Pourquoi les autorités camerounaises veulent-elles réguler la médecine traditionnelle ?
- Author, Chérif Ousman MBARDOUNKA
- Role, Journaliste-BBC Afrique
Dans les coins et recoins de Yaoundé, la capitale camerounaise, des échoppes de médecins traditionnels poussent chaque jour et connaissent une affluence.
Ici, comme dans la plupart des villes africaines, la médecine traditionnelle fait partie intégrante des ressources dont disposent les ménages et les communautés pour prendre soin de leur santé, ceci depuis des siècles.
Papa Michel, Tradipraticien à Yaoundé, explique que plusieurs personnes viennent en consultation chez lui "parce qu'elles sont allées à l'hôpital et elles n'ont pas eu de résultats positifs, pas d'améliorations". Le guérisseur traditionnel dit traiter les MST, le diabète et la goutte entre autres.
Pour la syphilis en occurrence, "je la détecte sur les paumes de la main, sur la plante des pieds, parce que ça donne des petites taches noires.", c'est ainsi que Papa Michel explique ses méthodes de diagnostics et de reconnaissance des symptômes.
En cas de doute, il dit référer ses patients à des laboratoires pour des analyses avant tout traitement.
Un traitement composé essentiellement de "remèdes indigènes", une décoction d'herbes et d'écorces dont il a seul le secret.
Cependant, pour les experts, la médecine traditionnelle repose le plus souvent sur des connaissances transmises de génération en génération, d’où le manque de preuves scientifiques solides pour étayer son efficacité et la qualité de ses produits.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’une des difficultés fréquentes tient à la surveillance de l’innocuité des produits de médecine traditionnelle, en particulier à la mise en place de systèmes de pharmacovigilance pour ces produits.
En outre, la prolifération de l’exercice de cette médecine inquiète également les autorités.
C’est pour limiter les dérapages que le gouvernement camerounais a introduit le 14 novembre 2024, au Parlement, un projet de loi portant organisation de ce métier.
Il est question, selon le ministère de la Santé, de mettre sur pied un code d’éthique et de déontologie devant fixer les droits et les obligations des tradipraticiens.
La guerre aux charlatans
Devant la représentation nationale, Manaouda Malachie, le ministre camerounais de la Santé, a présenté le projet de loi sur la médecine traditionnelle comme étant une avancée dans l'exercice de cette activité. Il a toutefois reconnu qu'il est difficile aujourd'hui de l'interdire dans le pays. La seule solution pour le gouvernement, a-t-il confessé, c'est d'assurer et structurer son encadrement par un texte normatif.
"Le projet de loi que nous avons défendu vise simplement à encadrer et à organiser ce secteur afin que les charlatans ne puissent pas se prévaloir et ternir l'image de la médecine traditionnelle."
"Le projet ambitionne également de sanctionner lorsqu'il y aura des débordements ou des dérives", précise Manaouda Malachie.
Selon le gouvernement, ce texte de loi permettra la mise sur pied d'un code déontologique devant fixer les droits et obligations des tradipraticiens. Aussi, va-t-il définir les modalités de collaboration entre la médecine traditionnelle et la médecine conventionnelle.
Désormais, l'exercice de la médecine traditionnelle est soumis à une autorisation délivrée par le Ministre chargé de la santé publique.
Tout tradipraticien de santé devra adresser aux autorités territorialement compétentes une déclaration écrite sur le nombre et le lieu de traitement des pathologies et/ou d'actes à réaliser pour lesquels il est apte.
A travers ce texte, l’Etat du Cameroun veut également promouvoir la médecine traditionnelle et ainsi accroître l’offre de soins apportée aux populations. Surtout dans un contexte fortement marqué par l’intérêt des populations à recourir aux solutions endogènes.
Au sein de la corporation des tradithérapeutes, certains redoutent les procédures administratives qui conduiront à la légitimation de leur métier. Pour eux, la précarité dans laquelle ils vivent ne leur permet pas de s'acquitter des frais de dossier qui seront exigés.
Julien Mbarga qui assiste son père depuis des années, dit qu'ils ont hérité des connaissances ancestrales de leurs aïeux. Par conséquent, il leur est presque impossible de justifier de manière scientifique l'efficacité de leur traitement. Ils espèrent que les témoignages de leurs patients guéris seront pris en compte.
Salomé Etoundi, par contre, loue ces nouvelles dispositions du ministère de la Santé. La tradipraticienne qui cumule quarante années d'expérience, estime que cette nouvelle loi permettra de séparer le bon grain de l'ivraie. La dame a déjà commencé à constituer son dossier pour être enrôle auprès des autorités sanitaires et administratives.
"C'est une bonne chose pour moi, c'est une décision appréciable, j'irai faire des photos d'identité avant de me rendre chez le sous-préfet", précise-t-elle avec une voix pleine d'assurance.
Le ministère de la santé indique que des inspections seront réalisées dans les centres de médecine traditionnelle afin de s’assurer du respect de la réglementation en vigueur.
L’OMS et la médecine traditionnelle
L’organisation mondiale de la Santé définit la médecine traditionnelle comme étant la somme des connaissances, des compétences et des pratiques fondées sur les théories, les croyances et les expériences propres à différentes cultures, qu'elles soient explicables ou non.
Ces pratiques sont utilisées dans le maintien de la santé et la prévention, le diagnostic, l’amélioration ou le traitement des maladies physiques et mentales.
Selon l’OMS, environ 40% des produits pharmaceutiques ont une base de produits naturels. Et, des médicaments du quotidien ont une source dans la médecine traditionnelle.
L’agence des nations unies reconnaît ainsi la contribution des pratiques de médecine traditionnelle à la santé, au bien-être et à la couverture sanitaire universelle. Selon l’organisation onusienne, « une médecine traditionnelle intégrée de manière appropriée peut améliorer les résultats en matière de santé en augmentant la disponibilité des services, en particulier au niveau des soins de santé primaires ».
La médecine traditionnelle est-elle sûre ?
Même si ses méthodes et pratiques sont parfois contestées, l’OMS a toujours plaidé en faveur de l’intégration dans les systèmes de santé nationaux de pratiques et de produits de la médecine traditionnelle. Plusieurs produits de la médecine traditionnelle étant considérés comme naturels, ils sont perçus comme sûrs et plus sains que certaines substances pharmaceutiques.
Cependant, l’OMS émet des réserves sur les risques et les conséquences négatives sur la santé que ces produits peuvent avoir en particulier lorsqu’ils sont utilisés en association avec d’autres médicaments ou lorsqu’ils sont pris à fortes doses.
C’est pourquoi les utilisateurs doivent être mieux informés des avantages et des propriétés réels des formes traditionnelles de thérapie et de leurs dangers potentiels. Les spécialistes suggèrent qu’une intégration efficace de la médecine traditionnelle dans le système de santé conventionnel doit se faire de manière appropriée sur la base des éléments de preuve scientifiques les plus récents.
C’est pourquoi l’OMS aide les pays qui souhaitent adopter des pratiques de médecine traditionnelle à le faire de manière scientifique afin d’éviter de nuire aux patients et de garantir des soins de santé sûrs.
Pour cela, les médicaments traditionnels, bien qu'anciens et naturels devraient pourvoir être testés pour prouver leur efficacité et leur sécurité grâce à des essais cliniques fiables. Cela garantirait qu'ils sont sûrs et efficaces tout en fournissant les preuves nécessaires pour qu'ils soient inclus dans les recommandations de l'OMS.