In Situ
Revue des patrimoines
28 | 2016
Le moulage. Pratiques historiques et regards
contemporains
La médiation de l’archéologie. Éthique de la
complaisance ou impératif épistémologique ?
The Cultural Mediation of Archaeology. Ethics of Complacency or
Epistemological Imperative?
Marc-Antoine Kaeser
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/insitu/12814
DOI : 10.4000/insitu.12814
ISSN : 1630-7305
Éditeur
Ministère de la culture
Référence électronique
Marc-Antoine Kaeser, « La médiation de l’archéologie. Éthique de la complaisance ou impératif
épistémologique ? », In Situ [En ligne], 28 | 2016, mis en ligne le 29 mars 2016, consulté le 20 avril
2019. URL : http://journals.openedition.org/insitu/12814 ; DOI : 10.4000/insitu.12814
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La médiation de l’archéologie. Éthique de la complaisance ou impératif épisté...
La médiation de l’archéologie.
Éthique de la complaisance ou
impératif épistémologique ?
The Cultural Mediation of Archaeology. Ethics of Complacency or
Epistemological Imperative?
Marc-Antoine Kaeser
Un consensus de façade ?
1
L’archéologie accorde aujourd’hui une grande importance au travail de médiation1. Ainsi,
par-delà les investissements croissants consentis pour le développement des actions
mises en œuvre par les institutions spécialisées dans ce domaine (les musées et les
centres d’interprétation du patrimoine), on relèvera surtout qu’au cours de cette dernière
décennie, la médiation est manifestement devenue une préoccupation partagée par
l’ensemble des acteurs de la discipline. À l’occasion par exemple de manifestations telles
que les Journées nationales de l’archéologie, les professionnels semblent presque se
bousculer pour communiquer avec le public, sur les chantiers, dans les laboratoires, dans
les nouveaux centres de conservation et d’étude et jusque dans les amphithéâtres, les
bureaux et les couloirs des instituts universitaires.
2
En somme, l’offre en médiation ne se borne plus à répondre à la demande : c’est cette
dernière qu’on cherche à stimuler, souvent avec un enthousiasme méritoire. Et l’on ne
vise plus seulement une audience de scolaires « captifs » et d’amateurs éclairés, familiers
des conférences publiques et des vernissages d’expositions : l’archéologie tout entière est
en quête d’échanges réguliers avec des publics que l’on espère aussi diversifiés que
possible. Dans cet esprit, la médiation constitue désormais un critère reconnu pour
l’attribution des agréments d’archéologie préventive ; elle a même fait son entrée dans
certains cursus universitaires archéologiques. Selon toute apparence, il règne par
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La médiation de l’archéologie. Éthique de la complaisance ou impératif épisté...
conséquent un large consensus au sein de la discipline quant à l’importance des efforts
engagés dans ce domaine.
3
Nous tenons à saluer cet état de fait, qui est extrêmement réjouissant. Ce constat très
positif ne doit pourtant pas nous rendre aveugles sur un arrière-plan plus inquiétant. En
effet, si les médiateurs de l’archéologie font un travail excellent et engagent souvent des
opérations d’une originalité et d’une créativité absolument remarquables, nous avons le
sentiment que leurs mandataires n’en prennent pas vraiment la mesure. Plus
précisément, s’il se fait beaucoup de belles choses en médiation, la plupart des
archéologues ne semblent hélas pas toujours savoir très bien pourquoi on fait de la
médiation...
4
En somme, nous estimons que la médiation repose, aujourd’hui encore, sur des bases
intellectuelles et scientifiques trop fragiles. L’engagement dans ce domaine ne repose
trop souvent que sur des motivations circonstancielles et des motifs purement formels,
qui trahissent un certain opportunisme. On peut par conséquent se demander si les
apparences du consensus évoqué ci-dessus ne masquent pas simplement la bienveillance
complaisante du « politiquement correct » : derrière l’unanimité de façade qui applaudit
aux efforts de la médiation, de nombreuses opinions moins enthousiastes hésitent
certainement à s’exprimer publiquement, de peur d’être accusées de cracher dans la
soupe...
