Synode, ordination des femmes : « Les théologiens restent sous le coup de la censure du Vatican »
- Luca Badini Confalonieri Directeur de recherche au Wijngaards Institute for Catholic Research
Alors que le Synode sur la synodalité se termine le 27 octobre à Rome, plusieurs sujets dont l’accession des femmes au sacerdoce ont été écartés du débat. Luca Badini Confalonieri regrette que la critique des enseignements magistériels par les théologiens demeure suspecte aux yeux des autorités de l’Église.
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Le débat public sur certains enseignements du pape reste interdit dans l’Église catholique. Le dernier exemple en date concerne une cible habituelle, l’ordination des femmes, que le pape François a unilatéralement retirée de l’ordre du jour de la dernière session du Synode sur la synodalité, contre la volonté de bon nombre de ses participants. Pour de nombreux théologiens catholiques, une telle limitation de la liberté d’expression n’est que trop familière. Après tout, leur liberté académique a été limitée par la hiérarchie pendant longtemps.
L’année dernière, le Vatican a opposé son veto à l’élection du professeur Martin Lintner (osm), théologien moraliste, au poste de doyen d’une institution catholique. Ce prêtre servite de 52 ans est, de l’avis général, un modéré qui a été président de plusieurs associations professionnelles de théologiens. Quel est donc son délit d’opinion ? Avoir publié en faveur de la contraception et des relations homosexuelles.
Dans une déclaration publique faite en juillet 2023, le professeur Lintner a confirmé qu’en tant que président de l’Association européenne de théologie catholique et du Réseau international des associations de théologie catholique, il avait eu connaissance de nombreux cas de censure du Vatican à l’encontre de théologiens catholiques. Il a noté qu’il s’agissait d’un « secret de polichinelle pendant des décennies », qui a causé un « préjudice durable » à des carrières professionnelles, au point que « beaucoup préfèrent garder le silence ».
Sous la pression de l’employeur
Mon expérience en tant que directeur de recherche au Wijngaards Institute for Catholic Research le confirme. Chaque fois que nous avons invité des universitaires catholiques à cosigner l’une de nos déclarations académiques (sur l’éthique de l’utilisation des contraceptifs et des unions homosexuelles respectivement), quelques-uns ont répondu qu’ils aimeraient le faire, mais qu’ils ne pensaient pas que l’Université catholique qui les employait le verrait d’un bon œil. D’autres, qui avaient déjà signé, nous ont demandé par la suite de retirer leur signature, sous la pression de leur employeur.
Dans sa déclaration, le professeur Lintner a insisté sur le fait qu’« il ne s’agit pas seulement de cas individuels, mais d’un problème institutionnel ». Là encore, il a raison. Selon le droit canonique, les catholiques ont le devoir légal d’obéir, et de s’abstenir de critiquer publiquement, tous les enseignements des papes et des évêques, même ceux qui sont non dogmatiques et non infaillibles (cc. 752-54) : c’est-à-dire presque tous les enseignements magistériels, y compris les interdictions de la contraception « artificielle », des relations sexuelles avant le mariage, des relations entre personnes du même sexe, du divorce, du remariage, de l’ordination des femmes, etc.
Un délit canonique
De plus, les critiquer publiquement est un délit qui peut être puni par des peines canoniques, y compris, mais sans s’y limiter, la perte de son emploi (cc. 1365, 1371, 1373). En outre, comme lors de la crise moderniste, les théologiens catholiques sont à nouveau obligés de prêter un « serment de fidélité » pour ne jamais remettre en cause ces enseignements, comme condition préalable à l’obtention du « mandat » canonique d’enseigner, octroyé par l’autorité ecclésiastique compétente (cc. 229 § 3 et 812 ; Ad tuendam fidem, 1998). Cette dernière dispose d’un pouvoir discrétionnaire presque total pour accorder ou retirer un mandat, sans avoir à fournir de justification ou de possibilité d’appel.
En outre, les procédures canoniques utilisées pour juger ces « dissidents » catholiques ne respectent pas les normes internationales les plus élémentaires en matière de procès équitable. Parmi les violations les plus flagrantes de ce droit humain fondamental, les procès doctrinaux sont secrets (en violation des articles 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme), l’accusé n’a pas le droit d’interroger et de contre-interroger les témoins. L’accusation fait également office de juge, et il n’existe pratiquement aucun droit d’appel.
Une liberté malgré le système
En janvier de cette année, une enquête universitaire menée par le Centre de recherche pastorale appliquée de Bochum (Allemagne) auprès de théologiens catholiques allemands, autrichiens et suisses a fourni pour la première fois des éléments empiriques concernant l’impact négatif du contrôle hiérarchique sur la théologie catholique.
