La publication par François Ruffin de son livre Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié (1), puis les échanges lors de la Fête de L’Humanité, le week-end du 13 au 15 septembre, ont relancé les débats stratégiques et idéologiques au sein de La France insoumise sur les catégories populaires.

Depuis la publication, en 2011, par le laboratoire d’idées Terra Nova, proche du Parti socialiste, d’une étude sur les mutations de l’électorat de gauche, la question est récurrente. La gauche peut-elle encore être le parti des classes populaires ?

Les électorats populaires RN et LFI

Les termes du débat sont connus. La stratégie de conquête électorale de Jean-Luc Mélenchon se fonde sur ce qu’il appelle « la nouvelle France », celle des « grands ensembles urbains ». Sans l’assumer, l’ancien candidat à l’élection présidentielle applique ce que Terra Nova avait théorisé dans sa fameuse note : s’appuyer sur une « France de demain » représentée par les diplômés, les jeunes, « les minorités et les quartiers populaires ».

Selon les données de l’Ifop, aux dernières élections européennes, le 9 juin, deux forces possédaient un électorat significativement composé des catégories populaires : La France insoumise (31 % de ses électeurs) et le Rassemblement national (37 %).

Pour le reste, les différences sont flagrantes. Côté LFI, 58 % de diplômés supérieurs au baccalauréat, 46 % d’électeurs âgés de moins de 35 ans, 27 % habitant en agglomération parisienne et 11 % seulement dans une petite ville ou dans une commune rurale.

Côté RN, 42 % de diplômés inférieurs au baccalauréat, 19 % seulement d’électeurs âgés de moins de 35 ans, 10 % habitant en agglomération parisienne, 23 % dans des petites villes et 26 % dans une commune rurale. Autrement dit, le face-à-face entre deux électorats populaires : la fameuse « France des tours » opposée à « la France des bourgs » ou des villages.

Mobiliser ou élargir

Pour l’emporter, Terra Nova ajoutait une stratégie complémentaire « d’élargissement vers les classes moyennes ». Au contraire, LFI mise sur la mobilisation des abstentionnistes, nombreux au sein de sa « nouvelle France ».

« Le gros de la troupe qui va nous faire gagner, ce sont les quartiers populaires, avait exposé Jean-Luc Mélenchon en septembre 2023, devant les militants LFI. La priorité, c’est de les convaincre eux. »

C’est ce qu’il a redit, samedi 7 septembre, en marge d’une manifestation : « Il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers populaires. Tout le reste, laissez tomber, on perd notre temps. Là se trouve la masse des gens qui ont intérêt à une politique de gauche. »

C’est pourquoi, dans son livre, François Ruffin accuse Terra Nova hier et LFI aujourd’hui d’avoir « délibérément choisi de ne pas combattre le RN là où il est fort, de lui abandonner le gros du pays, de lui lâcher les ouvriers et les employés ». Une critique qu’il a reprise à la Fête de L’Humanité : « Le choix de Jean-Luc Mélenchon est suicidaire, il ne nous permet pas d’être majoritaires. Il nous faut tout faire pour toutes les classes populaires, ne laisser tomber personne, gagner en Seine-Saint-Denis comme en Picardie. »

Invité à la même table ronde, le député LFI Raphaël Arnault, issu de l’extrême gauche, lui a porté la contradiction en tranchant : « Ce qu’on a à faire, ce n’est pas d’aller séduire des racistes. »

« La gauche ne gagnera jamais si elle n’élargit pas son électorat, donc elle doit effectivement reconquérir les catégories populaires traditionnelles gagnées par le RN, analyse le politologue Rémi Lefebvre. Mais cela va être très difficile d’aller chercher des catégories acquises depuis longtemps à l’extrême droite, et de parler en même temps à la “France des bourgs”, qui aime la police, et à la “France des tours”, victime de violences policières, qui la déteste. »

(1) Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié, Éd. Les liens qui libèrent, 124 p., 12 €.