Reflétant la créativité du spectacle vivant à l’échelle internationale, cette 3e édition du festival toulousain, en cours jusqu’au 12 octobre, se distingue par un important focus sur la scène lituanienne. Émergent notamment “Hands Up”, performance à forte résonance politique, et “Have A Good Day!”, étincelant opéra contemporain sur la société de (sur)consommation.
Durant tout l’automne 2024, la Saison de la Lituanie en France invite à mieux connaître ce pays, petit mais néanmoins très fertile au niveau artistique, comme on peut le mesurer grâce à la riche programmation (expositions, spectacles, performances, projections, débats, conférences….) déployée dans l’Hexagone pour l’occasion.
L’un des principaux temps forts s’inscrit dans le cadre de la Biennale de Toulouse, événement de grande ampleur qui fédère une quarantaine de structures culturelles de la ville rose et couvre tout le spectre du spectacle vivant d’aujourd’hui. La 3e édition du festival a ainsi incorporé huit projets artistiques lituaniens, aux formats et registres variés, l’ensemble offrant un beau panorama sélectif.
Vivacité ludique
Accueillie ici dans la grande salle du ThéâtredelaCité, Have A Good Day! apparaît sans conteste comme la pièce phare du focus. Elle consiste en un opéra (ultra) contemporain ayant pour héroïnes dix caissières de supermarché, vêtues d’uniformes bleus, assises en ligne face au public, sous des barres de néons. Ensemble, elles entonnent ad libitum les litanies polies du quotidien (“Bonjour !” “Merci !” “Bonne journée !”) ou égrènent des noms de marchandises. Chacune à tour de rôle donne de la voix en solo pour livrer un peu de sa vie intérieure et témoigner de son rapport au travail.
Teintées d’une ironie souvent incisive, les paroles cabriolent à merveille sur une allègre partition musicale. Pleine de vivacité ludique, celle-ci mêle électronique (incluant les bips répétitifs d’appareils lecteurs de codes-barres) et piano (dont joue un vrai-faux agent de sécurité). À la fois épurée et sophistiquée, la remarquable scénographie parachève cette évocation distanciée de la société de (sur)consommation qui parvient à poétiser une éprouvante réalité avec une épatante acuité.
Créée en 2013, la pièce a été conçue et réalisée par Vaiva Grainytė (livret), Lina Lapelytė (musique) et Rugilė Barzdžiukaitė (mise en scène, décor). Artistes lituaniennes majeures, toutes trois ont depuis obtenu une large reconnaissance internationale grâce à une autre œuvre conjointe, Sun & Sea (Marina), qui leur a valu le Lion d’or à la Biennale de Venise 2019.
Intensité organique
Avec Hands Up, la danseuse et chorégraphe Agnietė Lisičkinaitė propose, quant à elle, une expérience atypique au croisement de la recherche artistique et de la revendication politique. Scindée en deux parties, la pièce débute par une déambulation collective dans la rue : en tête de cortège, l’artiste entraîne à sa suite le public, chaque personne brandissant silencieusement, bras tendus, une pancarte sur laquelle est inscrit un mot (“Feminism”, “Palestine”, “Speak”…) ou un slogan (“My body, my choice”, “Get up stand up, don’t give up the fight”…).
Dans la seconde partie, en intérieur, elle livre une performance proche du body art, d’une secouante intensité organique, qui fait écho – via des images vidéo projetées en fond de scène – à la déambulation préalable. Une exhortation éloquente, par le(s) corps, à la liberté et à la paix.
Fresque fantasmagorique
Hors du focus lituanien se détachent 30 Appearances Out of Darkness et The End – Part 2, deux créations récentes du chorégraphe néerlandais Arno Schuitemaker, dont le travail est trop peu montré en France. Ample pièce de groupe, la première prend la forme d’une fresque fantasmagorique, entre obscurité et clarté, parfois à la lisière du visible, peuplée de silhouettes ondulantes et traversée de pulsations obsédantes. Puissamment suggestif, l’ensemble stimule l’imaginaire autant que la perception, hormis le final en crescendo sonore et lumineux un peu trop prévisible.
Plus intimiste, interprétée par trois danseurs dont les corps se meuvent avec une sensuelle fluidité, The End – Part 2 évolue dans un univers fortement empreint de l’atmosphère des clubs, tout en glissements progressifs, quelque part au milieu – ou au bord – de la nuit. Sur le plateau sont suspendus de hauts voilages transparents, à la fois éléments de décor et surfaces de projection. Intégrant du matériau vidéo live très inventif, ce dispositif scénique original contribue grandement à l’aura de la pièce, captivante du début à la fin.
La Biennale – Festival international des arts vivants, à Toulouse, jusqu’au 12 octobre.
Have A Good Day!, au Théâtre du Rond-Point, Paris, du 22 au 24 octobre.
Hands Up, au théâtre Alibi, Bastia, les 10 et 11 octobre, et au théâtre de la Ville, Paris, les 19 et 20 octobre.