maradona (diego) (BOUTROUX PATRICK / LEGROS ROBE/L'Equipe)

Diego Maradona 1986 : récit d'un Mondial en forme de chef-d'oeuvre

Intouchable du début à la fin de la compétition, Diego Maradona a signé le plus grand chef d'oeuvre de sa carrière lors du Mondial 1986. Récit.

«Maradona met le pied sur le ballon. Le génie du football mondial s'élance côté droit, il efface un troisième joueur, il veut la donner à Burrachaga. Toujours Maradona ! Génie ! Génie ! Génie ! Ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta buuut ! Buuut ! Buuut ! J'ai envie de pleurer ! Dieu saint ! Vive le football !» Diego Armando Maradona vient de choquer le monde. Victor Hugo Morales, commentateur uruguayen, en tête. D'une chevauchée de plus de 50 mètres, El Pibe de Oro double la mise au cœur d'un quart de finale de Coupe du monde contre l'Angleterre devenu légendaire. Une semaine plus tard, l'Argentine et Maradona montent sur le toit du monde. L'issue parfaite pour un mois de juin 1986, qui reste, aujourd'hui encore, le plus grand chef d'œuvre individuel en Coupe du Monde.

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Les premières pierres

Maradona débarque au Mexique l'esprit revanchard. Lui qui ne faisait pas partie de la sélection titrée en 1978 et qui reste sur l'immense déception de 1982. Peu importe les dissensions entre défenseurs de Carlos Bilardo, sélectionneur en place, et de César Luis Menotti, son prédécesseur champion du monde en 1978, le joueur du Napoli est prêt à guider l'Albiceleste. L'indisponibilité de dernière minute de Daniel Passarella, capitaine de l'épopée de 1978, lui permet même d'endosser seul le costume de patron. Dans le groupe A aux côtés de la Corée du Sud, de l'Italie et de la Bulgarie, le joueur de 25 ans ne perd pas de temps et se lance tête baissée dans la compétition.

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Le net succès contre les Sud-Coréens pour démarrer le Mondial porte sa signature (3-1). Dès la cinquième minute, le coup franc plein axe de Maradona s'écrase contre le mur adverse. Le ballon lui revient et, d'un réflexe de la tête, il décale Valdano à droite dans la surface. Seul, l'attaquant du Real Madrid peut ouvrir le score d'une frappe croisée. Quelques minutes plus tard, Diego dépose un nouveau coup franc sur la tête de Ruggeri pour le break. Au retour des vestiaires, il s'offre une troisième passe décisive après un centre côté droit qui trouve Valdano seul au second poteau. Maradona attend la deuxième rencontre trois jours plus tard contre l'Italie pour débloquer son compteur but. Menée au score d'entrée de jeu par les tenants du titre, l'Argentine s'offre un match nul grâce à une reprise croisée de leader après une remise de Valdano dans le dos de la défense transalpine (1-1). Les hommes de Bilardo valident leur première place du groupe en s'imposant sans trembler contre la Bulgarie pour la dernière rencontre du groupe (2-0). Alors que son équipe mène 1-0 et reste sous la menace d'un retour bulgare, Maradona déborde côté gauche, réalise un grand pont sur Jeliazkov avant d'enchaîner sur un centre parfait pour Burruchaga, seul au second poteau. Sur les six buts argentins de cette première phase, cinq sont l'œuvre de leur génial numéro 10. Les fondations de l'œuvre qui s'annonce sont solidement posées. Reste à en dessiner la forme.

Maradona lors du légendaire Mondial 1986. (R.Legros/L'Equipe)

Une soirée vers l'Olympe

22 juin 1986. Après un huitième de finale timidement remporté contre l'Uruguay sur un but de Pasculli (1-0), l'Argentine arrive en quarts pour affronter l'Angleterre. Quatre ans après la guerre des Malouines, la rencontre s'annonce explosive. Il est midi à Mexico quand les deux nations se présentent sur la pelouse d'un Stade Azteca garnit de plus de 110 000 spectateurs. Dans leur maillot bleu électrique confectionné en une nuit pour atténuer l'effet de la chaleur, Maradona et ses coéquipiers sont prêts à en découdre. Mais face à l'Angleterre d'un Gary Lineker incandescent jusque-là, la rencontre reste fermée et indécise. A la mi-temps, les deux équipes sont dos à dos et rien ne laisse présager que la rencontre s'apprête à basculer dans l'irrationnel. On joue la 51e minute quand Diego se lance dans une percée plein axe. Il trouve Valdano en appui à l'entrée de la surface anglaise, serré de près par Steve Hodge. D'un geste maladroit, le défenseur anglais dévie le ballon qui file en l'air vers son gardien. El Pibe de Oro n'a pas stoppé sa course et saute au duel devant Shilton. Trop court de la tête devant le portier anglais, il tend le bras en l'air et ouvre le score de la main. «Un peu avec la tête de Maradona, un peu avec la main de Dieu», expliquera le joueur après la rencontre. Un geste aussi mythique qu'injuste pour les joueurs de Bobby Robson.

