Sexualité : "Il y a des hommes qui pensent que je pisse sur le lit": Fanta, une femme fontaine
- Author, Isidore Kouwonou
- Role, Journaliste -BBC Afrique
- Reporting from Dakar
***Attention, certaines descriptions et déclarations peuvent heurter la sensibilité du lecteur.
L'éjaculation féminine varie d'une femme à une autre. Elle est à peine visible chez certaines, mais beaucoup plus abondante chez d'autres. Les femmes chez qui elle est abondante se retrouvent parfois complexées.
Le sujet est tabou. Surtout dans les sociétés africaines, nul n’ose en parler ouvertement. D’ailleurs les discussions sur la sexualité sont rarement engagées dans les familles en Afrique. Il est aussi rare de trouver une femme qui s’affirme et dévoile sa sexualité avec les petits secrets qu’il y a autour.
Mais Fanta, un nom que nous lui avons emprunté pour protéger son intimité, jeune dame de 38 ans que BBC Afrique a réussi à joindre depuis Lomé au Togo, se montre décomplexée et à l’aise dans les discussions. Pour elle, ces clichés semblent appartenir à une autre époque.
Il n’y a rien à se reprocher du moment où faire l’amour et décupler son plaisir font partie des besoins naturels d’un être humain, nous dit-elle avec une voix taquine qui laisse deviner sa personnalité.
''Monsieur le journaliste, je suis une femme, je libère du liquide abondant quand j’approche ou j’atteins l’orgasme, je l’assume'', nous confie la jeune femme, célibataire et mère d'un enfant.
''C’est vrai qu’au début, c’était difficile, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, surtout avec les rejets de certains hommes qui ne mesurent pas le plaisir qu'il y a à avoir une femme de ma trempe dans leur lit''.
Mais avec le temps, elle s’est complètement débarrassée de ce complexe, car "grâce aux médecins, j’ai compris finalement que c’est un don que les autres femmes n’ont pas".
On peut cependant déceler une certaine gêne dans sa voix lorsqu’elle évoque l’appréhension de certains hommes sur ce qu’elle appelle un don divin (l’émission fontaine).
"Jusqu’à présent, il y a des hommes qui pensent que je pisse sur le lit. C’est très frustrant ces regards qu’on te jette après l’acte par lequel vous avez pris plaisir à deux", continue-t-elle.
Fanta souligne néanmoins qu’elle trouve du réconfort dans les bras de ces autres hommes qui, très curieux, ''adorent mon état et aiment me voir et contempler ce jet d’eau qui sort en moi, même si leur lit doit être mouillé''.
''Il y en a qui, lorsque ce moment vient, se retirent de moi pour bien apprécier le spectacle. J’avoue que cela les excite encore plus et le plaisir à deux continue''.
Comme Fanta, de nombreuses femmes sont dans le même cas, mais n’osent pas en parler à cause des préjugés ou des regards des autres. La preuve, il nous a été difficile de mettre la main sur cette jeune dame qui a accepté de se confier.
La plupart des spécialistes (sexologues surtout) que nous avons contacté dans le cadre de cet article n’ont pas réussi à convaincre leurs patientes à parler à un journaliste.
Mais, que disent les experts et la science à propos de ce phénomène ?
Qu’est-ce qu’une femme fontaine ?
Peut-être que certains ne le savent pas encore. Le phénomène d’éjaculation existe chez la femme aussi. L’éjaculation féminine est donc la libération d’un liquide chez la femme à l’approche ou au moment de l’orgasme.
Chez la majorité des femmes, l’émission de ce liquide est faible, de petite quantité. Par contre chez d’autres, elle est abondante, et s’accompagne donc d’un jaillissement pouvant atteindre un volume de 300 ml (contenance moyenne d’une vessie pleine), selon des spécialistes en santé féminine.
D’où l’expression « femme fontaine ». Selon le Dr Vanessa Adrienne Kouatchouang Njewel, sexologue, médecin de santé publique au district de santé de Bangue à Douala au Cameroun, une femme fontaine désigne ''une femme qui, lors d’un moment d’intense excitation (ou même d’orgasme), libère un certain volume de liquide par l’urètre''.
"C’est un peu comme si son corps disait ''Attention, ça déborde ! » en plein milieu de l’action. Ce phénomène est souvent lié à un grand plaisir", indique le médecin.
Elle ajoute que cette sensation de grand plaisir varie d’une femme à l’autre car chaque corps a sa propre manière de répondre aux stimulations, et ce phénomène, comme tant d'autres en sexualité, reste unique pour chaque femme.
