Ce que les dirigeants de l'AES décident pour les citoyens de la CEDEAO
- Author, Isidore Kouwonou
- Role, BBC Afrique
Les dirigeants de l'Alliance des Etats du Sahel ont annoncé vendredi et samedi derniers une batterie de mesures pour permettre la libre-circulation des citoyens de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) au sein de leur confédération.
Vendredi, pendant que les chefs d'Etat et de gouvernement de la CEDEAO se préparaient pour le sommet qui s'est tenu à Abuja au Nigeria et qui devrait analyser leur annonce de sortie de l'organisation, Niamey, Ouagadougou et Bamako ont devancé les événéments pour réitérer leur décision.
Une occasion pour les trois pays de rappeler leur "décision irréversible de retrait" de l'organisation sous-régionale. Ils ont dit poursuivre leurs réflexions sur les "modalités de sortie" de la CEDEAO.
Les pays de l'AES ont ensuite décidé d'ouvrir leur espace aux citoyens de la CEDEAO.
Les mesures décidées par l'AES pour favoriser les citoyens de la CEDEAO
Samedi, les chefs d'Etat de l'AES ont pris des mesures en faveur de la libre-circulation des citoyens de la CEDEAO au sein de leur espace. Quelques mesures :
- Les territoires du Mali, du Burkina Faso et du Niger sont ouverts sans visa à tous les ressortissants des pays membres de la CEDEAO
- Les ressortissants de la CEDEAO ont droit de circuler et de résider dans les pays de l'AES
- Toute personne considérée comme "immigrant inadmissible" peut être empêchée de circuler ou de résider au sein de la confédération
- Les véhicules des particuliers et des véhicules commerciaux et de transport sont également autorisés à entrer dans l'AES, conformément aux textes nationaux en vigueur dans les trois pays.
La CEDEAO, de son côté, a donné un délai de rétractation de six (06) mois aux régimes militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger afin qu'ils puissent revenir sur leur décision. C'était lors du sommet qui s'est tenu ce dimanche à Abuja au Nigeria.
Selon le président de la Commission de la CEDEAO, Omar Alieu Touray, les 3 pays "cesseront d'être officiellement membres de la CEDEAO à partir du 29 janvier 2025".
Mais l'organisation sous-régionale a décidé de mettre en place une période transitoire qui va jusqu'au 29 juillet 2025, afin de permettre aux trois pays de revenir à tout moment.
Quelles conséquences peuvent découler de la sortie du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO ?
La Communauté Économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a appelé dimanche les dirigeants des Etats du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger) à reconsidérer leur position. C'était lors d'un sommet qui s'est tenu à Abuja au Nigeria.
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont, le samedi 6 juillet dernier, ont décidé d'avancer dans leur isolement du bloc de la CEDEAO. Ils ont tenu un sommet à Niamey où il a été conclu leur union au sein de la Confédération des Etats du Sahel.
Ces trois dirigeants ont déjà indiqué que leur décision de retrait du bloc ouest-africain est "irrévocable".
La CEDEAO a indiqué dimanche que le départ et la création de la confédération des trois pays pourraient restreindre la libre circulation des biens et des personnes dans la région et compromettre les efforts déployés pour lutter contre l'insécurité, selon Omar Alieu Touray, le président de la Commission de la CEDEAO.
Certains produits alimentaires, notamment la viande et les légumes que les Etats du Sahel fournissent au reste de l'Afrique de l'Ouest, risquent de revenir plus chers si ces Etats quittent définitivement la CEDEAO. Parce que l'organisation régionale n'accordera plus les privilèges tarifaires qu'elle garantit à ces Etats.
Les trois pays sont enclavés et n'ont pas d'accès à la mer, ce qui les rend dépendants de leurs voisins côtiers, notamment le Togo, le Bénin, le Ghana et le Nigeria, pour le commerce international.
Ils devront supporter des coûts plus élevés - en termes de droits de douane et de taxes - s'ils cessent d'être membres de la Cedeao.
