Face à la progression de l’épidémie de Covid-19, l’industrie de la mode fait face à des challenges inédits et doit trouver des solutions pour limiter la casse. Fermeture des magasins et des usines, ventes en ligne remises en cause et commandes en stand-by… la crise sanitaire bloque le secteur à tous les niveaux.
Le 16 mars dernier, comme d’autres pays, la France entrait à son tour en confinement pour faire face à la pandémie de Covid-19. Ces mesures radicales et sans précédent montrent la tentative des différents gouvernements d’endiguer cette crise sanitaire, dont la rapidité du développement a des conséquences globalisées et inédites.
L’industrie de la mode, dont deux pays clés – la Chine et l’Italie – ont été très impactés par le coronavirus, est touchée de plein fouet par cette situation, car offre et demande souffrent en simultané. Producteurs, retailers, marques… personne n’y échappe. Et alors que la période de sortie des fashion weeks est d’habitude cruciale pour leurs chiffres d’affaires, plusieurs marques et groupes recensent déjà une baisse d’activité conséquente – comme, par exemple, la marque anglaise Burberry, ou encore Zara.
C’est donc toute une industrie qui est aujourd’hui au ralenti, poussant les marques à trouver des solutions pour limiter les conséquences d’une crise dont on ignore encore la durée.. Panorama des challenges auxquels elle fait face.
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Le challenge chinois
Le confinement général en Chine a rapidement entraîné des blocages au sein de la chaîne de production et des commandes, plaçant l’industrie de la mode en première ligne. La Chine est loin de n’être que « l’usine du monde », rôle à laquelle elle a trop longtemps été réduite : le pays est en réalité l’un des plus gros consommateurs de luxe au niveau global – une étude du cabinet de conseil Bain & Company datant de 2019 indique que les clients chinois avaient généré 90 % de la croissance du secteur cette année-là, et que 35 % des achats de biens de luxe avaient été de leur fait. L’arrêt dû à la fermeture des retailers et boutiques sur le territoire chinois, couplé à celle des sites de production, explique le ralentissement simultané des approvisionnements en Europe et la baisse de la demande sur les marchés.
Le redémarrage progressif de l’activité en Chine, fin mars, apparaît donc comme un espoir pour l’industrie, comme l’explique Shangguan Zhe, directeur artistique de la marque Sankuanz, basée dans la ville de Xiamen : “C’est vrai que l’usine de textile avec laquelle nous travaillons en Italie est bloquée, mais le redémarrage sur le marché chinois relance nos activités avec la réouverture des points de vente.”
Des concessions nécessaires
Mais si la Chine sort petit à petit de sa torpeur, l’Europe, elle, y entre à peine. L’Italie, fournisseur majeur de textile et de cuir pour le luxe, a petit à petit fermé tous ses lieux de production, suivis par les magasins et retailers européens. Les services de vente en ligne, eux, sont conditionnés par les conditions sanitaires de travail de leurs salariés. Et si les aides annoncées par l’Etat limitent les tentations de licenciement dans les entreprises, ces dernières ne sont pas impactées de la même façon en fonction de leur taille.
Ester Manas, duo créatif franco-belge, nous explique être sauvé par sa petite taille. “Nous avons la chance de n’être encore que deux, la crise ne fait donc que retarder le moment où la marque allait prendre une vraie ampleur en passant de 4 à 20 points de vente.” Ainsi, la conséquence pour ces marques est d’abord celle de commandes post-fashion weeks annulées. Même constat pour le jeune Alphonse Maitrepierre : “Mon planning de showroom pendant la fashion week a été particulièrement vide, à coup d’annulations de dernière minute.”
Côté retailers, les fermetures ont des conséquences directes sur les achats. Julia (prénom modifié), acheteuse joaillerie dans un grand magasin, explique devoir faire des concessions : “J’essaie d’acheter en priorité ce que l’on appelle les « permanents », des pièces qui ne dépendent pas des saisons et que l’on achète tout au long de l’année. Pour les « nouveautés », je fais des demi-commandes, pour ne pas laisser tomber nos fournisseurs, tout en évitant de plomber notre budget.”
Les grands magasins, eux, vont sans doute faire face à une perte considérable de leur chiffre d’affaires – selon Les Echos, un mois de fermeture des Galeries Lafayette ou du Printemps reviendrait à un manque à gagner de 83 millions d’euros pour ces entreprises.
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Une communication repensée
Face à ces pertes, marques et agences de presse repensent leur stratégie de communication numérique afin de limiter ces conséquences financières. Malgré l’annulation de shootings, les marques utilisent les supports en réserve : Balenciaga met par exemple à disposition la vidéo de son dernier show en publicité sur Youtube, adoubant le défilé comme l’arme ultime de communication des marques 3.0.
Côté agence de presse, le temps est aussi à l’adaptation. Chez Ritual Projects, les bureaux sont fermés : “L’impossibilité de travailler avec le vêtement physique, à la base de notre activité, est une opportunité pour nous de repenser nos rapports avec la presse et d’éditorialiser davantage notre propos (...) Cette crise finit aussi d’entériner le caractère incontournable de la presse online”, dit sa directrice Robin Meason.
Face à cet arrêt sans précédent, la mode ne peut qu’essayer de limiter les “effets de panique”, comme l’explique Dominique Jacomet, ancien directeur de l’Institut français de la mode (IFM), tout en préparant tant bien que mal un retour à la normale… dont on ignore encore la date. “De la longueur de la crise dépend malheureusement la reprise.” Espérons qu’elle saura être un moment de prise de conscience des limites de nos systèmes économiques.
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