ainsi vuide son vaisseau ; car cette inclination dans les tuyaux où est ce vuide apparent, lorsqu’ils sont dans quelque liqueur, attire toujours les liqueurs des vaisseaux, si les ouvertures des tuyaux ne sont point bouchées, ou attire le doigt, s’il bouche ces ouvertures.
8. Le mesme siphon estant remply d’eau entierement, et en suite d’une corde, comme cy-dessus, les deux ouvertures estant aussi mises dans les deux mesmes vaisseaux de vif argent, quand on tire la corde par une de ces ouvertures, le vif argent monte des vaisseaux dans toutes les deux jambes : en sorte que la quatorziesme partie de la hauteur de l’eau d’une jambe avec la hauteur du vif argent qui y est monté, est égale à la quatorziesme partie de la hauteur de l’eau de l’autre, jointe à la hauteur du vif argent qui y est monté ; ce qui arrivera tant que cette quatorziesme partie de la hauteur de l’eau, jointe à la hauteur du vif argent dans chaque jambe, soit de la hauteur de deux pieds trois poulces : car apres, l’eau se divisera par le haut, et il s’y trouvera un vuide apparent.
Desquelles expériences et de plusieurs autres rapportées dans le Livre entier, où se voyent des tuyaux de toutes longueurs, grosseurs et figures, chargez de différentes liqueurs, enfoncées diversement dans des liqueurs differentes, transportées des unes dans les autres, pezées en plusieurs façons, et où sont remarquées les attractions differentes que ressent le doigt qui bousche les tuyaux où est le vuide apparent, on déduit manifestement ces maximes :
i. Que tous les corps ont repugnance à se separer l’un de l’autre, et admettre ce vuide apparent dans leur intervalle ; c’est-à-dire, que la Nature abhorre ce vuide apparent.
2. Que cette horreur ou cette repugnance qu’ont tous les corps n’est pas plus grande pour admettre un grand vuide apparent qu’un petit, c’est à dire à s’esloigner d’un grand intervalle que d’un petit.
3. Que la force de cette horreur est limitée, et pareille à celle avec laquelle de l’eau d’une certaine hauteur, qui est environ de trente et un pieds, tend à couler en bas.
4. Que les corps qui bornent ce vuide apparent ont inclination à le remplir.
5. Que cette inclination n’est pas plus forte pour remplir un grand vuide apparent qu’un petit.
6. Que la force de cette inclination est limitée, et tousjours pareille a celle avec laquelle de l’eau d’une certaine hauteur, qui est environ de trente et un pied, tend à couler en bas.
7. Qu’une force plus grande, de si peu que l’on
voudra, que celle avec laquelle l’eau de la hauteur de trente et un pieds tend à couler en bas, suffit pour faire admettre ce vuide apparent, et mesme si grand que l’on voudra ; c’est à dire pour faire desunir les corps d’un si grand intervalle que l’on voudra, pourveu qu’il n’y ait point d’autre obstacle à leur séparation, ny à leur esloignement, que l’horreur que la Nature a pour ce vuide apparent.
Abbregé de la deuxiesme Partie, dans laquelle sont rapportées les conséquences de ces Expériences, touchant la matière qui peut remplir cet espace vuide en apparence, divisée en plusieurs propositions, avec leurs démonstrations.
i. Que l’espace vuide en apparence n’est pas remply de l’air extérieur qui environne le tuyau, et qu’il n’y est point entré par les pores du verre.
2. Qu’il n’est pas plein de l’air que quelques Philosophes disent estre enfermé dans les pores de tous les corps, qui se trouveroit, par ce moyen, au dedans de la liqueur qui remplit les tuyaux.
3. Qu’il n’est pas plein de l’air que quelques-uns estiment estre entre le tuyau et la liqueur qui le remplit, et enfermé dans les interstices ou atomes des corpuscules qui composent ces liqueurs.
4. Qu’il n’est pas plein d’un grain d’air imperceptible, resté par hazard entre la liqueur et le verre, ou porté par le doigt qui le bouche, ou entré par quelqu’autre façon, qui se rarefieroit extraordinairement, et que quelques-uns soutiendroient se pouvoir rarefier assez pour remplir tout le monde, plustost que d’admettre du vuide19.
