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Philosophie du droit

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Les réflexions d'Averroès sur les rapports entre droit et philosophie ont été commentées pendant des siècles.

La philosophie du droit est une branche de la philosophie qui a pour objet d'étudier le droit et ses relations avec d'autres systèmes de normes[1],[2].

Les deux principales écoles de la philosophie du droit sont celle du droit naturel et du positivisme juridique. Pour les philosophes positivistes, le droit est un système reposant sur l'autorité d'un pouvoir politique. Ils insistent surtout sur l'importance des législations élaborées par les États. Pour les philosophes jusnaturalistes, le droit est inhérent à l'existence humaine et ses règles ne dépendent pas uniquement des autorités. Par exemple, les droits de l'Humain reposent en grande partie sur des idées de la philosophie du droit naturel.

La philosophie du droit analyse les questions fondamentales du droit[3]. Elle traite de sa nature et de ses conceptions de la justice. Elle s'intéresse à la genèse des normes et des droits, ainsi qu'aux fondements de sa validité. Elle s'interroge sur les techniques d'interprétation du droit, en soulevant par exemple la question du respect de la lettre ou de l'esprit de la loi. La philosophie du droit se trouve ainsi à la confluence de la philosophie politique et de l'éthique[4].

La philosophie du droit ne se confond pas avec l'interprétation des normes juridiques, ni avec l'étude de la jurisprudence. Les philosophes jugent le droit d'un point de vue qui se veut fondateur (ou refondateur) pour le droit lui-même[5]. La philosophie du droit n'est donc pas une branche du droit, mais bien de la philosophie. Dans sa Doctrine du droit, Emmanuel Kant écrit que le droit n'est en soi, indépendamment de la philosophie, qu'une belle tête, mais sans cervelle.

La philosophie de Mireille Delmas-Marty visait à changer les manières de voir le droit. D'après ses idées, les mobiles d'Alexander Calder pourraient constituer un nouveau symbole du droit[6].

Parce que la philosophie du droit permet au juriste une réflexion sur les normes et les valeurs, cette discipline peut influencer des revirements de jurisprudence ou le vote de nouvelles lois. Le droit public français a été particulièrement influencé par la philosophie du droit[7]. Au XIXe siècle, certains professeurs, tels qu'Alfred Fouillée, soutiennent que le bouillonnement intellectuel permis par la philosophie du droit a été responsable d'évènements tels que la Révolution française[8].

Dans son cours de droit de 1844 à l'université de la Sorbonne, Jules Cauvet écrit que « les efforts de la philosophie du droit pour constater les bases primitives des législations présente[nt] un autre résultat plus important encore : ils serviront à combattre cette doctrine si funeste à nos pères, [selon laquelle] la loi peut consacrer la spoliation et l'injustice quand cela paraît nécessaire au salut de l’État »[9].

Philosophie du droit et théorie du droit

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Philosophie du droit et théorie du droit sont souvent utilisées de manière interchangeable, cela étant ils dénotent deux visions différentes de l'approche du droit, la première adoptant une approche métaphysique et la deuxième une approche plus scientifique[10],[11],[12].

Le terme de « philosophie du droit » provient des Principes de la philosophie du droit, que Georg Friedrich Hegel publie en 1821[11]. Le concept reste pendant longtemps ambigu. Il doit toutefois être distingué de celui de théorie du droit (Rechtlehre). La théorie du droit a pour objectif de découvrir une définition objective du droit, et chaque école de pensée argumente dans le sens d'une thèse spécifique qui vise à expliquer le droit. A contrario, « la philosophie du droit quête l'essence éternelle et universelle du phénomène juridique, en recourant largement à la spéculation et à la stipulation »[13].

Écoles de pensée

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Droit naturel

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Le droit naturel (en latin : jus naturale) est l'ensemble de normes théoriques prenant en considération la nature de l'Homme et sa finalité dans le monde. Le droit naturel a fait l'objet de réflexions philosophiques importantes à partir du XVIe siècle.

Positivisme

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Le positivisme juridique est un courant en théorie du droit qui décrit le droit tel qu'il existe dans la société, plus que tel qu'il devrait être. Il s'oppose au jusnaturalisme.

Le positivisme juridique consiste à rejeter l'importance d’un droit idéal (appelé droit naturel) et à affirmer que seul le droit positif (lois, jurisprudenceetc.) a une valeur juridique. Ainsi, la loi ou la jurisprudence serait donc la seule norme à respecter (positivisme légaliste).

