Remarque: Cet article de blog redigé par Emma Matthews a été traduit de l’anglais en français par Annie Dobell.
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Se dressant avec élégance près de la Tamise, à mi-chemin entre la Tour de Londres et Big Ben, se trouve le quartier du Temple. Le ‘Inner Temple’ et le ‘Middle Temple’, et plus loin Lincoln’s Inn et Gray’s Inn, constituent les quatre ‘Inns of Court’, ou vieilles écoles de droit. Ce sont de véritables paradis cachés constitués de cours ombragées, de jardins parfumés et de passages sombres encore éclairés au gaz. Depuis des siècles, les avocats y travaillent, dans leurs cabinets et au Palais de Justice, et y peaufinent la ‘Common Law.’
Un jeune Indien nommé Mohandas Karamchand Gandhi fit sa formation de ‘barrister’ (avocat) à l’Inner Temple dans les années 1890. Se faufilant parmi les cours du Temple muni de tomes de précédents juridiques, s’imaginait-il qu’un jour il conduirait l’immense subcontinent indien à se libérer de la domination britannique, vêtu simplement de ses lunettes rondes et d’un dhoti?
Admira-t-il les maisons de King’s Bench Walk, construites au 17ème siècle par Sir Christopher Wren et encore dans leur jus? Foula t-il des pieds les fruits des mêmes mûriers qui se trouvent aujourd’hui dans la cour de la fontaine du Middle Temple?
La Reine Elizabeth Première inaugura le Middle Temple Hall en 1576. Elle fit don aux conseillers d’une table en chêne construite d’arbres de son propre parc à Windsor. Les avocats et les juges s’y attablent encore de nos jours. Sir Walter Raleigh, personnage flamboyant et un des favoris de la reine, pirate et longtemps emprisonné à la Tour de Londres, était membre du Middle Temple.
Quatre Inns of Court: Middle Temple Hall vu du sud. Crédit photo: © David Iliff via Wikimedia Commons.
Elizabeth adorait le théâtre et assista à la première de ‘La Nuit des Rois’ de William Shakespeare dans cette salle en 1602. Est-ce là qu’il trouva l’inspiration pour les personnages de sa célèbre tirade des sept âges de l’homme? Y avait-t-il vu un juge au «ventre rond, plein de bon chapons, aux yeux sévères et à la barbe ciselée »? Il parait qu’il s’inspira des jardins du Temple pour la scène de ‘Henry VI, Première Partie’ où les cousins royaux choisissent soit la rose blanche, soit la rouge comme symbole de leur allégeance dans la Guerre des Deux Roses.
Il y a aussi des liens historiques importants avec les États-Unis d’Amérique. Sept signataires de la Déclaration d’Indépendance et cinq signataires de la Constitution étaient membres du Middle Temple. Chaque ambassadeur des États-Unis devient membre honoraire du Middle Temple. Pendant la Seconde Guerre mondiale, une bombe endommagea le Hall. Il a été parfaitement restauré et constitue l’un des meilleurs exemples d’architecture médiévale à Londres. Malheureusement, la Grande Salle du Inner Temple fut totalement détruite. Elle fut reconstruite dans les années 1950, tout comme la magnifique ‘Temple Church’ circulaire, créée par les Templiers dans les années 1180. Ces derniers devinrent les moines les plus riches et puissants d’Europe, si riches que le Pape ordonna leur dissolution. Ils furent dépouillés de leurs biens, dont une partie alla très probablement au Pape lui-même. Les bénéficiaires en Angleterre furent les Chevaliers Hospitaliers, qui fournirent soins médicaux et soutien aux pèlerins et aux croisés. Ils demeurèrent responsables de l’église, louant à bail le terrain alentours aux avocats à partir des années 1300, et ce jusqu’à la dissolution des monastères par Henri VIII dans les années 1530. Les moines ont disparu mais les avocats sont toujours là. Finalement, le roi James Premier leur offrit le terrain en 1608 à condition qu’ils se chargent de maintenir l’église. Elle est incontournable – ravissante à l’intérieur comme à l’extérieur.
Quatre Inns of Court: Hare Court, dans le Inner Temple. Crédit photo: © Chris via Wikimedia Commons.
Au début du XIIIe siècle, ce fut brièvement le quartier général du roi Jean. C’est ici, avec le pays au bord d’une guerre civile, que l’homme le plus puissant du pays, William Marshall, persuada le roi d’accepter un ensemble de demandes inscrites dans un document appelé Magna Carta ou ‘La Grande Charte’. C’est l’un des documents juridiques les plus importants jamais rédigés. Aujourd’hui, nous considérons comme fondamental dans toute société juste et libre d’avoir le droit à un procès équitable, ou le droit de ne pas être emprisonné de manière illégale, mais ces principes furent inscrits pour la première fois dans la Magna Carta. Le roi tenta d’annuler le document et n’obéit pas à ses demandes. Il ne lui survécut pas longtemps – le document, par contre, nous est resté. Marshall devint comte de Pembroke et fut enterré dans l’église, ainsi que son fils.
La tombe du dramaturge du XVIIIème siècle Oliver Goldsmith se trouve dans le cimetière. Peut-être se promenait-il dans Middle Temple Lane en devisant avec le célèbre Samuel Johnson, qui vivait également à proximité? Ils portaient très certainement des perruques dans les années 1700. De nos jours les avocats et les juges – qui adoptent très tardivement les nouvelles modes – en portent encore.
Quatre Inns of Court: Gray’s Inn Square. Crédit photo: © Chensiyuan via Wikimedia Commons.
