La Cedeao ratifie la sortie des trois pays de l'Alliance du Sahel mais la médiation continue
- Author, Mamadou Faye
- Role, Journaliste Digital-BBC News
- Twitter,
- Reporting from Dakar
Au moment où on interroge le bilan à mi-parcours de la délicate mission du président Diomaye Faye de recoller les morceaux entre la CEDEAO et les trois pays de l'AES, les dirigeants de l'institution sous-régionale ont ratifié dimanche le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger du bloc économique. Toutefois, le mandat de médiation du président Diomaye Faye a été prolongé jusqu'en juillet 2025.
A l'issue du sommet ordinaire tenu dimanche à Abuja, la capitale du Nigéria, les chefs d'Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont ratifié le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger du bloc économique.
Les trois pays de l'AES cesseront à partir du 29 janvier 2025 d'être membres de la CEDEAO.
Dans un communiqué lu par Omar Touray, le président de la Commission de la CEDEAO, les dirigeants de l'institution sous-régionale ont indiqué qu'ils respectaient la décision des trois pays de quitter la communauté.
Cependant, les voisins du Sahel devront observer encore une période de transition de six mois entre le 29 janvier et le 29 juillet 2025.
Par la même occasion, la mission de médiation du président sénégalais Bassirou Diomaye pour le retour destrois pays de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) au sein de l'organisation a été prolongée jusqu'au 29 juillet 2025.
Pourquoi le mandat du président Diomaye Faye a été prolongé
Selon Omar Touray, le président de la Commission de la CEDEAO, l'institution sous-régionale "prolonge le mandat des présidents du Sénégal et du Togo pour poursuivre leur rôle de médiation jusqu'à la fin de la période de transition afin de ramener les trois pays membres au sein de la Cedeao".
En effet, la CEDEAO a annoncé la mise en place d'une "période de transition" allant de fin janvier 2025 à juillet 2025 pour "maintenir les portes de la CEDEAO ouvertes aux trois pays pendant cette période", selon la déclaration faite dimanche par Omar Touray.
"Bien que le départ imminent du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Cedeao soit décourageant, nous saluons les efforts de médiation en cours", a souligné Omar Touray à l'ouverture du sommet.
Vendredi, le 13 décembre dernier à Niamey, à l'issue de la réunion ministérielle de la Confédération des Etats du Sahel (AES) sur la libre circulation des personnes et des biens, les ministres des trois pays ont rappelé "la décision irréversible des Etats de la Confédération de retrait de la CEDEAO". Mais ils ont également engagé "les comités pluridisciplinaires à poursuivre les réflexions visant à convenir des modalités de sortie dans l'intérêt des populations de la Confédération".
Samedi, le 14 décembre à Bamako, le Général d'armée Assimi Goïta, président en exercice de la Confédération des Etats du Sahel, a endossé une Déclaration du collège des chefs d'Etat de l'AES sur la libre circulation, le droit de résidence et d'établissement des ressortissants de la CEDEAO dans l'espace de la Confédération des Etats du Sahel.
Entre autres aspects, ledit collège, "guidé par l'esprit de fraternité, de solidarité et d'amitié" et "engagé à renforcer les liens séculaires entre les Peuples d'Afrique", a déclaré que "la Confédération des Etats du Sahel (AES) est un espace sans visa pour tout ressortissant des Etats membres de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)".
Mieux, "les ressortissants de la CEDEAO ont le droit d'entrer, de circuler, de résider, de s'établir et de sortir sur le territoire des Etats membres de la Confédération des Etats du Sahel dans le respect des textes nationaux en vigueur".
Bassirou Diomaye Faye, un pèlerin de la paix ?
Lors de son intervention au cours d'une session-interview au Forum de Doha, le dimanche 8 décembre, Bassirou Diomaye Faye a réitéré le rôle du Sénégal en faveur de la paix.
"Le Sénégal a toujours eu un rôle moteur en jouant sa partition en faveur de la paix. Cela, c'est de façon historique. Nous gardons la même posture consistant à favoriser le dialogue et à permettre que les différents puissent être réglés par justement ce dialogue et la concertation entre les différents pays, notamment au niveau ouest-africain", a souligné le président Faye.
Selon lui, "cela est d'autant plus important (...) que le Sénégal croit fondamentalement qu'il faut bâtir des ponts entre les peuples, entre les états".
D'où, dit-il, "c'est le sens d'ailleurs de la médiation que j'entreprends au nom de la CEDEAO, entre cette dernière et les états membres du Sahel".