Aussi, les ports du Togo et de la Côte d'Ivoire recevront un coup avec le départ des pays du Sahel de la CEDEAO qui n'appliquera plus ces privilèges quant aux échanges. C'est grâce au dessert des pays enclavés du Sahel que les deux ports connaissent la prospérité. Les pertes n'épargneront pas non plus les pays du Sahel.
L'avenir du projet gazoduc transsaharien (TSGP) commun au Nigeria, Niger et l'Algérien reste incertain avec cette rupture. Ce gazoduc de 4 000 km qui devra entrer en vigueur en 2030, va acheminer jusqu'à 30 milliards de mètres cubes de gaz par an du Nigeria à l'Algérie, en passant par le Niger, où il reliera les gazoducs existants à l'Europe en traversant la Méditerranée.
Selon le système d'information commerciale de la Cedeao (ECOTIS), en 2022, les exportations du Mali se sont élevées à 3,91 milliards de dollars, pour des importations de 6,45 milliards de dollars, tandis que les exportations du Burkina Faso se sont élevées à 4,55 milliards de dollars, pour des importations de 5,63 milliards de dollars. Le Niger a enregistré 446,14 millions de dollars d'exportations et 3,79 milliards de dollars d'importations.
Dimanche dernier, le président de la Cedeao, Omar Alieu Touray, a averti que la sortie de l'Union pourrait coûter aux pays du Sahel le financement de projets économiques d'une valeur de plus de 500 millions de dollars, qui pourraient être soit suspendus, soit totalement interrompus.
Détérioration des relations entre les 3 pays et la CEDEAO
Ce retrait était prévisible, à en croire de nombreux analystes, vu les tensions qui se sont créées entre l’institution communautaire et les trois pays à qui elle a infligé des sanctions pour protester contre les coups d’Etat.
« Ce n’est pas un saut dans l’inconnu. C’est un cas prévisible », indique Dr Christian Spieker, homme politique togolais, notaire et président du mouvement « Germany is Back ».
A l’origine de ces tensions, les coups d’Etat intervenus dans ces trois pays et les sanctions décidées par la CEDEAO, soutenue par la France et les Etats-Unis. L’organisation a ordonné le rétablissement de l’ordre constitutionnel dans ces pays à chaque coup d’Etat. Une injonction à laquelle les militaires au pouvoir ont refusé d’obéir.
Contre le Mali, la CEDEAO a décidé, en août 2020, de la fermeture de ses frontières aériennes et terrestres et imposé un embargo sur les échanges financiers et commerciaux, à l’exception des produits de première nécessité.
Le Burkina Faso, quant à lui, a été suspendu des instances de l’organisation.
En plus de l’interdiction de voyager aux militaires auteurs du coup d’Etat, des sanctions économiques ont coupé le Niger de bon nombre de ses partenaires commerciaux traditionnels, ce qui a aggravé l’insécurité alimentaire dans le pays.
L’institution sous régionale avait organisé plusieurs sommets extraordinaires au cours desquels d’importantes décisions ont été prises pour amener les nouvelles autorités militaires à la tête de ces pays à instaurer l’ordre constitutionnel.
Des missions ont été dépêchées dans ces pays pour négocier avec les putschistes. Ces derniers ont à plusieurs reprises demandé à l’organisation de faire lever les « sanctions illégales et illégitimes » décidées contre eux. Mais rien n’est fait, même si la CEDEAO a, à un moment donné, allégé les sanctions, notamment contre le Mali.
Raison du retrait
Les relations tendues entre la CEDEAO et les trois pays ont conduit ces derniers à créer l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qui prévoit de créer sa propre monnaie.
Le Niger, le Mali et le Burkina Faso estiment que la CEDEAO ne répond plus aux aspirations de leurs peuples. « Après 49 ans d'existence, les vaillants peuples du Burkina Faso, du Mali et du Niger constatent avec beaucoup de regret, d'amertume et une grande déception que leur organisation s'est éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et du panafricanisme », estiment les trois présidents putschistes.