Par exemple, un positiviste juridique dira qu'il ne faut pas tuer car cela va contre la loi décidée par les hommes, alors qu'un jusnaturaliste pensera qu'il ne faut pas tuer car cela est contre le droit (pour un jusnaturaliste, le droit précède la loi censée le faire respecter).

Théorie critiques

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Selon François Ost et Michel van de Kerchove, les théoriciens du droit utilisent classiquement le symbole de la pyramide pour représenter l'idée positiviste de la hiérarchie des normes[14].

La théorie du droit désigne l'étude et l'analyse des concepts et principes fondamentaux du droit et des lois. Discipline située à l'intersection entre philosophie, études juridiques et sciences politiques, elle est désignée, en anglais, sous le nom de « jurisprudence[15],[16]» ou de « legal theory ».

Parmi les principaux courants de la théorie du droit, on peut citer le réalisme (le juge Oliver Holmes aux États-Unis ou Axel Hägerström en Suède), qui se rapproche parfois de la sociologie du droit, en mettant l'accent sur les pratiques effectives des acteurs juridiques. Deux autres courants importants sont les études juridiques critiques, qui mettent le droit en perspective par rapport à la politique et l'anthropologie, et les approches de la outsider jurisprudence qui appréhendent le droit à partir des perspectives des communautés marginalisées.

Philosophie du droit et théorie du droit sont souvent utilisés de manière interchangeable, cela étant elles dénotent deux visions différentes de l'approche du droit, la première adoptant une approche métaphysique et la deuxième une approche plus scientifique[17],[18],[19].

Par domaine

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Épistémologie

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L’épistémologie du droit ou épistémologie juridique est « l’étude de la formation et du développement du savoir juridique » [20]. Plus techniquement, l'épistémologie du droit est « l’étude des modalités selon lesquelles les assertions portant sur le droit sont fondées et produites » [21].

L’emploi du terme d’épistémologie juridique est sujet à controverse car il semble supposer que le droit peut faire l’objet d’une science ou que le droit est une science. Or ces idées sont fortement débattues dans le domaine de la théorie du droit si bien que l’usage des termes « épistémologie du droit » ou « épistémologie juridique » est loin d’être une évidence.

Ainsi, la question essentielle qui se pose à propos de l’épistémologie juridique est de savoir si elle existe en tant que telle, autrement dit si elle est autonome vis-à-vis d’autres disciplines. La possibilité même de l’épistémologie juridique fait l’objet de débats parmi les philosophes et les théoriciens du droit non seulement sur l’usage du terme mais encore sur l’idée elle-même qui paraît impliquer d’identifier un objet et une méthode propres en droit. C’est dans cette dernière voie que se sont engagés des auteurs défendant la spécificité de l’épistémologie juridique au regard d’autres disciplines afin d’isoler ses caractères propres. Ainsi, certains écrits se réclament explicitement de l’épistémologie juridique tandis que d’autres écrits abordent des thématiques épistémologiques mais sans employer le mot, sans doute parce son usage lui-même est controversé.

Métaphysique

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Dans la pensée de Thomas d'Aquin, le droit est lié à la nature même de la réalité telle qu'elle aurait été créée par la divinité[22].

Emmanuel Kant propose de penser le droit comme distinct de l'éthique[23].

Esthétique

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Selon le professeur Desmond Anderson, la manière dont la beauté est pensée et créée joue un rôle central dans le pouvoir persuasif du droit et dans ses raisonnements[24]. Ludger Schwarte (de) pense aussi que les procédures judiciaires sont fondamentalement des mises en scène[25].

Par philosophe

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Hannah Arendt

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La politologue Hannah Arendt remet en question les idées prévalentes de son temps sur le droit à plusieurs égards. Elle est témoin du régime nazi qui justifie toutes ses actions par un discours juridique, puis des premiers procès pénaux internationaux qui tentent de créer un cadre judiciaire pour des évènements historiques. Hostile à ces discours qui utilisent le droit pour dissimuler les rapports de pouvoir réels, Arendt défend une vision de la loi et de la justice comme intrinsèquement liées à la politique. Pour elle, c'est la tension entre les combats politique et la promesse d'harmonie du droit qui permet de fonder des communautés humaines véritablement libres. Ses idées sur le droit international, particulièrement sa critique des droits humains, sont débattues jusqu'à aujourd'hui.