5
Or les défis budgétaires qu’affronte aujourd’hui la profession archéologique invitent à
interroger de manière toujours plus exigeante le bien-fondé de ces actions de médiation
parfois coûteuses, ainsi qu’à évaluer leur « efficacité » selon des critères dont la
pertinence ne sera certainement pas reconnue par l’ensemble des acteurs. En d’autres
termes, l’épreuve de la pression financière risque de faire éclater ce consensus,
entraînant ainsi des conséquences catastrophiques pour l’ensemble de la discipline.
6
Dans cette perspective délibérément critique et afin d’éviter qu’un jour prochain, la
médiation de l’archéologie ne soit dénoncée comme un luxe « qu’on ne peut plus se
permettre », nous nous ferons donc en quelque sorte l’avocat du diable pour interroger
tous les arguments qui plaident en sa faveur. Par-delà les motifs pratiques, les
justifications sociopolitiques et les mobiles sociétaux qui viennent spontanément à
l’esprit de chacun des acteurs, nous souhaitons en définitive démontrer ici que la
médiation peut s’appuyer sur des bases scientifiques et intellectuelles bien plus solides :
elle constitue en effet un impératif déontologique qui puise sa légitimité au cœur même
de l’épistémologie de la discipline archéologique2.
L’image de l’archéologie, entre promotion et relations
publiques
7
Parmi les arguments favorables à la médiation de l’archéologie, nous aborderons en
premier lieu les motifs les plus immédiats (qui sont bien entendu les motifs les plus
insignifiants sur le plan intellectuel) : ce travail de communication alimente la
justification culturelle, sociale... et financière du travail archéologique. Dans un
environnement global caractérisé par la commercialisation, la médiation constituerait
donc déjà un enjeu promotionnel essentiel pour la survie de la discipline.
8
De fait, l’archéologie occupe une place en vue dans les arts, la littérature et la culture
populaire : de Théophile Gautier ou Gustave Flaubert aux blockbusters hollywoodiens (
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Indiana Jones, Lara Croft...) en passant par Hergé ou Agatha Christie, les archéologues, leurs
chantiers, leurs méthodes et leurs objets de recherche ont inspiré un imaginaire
extrêmement riche3. L’investissement dans cette forme de valorisation serait donc
d’autant plus pertinent qu’il répond à une demande publique évidente. Sur le plan
pratique, l’intégration de la médiation dans la formation des étudiant-e-s constituerait
même un placement judicieux, puisqu’elle contribue à maximiser leur potentiel
d’employabilité professionnelle dans un domaine d’activité où les besoins semblent
assurés sur le long terme.
9
Si l’on envisage cet enjeu de manière un peu plus critique, on observera cependant que la
popularité de l’archéologie soulève également des problèmes auxquels il faut pouvoir
répondre. Le travail et les découvertes archéologiques, de même que ces fameux mystères
et ces prétendues énigmes que la recherche est censée dévoiler, suscitent en effet des
fantasmes qui s’expriment couramment sur le plan des représentations culturelles. Ces
fantasmes ont des répercussions notables sur le plan médiatique et alimentent, jour après
jour, la chronique journalistique. Or, comme nous l’avons montré en envisageant cette
question sous l’angle historiographique4, les archéologues ont constamment contribué à
ces fantasmes ; ils sont donc partiellement responsables des images trompeuses
véhiculées aujourd’hui par les médias sur leur travail. En ce sens, on pourrait par
conséquent définir aussi la médiation comme une entreprise de relations publiques :
répondant à un réel besoin éducatif, elle livre les clés adéquates pour mobiliser la
popularité de l’archéologie à bon escient et évite ainsi aux archéologues de se laisser
emprisonner dans cet imaginaire fantasmatique auquel la discipline prête si volontiers le
flanc.
Contre l’appropriation savante, de nouvelles
responsabilités sociales
10
Le dynamisme dont fait preuve la médiation de l’archéologie, de même que la richesse et
la diversité des opérations engagées par des spécialistes et des animateurs toujours mieux
rompus à cet exercice, donne volontiers à croire que la démarche de médiation elle-même
représenterait un développement récent : la discipline archéologique aurait ainsi
parfaitement intégré les valeurs participatives de la société postmoderne, en descendant
enfin de sa « tour d’ivoire ».