Ils accusent l’organisation d’être « sous influence des puissances étrangères » et de représenter une « menace pour ses Etats membres et ses populations dont elle est censée assurer le bonheur ».
La CEDEAO, ont-ils ajouté dans le document, ne leur a apporté aucune assistance dans leur lutte contre le terrorisme. Au lieu de cela, elle leur a plutôt imposé des sanctions « illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables, en violation de ses propres textes » qui portent préjudice à leurs peuples. C’est donc pourquoi ils ont décidé de « prendre leur destin en main ».
Les implications de ce retrait
Les sanctions décidées par la CEDEAO contre les trois pays ont déjà mis à mal leurs économies. Leur retrait de l’organisation peut leur constituer une équation difficile à résoudre selon certains experts.
Sur le plan économique, « la fermeture des frontières après les coups d’Etat a gravement impacté les économies du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Cela a été pire pour le Mali qui a subi des sanctions monétaires, avec la fermeture des succursales de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), tout comme pour le Niger qui continue de souffrir de ces sanctions, pourtant non prévues par les textes de la CEDEAO. Mais, avec l’imbrication des économies, ce sont tous les pays de la sous-région qui sont impactés », fait connaître Nathaniel Olympio, président du Cercle d’études stratégiques sur l’Afrique de l’Ouest.
Nathaniel Olympio, président du Cercle d’études stratégiques sur l’Afrique de l’Ouest, les sanctions prises par la CEDEAO « ont pénalisé la libre circulation des personnes et des biens, ce qui a entravé l’intégration, et donc les fondamentaux mêmes de la CEDEAO. Cela va créer un frein à l’investissement. On voit bien que tout le monde est perdant ».
Même constat fait par Dr Christian Spieker. Pour lui, « le seul inconvénient pour ces trois États est la libre circulation des personnes et des biens dans les États de la CEDEAO ». Même si d’aucuns estiment que cela n’a jamais été respecté, vu les tracasseries au niveau des frontières au sein de la communauté, cette libre circulation reste toutefois un facteur déterminant dans les relations, notamment les échanges, entre les Etats et les peuples.
Il relativise toutefois en indiquant que « le Mali, le Niger et le Burkina Faso peuvent signer des accords bilatéraux avec certains des Etats de la CEDEAO avec lesquels ils ont des liens économiques et d´amitié très forts comme par exemple le Togo en raison de son port.
« Avec ces accords les Togolais avec leurs marchandises pourront circuler librement dans ces trois États et les citoyens de ces États pourront circuler librement aussi au Togo sans difficultés », indique-t-il comme exemple.
Une position que semble partarger Nathaniel Olympio. « Et au-delà des investissements privés, les Etats eux-mêmes seront plus frileux à investir dans des projets communs », affirme-t-il.
Dr Spieker estime que les trois pays pourront gagner le pari de leur développement s’ils réussissent aussi à quitter l’UEMOA, en disposant de leur propre monnaie.
Pour lui, il faut qu’ils « arrivent à sortir aussi de cette zone très rapidement. Sinon, c'est une grande occasion pour leur développement économique ». « Pour atteindre ce but, il faut qu´ils sortent très rapidement aussi de l´UEMOA pour avoir leur monnaie commune. Les deux vont de pair. S´ils arrivent à sortir très rapidement de cette zone aussi et abandonner le franc CFA, ils vont provoquer du chaos dans ces pays aussi de l´UEMOA », dit-il.
La CEDEAO, depuis le début de ces coups d’Etat, est en train de perdre son influence dans la sous-région. « Elle l’a d’ailleurs perdue bien avant, lorsqu’elle n’est pas à même de défendre les peuples contre ceux qui font des coups d’Etat constitutionnels, avec plusieurs mandats à la tête des pays, malgré le protocole additionnel qui indique qu’il faut seulement faire deux mandats et quitter le pouvoir », souligne-t-il.