5. Qu’il n’est pas plein d’une petite portion du vif argent ou de l’eau, qui, estant tirée d’un costé par les parois du verre, et de l’autre par la force de la liqueur, se rarefie et se convertit en vapeurs ; en sorte que cette attraction reciproque fasse le mesme effet que la chaleur qui convertit ces liqueurs en vapeur, et les rend volatilles20.
6. Qu’il n’est pas plein des esprits de la liqueur qui remplit le tuyau.
7. Qu’il n’est pas plein d’un air plus subtil meslé parmy l’air exterieur, qui, en estant détaché et entré par les pores du verre, tendroit tousjours à y retourner ou y seroit sans cesse attiré.
8. Que l’espace vuide en apparence n’est remply d’aucune des matieres qui sont connuës dans la Nature, et qui tombent sous aucun des sens.
Apres avoir demonstré qu’aucunes des matières qui tombent sous nos sens, et dont nous avons connoissance, ne remplissent cet espace vuide en apparence, mon sentiment sera, jusques à ce qu’on m’aye montré l’existance de quelle matiere qui le remplisse, qu’il est veritablement vuide, et destitué de toute matiere.
C’est pourquoy je diray du vuide véritable ce que j’ay montré du vuide apparent, et je tiendray pour vrayes les Maximes posées cy-dessus, et enoncees du vuide absolu comme elles l’ont esté de l’apparent, sçavoir en cette sorte.
1. Que tous les corps ont repugnance à se separer l’un de l’autre, et admettre du vuide dans leur intervalle ; c’est à dire que la Nature abhorre le vuide.
2. Que cette horreur ou repugnance qu’ont tous les corps n’est pas plus grande pour admettre un grand vuide qu’un petit, c’est-à-dire pour s’esloigner d’un grand intervalle que d’un petit.
3. Que la force de cette horreur est limitée, et pareille à celle avec laquelle de l’eau d’une certaine hauteur, qui est à peu prés de trente et un pieds, tend à couler en bas.
4. Que les corps qui bornent ce vuide ont inclination à le remplir.
5. Que cette inclination n’est pas plus forte pour remplir un grand vuide qu’un petit.
6. Que la force de cette inclination est limitée, et tousjours égale à celle avec laquelle l’eau d’une certaine hauteur, qui est environ de trente et un pied, tend à couler en bas.
7. Qu’une force plus grande de si peu que l’on voudra, que celle avec laquelle l’eau de la hauteur de trente et un pied tend à couler en bas, suffit pour faire admettre du vuide, et mesme si grand que l’on voudra : c’est à dire, à faire des-unir les corps d’un si grand intervalle que l’on voudra : pourveu qu’il n’y ait point d’autre obstacle à leur separation, ny à leur esloignement, que l’horreur que la Nature a pour le vuide.
En suite je respons aux objections qu’on y peut faire, dont voicy les principales :
i. Que cette proposition, qu’un espace est vuide, repugne au sens commun21.
2. Que cette proposition, que la Nature abhorre le vuide, et neantmoins l’admet, l’accuse d’impuissance, ou implique contradiction.
3. Que plusieurs experiences, et mesme journalieres, montrent que la Nature ne peut souffrir du vuide.
4. Qu’une matière imperceptible, inoüye et incognuë à tous les sens, remplit cet espace22.
5. Que la lumière estant un accident, ou une substance, il n’est pas possible qu’elle se soustienne dans le vuide, si elle est un accident ; et qu’elle remplit l’espace vuide en apparence, si elle est une substance.