"Il faut à mon avis que les parties prenantes s'investissent d'avantage pour que l'intégration qu'on a réussi jusqu'ici ne cède pas le pas à la désintégration et au repli sur soi parce que l'Afrique a besoin de parler d'une seule voix pour être entendue, de se concerter pour trouver des solutions endogènes à ses problèmes et aux défis que nous partageons avec le monde, notamment la lutte contre la pauvreté et les défis liés aux changements climatiques", explique le chef de l'Etat sénégalais.
Bassirou Diomaye Faye est convaincu que "rien n'empêche aujourd'hui de maintenir l'Alliance des Etats du Sahel puisqu'elle est déjà là et qu'elle répond à une réalité sécuritaire à laquelle ces pays font particulièrement face, mais en même temps cela ne devrait pas (...) expliquer une désintégration de la CEDEAO pour le rôle que cette institution a joué dans le rapprochement des peuples, dans la facilitation de la circulation des personnes et des biens".
"J'avance dans le cadre de cette mission que nous serons toujours à leurs côtés parce que nous partageons la même réalité sécuritaire et nous avons un destin sécuritaire lié", poursuit-il.
Le président Diomaye Faye estime que "les avancées qu'on a eu, depuis la mise en place de la CEDEAO, à travers les différents instruments par lesquels cette formidable entité agit, ne doivent pas être masquées par des problèmes de gouvernance qui demandent, comme plusieurs institutions multilatérales, une réforme pour les adapter aux défis de notre temps".
Voilà ce sur quoi il faut travailler, pense le président sénégalais.
Mais quels sont les actes posés par le Sénégal depuis sa désignation comme facilitateur du processus de retour des pays de l’AES au sein de la CEDEAO ?
Les actes posés comme facilitateur de la CEDEAO
Tout d’abord, le président Diomaye Faye a nommé, en juillet, l’ancien ministre sénégalais Abdoulaye Bathily au poste d’envoyé spécial pour le Sahel. Dans un entretien, le 13 juillet à Dakar, avec la presse sénégalaise, il a évoqué l’expérience, la respectabilité et la stature de l’homme pour justifier son choix pour cette mission.
Deux mois après sa nomination, le professeur Abdoulaye Bathily s’est rendu au Burkina Faso le 10 octobre 2024 où il a rencontré le président Ibrahim Traoré et les autorités militaires de la transition.
A l’issue de son entretien avec le président du Faso, Pr Bathily a délivré à la presse le message de "solidarité du président Bassirou Diomaye Faye, de son gouvernement et du peuple sénégalais à l’égard du peuple du Burkina Faso, dans des circonstances actuelles marquées par des attaques terroristes répétées qui ont conduit à des pertes en vies humaines, à des dégradations matérielles énormes, d’ailleurs depuis quelques années déjà".
C’était aussi l’occasion pour lui de rappeler les défis énormes que connaissent les deux pays qui partagent une même période historique, et de lancer un appel pour un engagement collectif afin de vaincre le mal. "Lorsqu’on voit le spectacle aujourd’hui de ce qui se passe dans cette région, nous sommes profondément affligés. Et il est du rôle de tous de s’engager pour tourner cette page de tragédie", avait-il déclaré.
Une semaine plus tard, le jeudi 17 octobre, l’ancien représentant spécial des Nations-Unies pour la Libye était accueilli au Mali par les autorités militaires dirigées par le président Assimi Goïta.
"Le président Diomaye Faye a exprimé la volonté du Sénégal avec le Mali de chercher toutes les voies appropriées pour consolider les perspectives de l'unité régionale, de l'unité africaine sur la base des intérêts de nos peuples qui aspirent à cette unité-là", avait-il confié à la presse.
Tout en reconnaissant l’existence de problèmes au sein de la Cédéao en tant qu'organisation, il a souligné la volonté des peuples à "continuer à vivre ensemble, à forger leur destin ensemble, à bâtir un avenir commun de progrès et de prospérité".
"Trois pays de cet espace régional ont décidé de constituer une organisation, l'AES. Le Sénégal considère que tout ce qui va dans le sens du raffermissement des relations entre deux, trois, quatre États, cinq États et au-delà, c'est une chose positive. Et ce qu'on peut faire en plus et en mieux, à deux, à trois, à quatre, il faut le faire, il ne faut pas attendre", avait-il rassuré.
Pour rappel, seulement quatre mois après son élection à la présidence du Sénégal en mars dernier, Bassirou Diomaye Faye avait été désigné facilitateur de la CEDEAO dans les négociations avec les trois pays de l’AES, le 7 juillet 2024 à Abuja, à l’issue du sommet de l’organisation régionale, avec son homologue togolais, Faure Gnassingbé.