11
Cette impression légitime ne résiste toutefois pas vraiment à l’analyse historique et
anthropologique. Certes, les efforts consentis en ce domaine ont gagné une visibilité
totalement inédite. Mais si le mot de « médiation » est assurément nouveau, la chose ellemême ne l’est guère ; car à l’instar de Monsieur Jourdain, nos prédécesseurs faisaient en
quelque sorte de la médiation sans le savoir...
12
L’histoire de l’archéologie au XXe siècle montre en effet que c’est la professionnalisation
(extrêmement tardive) de la recherche archéologique qui a suscité le besoin de
médiation, en introduisant une césure de fait entre les praticiens et le public. Voici
quelques décennies à peine, l’archéologie puisait l’essentiel de sa main-d’œuvre et une
bonne partie de ses données au sein de ce qu’on appelle aujourd’hui la « société civile »
(fig. 1). Le recours à l’action bénévole, aux compétences et à l’expérience des
agriculteurs, d’enseignants, de prêtres, de notaires, d’avocats, de pharmaciens ou de
médecins, amateurs souvent très éclairés, offrait par conséquent à la discipline des
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La médiation de l’archéologie. Éthique de la complaisance ou impératif épisté...
cohortes d’ambassadeurs enthousiastes, qui assuraient au quotidien, auprès de leurs
confrères, de leurs élèves, de leurs paroissiens, de leurs clients et de leurs patients, cette
démarche de transmission culturelle et d’échange public que la médiation doit désormais
prendre en charge.
Figure 1
« La relève archéologique » : ce reportage sur les fouilles du site palafittique de Niederwil (Suisse),
dans Zeitbilder, 28 juillet 1962 (supplément illustré du quotidien Tages-Anzeiger de Zurich), offre un
témoignage de médiation participative « spontanée ». Ces fouilles dirigées par l’université de
Groningen (Pays-Bas) ont défendu des approches interdisciplinaires militantes ; elles servaient alors
de modèle pour une nouvelle archéologie « scientifique ». Or les chercheurs hollandais sont venus en
famille : leurs propres enfants ont été mis à contribution sur le terrain, bientôt rejoints par les enfants
du village voisin, aux côtés des ouvriers italiens salariés et des universitaires bénévoles.
© Archives du Service archéologique du canton de Thurgovie (Suisse).
13
L’examen anthropologique révèle d’ailleurs l’étendue du traumatisme que la
professionnalisation et la réglementation des pratiques ont induit pour ces amateurs
passionnés5. En ce sens, la médiation est aussi l’antidote d’une évolution disciplinaire que
certains peuvent percevoir comme une appropriation savante, réservant à une
« corporation » de professionnels le privilège de l’archéologie. En d’autres termes, les
archéologues doivent admettre que s’ils prétendent (légitimement) s’arroger l’exclusivité
du traitement patrimonial, leur engagement dans la médiation représente dorénavant
une obligation morale, qui permet à la discipline archéologique d’assumer le coût social
de sa professionnalisation.
Un devoir de réflexivité induit par les
accommodements de l’archéologie préventive
14
De manière générale, la professionnalisation de l’archéologie est une conséquence directe
de l’émergence de l’archéologie préventive6. Mais par ses principes, cette nouvelle forme
d’archéologie est porteuse d’une certaine ambiguïté quant au sens qu’elle donne à la
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« sauvegarde » du patrimoine. De fait, la prévention consiste pour l’essentiel à anticiper
les destructions induites par les aménagements, en mobilisant les ressources logistiques
et humaines suffisantes pour identifier et exploiter scientifiquement les sites
archéologiques – grâce au financement par les aménageurs. Mais comme le soulignent
certains collègues de manière provocatrice7, cette nouvelle archéologie s’est ainsi faite la
complice des destructions qu’elle reconnaît comme inéluctables. En termes abrupts, les
archéologues auraient conclu un pacte avec le diable, pour devenir de simples « éboueurs
du patrimoine », chargés par les aménageurs de lever en quelque sorte l’hypothèque
patrimoniale en détruisant eux-mêmes, scientifiquement, les gisements archéologiques
que le passé a malencontreusement placés sur le parcours implacable du développement
économique contemporain.