1. À Paris, chez Pierre Margat, au quay de Gesvres, à l’Oyseau de Paradis. MDGXLVII, Avec permission (vi-3o p.). — À la fin du livret : « Permission. Il est permis au sieur Pascal de faire imprimer un Livret intitulé : Expériences nouvelles touchant le vuide, etc. Faict à Paris, ce 8 octobre 1647. Daubray. »
2. Mersenne avait fait allusion à ce traité dans la seconde Préface des Reflectiones. Après avoir mentionné le traité que Guiffart venait d’écrire en faveur du vide appuyé sur les expériences de Pascal, et rappelé la thèse de Roberval sur l’attraction mutuelle des corps, il ajoute : « quibus [difficultatibus] si satis faciat Clarissimus Paschalius eo tractatu quem de hoc Phœnomeno eum scripturum audio Philosophos sibi maxime obstricturus est. » Mersenne écrivait à Hevelius, le 25 octobre 1647 : « De vacuo variis modis facto, nomine, migrasse ; hoc demum presenti anno. a R. P. Valeriano Magno Gapucino in Polonia, edito super ea re parvo libelle, publicatum. » Voir également Strowski, Histoire de Pascal, 1907, App. II, p. 387. D’après Baillet (Vie de M. Descartes, t. II, p. 545) le P. Fabry s’attribuait aussi l’invention de la circulation du sang.
5. Voir le commentaire du texte et des italiques dans la lettre de Pascal à M. de Ribeyre, infra, p. 483 sqq.
6. Vide supra la lettre de Petit à Chanut (t. I, p. 329 sqq.), et celle de Roberval à des Noyers (t. II, p. 21).
7. Les expériences sur la raréfaction et la condensation de l’air sont rapportées par Mersenne dans les Cogitata physico-mathematica de 1664 : De hydraulicis et pneumaticis phænomenis, à partir de la proposition XXIX. Voir Duhem, le P. Marin Mersenne et la pesanteur de l’air, Revue générale des Sciences, 15 sept, 1906, p. 782.
8. Voir la Conclusion du Récit de la Grande Expérience, infra, p. 371.
9. Dans un manuscrit de Roberval intitulé : Traité de Mechanique et spécialement de la conduite et elevation des eaux (Bibl. nat., mss. f. lat. 7226), M. Duhem a signalé le curieux passage suivant, fo 176 verso : « Et quoyque par ce moyen [par un syphon] il semble qu’on peut faire passer l’eau par une haute montaigne, touttefois on se souviendra qu’une telle conduitte d’eau est impossible aux lieux plus haults que 32 pieds de France, et qu’un peu au dessoubs de 32 pieds, elle est fort mal asservie par deux raisons. La premiere qu’il est fort difficile que le syphon soit si bien soudé que l’air n’y trouve bientost passage, et par ce moyen le syphon s’emplissant d’air, l’eau ne coule plus. L’autre raison est qu’en une grande hauteur, il faut un syphon trop hault, ainsy il est subject à crever. » Les origines de la Statique, t. II, 1906, p. 207. Cf. supra, p. 33, et la Conclusion des Traités publiés en 1663 avec la note sur Salomon de Caus (t. III, p. 261, n. 1).
10. Vide supra, p. 12, n. 3.
11. Voir la seconde narration de Roberval, p. 328.
12. En demandant un privilége pour la Machine arithmétique, Pascal rappellera de même les « essais, auxquels il a employé beaucoup de temps et de frais ». Vide infra, p. 402 ; cf. I, 301.
13. Au sens de gens probes qui est le sens actuel. Pascal apprendra plus tard la signification raffinée que les précieux donnaient à l’expression, il fera dans les Pensées la théorie de l'honnête homme selon Méré (cf. Section I, fr. 34-38). Pour saisir d’un coup d’œil la différence des deux acceptions, il suffit de rapprocher ce vers de Boileau (Épitre V) :
L’argent en honnête homme érige un scélérat
et cette réflexion de La Rochefoucauld, M. 353 : « Un honnête homme peut être amoureux comme un fou, mais non pas comme un sot. »
14. Voir le commentaire de ce paragraphe dans la lettre de Pascal à M. de Ribeyre (infra, p. 487).
15. Voir le commentaire de ce passage dans la lettre a M. le Pailleur (infra, p. 207 sqq.).
16. L’exemplaire de la Bibliothèque Mazarine (56 55g) porte cette correction manuscrite : tire la siringue presque toute entiere.