La mission consiste à faire revenir le Mali, le Burkina Faso et le Niger sur leur décision "irrévocable" de quitter la CEDEAO à l’issue du premier sommet des pays de l’AES tenu le 6 juillet à Niamey, au Niger, avec la création d’une Confédération des Etats du Sahel.
"Cela a été consacré aujourd’hui (dimanche 7 juillet-ndlr) dans la résolution de la Cédéao qui a décidé de travailler à l'apaisement entre l'organisation et ces pays qui sont encore membres parce que le délai auquel leurs velléités de départ doivent être entérinées, n'est pas encore arrivé", avait souligné le président Diomaye Faye.
En effet, selon l’article 91 du traité de la CEDEAO, révisé en 1993, tout Etat qui se retire de l'organisation doit notifier "par écrit, dans un délai, d'un an, sa décision au Secrétaire Exécutif qui en informe les Etats Membres. A l'expiration de ce délai, si sa notification n'est pas retirée, cet Etat cesse d'être membre de la Communauté". Par conséquent, le départ des trois pays de l’AES ne pouvait être effectif qu’en fin janvier 2025 puisque l’annonce du retrait avait été faite le 28 janvier 2024.
Pour le président sénégalais, ce n’était pas le moment de "rester les bras croisés". Il fallait agir. "Notre responsabilité, c'est de travailler à rapprocher les positions, à les réconcilier, à faire en sorte qu'il puisse y avoir une place de dialogue entre l'organisation et les parties prenantes, notamment l’Alliance des États du Sahel (AES)", avait souligné le président Faye.
Il espérait, disait-il, "que d'ici la fin du délai de préavis, qu'il y (aurait) assez de discussions qui (permettraient) de réconcilier les positions et de travailler à renforcer l'organisation afin qu'elle prenne mieux en charge les défis communs auxquels nous sommes confrontés".
Auparavant, tout juste après son élection, Bassirou Diomaye Faye avait déjà pris son bâton de pèlerin pour se rendre, le 30 mai, respectivement au Burkina Faso et au Mali, pour aborder avec ses homologues, Ibrahim Traoré et Assimi Goïta, des questions d’intégration et de coopération bilatérale.
Il avait également reçu à Dakar, le mardi 1er octobre 2024, l’ancien président du Niger, Mahamadou Issoufou, actuel président du Panel indépendant de haut niveau sur la Sécurité et le Développement au Sahel pour discuter "des questions de sécurité dans la sous-région", avait annoncé le compte X de la présidence du Sénégal. Ceci, après l'attaque armée perpétrée le mardi 17 septembre, contre une école de la gendarmerie, près de l’aéroport de Bamako, la capitale du Mali, et revendiquée par le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (JNIM).
Qu’est-ce qui a changé entre l’AES et la CEDEAO ?
Beaucoup de choses ont changé entre les trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), le Burkina Faso, le Mali et le Niger et la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
Tout est parti de la crise sécuritaire qui a pris une ampleur démesurée dans l’espace géographique des trois pays, avec plusieurs pertes humaines et matérielles.
Après l’échec de l’Initiative d’Accra créé en 2017 par le Burkina Faso, le Bénin, le Togo, la Côte d’Ivoire et le Ghana, rejoints en 2019 par le Niger et le Mali comme observateurs, de nouvelles autres stratégies verront le jour dans la lutte contre le terrorisme. Toutes soldées par un échec, à l’image de la Force multinationale mixte (qui existe depuis 1994) et relancée en 2015.
Le dimanche 15 mai 2022, le Mali annonce son retrait du G5 Sahel, qui a été créé en 2014 pour endiguer la menace terroriste dans la région. Il est suivi, le 2 décembre 2023, du Niger et du Burkina Faso.
Les trois pays, qui eux aussi ne sont pas satisfaits de la gestion de la crise sécuritaire par la force de 5 000 hommes qu’ils partageaient avec le Tchad et la Mauritanie.
Par conséquent, ils ont préféré conclure leur propre pacte de défense mutuelle contre les attaques djihadistes devenues fréquentes et meurtrières dans la région du Sahel.
Stratégies de survie des pays de l’AES
A la suite des différents coups d’Etat au Mali en août 2020 et mai 2021, au Burkina Faso en 2022 et au Niger en 2023, les relations entre la CEDEAO et les trois pays se sont détériorées. L’institution régionale suspend les pays de ses institutions et décrète contre eux des sanctions économiques.
L’organisation sous-régionale avait même menacé d’intervenir militairement au Niger si la junte n’avait pas libéré le président Bazoum retenu en otage.