15
Ce problème est bien réel : il illustre le paradoxe dialectique de l’action archéologique. Or
la seule réponse constructive à ce problème réside précisément dans la médiation : si les
archéologues ne veulent pas être accusés d’être payés en nature (avec des salaires et de la
matière première pour des carrières scientifiques) pour priver la collectivité de son
patrimoine, il est de leur devoir de s’engager activement dans le partage social du savoir
et des enseignements gagnés dans ce processus. Et cet effort ne peut s’arrêter à la
rédaction de rapports de fouille ou de publications savantes : il faut l’envisager dans la
réflexivité et sur la durée, afin de rester fidèles au sens profond de cette sauvegarde qui
constitue la mission de l’archéologie.
Désamorcer l’exaltation médiatique des « émotions
patrimoniales »
16
Dans un registre différent, le développement des activités explicites de médiation peut
également être mis en relation avec l’affirmation des « émotions patrimoniales » analysée
par Daniel Fabre8. L’émergence du « tout patrimonial », qui valorise en particulier des
biens tenus pour cachés, méconnus ou oubliés, et qui se manifeste collectivement, mais
sur des mobiles émotionnels subjectifs, exprime en effet une défiance nouvelle à l’égard
des autorités scientifiques, politiques et administratives. Cette évolution culturelle des
valeurs patrimoniales s’accompagne pourtant d’un bouleversement social des modes
d’intervention publique. De fait, les défenseurs autoproclamés des « causes »
patrimoniales n’hésitent pas à faire appel à l’opinion publique, suscitant ainsi des
emballements médiatiques dont la vigueur, voire la violence, sont appelées à s’accentuer
avec la généralisation du recours aux réseaux sociaux.
17
Ce double changement représente évidemment un défi majeur pour la communauté
scientifique. Et c’est précisément sur ces deux aspects que la médiation permet d’y
répondre, puisqu’elle envisage d’une part la valorisation patrimoniale sur un mode
participatif, et selon des démarches qui autorisent d’autre part la mobilisation des affects
sur un plan intersubjectif.
18
De fait, si l’on admet que la médiation scientifique est un investissement de
communication spécialisé dans l’interface entre science et société, elle représente aussi
un moyen approprié pour contourner d’autres agents « médiateurs » en quelque sorte :
les médias. En ce sens, la médiation constitue un outil approprié pour éviter la perte de
maîtrise et la manipulation que peut induire la médiatisation des enjeux patrimoniaux 9.
Autrement dit, si l’investissement dans la médiation procède d’une responsabilisation
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sociale de la communauté scientifique, il permet aussi à cette dernière de maîtriser en
partie les termes du dialogue avec la société.
Cultiver une relation vivante avec le patrimoine
19
Dans les paragraphes ci-dessus, notre propos s’est développé depuis le point de vue
« internaliste » des archéologues, pour lesquels la médiation est un outil de
communication, ou plutôt une forme de partage. Prenons donc maintenant un peu de
distance, pour revenir, de l’extérieur, sur la mission de l’archéologie, qui consiste, on l’a
vu, à assurer la sauvegarde du patrimoine. De ce point de vue, la conservation et l’étude
ne représentent qu’un moyen, et non pas une fin en soi. En d’autres termes, les
archéologues ne font pas de la recherche pour jouir du plaisir onaniste de la
connaissance : leurs travaux doivent contribuer à la préservation de la culture matérielle
et à la perpétuation de richesses immatérielles identifiées et recueillies à propos du passé,
proche ou lointain.