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Les Anglais peuvent s'époumoner devant Ali Bennaceur, l'arbitre n'a rien vu et Maradona ne fait que commencer. Quatre petites minutes plus tard, il éclabousse la partie de son génie. Côté droit, à 40 mètres de son but, le numéro 10 reçoit le ballon entre Reid et Beardsley. D'un contrôle puis d'un dribble de la semelle, il élimine les deux adversaires pour se mettre dans le sens du jeu. Lancé, il efface aisément un Butcher trop lent et poursuit sa course jusqu'à l'entrée de la surface anglaise. Il crochète Fenwick, récupère le cuir devant la sortie de Shilton qu'il crochète également, résiste au tacle désespéré de Butcher et marque dans le but vide. Invraisemblable. Achevée par ces 10 secondes de folie créatrice, l'Angleterre ne se relèvera pas, malgré la réduction du score de Lineker. Aux premières loges, ses coéquipiers sont les premiers choqués par cette action, plus tard récompensée du titre de «but du siècle». «J'ai insulté Maradona pendant son action, car je me disais que s'il perdait la balle, on serait à découvert», avoue le milieu défensif Sergio Batista. Et si les joueurs des deux camps avaient nié la dimension symbolique de leur duel avant le coup d'envoi, la réaction des joueurs argentins ne laisse pas de place aux doutes : cette rencontre n'était pas qu'un quart de finale de Coupe du monde. «La force de l'impact (des deux actions de Maradona), a fait en sorte que le match contre l'Angleterre ait, dans la mémoire collective, beaucoup plus de force que la finale de la Coupe du Monde», tranchera même Jorge Valdano pour rendre compte de la dimension du match. Si les mots de l'ancien buteur du Real Madrid sont justes, c'est bien la suite du scénario qui scelle définitivement cette performance mythique.

Face aux Anglais, le but du siècle. (A.Lecoq/L'Equipe)

Vainqueur pour l'éternité

«J'ai deux rêves : disputer la Coupe du monde et la gagner», lançait le jeune Diego, 12 ans à l'époque, à la télévision argentine. Encore faut-il passer l'obstacle belge en demi-finale pour espérer réaliser le second. Mais ça, Maradona le sait très bien. Au sommet de son art, il frappe encore à deux reprises pour s'ouvrir les portes de la finale (2-0). Hasard ou clin d'œil du destin, le feu follet argentin plante sa première banderille une nouvelle fois à la 51e minute de jeu. Burruchaga porte le ballon dans le camp belge et voit Maradona repiquer sa course plein axe avant de s'engouffrer côté droit de la surface. Le milieu de terrain du FC Nantes trouve parfaitement son capitaine dont le piqué de l'extérieur du gauche devance la sortie de Jean-Marie Pfaff. Inarrêtable, inépuisable, insaisissable, Maradona régale. Comme face aux Anglais, il s'offre un second but en solitaire peu après l'heure de jeu. Trouvé au cœur du jeu aux 30 mètres, il crochète un premier défenseur avant de faire complètement vaciller la défense des Diables rouges d'une accélération létale. Lancé dans la surface, il ajuste Pfaff d'une frappe croisée de son pied gauche. L'Argentine rejoint la RFA, bourreau de l'équipe de France, en finale.

Une ultime marche à franchir qui s'est accompagnée d'un traitement spécifique. Serré de près par les coéquipiers de Lothar Matthäus, le numéro 10 argentin peine à trouver son rayonnement habituel en ce 29 juin. Pourtant, l'Albiceleste prend les devants. Remplaçant de Daniel Passarella, José Luis Brown ouvre le score de la tête après 20 minutes de jeu sur un coup franc de Burruchaga côté droit. Et lorsque Valdano creuse l'écart sur un service d'Enrique après un contre éclair après la pause, l'Argentine pense avoir fait le plus dur. C'est mal connaître cette Mannschaft. En moins de dix minutes, les hommes de Franz Beckenbauer vont refaire leur retard. D'abord grâce à Rummenigge qui tacle le ballon au fond des filets sur un corner de Brehme. Puis par Völler, entré à la mi-temps, à nouveau sur un corner de Brehme. La rencontre semble avoir basculé mais Maradona a attendu le moment idoine pour sortir de sa boîte. Sur un ballon anodin qui lui arrive dans le rond central, il se retrouve immédiatement entouré de trois Allemands. En une seule touche, le capitaine argentin lance Buchurraga parti dans le dos de la défense pour inscrire le troisième but et offrir le sacre mondial aux siens. El Pibe de Oro a su briller au moment où son équipe en avait le plus besoin. Meilleur passeur du tournoi (5 passes décisives), deuxième meilleur buteur (5 buts), Maradona est logiquement nommé meilleur joueur du Mondial. Décisif à dix reprises en sept rencontres, son impact dépasse largement le champ statistique. Un mois durant, il a été le cœur et les poumons d'une sélection argentine parfois sans grandes idées. Un point que Teofilo Cubillas n'hésite pas à évoquer au moment de se lancer dans le jeu de la comparaison avec Pelé, dernier joueur à avoir autant marquer un Mondial de son empreinte. «Pelé avait une immense équipe autour de lui. Maradona agit seul», tranche la légende du football péruvien. De quoi ranger ce mois de juin 86 au sommet du panthéon du football mondial.

Quentin Coldefy