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une jeune femme choquée qui regarde la télévision avec des popcorns sur les genoux et une télécommande à la main.
Certains publicitaires font le choix de choquer pour être remarqués dans la guerre de l'attention. Un bon calcul ? Roman Samborskyi/Shutterstock

Quand la pub choque : le dégoût est-il une stratégie marketing efficace ?

Dans un contexte de guerre de l’attention, toujours plus féroce avec la multiplication des écrans, la tentation de choquer pour marquer existe. C’est notamment le cas dans la publicité. Cette stratégie est-elle toujours la bonne ? Quels résultats en attendre ?


Nous avons tous en mémoire des publicités choc mettant en scène un enfant victime de la faim et de la guerre ou un ours polaire sur un minuscule radeau de glace… Les publicitaires utilisent régulièrement des images qui provoquent en nous des émotions difficiles ou qui vont à l’encontre des normes sociales afin d’attirer notre attention, un phénomène appelé shockvertising.

Dettol, par exemple, a imaginé une campagne pour ses produits d’hygiène dans laquelle on voyait au premier plan une main ensanglantée, et au second plan un cadavre humain avec un poignard planté dans la poitrine et ce logo : « Quand un simple savon ne suffit pas ». Les publicitaires suscitent intentionnellement des émotions fortes, qui sortent de l’ordinaire, comme le dégoût, afin de capter l’attention. Pourtant, l’association d’une image provocante et d’une marque va à l’encontre de toute attente en matière de publicité. L’objectif est souvent d’attirer l’attention et de se faire une place dans la jungle publicitaire.

Jusqu’à aujourd’hui, les recherches autour de ce phénomène se sont principalement centrées sur la question de l’efficacité ou non de cette stratégie. Dans un paysage publicitaire où l’attention est devenue un enjeu majeur, le recours au choc agit un peu comme un interrupteur d’annulation pour forcer les consommateurs à prêter attention à une campagne. Cette perspective peut sembler alléchante à première vue. Toutefois, la réalité pourrait bien être tout autre.

Les différents aspects du dégoût

Les travaux menés avec Elena Fumagalli ont cherché à déterminer non seulement l’impact du shockvertising, mais aussi la manière dont différents types d’images fortes et choquantes affectent ceux qui les regardent. La réaction émotionnelle du public est-elle différente si l’image est moralement révoltante plutôt qu’effrayante ou physiquement répugnante ? Et dans quelle mesure la personne concernée a-t-elle conscience de cette réaction ? Il y a actuellement un décalage entre la façon dont nous concevons la nature du dégoût et le point de vue des spécialistes du marketing.

En psychologie, le dégoût est considéré comme un phénomène complexe et varié, alors que les professionnels du marketing ne perçoivent généralement pas ses diverses facettes. En psychologie, il est d’usage de distinguer différentes sortes de dégoût, chacune déclenchant une réaction comportementale, physiologique et psychologique différente. Le dégoût peut être physique – comme c’est le cas avec des aliments avariés ou des liquides corporels – ou bien moral, par exemple, lorsque l’on se sent outré en raison d’un acte raciste ou violent. Certains chercheurs ont montré qu’il existait un lien avec le sentiment de menace par rapport à différentes dimensions de notre sécurité qu’elle soit sociale, morale ou corporelle.

D’après nos recherches, des idées menaçantes pour le concept de soi peuvent influencer inconsciemment le comportement des acheteurs. En fait, la perception que nous avons de nous-mêmes reste assez stable dans le temps, et nous tendons à vouloir protéger les facteurs qui contribuent à préserver cette image, comme le contrôle, l’estime de soi et le sentiment d’appartenance. Si bien que lorsque quelque chose vient bousculer notre stabilité, nous prenons des mesures pour retrouver notre équilibre psychologique.

La consommation contre le dégoût

L’idée, c’est que lorsque nous sentons qu’un certain aspect de nous-mêmes est ébranlé, nous essayons de recouvrer une position ancrée. Imaginons une personne qui a passé une mauvaise journée au travail, de sorte que cela entame son statut social ou de puissance. Pour se sentir mieux, elle peut par exemple acheter ou porter des articles qui symbolisent ce statut ou cette puissance, comme des produits de luxe. Ce comportement renforce momentanément la perception de soi-même, même si la personne n’en a pas pleinement conscience. Il semblerait que cette mécanique de régulation de notre perception de nous-mêmes entre en jeu lorsqu’une image répugnante ou inquiétante pénètre notre esprit. Une personne confrontée à un certain dégoût physique voit que son sentiment de contrôle et de puissance est menacé.


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Au regard des recherches antérieures, il avait été prédit que des stimuli moralement déplaisants engendreraient un état de rupture vis-à-vis des normes morales collectives et une baisse du sentiment d’appartenance et, par conséquent, un comportement susceptible de rétablir l’appartenance et le lien social, par exemple un don à une association caritative ou une aide à quelqu’un. Les stimuli physiquement déplaisants devaient quant à eux menacer le sentiment de contrôle et de puissance, et entraîner un comportement d’achat compensateur afin de recouvrer une impression de puissance.

Des effets différenciés sur l’ego

Huit expériences sont venues confirmer ces prédictions. En comparaison avec un groupe témoin (stimuli neutres), les participants exposés aux stimuli de dégoût moral ont été plus enclins à faire un don à une association caritative ou à aider quelqu’un lors d’une étude ultérieure. Quant au panel soumis aux stimuli de dégoût physique, il a eu tendance à préférer des logos de marque plus imposants et autres signes de consommation ostentatoire.

Ainsi, une image répugnante nous rend tristes sans que l’on sache précisément identifier la cause de cette morosité. Cependant, grâce à ces expériences, nous pouvons déterminer les aspects du soi qui se sentent menacés par une image répugnante donnée. Ces résultats pour puissants qu’ils sont doivent être interprétés et maniés avec précaution : le lien de causalité entre le type de support de shockvertising et la réaction du consommateur reste ténu. On ne parle pas d’un déclencheur qui entraînerait à coup sûr un résultat prévisible.

De plus, d’autres effets marginaux doivent être pris en compte par les experts en marketing dans leur stratégie de shockvertising pour attirer l’attention du public. Il est important de ne pas oublier non plus que la vue d’images choquantes va provoquer des émotions extrêmes, qui peuvent déboucher sur des actions pas forcément désirables du point de vue du marketing.

Cette étude rappelle aussi aux spécialistes du marketing que les images fortes doivent être choisies avec précaution en fonction du type de réaction que les publicitaires cherchent à susciter. Elle rappelle toutefois que les répercussions comportementales liées à des contenus forts ou émotionnels n’ont pas encore été toutes découvertes.

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