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Mahir Guven, écrivain : « Parlera-t-on un jour du traumatisme vécu par les citoyens désignés comme indésirables par l’extrême droite ? »

L’issue des élections législatives est certes un soulagement, mais aussi un simple répit. Elle ne doit pas faire oublier la souffrance des Français d’origine étrangère ou binationaux, stigmatisés durant toute la campagne, souligne le romancier.

Publié le 20 juillet 2024 à 05h45 Temps de Lecture 6 min.

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Quelle étrange victoire. Alors que, le 7 juillet au soir, une partie des Français célébrait un résultat aussi imprévu qu’historique, l’arrivée en tête du Nouveau Front populaire, une autre respirait enfin, après un mois d’apnée, de craintes et de silence, et surtout frappée d’une franche gueule de bois. Qui sont ces gens ? Des Français et des habitants de France, des étrangers, des immigrés, des descendants d’immigrés, des binationaux, des Français héritiers d’une couleur de peau qui n’est pas assez claire, des personnes porteuses d’un nom ou d’un prénom à consonance étrangère, membres d’une minorité religieuse. En fait, un habitant de la France sur trois, rien de moins qu’un tiers de la société. Presque autant d’invisibles auxquels le Rassemblement national reproche d’être trop visibles.

Parlera-t-on un jour du traumatisme vécu par les citoyens désignés comme indésirables par l’extrême droite pendant cette campagne électorale ? Après la dissolution, l’habituel vent de rejet qui « nous » pousse à affronter la vie de manière combative s’est transformé en une tempête, nous laissant aussi tétanisés que paniqués. Les habituelles discussions autour de nos conditions de vie et des discriminations ordinaires ont pris instantanément des allures de théâtre des doléances et des craintes : nos téléphones n’ont jamais autant sonné. Nous avons eu peur et nous avons encore peur.

Ce tiers de la France a été le centre de ces élections. Pour lui, une victoire du RN [Rassemblement national] signifiait au mieux la marginalité, au pire, un départ. Pour un enfant de réfugiés sans papiers comme moi, intello, le court texte « Nous autres réfugiés » d’Hannah Arendt fait office de talisman et d’avertissement. La philosophe allemande y raconte le traumatisme du départ, de l’arrachement à sa terre, de la perte de son travail, de son foyer et de sa langue, et l’enracinement ailleurs.

Silence assourdissant

Mes parents se sont réfugiés en France après avoir été condamnés à mort en Turquie à la suite du coup d’Etat de 1980. Ils s’étaient révoltés contre un pouvoir autoritaire, raciste, et ont trouvé dans l’Hexagone un refuge, un îlot de stabilité, une terre de liberté pour élever leurs enfants et se projeter. Malgré cela, ils n’ont pas été épargnés par l’autoritarisme installé à la tête de leur pays d’origine. Nous avons échappé à un premier attentat ici, sur le sol français, et nos passeports de réfugiés n’ont malheureusement pas suffi à arrêter les balles : mon père n’a pas survécu au deuxième attentat, commis en 1991. L’extrême droite marche toujours vers la négation de la vie, soit elle l’exécute soit elle y pousse. Pour cette raison intime, il m’est particulièrement douloureux d’affronter la montée du péril raciste, comme il l’est pour des millions de Français qui se souviennent, ou à qui on a transmis la mémoire du passé. Nous autres, les Français de la « diversité » pouvons tout perdre. Cela n’arrivera pas du jour au lendemain après un premier succès de l’extrême droite, mais par une marginalisation progressive, l’installation, ou la réinstallation, tout d’abord d’un discours séparatiste puis de mesures excluantes et discriminantes. La séquence sur les binationaux a fait office, en quelque sorte, d’un rappel des volontés du RN.

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