Ensemble, les trois pays ont mutualisé leurs efforts pour assurer le bien-être de leurs populations.
Ils annoncent la création d’une force militaire conjointe pour lutter contre le terrorisme et se rapprochent de nouveaux partenaires comme la Russie, la Chine, entre autres pour acquérir de nouveaux équipements militaires.
La création d’une banque d’investissement commune est annoncée le 16 septembre 2024 par le président Assimi Goïta, ainsi qu’une télévision et un passeport biométrique.
Les pays de l’AES signent en novembre 2024 un protocole d’accord mettant fin aux frais d’itinérance des communications téléphoniques sur leur espace.
Le vendredi 22 novembre 2024, à Bamako, capitale du Mali, s'est tenue la première réunion des ministres chargés de la Sécurité des trois pays de la Confédération de l’AES.
L’objectif était de "valider les spécifications techniques harmonisées des documents de voyage et d’identité (passeport et carte nationale d’identité) afin de favoriser la libre circulation des personnes et des biens dans une dynamique d’intégration plus poussée, conformément à la vision des plus hautes autorités des trois pays", indique un communiqué conjoint des trois pays.
Dans leurs recommandations basées sur la présentation du rapport des experts des trois pays, les ministres "ont rappelé la nécessité de poser des actes concrets allant dans le sens de faciliter la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace AES", précise le communiqué.
En marge de la rencontre, indique le communiqué, "les trois ministres ont échangé sur le contexte géopolitique et examiné la situation sécuritaire dans l’espace AES".
"A ce titre, ils ont salué les succès significatifs enregistrés par les forces de sécurité des trois pays dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée et les trafics en tous genres", poursuit le document.
Pourquoi l’AES s’est-elle radicalisée vis-à-vis de la CEDEAO ?
Selon Paul Amegankpo, Directeur du Think Tank Institut Tamberma pour la Gouvernance (ITG), la radicalisation de l’AES vis-à-vis de la CEDEAO est née du simple fait que les chefs militaires qui dirigent ces pays voulaient gagner du temps en se soustrayant des règles démocratiques promues par la CEDEAO.
"La position radicale des dirigeants des pays en transition de l’AES vis-à-vis de la CEDEAO, découle du fait qu’ils ont compris que, pour avoir une transition plus longue, et surtout pour avoir des règles de jeu qui leur permettront de pouvoir être candidats lors des prochaines élections, pour continuer à diriger ces pays en transition, il va falloir se soustraire des règles démocratiques prévues par le Protocole additionnel de la CEDEAO", explique le Togolais.
Ce protocole "exige un retour à l’ordre constitutionnel à travers des élections libres et démocratiques qui devraient être organisées dans un délai court ne dépassant pas de quatre mois et qui permettraient aux civils de revenir au pouvoir".
"Ceci exclut d’emblée les dirigeants des pays de l’AES qui sont en transition et qui voudraient naturellement continuer à diriger leur pays", soutient Paul Amegakpo.
Or, "cet instinct de conservation du pouvoir était antinomique par rapport aux règles démocratiques de la CEDEAO", indique-t-il.
"Dans cette configuration, il y a eu l’exemple du Tchad où le président Idriss Deby a dû conduire un processus, rapide certes, mais un processus qui a préparé les voies pour sa candidature et la possibilité pour qu’il continue à diriger le pays", rappelle-t-il.
"Actuellement, cette position est confortée par le Gabon où la transition ferait probablement deux ans maximums, mais où le président de la transition a la possibilité d’être candidat et donc de pouvoir continuer à diriger le pays", poursuit-il.
Pour finir, l’analyste togolais signale deux obstacles majeurs : "d’abord, la limite du temps de conduite de la transition et ensuite, les contraintes liées à l’impossibilité pour les dirigeants militaires d’être candidats aux prochaines élections, au niveau des pays de l’AES".
Paul Amegankpo estime que "ce sont des positions inconciliables avec la logique, les principes et les valeurs définis au niveau de la CEDEAO".
Va-t-on vers le maintien du statu quo ?
Il y a de fortes de chances que les choses restent en l’état. Du moins, c’est ce que pense Paul Amegankpo, Directeur du Think Tank Institut Tamberma pour la Gouvernance (ITG). Selon lui, "la médiation du Sénégal dans la crise entre la CEDEAO et l’AES devient de plus en plus compliquée pour plusieurs raisons".
En premier lieu le Togolais pointe du doigt le choix porté sur le professeur Bathily, dont les résultats de ses missions en Afrique centrale et en Libye sont mitigés.