L’enquête a révélé que pour obtenir l’autorisation d’enseigner (nihil obstat), près d’un théologien catholique sur trois a adapté son travail scientifique à l’enseignement de l’Église ; 41 % conseillent aux jeunes chercheurs qui veulent faire carrière de ne pas travailler sur des sujets susceptibles de compromettre leur nihil obstat ; 8,7 % ont restreint ou gardé secret leur propre style de vie (par exemple, le fait d’être dans une relation homosexuelle, divorcé et remarié, etc.). Il est inquiétant de constater que les jeunes théologiens catholiques s’autocensurent beaucoup plus que leurs aînés.
Il ne s’agit pas de nier que de nombreux théologiens catholiques peuvent encore exercer leur métier avec parrhésie, ou franc-parler : après tout, les résultats de l’enquête signifient également que près de 60 % d’entre eux ne ressentent pas le besoin de restreindre leurs recherches. Mais telle liberté académique audacieuse se produit en dépit du système tel qu’il est actuellement, et non à cause de lui.
Une censure encore défendue
Il est peu probable qu’une simple réforme du système du nihil obstat suffise. La question plus profonde est de savoir si la liberté académique des théologiens catholiques doit encore être limitée. L’argument selon lequel le contrôle hiérarchique et la censure seraient nécessaires pour protéger le droit des simples fidèles à ne pas être « confus » et à recevoir la doctrine « dans sa pureté » a été mis au rancart au concile Vatican II.
Tout d’abord, le Conseil a noté que le droit à la liberté de conscience sans contrainte extérieure « persiste en ceux-là mêmes qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer » (Dignitatis humanae § 2). Puis, pour éviter des « exceptions religieuses » à ce devoir de respecter la liberté de conscience, elle insiste sur le fait que la diffusion de la foi religieuse ne peut pas non plus justifier un quelconque « relent de coercition » : le contraire « doit être regardé comme un abus de son propre droit et une atteinte au droit des autres » (Dignitatis humanae § 4). Ensuite, tous les baptisés « gardent la liberté qui leur est due (…) même (dans) l’élaboration théologique de la vérité révélée » (Unitatis redintegratio § 4).
Enfin, la justification de la censure épiscopale par la protection de la « pureté » de la foi commet une erreur à la fois empirique, logique et théologique en supposant que la « pureté doctrinale » se trouve toujours dans ses enseignements non infaillibles.
Ces derniers – qui comprennent presque tous les enseignements de la hiérarchie, à l’exception des dogmes – sont par définition intrinsèquement faillibles et donc potentiellement erronés. En conséquence, le débat public et même la critique publique à leur égard devraient être à la fois autorisés et encouragés, car ils sont nécessaires à la croissance de la compréhension de la révélation. Une croissance qui, comme l’a noté le concile Vatican II, se produit par le discernement de tous les catholiques (Dei verbum § 8).
Protéger le pape
La seule justification restante du contrôle et de la censure de la théologie par la hiérarchie est de protéger les enseignements magistériels et papaux de toute critique, notamment en imposant à tous les catholiques l’« obéissance » à ces enseignements, comme l’exige le droit canon courant. Ce n’est pas une coïncidence si la censure du Vatican tend à se concentrer sur les enseignements papaux les plus controversés, c’est-à-dire ceux qui concernent la gouvernance de l’Église (y compris l’ordination des femmes) et l’éthique sexuelle.
Ayant joué leur crédibilité sur ces questions, et l’ayant fait parfois à l’encontre et des croyances du peuple de Dieu et des conseils des experts – pensez à Humanae vitae interdisant les contraceptifs « artificiels » –, les enseignements papaux à ce sujet ont tendance au mieux à ignorer, et au pire à censurer, les conclusions gênantes de la théologie et des études bibliques.
Modifier le droit canonique
Comment peut-on parler de « synodalité » et d’« écoute mutuelle » si le droit canonique rend toujours passible de sanctions les critiques publiques de tout enseignement de la hiérarchie ? Il est urgent de modifier le droit canonique afin de supprimer celle obligation-là : pour tous les catholiques, et en particulier pour les théologiens entre eux.
Que la théologie dans l’Église catholique jouisse de la même liberté académique que dans la Communion anglicane ou dans les Églises luthériennes (où elle n’est pas contrôlée par les dirigeants de l’Église), et que sa valeur soit reconnue par sa réception.
Vatican II a réaffirmé l’ancienne croyance selon laquelle le consentement de l’Église est normatif pour la doctrine (Lumen gentium 12). Si cela est vrai, nous pouvons nous attendre à ce que la bonne théologie soit bien accueillie par le monde universitaire et le peuple de Dieu ; en revanche, la mauvaise théologie – qu’elle vienne de théologiens universitaires, d’évêques ou de papes – ne le sera pas.
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