Gilles Deleuze

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« Si je n'avais pas fait de la philosophie, j'aurais fait du droit, mais justement pas du droit de l'homme. J'aurais fait de la jurisprudence, parce que c'est la vie[26]. »

— Gilles Deleuze, L'Abécédaire de Gilles Deleuze

Le philosophe Gilles Deleuze a posé des questions sur le fonctionnement du droit. Pour lui, la loi et les droits humains sont inutiles, et il pense que la jurisprudence est une meilleure manière de trouver des règles. Cela a inspiré d'autres intellectuels, qui ont réfléchi sur comment on pourrait traiter les disputes en s'appuyant à chaque fois sur les cas similaires vus dans le passé, de manière collective et sans autorité centrale. La philosophie de Deleuze sur ce sujet – partagée avec son ami Félix Guattari – utilise beaucoup la lecture de romans, de nouvelles, et d'histoires érotiques. Deleuze et Guattari ont insisté que faire du droit, en réalité, c'est presque comme faire de la politique. Dans leur idée, les communautés marginalisées sont capables de ré-imaginer la justice et d'inventer de nouvelles manières de créer et interpréter les normes.

Simone Weil

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Le droit, selon la philosophie de Simone Weil, ne doit pas être réduit à des règles fixes, et se pratique avant tout en accordant attention et compassion à autrui. Suivant sa pensée autour de ce sujet, la notion de droits que l'on pourrait posséder ou distribuer est particulièrement dangereuse car ils servent à dissimuler l'usage de la force. Simone Weil estime que l'idée d'obligation au contraire permet de poursuivre l'idéal de la justice. Lors de sa participation à la Résistance française à Londres, elle a ainsi proposé de dépasser le concept des droits de l'homme pour créer une Déclaration des devoirs envers l'être humain.

Enseignement

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La philosophie du droit est une discipline mineure dans l'enseignement de la philosophie et l'enseignement de la philosophie en France, ainsi que dans l'enseignement du droit et l'enseignement du droit en France. En 1887, le professeur Diodato Lioy se plaint de ce qu'« il n'existe [en France] pas de cours spéciaux de philosophie du droit, comme en Allemagne, en Belgique, en Italie »[28].

En France, la théorie du droit se sépare désormais très nettement de la philosophie du droit par ses revendications non cognitivistes et elle est particulièrement développée autour du Centre de théorie du droit de Nanterre (Université Paris Ouest Nanterre La Défense), fondé par Michel Troper (voir notamment les travaux de Pierre Brunet ou Eric Millard), ainsi que du laboratoire de théorie du droit d'Aix-en-Provence (Université Paul Cézanne) (voir notamment les travaux de Christian Atias, Raphaël Draï ou Otto Pfersmann). La philosophie du droit est quant à elle étudiée, sous l'angle du droit politique, à l'institut Michel Villey (Université Panthéon-Assas) (voir les travaux de Denis Baranger, Olivier Beaud ou Olivier Jouanjan, et les revues "Jus Politicum"[29] et "Droit & Philosophie"[30]). Aux États-Unis on peut trouver les écrits de Oliver Wendell Holmes Junior qui est l'un des précurseurs de la philosophie du droit aux États-Unis d'Amérique. En Belgique l'un des précurseurs de la philosophie du droit est le philosophe René Berthelot.