20
En ce sens, la médiation constitue bien plus qu’un devoir : il s’agit d’une condition
nécessaire pour l’accomplissement effectif de la mission de l’archéologie. Chacun sait en
effet à quel point cette tâche est tributaire de l’intensité et de la qualité de l’attachement
au patrimoine dont font preuve nos concitoyens. Car l’épaisseur et la densité des
connaissances archéologiques ne résultent pas simplement du nombre de prospections et
de fouilles engagées sur un territoire : elles procèdent en grande partie de l’exploitation
scientifique judicieuse de savoirs, de données et d’informations souvent accumulés depuis
des générations, qui exige donc également l’entretien actif de canaux d’échanges entre
science et société. À l’inverse, les efforts des archéologues sont condamnés à demeurer
superficiels et sans lendemain, s’ils portent exclusivement sur les vestiges du passé. Car
en définitive, c’est sur un plan social et par des actes politiques qu’est assurée la
sauvegarde. Or on ne soigne que ce que l’on chérit – ou plutôt, ce que l’on sait apprécier.
21
Pour ce qui touche à cette conscientisation sociale, les archéologues seraient d’ailleurs
très mal avisés de s’en remettre simplement aux effets de la médiatisation. Il est vrai que
certains combats patrimoniaux ont pu s’appuyer sur des campagnes de presse
visiblement efficaces. Mais les médias ne sont que des outils de sensibilisation : si ces
combats ont été gagnés, c’est parce qu’ils se sont accompagnés d’un réel engagement sur
les plans culturel et politique. À défaut, la médiatisation ne mobilise en effet que des
sentiments et des jugements superficiels. L’actualité récente nous a ainsi tous rendus
témoins de l’extraordinaire déferlement de publications qu’ont suscité, sur les réseaux
sociaux en particulier, les destructions patrimoniales mises en scène en Irak et en Syrie
par les partisans de Daech (fig. 2) ; ces publications ont pourtant été partagées pour la
plupart par des internautes qui ignoraient probablement jusqu’alors l’existence même du
musée de Mossoul ou de la cité de Palmyre...
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Figure 2
« La destruction de Palmyre se poursuit. Daech fait exploser l’un des temples les plus importants » :
illustration accompagnant le compte rendu du dynamitage du temple de Bêl, Paris-Match, 31 août
2015.
© REUTERS/Social Media.
22
En somme, la médiatisation semble donc alimenter avant tout une « nostalgie de
fauteuil » (armchair nostalgia10) particulièrement répandue en matière patrimoniale11 –
cette nostalgie pleurant la perte de ce que l’on n’a jamais connu auparavant. À mille
lieues de cette vaine nostalgie qui trahit le consumérisme de ses mobiles, la médiation
authentique de l’archéologie cultive une relation vivante et constructive, de nature
heuristique, avec le patrimoine.
De la « chaîne opératoire » à une conception holistique
de la démarche archéologique
23
Les enjeux identifiés ci-dessus illustrent la pertinence d’une expression en vogue, qui
traduit une notion désormais largement reconnue dans l’éthique disciplinaire : celle de la
« chaîne opératoire » de l’archéologie12, selon laquelle toutes les étapes du travail sont
indissociables et intimement liées, et qui interdit par conséquent toute solution de
continuité entre recherche et médiation.
24
À notre sens, il conviendrait toutefois de pousser cette logique un peu plus loin. La
« chaîne opératoire13 » implique en effet une succession d’étapes, plaçant ainsi la
médiation en bout de chaîne, à l’aval des opérations notamment de diagnostic, de fouille
et d’analyse – ce qui nous paraît contraire, tant aux objectifs théoriques qu’aux réalités
pratiques de la médiation. Celle-ci ne saurait en effet être réduite à un « service aprèsvente » de la recherche archéologique : elle doit accompagner l’ensemble du processus
archéologique, voire le devancer, afin que l’échange et la participation du public
enrichissent les questionnements savants. En définitive, il nous semble donc plus
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La médiation de l’archéologie. Éthique de la complaisance ou impératif épisté...
approprié de défendre une notion proprement holistique de la démarche archéologique –
un cycle sans début ni fin, où la fouille elle-même représente simultanément la
conséquence et le point de départ du travail de médiation.
