Lauréat du festival Impatience en 2016, le jeune metteur en scène propose une mise en scène enthousiasmante de La Brèche de Naomi Wallace où les dominations sociale et sexuelle sont dénoncées et mises en pièces à travers le parcours d’un quatuor d’adolescent·es.
Dans une chute, ce n’est pas tant l’arrivée brutale sur le sol qui fait mal que le laps de temps qui s’écoule avant le choc final et ses conséquences. Ce que Faulkner décrit si bien dans Absalon, Absalon ! : “Ce n’est pas du coup lui-même que nous souffrons, mais de sa fastidieuse répercussion, du contrecoup, des sales conséquences qu’il nous faut balayer du seuil même du désespoir.”
C’est l’étendue de cette séquence, ce qui la remplit et la déborde pour se déverser sur l’entourage que la dramaturge Naomi Wallace décrypte dans La Brèche, magistralement mise en scène par Tommy Milliot. Comme les halos que forme un caillou jeté dans l’eau, la mort au travail du père d’Acton, un ouvrier victime d’un harnais défectueux au sommet d’un immeuble, n’en finit pas d’avoir des répercussions sur la vie de sa femme et de ses enfants.
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Jude, 16 ans, forte et déterminée, a pris le rôle du chef de famille tandis qu’Acton, adolescent asthmatique, excellent élève et musicien dans l’âme, est le souffre-douleur des élèves de son lycée. Il devient la brèche par laquelle Frayne et Hoke, 16 ans et fils de famille aisés, vont s’engouffrer pour le meilleur et pour le pire.
Démontrer la puissance mortifère de l’instrumentalisation de la femme
La pièce déploie simultanément deux temporalités. Les quatre adolescent·es grandissent dans le Kentucky et se rapprochent en 1977 quand Frayne et Hoke proposent de prendre Acton sous leur aile et de le défendre. Ils se réunissent dans le sous-sol de sa maison où Jude accepte avec réticence leur amitié. On les retrouve quinze ans plus tard, après l’enterrement d’Acton qui s’est suicidé en se jetant d’un pont.
Il·elles s’étaient tous·tes perdu·es de vue. Leurs retrouvailles vont enfin faire la lumière sur le pacte insensé qui les a réuni·es et définitivement séparé·es la nuit où Jude fêtait ses 17 ans. Sans rien dévoiler de la nature du drame qui s’est alors joué, disons que Naomi Wallace excelle à démontrer la puissance mortifère de l’instrumentalisation de la femme, aussi forte soit-elle, et sa détestable réification.
Deux groupes d’acteur·trices interprètent les personnages aux deux âges de leur vie et tous·tes sont absolument formidables. Tommy Milliot, que l’on suit depuis ses débuts, de Lotissement de Frédéric Vossier, qui a gagné le prix du festival Impatience en 2016, à Winterreise de Fredrik Brattberg en 2017, est décidément un metteur en scène passionnant qui progresse de spectacle en spectacle. Tout ici sonde l’intensité des rapports amoureux et d’amitié de ce quatuor que séparera pour toujours leur origine sociale avec un art consommé et extrêmement délicat des outils du théâtre.
Du travail d’orfèvre
Une présence charnelle indiscutable, un travail sur la scénographie – un espace blanc qui délimite l’aire de jeu et son hors-champ figuré par un muret – sublimé par le travail des lumières et des ombres et une présence sonore intermittente mais splendide qui résonne avec l’intensité des battements de cœur à l’âge où il est tendre jusqu’à son insoutenable pesanteur quand, plus tard, bien plus tard, le remords ou la colère les rendent assourdissants. Du travail d’orfèvre.
La Brèche de Naomi Wallace, mise en scène Tommy Milliot, avec Lena Garrel, Matthias Hejnar, Roméo Mariani, Dylan Maréchal, Aude Rouanet, Edouard Sibé et Alexandre Schorderet. Jusqu’au 17 octobre, Le Centquatre, Paris
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