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Hausse des frais d’inscription en France : une fermeture qui ne dit pas son nom

La classe moyenne marocaine sera contrainte de rester au pays ou de changer de destination. L’offre locale se diversifie mais des efforts sont encore nécessaires sur le plan qualitatif. Les professionnels de l’enseignement peu critiques vis-à-vis de la décision française.

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Etudiants France

L’annonce de la hausse des frais d’inscription dans les universités françaises a fait l’effet d’une douche froide au Maroc. La raison, «globalement le nombre d’étudiants marocains inscrits à l’étranger a frôlé la barre de 50000 étudiants cette année dont presque 80% en France. Sur les 5 dernières années, près de 10 000 étudiants supplémentaires ont opté pour des études à l’étranger», déclare Abdennasser Naji, président d’Amaquen (Association pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement) et membre du conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique. Les Marocains constituent la première communauté d’étudiants étrangers en France. De par la proximité culturelle, géographique et linguistique, la France, dont le coût des études est resté jusque-là abordable, est le premier choix des étudiants et des parents. Dès lors, la hausse des frais de scolarité pour les non-européens fixés désormais à 2 770 euros par an en licence et 3 770 euros en master et doctorat fera basculer, d’après plusieurs directeurs d’établissements supérieurs au Maroc, le choix vers des destinations moins chères ou vers des formations au Maroc.
Selon M. Naji, l’engouement pour les études à l’étranger a déjà diminué de façon conséquente. «Preuve en est, le taux de mobilité est passé de 5,7% en 2013 à 4,7% en 2017. Cela est dû aux efforts de l’Etat visant l’augmentation du taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur qui a gagné 10 points de pourcentage en 5 ans, passant de 25% en 2012-2013 à 35% en 2017-2018», explique-t-il. L’offre des universités et des écoles supérieures a en effet été étoffée et mieux répartie sur le territoire national durant la dernière décennie. On peut citer la création de l’Université Mohammed VI polytechnique de Ben Guerir, l’Université euro-méditerranéenne de Fès, l’Ecole centrale de Casablanca, l’Essec Afrique à Rabat, Em-Lyon Casablanca, Toulouse Business School Casablanca, sans compter les universités et écoles publiques…
Le but de l’implantation de ces écoles et de ces universités, dont une majorité de françaises, est, d’une part, de diversifier leurs campus dans le monde, se rapprocher du bassin d’étudiants d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, mais aussi de retenir ces profils dans leur pays. Une sorte d’ouverture des écoles françaises sur le monde, voire de délocalisation de la formation à prix forts. A titre d’exemple, le prix de la formation à EM Lyon est de 105 000 DH par an. A Centrale Casablanca, les frais atteignent 50 000 DH par an, pour les non-boursiers. TBS Casablanca facture 5 500 euros pour «s’adapter au niveau de vie au Maroc», nous dit-on, contre 8400 euros à Toulouse.

La France opte pour les Russes et les Asiatiques

L’annonce du gouvernement français ne surprend pas trop les professionnels de l’enseignement. «Ces dispositions qui exigent des frais plus élevés des étrangers par rapport aux nationaux existent déjà au Canada, aux Etats-Unis et en Turquie. Malgré ces nouveaux frais, la France reste une destination d’études abordable. Néanmoins, une partie de la population marocaine sera écartée de la possibilité de poursuivre ses études en France. Seuls 15 à 25% de la population marocaine pourront encore envoyer leurs chérubins poursuivre leurs études dans l’Hexagone», commente Abderrahmane Lahlou, directeur fondateur du Centre de formation et de perfectionnement des enseignants. Pour Thami El Ghorfi, président de l’ESCA, école de management, le flux des étudiants marocains qui iront en France ne fléchira pas. «Dans le marché mondial de l’éducation, il est normal que le France cherche à mettre en place des frais d’inscription. Le contribuable français ne pourra pas payer indéfiniment pour l’étudiant étranger. Mais cela ne baissera pas pour autant le nombre d’étudiants qui arrivent en France chaque année. Néanmoins, la classe moyenne marocaine, qui n’est pas en mesure de payer ces frais, trouvera une alternative moins chère au Maroc», déclare M. El Ghorfi.
Abdennasser Naji abonde dans le même sens. «Le pourcentage des étudiants appartenant à cette catégorie sociale diminuera très probablement. Il y aura ainsi en France un paysage estudiantin plus homogène, et plus riche économiquement et socialement parlant», analyse-t-il. «Etudiants russes, chinois et indiens seront plus nombreux et devront l’être», a déclaré le président français, Emmanuel Macron, le 20 mars 2018, à l’Institut de France. En revanche, les étudiants africains le seront moins malgré la promesse de leur octroyer plus de bourses.

Retenir les étudiants au Maroc

Pour Mohamed Derrabi, directeur de TBS Campus Casablanca, ce sont les étudiants en master et doctorat qui seront les plus touchés par ces frais d’inscription différenciés. «Plus particulièrement, la France a beaucoup contribué à la formation des professeurs destinés aux universités marocaines. Au regard des places limitées pour ce type de formation au Maroc, l’effet se fera sentir. D’un autre côté, arrêter ses études à la licence signifie être condamné à de petits boulots et à des salaires minimum», déclare le directeur de TBS Casablanca. «Si la qualité de l’enseignement au Maroc ne convainc pas les parents et étudiants, ils seront prêts à payer plus cher ailleurs pour pouvoir intégrer le marché de l’emploi plus rapidement», poursuit-il.
Cela revient à dire qu’il faudra des efforts dans l’amélioration de l’offre. «Il existe en effet des établissements dont la qualité a fait largement ses preuves, mais il y en a d’autres (qui représentent malheureusement la majorité) dont la qualité laisse à désirer. L’implémentation de la vision 2015-2030 (qui focalise ses orientations sur la qualité de l’enseignement à tous les niveaux) nous doterait d’établissements de l’enseignement supérieur qui pourraient rivaliser avec l’offre internationale. Ce qui aiderait à retenir nos étudiants dans leur pays. Au cas contraire, si pour des raisons financières les étudiants marocains n’arrivent pas à étudier dans l’Hexagone, ils choisiront des destinations low cost à leurs risques et périls», déplore M. Naji. Par destination low cost, on fait souvent allusion à l’Europe de l’Est. Et pour ceux qui y vont, se pose généralement la question de l’équivalence des diplômes.

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