25
Loin de toute abstraction théorique, cette conception holistique de l’archéologie peut
trouver des applications concrètes partout où les conditions opérationnelles l’autorisent ;
en France, on pense notamment au musée départemental Arles antique14, qui a réussi
ainsi à tisser avec ses publics une relation participative absolument exemplaire (fig. 3). Et
pour dire vrai, nos considérations à ce propos se fondent avant tout sur l’expérience
pratique que nous vivons au quotidien à la direction du Laténium – un musée qui
accueille l’ensemble des services de l’archéologie et du patrimoine de la République et
Canton de Neuchâtel, et qui abrite également l’Institut d’archéologie de l’université locale
15
. Cette absence de cloisonnements institutionnels, logistiques ou humains favorise la
mise en application de ces principes, à tel point que l’ensemble des acteurs de
l’archéologie participe à la médiation... sans jamais savoir précisément où celle-ci
commence et quand elle s’arrête.
Figure 3
Un cas exemplaire de réappropriation publique : reproduction grandeur nature des fouilles du site
archéologique de Trinquetaille sur le char fleuri du comité d’intérêt du quartier, à l’occasion du défilé
du corso du Riz d’Arles (19/20 septembre 2015). Lors de l’édition 2013, c’est le fameux chaland
romain d’Arles-Rhône 3 qui avait été reconstitué pour le défilé – et même temporairement exposé au
musée départemental Arles antique par la suite…
Phot. Denise, Fabrice. © Fabrice Denise.
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La médiation de l’archéologie. Éthique de la complaisance ou impératif épisté...
La médiation : une véritable exigence épistémologique
pour l’archéologie
26
Selon une formule consacrée, la fouille archéologique est comparable à la lecture d’un
grimoire qui se consumerait au fur et à mesure que l’on en tournerait les pages. Dans
cette contribution, nous avons à plusieurs reprises fait allusion à cette spécificité :
l’archéologie est une entreprise de connaissance qui détruit son objet au fur et à mesure
de son dévoilement. Or c’est cette spécificité qui confère son statut particulier à la science
archéologique dans son rapport à la médiation : celle-ci représente une exigence
proprement épistémologique, qui permet à l’archéologie de s’acquitter des pertes
induites par sa pratique16. À la différence d’autres disciplines, pour lesquelles la
médiation peut peut-être, dans les faits, ne constituer que le « service après-vente »
évoqué ci-dessus, l’archéologie doit ainsi entretenir une relation organique avec la
médiation – ce qui légitime, soit dit en passant, son intégration dans les programmes de
formation universitaires.
27
Si l’on envisage cette exigence épistémologique dans le détail, on observera du reste
qu’elle remonte au cœur de la pratique de la recherche. Ainsi, si le remontage et la
reconstitution constituent une première étape des restitutions caractéristiques du travail
de médiation, ils s’avèrent également indispensables à la compréhension et à
l’interprétation des archéologues eux-mêmes, au fil de l’analyse scientifique.
28
On peut également relever un enjeu plus subtil et plus complexe, qui procède du
mécanisme d’élimination inhérent au raisonnement et à l’acte archéologiques. Sur la
fouille, l’archéologue est confronté à des vestiges instables, dont la présence même n’est
souvent que supputée : le positionnement d’un sondage, l’orientation d’une coupe
stratigraphique, l’épaisseur d’un décapage, la finesse d’un tamisage, l’identification d’une
anomalie ou le dégagement d’une structure constituent ainsi des choix stratégiques, qui
permettent de révéler, temporairement, des traces qui pourront ou devront disparaître
ensuite, au fil de la poursuite de l’excavation. Or, si elles répondent à des priorités
analytiques, les décisions prises par le fouilleur condamnent probablement d’autres
traces et d’autres vestiges potentiels à une disparition inéluctable. Ces priorités
déterminent dès lors l’éventail des possibilités ultérieures de conservation, de
restauration, et naturellement, de mise en valeur du site et du mobilier mis au jour.
Autrement dit, la substance disponible pour la médiation après la fouille est très
largement tributaire des choix successifs opérés par l’archéologue sur le terrain. En ce
sens, chaque choix sur la fouille implique et représente simultanément un choix de
conservation, de restauration et de mise en valeur. Tout au long du processus de
recherche, l’archéologue est par conséquent concerné par les impératifs de la médiation.
En définitive, c’est bien là que réside l’argument décisif pour une conception holistique de
la démarche archéologique.