« C’est indéniablement un séisme pour l’organisation et cela pourrait conduire à son implosion, si l’on n’y prend pas garde. La Communauté Economique des Etat de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a pris des positions extrêmes, jusqu’à menacer, surtout publiquement, le Niger d’une intervention militaire pour rétablir le président Mouhamed Bazoum dans ses fonctions, après le coup d’Etat. Déjà, en ne mettant pas en exécution sa menace, la CEDEAO s’est affaiblie par une perte de crédibilité. En dehors de la sortie de la Mauritanie il y a vingt-quatre ans, c’est une première », analyse M. Olympio.
Le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont devenus une arrête dans la gorge de la CEDEAO qui a perdu son influence sur eux.
« Pourquoi la CEDEAO n´a pas pu intervenir militairement au Niger pour remettre en selle Bazoum ? C´est parce que le Mali et le Burkina Faso ont déclaré qu´ils vont intervenir au côté du Niger en cas d'agression. Donc, les va-t-en guerre ont pesé le pour et le contre de ce que cela pouvait entraîner dans la sous-région en cas de leur intervention militaire au Niger. Ce qu´ils évitaient et ils ne sont pas militairement intervenus au Niger », ajoute Dr Spieker qui précise que c’est surtout la position de ces trois pays qui a fait reculer l’organisation sous régionale.
La CEDEAO n’ayant jamais soutenu ces pays en guerre contre le terrorisme, le retrait ne peut avoir d’impact sur ce conflit. Ils ont d’ailleurs su chercher des alliés, notamment la Russie, pour faire face à la situation.
Cette situation entre les Etats du Sahel et la CEDEAO amène de nombreuses personnes à réfléchir sur les perspectives qui s’offrent aux deux organisations : l’AES et la CEDEAO.
Perspectives
Pour le moment, soutiennent les experts, l’Alliance des Etats du Sahel n’a pas encore ce poids pour prétendre se substituer à la CEDEAO. « Il est trop tôt pour le dire », tranche Nathaniel Olympio. Mais avec la perte de l’influence de cette dernière et la propension des Etats d’Afrique qui veulent s’affranchir, il craint que cette alliance ne devienne plus forte que l’organisation communautaire.
« Mais, la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) découle des sanctions, d’une préoccupation sécuritaire propre aux 3 pays et de la menace d’intervention militaire de la CEDEAO au Niger. Ensuite, ils ont décidé d’aller plus loin en devenant officiellement une confédération. L’objectif de l’AES va donc bien au-delà de l’intégration économique que poursuit la CEDEAO. Les dirigeants des trois Etats mettent habilement en avant la défense de la souveraineté de leur pays et la fin de l’intervention avérée des puissances extérieures dans leurs affaires intérieures », poursuit-il.
Et bien évidemment, leur projet pourrait séduire d’autres Etats qui n’hésiteront pas à faire le pas vers eux. « Bien entendu, si la CEDEAO restait figée, il n’est pas exclu que d’autres pays de l’organisation soient séduits par le projet de l’AES. D’ailleurs, la grande proximité du Togo avec ces trois pays, et l’appel du pied fait par l’AES au Tchad, interrogent », avertit-il.
« Pour les trois États du Sahel, c´est une grande chance pour repartir du bon pied vers la souveraineté entière sans influence encore de l´extérieur. Ils vont s'affranchir de toute influence extérieure », souligne Dr Spieker.
Et au vu de la situation actuelle, le président du Cercle d’études stratégiques sur l’Afrique de l’Ouest souligne qu’il serait difficile pour les trois Etats d’envisager un retour dans l’organisation communautaire. « Cela me semble difficile à moyen terme. Avant tout, il faudrait que la CEDEAO fasse de profondes mutations. Qu’elle devienne véritablement une CEDEAO des peuples et non un syndicat de chefs d’Etat qui se serrent le coude en ignorant royalement les attentes des citoyens », ajoute Nathaniel Olympio.