17. C’est l’observation fondamentale qui avait attiré l’attention de Galilée. Voici la page célèbre où l’un des interlocuteurs du Dialogue, Sagredo, rapporte cette observation : « On avait fait fabriquer une pompe aspirante pour tirer de l’eau d’une citerne avec moins de fatigue que par le moyen des seaux dont on se servait ordinairement. Tant que l’eau était à une certaine hauteur, elle était tirée en abondance, mais quand l’eau descendait à un certain niveau, la pompe ne travaillait plus. « Je crus d’abord — dit un des personnages du dialogue de Galilée en rapportant ce fait — que le piston était endommagé et j’invitai le maître fontainier à le racommoder. Celui-ci me dit que le piston n’était nullement endommagé, mais que l’eau était descendue trop bas pour pouvoir être élevée à cette hauteur : il ajouta qu’il n’était pas possible, ni avec les pompes, ni avec les autres machines qui font monter l’eau par attraction, de la faire monter un cheveu plus haut que 18 brasses, que les pompes soient larges ou étroites, parce que c’est la mesure de la plus grande hauteur. — Et moi qui sais qu’une corde, une masse de bois, une verge de fer peut s’allonger tant et tant qu’à la fin elle se brise par son propre poids, j’ai été jusqu’ici assez peu avisé pour n’avoir pas pensé qu’il en serait de même, à plus forte raison, d’une corde ou verge d’eau ! — Qu’est-ce qui est attiré dans la pompe, si ce n’est un cylindre d’eau qui, attaché par en haut et de plus en plus allongé, arrive enfin à une limite au delà de laquelle, tiré par son propre poids devenu excessif, il se casse tout comme s’il était une corde ? Il en arriverait de même, à mon avis, pour d’autres liquides, comme le vif-argent, le vin, l’huile etc. Ils se briseraient à une hauteur plus ou moins grande que 18 brasses, en proportion inverse de leur pesanteur spécifique comparée à celle de l’eau en mesurant ces hauteurs toujours perpendiculairement. » Discorsi e dimostrazione matematiche. Leyde, 1638. Ed. Alberi XIII, 20. Traduit par Charles Thurot, Note historique sur l’expérience de Torricelli, Journal de Physique, 1872, I, 171 sqq. Dans une note de l’Avis Au Lecteur de l’Observation"" de Petit ""touchant le Vuide (vide supra, t. I, p. 326 et 330, n. 3). Dominicy avait résumé cette page de Galilée : il donnait même quelques phrases en italien, en particulier celle où se trouve l’expression dell’ altezza limitatissima que Pascal cite dans la conclusion de ses Traités posthumes. Cf. t. III, p. 264.
18. Pascal néglige la variation de poids tenant à la poussée de l’air. M. Mathieu en a conclu (Revue de Paris, 1er avril 1906, p. 577) que Pascal ne croyait pas à la pesanteur de l’air. M. Duhem fait observer avec raison « que la poussée de l’air, dont Pascal ne parle pas, est en effet trop faible pour qu’il y ait lieu d’en tenir compte. » (Revue générale des Sciences, art. cit., p. 812 a.) M. Milhaud a dégagé avec netteté la portée exacte de l’expérience : « En pesant la seringue dont la pointe plonge dans du mercure et où celui-ci est monté à la suite du piston, d’abord quand le mercure est encore au contact du piston, puis quand le piston soulevé davantage a laissé un espace apparemment vide, il veut montrer qu’il n’est intervenu aucune matière pesante entre le mercure et le piston » (Revue scientifique, art. cit., p. 774 b).
19. Voir en particulier la première Narration de Roberval, supra, p. 24.
20. Ibid., p. 28.
21. En travaillant plus tard à son « chapitre sur les Puissances trompeuses », Pascal se souviendra de ce sens commun dont on faisait l’arbitre des discussions scientifiques. Ms. des Pensées, fo 367, sup. II, fr. 82. « Parce, dit-on, que avez cru dès l’enfance qu’un cofre estoit vuide lorsque vous n’y voyez rien, vous avez cru le vuide possible. C’est une illusion de vos sens, fortifiée par la coutume, qu’il faut que la science corrige. » Et les autres disent : « Parce qu’on vous a dit dans l’Escolle qu’il n’y a point de vuide, on a corrompu vostre sens commun, qui le comprenoit si nettement avant cette mauvaise impression, qu’il faut corriger en recourant à vostre première nature. » Qui a donc trompé ? les sens ou l’instruction ? »
22. Voir les allusions de Descartes à ce passage, infra, 165 et p. 408.