''Certaines ressentent ce phénomène comme une vague de plaisir intense, tandis que d'autres le vivent plus comme un débordement surprise sans lien direct avec l’orgasme. Ce plaisir peut donc varier : pour l'une, cela devient une véritable expérience sensorielle ; pour une autre, c'est simplement une réaction physique un peu mystérieuse''.
Et justement, c’est ce mystère que certains hommes ne comprennent pas et d’autres veulent découvrir, préférant les femmes fontaines, selon le témoignage de Fanta.
Découverte, gêne et puis plaisir
Les experts s’accordent à affirmer que l’émission fontaine n’est pas innée en la femme. C’est au fil du temps que la femme découvre ce phénomène et, dans la plupart du temps, ce n’est pas agréable à vivre au début.
''Beaucoup de femmes peuvent découvrir cela au fil de leur vie sexuelle, selon les expériences, les niveaux de confort et la sensibilité individuelle. Ce n'est pas un phénomène réservé à quelques personnes spécifiques ; c'est plutôt une réponse possible qui dépend de facteurs comme le bien-être, la détente et le niveau d'excitation", souligne Dr Kouatchouang Njewel.
Fanta, professionnelle du sexe, ne s’est découverte qu’à l’âge de 30 ans, quand bien même qu’elle a commencé le trottoir un peu tôt. Ce qui veut dire qu’elle avait des rapports sexuels depuis sa plus tendre jeunesse, mais n’avait pas su qu’elle était fontaine.
''Quand bien même j’ai connu plusieurs hommes dans ma vie, je n’ai découvert ce côté de moi-même qu’un peu plus tard. C’était lors d’une escapade qui m’a conduit à Accra avec un monsieur. Et c’est la première fois aussi qu’un homme m’a mis tellement à l’aise chez lui et m’a fait des choses inimaginables", témoigne Fanta.
Elle ajoute : ''Au cours de l’acte, j’ai remarqué qu’il y a un liquide qui sortait de moi abondamment, c’était comme un jet d’eau, mais en même temps je prenais un grand plaisir, très intense, avant d’être envahie par une gêne devant mon partenaire que j’ai mouillé aussi''.
Selon elle, le partenaire pensait d’abord à l’urine. Mais le liquide ne sentait pas. ''Le soir nous sommes rentrés à Lomé et il n’a plus demandé à me voir''.
Une histoire entre eux, poursuit-elle, qui a fini un peu plus tôt parce que le partenaire n’a pas aimé le spectacle. ''Je pense que pour lui, il est inconcevable qu’une grande fille comme moi pisse au lit. Pire, pendant l’acte'', tente-t-elle de nous faire comprendre, ajoutant qu’elle ne regrette rien aujourd’hui.
Elle a eu la chance de tomber sur un partenaire qui tenait vraiment à elle quelques mois plus tard, et qui voulait savoir pourquoi elle urine sur le lit lors des rapports sexuels.
''C’est là que le médecin nous apprend que c’est normal ce qui m’arrive et que ce n’est pas l’urine. Cet homme n’a plus voulu me laisser quand il a su ce que c’est. Il aime me regarder lors de l’émission fontaine, surtout lire ce plaisir intense dans mes yeux et à travers mon corps entier'', explique Fanta.
L’émission fontaine, une incontinence ?
Le Dr Vanessa Kouatchouang Njewel a voulu lever l’équivoque en répondant par un non catégorique. ''Ce n'est pas une maladie ni de l’incontinence".
Selon elle, on pourrait voir cela comme une réponse du corps à une stimulation sexuelle intense, un peu comme une signature unique de plaisir chez certaines femmes.
''Ce n'est pas un signe de problème médical, mais juste une particularité qui fait partie de l’expérience de plaisir pour certaines'', dit-elle.
Et donc le liquide qui sort lors de l’émission fontaine n’est pas de l’urine, même s'il est expulsé par l’urètre.
''En fait, il vient des glandes para-urétrales, ou glandes de Skene, ces petites glandes qu’on pourrait appeler la ‘mini-prostate féminine’. Ce liquide est clair, sans odeur et peut contenir des traces de PSA (l’antigène spécifique de la prostate). Donc, quand on dit que les femmes n’ont pas de prostate, il faut croire que Dame Nature a décidé de glisser un clin d’œil à l’anatomie masculine", déclare la spécialiste.
Mais des femmes comme Fanta continuent de subir des stigmatisations liées à cette confusion. Selon la jeune dame, il y en a qui ne comprennent pas que ce n’est pas de l’urine.
" Je me rappelle un jour à Cotonou, le monsieur, après l’acte, m’a regardé avec dédain et m’a jeté à la figure comment une grande femme comme moi peut pisser au lit. Cela m’a fait tellement mal'', regrette-t-elle.
