Référendum au Chili, les raisons d’un fiasco
Pendant un an, 154 constituants élus ont travaillé à la rédaction d’une nouvelle Constitution, réclamée par les Chiliens. Dimanche 4 septembre, les électeurs ont rejeté leur texte à une forte majorité (près de 62 % des voix).
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Ce dimanche 4 septembre, le Chili devait mener à son terme un processus entamé fin 2019, quand un souffle de renouveau avait balayé le pays. Des manifestations d’une ampleur inédite avaient secoué la nation longiligne, exigeant la remise en cause du modèle socio-économique instauré par Augusto Pinochet (1973-1990). Très vite avait émergé une revendication centrale : l’abandon de la Constitution datant de la dictature et accusée de condamner le Chili à des inégalités parmi les plus fortes à l’échelle de la planète.
Un rejet clair, dans tout le pays
Les électeurs étaient ainsi appelés à approuver un nouveau texte, rédigé pendant un an par des constituants élus pour l’occasion. Un formidable travail démocratique et sans précédent a été engagé depuis octobre 2020 et le vote, à près de 80 %, en faveur d’une nouvelle Constitution lors d’un référendum. Mais aujourd’hui, l’échec est retentissant : 61,9 % des électeurs ont dit « non » dimanche. Toutes les régions du pays, même la capitale, ont voté à l’unisson.
« C’est un rejet massif, plus fort qu’attendu, constate Olivier Compagnon, professeur à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine. Il y a des raisons conjoncturelles, dont un vote sanction contre le président Gabriel Boric, favorable à la nouvelle Constitution. Il y a aussi eu une campagne de désinformation très efficace du camp du rejet. Mais ce n’est pas l’essentiel : ce texte a heurté beaucoup de Chiliens. »
Un projet de rupture qui a heurté de nombreux Chiliens
La nouvelle Constitution se faisait fort d’aborder toutes les questions, et elles sont nombreuses, qui agitent les sociétés démocratiques au XXIe siècle (écologie, droits des minorités, lassitude des électeurs, etc.). Un projet ambitieux. Trop, sans doute. « Par exemple, il est question d’un droit à la nature, en rupture avec la politique extractiviste qui a fait la prospérité du Chili, mais qu’en pensent les ouvriers du cuivre ?, s’interroge Olivier Compagnon. Il est aussi question du droit des femmes à disposer de leurs corps. Mais qu’en pensent les Églises, catholique et évangéliques ? La société chilienne n’est tout simplement pas prête pour cette rupture. »
Un autre changement radical portait sur l’identité du pays : le nouveau texte en aurait fait un État plurinational, alors que la Constitution de 1980 ne fait aucune référence aux onze peuples indigènes, représentant 12,8 % de la population chilienne. «Ça a été un des grands thèmes du camp du rejet, qui a fait campagne sur l’unité nationale, analyse Eugénia Palieraki, maîtresse de conférences en histoire de l’Amérique latine à Cergy Paris Université. La nouvelle Constitution a été accusée de diviser le pays, avec la reconnaissance des peuples autochtones. Ces questions très complexes n’ont pas été bien comprises par la population. »
Après la défaite, la difficulté d’un plan B
Après la défaite, le président Gabriel Boric, élu fin 2021 et porté par le mouvement social de 2019, a aussitôt annoncé sa volonté de relancer « un nouveau processus constitutionnel ». Mais il est affaibli politiquement. Il n’a, en outre, pas de majorité au Congrès, ce qui limite d’autant sa capacité d’initiative. Et d’autres priorités, notamment économiques, pourraient monopoliser son attention prochainement. En attendant, le legs institutionnel du dictateur demeure.
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