Notes et références

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  1. (en) « Philosophy of law », sur Encyclopedia Britannica (consulté le )
  2. Kenneth Einar Himma, « Philosophy of Law », sur The Internet Encyclopedia of Philosophy,
  3. *De philosophie du droit: 1, F.A. Brockhaus, (lire en ligne)
  4. Bjarne Melkevik, Horizons de la philosophie du droit, Presses Université Laval, (ISBN 978-2-7637-7564-7, lire en ligne)
  5. Louis Le Fur, Philosophie du droit international, A. Pedone, (lire en ligne)
  6. Nicolas Guillou, « Mireille Delmas-Marty et la représentation métaphorique du droit: », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, vol. N° 1, no 1,‎ , p. 11–18 (ISSN 0035-1733, DOI 10.3917/rsc.2301.0011, lire en ligne, consulté le )
  7. Heinrich Ahrens, Cours de droit naturel ou de philosophie du droit: fait d'après l'état actuel de cette science en Allemagne, Meline, Cans et compagnie, (lire en ligne)
  8. Alfred Fouillée, L'idée moderne du droit en Allemagne, en Angleterre et en France, Hachette, (lire en ligne)
  9. Jules Cauvet, De la Philosophie du Droit, Imp. A. Hardel, (lire en ligne)
  10. (en) Gerald J. Postema, A Treatise of Legal Philosophy and General Jurisprudence, Dordrecht, Springer Netherlands, , 181–211 p. (ISBN 978-90-481-8960-1, DOI 10.1007/978-90-481-8960-1_5, lire en ligne), « Economic Jurisprudence »
  11. a et b Michel Troper, La philosophie du droit, Paris, Presses universitaires de France, , 126 p. (ISBN 978-2-13-058535-0, OCLC 758906668, lire en ligne)
  12. Jean-Pascal Chazal, « Philosophie du Droit Et Théorie du Droit, Ou l'Illusion Scientifique », Archives de Philosophie du Droit, vol. 45,‎ , p. 303–333 (lire en ligne, consulté le )
  13. Boris Barraud, La recherche juridique. Sciences et pensées du droit, Paris, L'Harmattan, , 550 p., p. 45-46.
  14. François Ost et Michel van de Kerchove, De la pyramide au réseau? pour une théorie dialectique du droit, Facultés universitaires Saint-Louis, coll. « Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis 1, Collection générale Droit », (ISBN 978-2-8028-0153-5)
  15. (en) « jurisprudence translate to French: Cambridge Dictionary », sur dictionary.cambridge.org (consulté le ).
  16. (en) « Jurisprudence definition and meaning | Collins English Dictionary », sur www.collinsdictionary.com (consulté le ).
  17. (en) Gerald J. Postema, A Treatise of Legal Philosophy and General Jurisprudence, Springer Netherlands, , 181–211 p. (ISBN 9789048189601, DOI 10.1007/978-90-481-8960-1_5), « Economic Jurisprudence »
  18. Michel Troper, La philosophie du droit, Paris, Presses universitaires de France, , 126 p. (ISBN 978-2-13-058535-0, OCLC 758906668, lire en ligne)
  19. Jean-Pascal Chazal, « Philosophie du Droit Et Théorie du Droit, Ou l'Illusion Scientifique », Archives de Philosophie du Droit, vol. 45,‎ , p. 303–333 (lire en ligne, consulté le )
  20. C. Atias, Science des légistes, savoir des juristes, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 3e éd, 1993, p. 33.
  21. C. Atias, Épistémologie du droit, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1994, p. 4; Dictionnaire encyclopédique de théorie et sociologique du droit (dir. A.-J. Arnaud), V° Épistémologie juridique, 2ème éd. LGDJ, 1993, p. 228.
  22. https://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.journals/bamalr58&div=26&id=&page=
  23. CHIFFLOT Martine. Éthique et droit. L’Enseignement philosophique, 2014/4 64e Année, p.4-18. DOI : 10.3917/eph.644.0004. URL : https://shs.cairn.info/revue-l-enseignement-philosophique-2014-4-page-4?lang=fr.
  24. Manderson, D. (2000). Songs without music: Aesthetic dimensions of law and justice (Vol. 7). Univ of California Press.
  25. Guillaume Paugam et Charles Ruelle, « Ludger Schwarte : l’esthétique performative du droit », Labyrinthe [En ligne], 23 | 2006 (1), mis en ligne le 23 juillet 2008, consulté le 25 septembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/labyrinthe/1155 ; DOI : https://doi.org/10.4000/labyrinthe.1155
  26. (fr-fr) L'Abécédaire de GILLES DELEUZE : G comme Gauche (HD), consulté le , la scène se produit à 13:34.
  27. Tommaso Greco, « Senza benda, né spada. L'immagine weiliana della giustizia » [« Sans bandeau ni épée. Les images de la justice chez Weil »], dans Pensiero e giustizia in Simone Weil, Aracne, coll. « Donne nel Novecento », (ISBN 978-88-548-2974-9, lire en ligne) :

    « Se questa può essere la nostra conclusione, possiamo però individuare almeno un elemento della simbologia tradizionale che rientra a pieno titolo nell'immagine weiliana della giustizia, e che anzi viene a dare man forte proprio all'operazione di sovvertimento che si è tentato di ricostruire. Si tratta di un elemento "minore" ma non irrilevante: il ginocchio tenuto scoperto. »

  28. Diodato Lioy, La philosophie du droit, Chevalier Maresque, (lire en ligne)
  29. « Jus Politicum - Encyclopédie de droit politique », sur juspoliticum.com (consulté le )
  30. « Droit & Philosophie - Annuaire de l'institut Michel Villey - Accueil », sur droitphilosophie.com (consulté le )

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Bibliographie

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Introductions

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Manuels et cours

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Articles connexes

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