Quand j’étais jeune élève avocate dans les années 1980, je portais un costume noir avec de grandes épaulettes. Très tôt chaque matin, je me précipitais dans «Chambers» (le bureau), je prenais un paquet de documents, pliés dans le sens de la longueur et attachés avec un ruban rose, et je me précipitais vers un tribunal hors de Londres. Je portais des livres, une perruque (en crin de cheval, dans une boîte en métal), une toge (noire) et Dieu sait quels autres accessoires, que je portais à la main. Je lisais avec frénésie les documents dans le train et préparais mon dossier. Je rêvais d’être la prochaine Helena Normanton (la première femme à plaider au tribunal en tant qu’avocate dans les années 1920), représentant courageusement mon client avec honnêteté, intégrité et indépendance, comme j’avais promis de le faire lorsque je fus appelée au Barreau. Le plus souvent, je me présentais devant un juge terrifiant de la vieille garde, nullement ému par mes phrases intelligentes et mes arguments élégants. Dépêchez-vous, annonçait-il d’un air irrité. J’ai encore vingt autres cas de conduite dangereuse comme la vôtre à régler ce matin.
Parfois, je plaidais à la Cour Royale de Justice (Royal Courts of Justice). Tout un quartier pauvre fut démoli au 19ème siècle pour faire place à ce gigantesque bâtiment de style néo-gothique. Il couvre six hectares au nord de Fleet Street, conçu par George Edmund Street et inauguré par la reine Victoria en 1882. Un tableau représente l’événement à l’intérieur du batiment. L’architecte n’y figure pas – le stress et le surmenage avaient malheureusement eu raison de lui. Vous pouvez voir sa statue, l’air plutôt épuisé, dans le hall principal. Le vaste bâtiment est imposant et franchement plutôt terrifiant. On peut facilement se perdre dans ses 5 kilomètres de couloirs et plus de 1000 salles. Gare à vous si vous entrez dans l’une des salles d’audience sans obéir aux règles strictes. Vous pouvez être arrêtés par un huissier et emprisonnés dans le sous-sol pour outrage à la cour. Cependant, il est fascinant de se glisser au dernier rang de l’un des tribunaux et d’assister à un procès ou un jugement. Tout cela est très dramatique. Les avocats et les juges portent encore des perruques et des toges dans certains procès. Pour s’adresser au juge on doit dire «my Lord» et les avocats s’appellent «mon éminent confrère». On utilise souvent des phrases en latin. Tout le monde sait quand il faut parler, se taire, s’asseoir ou se lever. Les gens entrent et sortent par différentes portes. Celles des juges se trouvent derrière leurs sièges (nommés ‘benches’) et mènent à des couloirs cachés. De nos jours, les appelants dans les procès criminels comparaissent principalement par lien vidéo, mais s’ils doivent assister en personne, ils montent de leur cellule au sous-sol par un escalier spécial. Tout cela a été imaginé et conçu à l’origine de ce bâtiment, que l’on utilise encore tous les jours pour les cas les plus prestigieux et importants.
Royal Courts of Justice: La Grande Salle © Aurelien Guichard via Wikimedia Commons.
Lincoln’s Inn se targue d’être le seul endroit où l’on porte un toast au monarque sans se lever de sa chaise. L’histoire veut que le roi Charles II avait dîné si somptueusement lors de sa visite à Lincoln’s Inn que tous les invités, complètement saouls, étaient incapables de se lever, et portèrent donc leur toast assis – avec la permission du roi, bien sûr. Le nom de Lincoln fut donné à de nombreux bébés abandonnés à la porte de Lincoln’s Inn et baptisés dans sa chapelle, à l’époque où la pauvreté régnait dans les rues environnantes. Lincoln’s Inn compte seize premiers ministres parmi ses anciens membres et on y trouve certains des plus prestigieux ‘sets of chambers’ (regroupements de cabinets d’avocats). On peut lire les noms de leurs membres inscrits sur des listes devant leurs portes.
Les jeunes avocats ambitieux sont «appelés au Barreau» lorsqu’ils remplissent les conditions requises et se voient accorder des «droits d’audience» par leur ‘Inn’, c’est-à-dire le droit de présenter un procès devant un tribunal. Tout avocat doit être membre d’un des Inns of Court. Une carrière réussie peut mener au QC (Queen’s Counsel), également connu sous le nom de «soie» en raison des toges de soie portées au tribunal. Beaucoup de nos juges sont des avocats chevronnés. Autrefois, il fallait être avocat avant de pouvoir être juge à la ‘High Court’. Les conditions requises de nos jours sont différentes, mais il faut être un homme de loi très expérimenté.
Four Inns of Court: Lincoln’s Inn, bâtiments 1 à 4. Crédit photo: © Elisa Rolle via Wikimedia Commons.
Les réalisateurs de télévision et de cinéma adorent les Inns et les utilisent souvent pour des tournages tels que ‘The Crown’, ‘Downton Abbey’ et ‘Mary Poppins Returns’, entre autres. Mais Charles Dickens y avait déjà pensé il y a bien longtemps: les premières pages de son roman ‘Bleak House’ se passent à Lincoln’s Inn. Il travailla comme clerc, copiant des textes juridiques abscons à Gray’s Inn. Pendant son temps libre, il écrivait des romans et des articles et divertissait ses collègues en imitant leurs clients. Vous n’avez qu’à lire les premières pages de ‘Bleak House’ pour comprendre à quel point il détestait les avocats.
Le Londres juridique vous offre bien plus qu’une belle promenade. Chaque ‘Inn of Court’ a sa propre histoire, son caractère et ses anecdotes. Venez en apprendre encore plus avec un guide touristique Blue Badge compétent et divertissant.
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Remarque: Cet article de blog redigé par Emma Matthews a été traduit de l’anglais en français par Annie Dobell.
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