De l’aporie de l’authenticité archéologique à l’esprit de
la médiation
29
Les enjeux scientifiques mobilisés par la médiation prennent une expression tangible
lorsque l’on examine les pratiques des acteurs de la conservation-restauration, qui
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9
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doivent entretenir un dialogue continu avec les archéologues quant à la fonction de leurs
propres travaux. Ainsi, l’étendue et l’intensité du nettoyage d’un artefact corrodé
dépendent de l’établissement de priorités quant à ce que l’on souhaite identifier ou
pouvoir montrer au public – qu’il s’agisse du décor, de la forme ou de la structure de
l’objet. De même, la restauration de ruines n’est pas seulement tributaire des nécessités
de la consolidation architectonique : elle procède de choix scientifiques sur la
signification des états successifs du bâtiment restauré, tout comme sur l’intelligibilité de
sa mise en valeur.
30
Ces choix mettent en lumière le problème fondamental de l’authenticité en archéologie,
qui est toujours contextuelle et située17. Quelle que soit la réalité mise en valeur, celle-ci
est en effet toujours au moins partiellement le fruit d’une construction savante. Ce
problème se manifeste également sur le plan matériel, et renvoie au fameux paradoxe du
bateau de Thésée discuté déjà par les philosophes de l’Antiquité18. En termes
muséologiques, il se manifeste de manière courante, comme le montre l’exemple très
concret de la « roue en bois » de Saint-Blaise/Bain des Dames (fig. 4) : œuvre d’artisanat
néolithique, cet objet est aussi le produit d’un traitement physico-chimique qui a associé
les vestiges déstructurés d’une substance ligneuse décomposée à un volume de
polyéthylène-glycol. Autrement dit, cette exceptionnelle trouvaille exposée au Laténium
n’est pas vraiment un objet en bois, mais plutôt un objet composite comportant une
masse importante de polymères. Et s’il s’agit certes de l’une des plus anciennes roues
connues dans le monde, cet objet n’en est pas moins, simultanément, un artefact de
laboratoire vieux d’une petite trentaine d’années...
Figure 4
Roue néolithique en bois d’érable et de chêne, Saint-Blaise/Bain des Dames (env. 2600 av. J.-C.) :
http://www.rts.ch/decouverte/1942508-les-plus-vieilles-roues-du-monde.html.
Phot. André, Y. © Laténium.
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31
Dans ces circonstances, on voit bien que la médiation ne peut se limiter à transmettre des
faits établis : sa crédibilité exige qu’elle confronte le public aux procédures qui ont
conduit les archéologues à l’établissement de ces « faits » exposés dans les musées,
restaurés sur les sites ou reconstitués dans les centres d’interprétation. Comme l’ont bien
montré les débats du colloque « L’archéologie à la rencontre des publics 19 » (Paris,
26/27 novembre 2014), l’authenticité, qui est primordiale en médiation, tient à
l’intelligibilité du propos assurant la fidélité du message scientifique. En somme, l’esprit
de la médiation tient dans la transmission, non pas simplement des connaissances
archéologiques, mais dans le partage du sens de la démarche archéologique.
32
En guise de conclusion, nous espérons avoir démontré que la complaisance n’est pas
seulement insuffisante, mais carrément contraire aux nécessités de la médiation : celle-ci
constitue simultanément une responsabilité sociale et une exigence épistémologique
inhérente aux spécificités de la discipline archéologique. Et surtout, ces deux mobiles ne
doivent pas être juxtaposés : ils sont articulés, car c’est la réflexivité scientifique qui
permet à la médiation d’assurer pleinement la responsabilité sociale de l’archéologie.
Épilogue
33
À Pompéi, le 3 février 1863, quelqu’un eut l’idée de faire couler du gypse liquide dans les
cavités mises au jour par les fouilleurs, révélant ainsi l’empreinte positive des corps
suppliciés lors de l’éruption du Vésuve (fig. 5). Cette idée ingénieuse répondait à un
mobile heuristique : le moulage était en effet le seul moyen d’identifier la nature des
cavités sans en détruire les contours. Simultanément, pourtant, ce procédé technique a
largement contribué à la célébrité du site20. Ressuscitant en quelque sorte les mourants,
leurs animaux domestiques et même les éléments disparus du mobilier organique de la
cité défunte, ces moulages ont enflammé l’imaginaire collectif et marquent aujourd’hui
encore nos visions de la catastrophe antique.
