En pariant sur les vies multiples de l’auteur du “Livre de l’intranquillité”, Robert Wilson propose un théâtre iconique qu’il ne cesse de réinventer pour le plaisir, entre tableaux vivants et revue de music-hall.
Assister à la première de la création de Robert Wilson, Pessoa : Since I’ve Been Me, était d’abord l’occasion de retrouvailles très attendues avec celui que l’on nomme “le magicien de Waco”. Mais tandis que l’on s’extasiait sur le talent toujours aussi bouleversant de Robert Wilson, on avait néanmoins du mal à oublier le hasard du calendrier électoral, faisant coïncider cette soirée du 5 novembre avec la nuit décisive de la présidentielle aux États-Unis. La menace de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump perturbait le regard porté sur la représentation.
Longtemps, sa pureté formelle avait fait de Robert Wilson un mètre étalon pour juger de la culture américaine, et le voici se faisant voler la vedette par son contraire, un bouffon politique assumant sa vulgarité… C’est dire l’avidité avec laquelle on espérait faire le vide dans notre tête ce soir-là.
Fernando Pessoa démultiplié
Avec Pessoa : Since I’ve Been Me, Robert Wilson consacre son spectacle à la poignée d’hétéronymes avec lesquels le Portugais multipliait ses identités d’écrivain. Incarné par quatre femmes et trois hommes, c’est un Fernando Pessoa démultiplié, pareil aux éclats d’un miroir brisé, que Wilson nous fait rencontrer. Sa troupe internationale puise à l’œuvre du poète en quatre langues, comme autant de masques ludiques.
L’artiste américain précise : “Dans mon imagination, la première partie concerne l’enfance, la deuxième l’âge adulte, et la troisième la mort.” Ainsi, le show débute par des images de papier découpées glissant sur une mer immense, se poursuit à travers des tableaux vivants entre chien et loup semblables à des crayonnés sensibles, et, pour finir, épingle les interprètes sur une éclatante toile de fond couleur rouge sang.
Un moment de félicité hors du temps
C’est en peintre expert que Wilson engage son art pour dialoguer avec le monde du poète. On largue vite les amarres qui nous retenaient au cauchemar du réel pour plonger dans cette ode au raffinement sans pareil. Comme un ultime geste de pudeur, Wilson déjoue le sérieux en multipliant les intermèdes grotesques d’un cabaret des origines qui fait office de chapitrage au spectacle. Du grand art.
Las, un spectacle n’a pas le pouvoir d’exorciser le cours de la réalité… Alors que le rideau venait de tomber, c’est au milieu des applaudissements qu’on apprenait l’info sinistre en rallumant les portables. Le cauchemar de l’ère Trump avait déjà commencé. Reste une soirée vécue tel un moment de félicité hors du temps, un refuge secret qui donne force et espoir face à cette nouvelle adversité.
Pessoa : Since I’ve Been Me, mise en scène, scénographie et lumière Robert Wilson, avec Maria de Medeiros, Aline Belibi, Rodrigo Ferreira, Klaus Martini, Sofia Menci, Gianfranco Poddighe, Janaina Suaudeau, au théâtre de La Ville-Sarah Bernhardt (dans le cadre du Festival d’Automne), Paris, jusqu’au 16 novembre, en français, italien, portugais et anglais, surtitré en français.
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