Elle ajoute qu’au début, elle avait du mal à accepter cela. ''Ça m’arrivait même d’avoir peur quand je dois aller au lit avec un homme, comme vous savez déjà ce que je fais comme travail. C’est quand celui qui a été excité en voyant le jet d’eau sortir en moi que j’ai compris que ceci peut aussi être un atout de séduction. Je ne vais pas aussi nier qu’avec les conseils du médecin, je repris assurance''.
''J’en ai vu beaucoup qui traversaient un véritable enfer dans leur couple à cause de ce phénomène", confie le Dr Kouatchouang. Elle a consulté beaucoup de femmes dans cette situation et avoue aujourd’hui que le phénomène n’est pas facile à vivre pour ces dernières.
''Leurs partenaires, souvent peu informés, pensaient qu’elles 'urinaient' pendant les rapports, ce qui provoquait de l’incompréhension, parfois même de la honte. Pour celles dont les partenaires comprenaient un peu mieux le phénomène, la situation n’était pas forcément plus facile ! Ces partenaires, fascinés par cette 'éjaculation', voulaient absolument voir ce phénomène à chaque rapport, comme si c’était une preuve irréfutable de sincérité et de plaisir'', dit le médecin.
Pour elle, c’est une sorte de pression sur ces femmes car ''les patientes se retrouvaient avec cette attente incessante, certains partenaires prenant presque un chronomètre pour vérifier qu’elles ne faisaient pas semblant''.
Dans de telles situations, poursuit-elle, le conseil à ces femmes est de rétablir la communication, d’expliquer à leur partenaire que le plaisir et l’authenticité ne se mesurent pas en litres ! L’essentiel, c’est de se sentir libre et à l’aise, et que chacun comprenne que le corps n’est pas une machine avec des boutons à appuyer.
"Vous pouvez imaginer monsieur le journaliste, un homme avec qui je me suis habitué était dans tous ses états un jour après l’acte, parce que je n’avais pas eu cette libération abondante ce jour-là. Il croyait que je suis déjà passé sur un autre lit avant d’arriver chez lui. J’avoue que je ne savais pas comment lui expliquer cela", affirme Fanta.
En réalité, la jeune dame était tout simplement stressée ce jour et n’avait pas envie de passer à l’acte. ''Je voulais seulement lui faire plaisir parce qu’il insistait ce jour-là''.
Le ''liquide éjaculatoire féminin'' ou encore ''fluide fontaine'' comme on l’appelle n’est donc pas de l’urine. Il vient des glandes para-urétrales ou Skene qui se trouvent autour de l’urètre. Lors de moments d’excitation, ces glandes produisent ce liquide qui est ensuite libéré par l’urètre, un peu comme un "signe" d’intensité.
…Mais ce n’est pas encore l’orgasme
Beaucoup ont tendance à confondre ce moment de plaisir avec l’orgasme. D’abord le Dr Vanessa Kouatchouang précise que l’émission fontaine est différente de l’éjaculation féminine.
L'éjaculation féminine, explique-t-elle, produit un liquide plus épais et blanc, en petite quantité, tandis que l'émission fontaine est un jet plus important de liquide clair. ''C'est en quelque sorte une différence de volume et de consistance, avec l'émission fontaine qui est souvent plus visible et surprenante''.
L’émission fontaine n’est pas synonyme d’orgasme, insiste le sexologue, spécialiste en santé publique au district de santé de Bangue à Douala. Il est vrai que l’émission fontaine coïncide souvent avec l’orgasme, mais ''certaines femmes peuvent avoir une émission fontaine sans forcément atteindre l'orgasme''. Et chaque femme peut le vivre différemment.
Un plaisir à vivre intensément
Le conseil que donne le médecin aux femmes qui se trouvent dans cette situation est de vivre ce bonheur dans toute son intensité. ''La clé est d’être à l’aise et de se laisser aller sans gêne''.
Elle reconnaît que ce n’est pas facile au début, et même embarrassant, mais ''en se rappelant que c’est une réponse naturelle, il devient plus facile d'apprécier l’expérience". L’essentiel, c’est de prendre cela avec légèreté et en parler avec un partenaire de confiance. ''C’est comme une danse que le corps interprète à sa façon''.
Aujourd’hui, Fanta ne regrette plus rien et n’a plus peur devant un homme qui la désire. ''En tout cas, je profite à fond. Surtout quand je suis avec un homme qui adore aussi le phénomène. Ça décuple le plaisir et nous atteignons tous les deux un autre niveau comme on dit'', indique la jeune femme.