"D’abord, le Sénégal a choisi un médiateur en la personne de Dr Bathily qui a fait ses preuves avec les Nations-Unies au niveau de l’Afrique centrale et également en Libye avec des résultats mitigés, dans la mesure où le processus démocratique dans beaucoup de pays où Dr Bathily avait servi comme diplomate, n’ont pas évolué, n’ont pas permis d’asseoir des règles de fonctionnement démocratiques dans ces différents pays", fait remarquer M. Amegankpo.
"Et la mission de Dr Bathily, justement, c’est de concilier les positions des états de l’AES par rapport au Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie, la gouvernance et les élections. Et pour avancer sur ce chantier, il faut amener les transitions au niveau de ces trois pays à comprendre que le retour à l’ordre constitutionnel dans un temps relativement court est un impératif pour permettre une réconciliation entre ces Etats et la CEDEAO afin de revenir à la situation de départ, avec une participation effective des Etats de l’AES aux activités de la CEDEAO", explique-t-il.
Le deuxième facteur, dit-il, tient à l’héritage du président Macky Sall, qui faisait partie des chefs d’Etat, qui s’étaient opposé aux réformes du protocole additionnel, relativement à la limitation de mandats à deux, avec Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire et Faure Gnassingbé du Togo.
"Dans ce cas de figure, nous pensons que Dr Bathily a une marge de manœuvre très serrée, sinon une position inconfortable pour sa médiation entre la CEDEAO et l’AES et par ricochet les autorités sénégalaises qui jouent également leur crédibilité vis-à-vis du peuple sénégalais, qui a opté pour la démocratie, la bonne gouvernance et la transparence des élections, des valeurs que les dirigeants sénégalais doivent défendre coûte que coûte au sein de la communauté", indique Paul Amegakpo.
"Si l’AES sort définitivement de la CEDEAO, la mission du président Diomaye Faye et du chef du gouvernement, Ousmane Sonko, c’est de faire en sorte que les réformes portant sur le Protocole additionnel de la CEDEAO soit entreprise et soit rendue effective pour une résilience démocratique dans la sous-région", poursuit-il.
M. Amegankpo estime "ça serait une trahison de sacrifier les engagements démocratiques, les règles et les valeurs démocratiques dont la CEDEAO s’est dotée pour faire des concessions avec l’AES et tenter de les ramener".
Peut-on entrevoir une issue décisive ?
Le chercheur rappelle que beaucoup de choses ont bougé entre temps au niveau des trois pays de l’Aes qui laissent croire que la médiation entreprise par la CEDEAO risque d’être improductive.
"En dehors du Sénégal, il y a eu des avancées qui sont inquiétantes et qui ressemblent à une sorte d’enlisement du processus parce que depuis avril dernier lors de l’engagement du Sénégal de prendre le devant dans la médiation, on a remarqué que les Etats de l’AES ont fait des avancées en adoptant la Charte de la Confédération et nous sommes juste à un mois du délai pour rendre effective la sortie des trois Etats de l’AES de la communauté de la CEDEAO", a-t-il souligné.
Selon lui, "le Sénégal a un diktat du temps et les actes posés ou les actes qui sont en train d’être posés par les trois gouvernements de l’AES ne permettent pas des avancées majeures avant janvier 2025, date de l’échéance pour la sortie effective des Etats de l’AES de la CEDEAO".
"A l’heure actuelle, tous ces éléments réunis montrent que la médiation de la CEDEAO risque d’être improductive. Et si cette médiation est improductive, il va falloir entrevoir des conséquences majeures", insiste-t-il.
Les principales conséquences, à son avis, seront d’abord, "la sortie définitive des Etats de l’AES de la CEDEAO, l’installation de barrières en termes de liberté de circulation des personnes et des biens entre les Etats de l’AES et la CEDEAO, la sortie des états de l’AES des institutions sous-régionales ; mais également les clivages au niveau des pays de la CEDEAO, qui opteront pour des coopérations directes avec ces états de l’AES, tout en respectant les règles établies au niveau de la CEDEAO pour le respect des normes démocratiques".
"Dans ce cas de figure, nous pensons que la CEDEAO gagnerait mieux si le Sénégal s’aligne sur sa vision d’asseoir une communauté démocratique avec la bonne gouvernance et des élections transparentes, plutôt que de suivre l’AES avec des juntes, qui aujourd’hui, mettent complètement entre parenthèses le processus démocratique sous l’autel de la lutte contre l’insécurité et de l’engagement contre le djihadisme au niveau de l’AES", suggère-t-il.