Agrapha
Les agrapha, au singulier agraphon (du grec ancien αγραφον, « non écrit »), sont des paroles attribuées à Jésus de Nazareth et rapportées dans d'autres textes que les quatre évangiles canoniques, à la différence des logia, paroles de Jésus rapportées uniquement dans ces quatre évangiles.
On trouve de telles sentences dans les Actes des apôtres (20,35[1]), dans les épîtres pauliniennes (première épître aux Corinthiens 7,10[2] ; 9,14[3] ; Épître aux Romains, 14,14[4], première épître aux Thessaloniciens, 4, 15-17[5].), dans certains apocryphes comme l’Évangile selon Thomas, chez les Pères de l'Église et dans la littérature rabbinique et musulmane.
Origines
[modifier | modifier le code]Le terme agrapha est créé par le savant allemand Johann Gottfried Körner[6] dans son ouvrage De sermonibus Christi Agraphois, paru en 1776, dans lequel il en propose 16[7]. Le premier à rassembler et étudier les agrapha de manière systématique est le théologien allemand Alfred Resch (+1912) dans l'ouvrage Agrapha: Aussercanonische Schriftfragmente, publié à Leipzig en 1906[8], à la suite duquel les chercheurs vont tenter d'isoler les paroles susceptibles de remonter à Jésus lui-même de la masse des paroles attribuées erronément ou réécrites[9].
Authenticité et interprétations
[modifier | modifier le code]La découverte et l'analyse du papyrus 654 d'Oxyrhynque, datant du IIIe siècle, semble attester qu'il a existé des recueils de paroles de Jésus[10]. Dans le cas des agrapha, s'agissant toujours de citations isolées, on ne sait dire s'il s'agit d'extraits de textes narratifs ou de collections de paroles à l'instar de l’Évangile selon Thomas[11].
Les agrapha ne semblent néanmoins pas provenir de traditions indépendantes et corroborent généralement les sources évangéliques[12]. Si leur nombre est élevé, l'essentiel apparait être une réécriture de paroles déjà connues et seuls 20[13] ou 21[14] d'entre eux sont retenus comme authentiques suivant les travaux critiques, notamment l'étude systématique de Joachim Jeremias[15].
Certains chercheurs - à l'instar de John Dominic Crossan[16] - leur accordent une place très importante dans leur recherche sur le Jésus de l'histoire, tandis que d'autres, comme John P. Meier[17] estiment que leur apport au sujet est presque nul. Néanmoins, les agrapha « authentiques » parmi les logia de Jésus ne sont pas les seuls dignes d'intérêt, d'un point de vue historien : les autres agrapha peuvent également témoigner du travail d'interprétation et d'actualisation des propos de Jésus dans les premières communautés chrétiennes[18]. De manière plus générale, Helmut Koester, suivi notamment par Pierre Gisel, estime que l'option tendant à considérer les seuls textes canoniques comme ayant autorité à enregistrer l'histoire des débuts du christianisme n'est pas recevable[19].
Exemples
[modifier | modifier le code]« Jésus a dit : Regardez vers le Vivant, tant que vous vivez, de peur que vous ne mourriez et ne cherchiez à le voir sans réussir à le voir. »
— Évangile selon Thomas, logion 59[20]
« Jésus a dit : Il y en a beaucoup qui se tiennent près de la porte mais ce sont les solitaires qui rentreront dans la chambre nuptiale. »
— Évangile selon Thomas, logion 75[21]
« Demandez les grandes choses et les petites vous seront ajoutées. »
— Clément d'Alexandrie, Stromates, 1, 24, 158, 2[22]
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Ac 20. 35.
- 1 Co 7. 10.
- 1 Co 9. 14.
- Rom 14. 14.
- 1 Th 4. 15-17.
- Professeur allemand de théologie, 1726-1785.
- Bernhard Pick, The Extra-Canonical Life of Christ; Being a Record of the Acts and Sayings of Jesus of Nazareth Draw, 1887, extrait en ligne.
- Ouvrage en ligne.
- Jean Daniel Kaestli, « L'utilisation de l’Évangile selon Thomas dans la recherche actuelle sur les paroles de Jésus », in Daniel Marguerat et alii, Jésus de Nazareth: nouvelles approches d'une énigme, éd. Labor et Fides, 1998, p. 374, extrait en ligne.
- Frédéric Amsler, L'Évangile inconnu : La source des paroles de Jésus (Q), éd. Labor et Fides, 2006, p. 19, extrait en ligne.
- Frédéric Amsler, op. cit., p. 18.
- John P. Meier, Un certain Juif, Jésus, t. I : Les Sources, les origines, les dates, éd. Cerf, 2004, p. 71-72
- Paul Matteï, Le Christianisme antique de Jésus à Constantin, éd. Armand Colin, 2008, p. 53.
- Simon Claude Mimouni et Pierre Maraval, Le Christianisme des origines à Constantin, éd. P.U.F/Nouvelle Clio, 2006, p. 80.
- Les Paroles inconnues de Jésus, éd. Cerf, 1970 (éd. orig. en allemand, 1963).
- The Historical Jesus : the Life of a Mediterranean Jewish Peasant, éd. Harper, 1992.
- Op. cit.
- Jean Daniel Kaestli, op. cit.
- La Théologie face aux sciences religieuses: différences et interactions, éd. Labor et Fides, 1999, p. 230, passage en ligne.
- Traduction : Jacques E. Ménard, L'Évangile selon Thomas, éd. Brill, 1975, en ligne.
- Traduction : Jacques E. Ménard, op. cit.
- François Bovin, L"Évangile selon saint Luc ; 9,51-14,35, éd. Labor et Fides, 1991, p. 269 extrait en ligne.
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Fr. Bernard-Marie, ofs, Le Cinquième Évangile d’après les agrapha et quelques mystiques, éd. La Renaissance, 1998
- (en) William G. Morrice, Hidden Sayings of Jesus. Words attributed to Jesus outside the four Gospels, éd. SPCK, 1997
- Helmut Koester, « Une production de la communauté chrétienne : les paroles du Seigneur», in Helmut Koester et François Bovon, Genèse de l'écriture chrétienne, éd; Brepols, 1996, p. 23-58
- (en) Helmut Koester, Ancient Christian Gospels, éd. Trinity Press International, 1990
- (en) William D. Stroker, Extracanonical Sayings Of Jesus, éd. Scholars Press, 1989
- Joachim Jeremias, Les Paroles inconnues de Jésus, éd. Cerf, 1970
- (de) Helmut Koester, Helmut Koester, Synoptische Uberlieferung bei den Apostolischen Vatern, Berlin, 1957
- Émile Besson, Les Logia Agrapha. éd. Les Amitiés Spirituelles, 1923