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Figure 5
Pompéi, moulage de corps supplicié lors de l’éruption du Vésuve en 79 apr. J.-C.
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Cet exemple fameux illustre de manière exemplaire l’ancrage fondamental de la
médiation dans la recherche scientifique. En l’espèce, et aussi géniale qu’elle ait été sur
un plan didactique, l’idée du moulage est d’abord le fruit d’une démarche scientifique
innovante. On la doit à Giuseppe Fiorelli (1823-1896), inspecteur des fouilles et professeur
d’archéologie à l’université de Naples, réputé pour sa réforme radicale de la gestion du
site et pour la mise en œuvre des premières fouilles méthodiques à Pompéi. Après trois
siècles de pillages, de creusages anarchiques et de découvertes factices mises en scène
pour le divertissement des courtisans et des touristes, ce sont donc précisément les
premiers travaux scientifiques conduits sur le site qui auront autorisé ce qui constitue
probablement l’action de médiation la plus spectaculaire et la plus efficace de toute
l’histoire de l’archéologie...
NOTES
1. - Nous suivrons ici la définition de la médiation livrée par CHAUMIER, Serge et MAIRESSE,
François. La médiation culturelle. Paris : Armand Colin, 2013.
2. - Fondée sur la matière d’un cours d’histoire et d’épistémologie de l’archéologie « Entre passions
identitaires et ‘émotions patrimoniales’ : La médiation de l’archéologie » que nous avons donné au
semestre d’automne 2015, cette contribution a été stimulée par un débat tenu en novembre 2015
au Conseil national de la recherche archéologique (ministère de la Culture et de la
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La médiation de l’archéologie. Éthique de la complaisance ou impératif épisté...
Communication, Paris). Nous tenons donc à remercier nos collègues du CNRA et les étudiant-e-s
qui ont participé à cet enseignement du master commun des universités de Neuchâtel et de
Fribourg, de même que Géraldine Delley, Daniel Jacobi et Paul Jobin pour leur relecture critique.
3. - Voir HOLTORF, Cornelius. Archaeology is a brand! The Meaning of Archaeology in Contemporary
Popular Culture. Oxford: Archaeopress, 2007 ; Idem. « Entre culture populaire et science, la
"marque archéologique" ». Les Nouvelles de l’archéologie, 2008, 113, p. 26-30. Mis en ligne le
21 décembre 2011, [consulté le 26 décembre 2015]. URL : http://nda.revues.org/564 ; RÖDER,
Brigitte (dir.). « Dossier Images publiques de l’archéologie ». Les Nouvelles de l’archéologie, 2008,
113, p. 5-30. Mis en ligne le 21 décembre 2011, [consulté le 26 décembre 2015]. URL : http://
nda.revues.org/519.
4. - KAESER, Marc-Antoine. « Les archéologues et l’archéologie face aux médias, un miroir
dérangeant ? ». Les Nouvelles de l’archéologie, 2008, 113, p. 19-22. Mis en ligne le 21 décembre 2011,
[consulté le 26 décembre 2015]. URL : http://nda.revues.org/550.
5. - VERGAIN, Philippe. « Des usages de l’archéologie : histoires d’appropriations ». Dans SAGNES,
Sylvie (dir.). L’archéologue et l’indigène. Variations sur l’autochtonie. Paris : CTHS, 2015, p. 264-288.
Cette analyse est d’ailleurs étayée de manière éloquente par certains cas d’étude publiés dans le
même ouvrage collectif du LAHIC : PINIÈS, Jean-Pierre. « Odette et Jean Taffanel, les vignerons de
la mémoire », p. 112-137 ; PALUMBO, Berardino. « Poétiques de l’appartenance et manipulation
du passé en Sicile orientale », p. 138-166 ; RICCI, Andreina. « Autochtonies romaines », p. 309-322.
On notera que si ces travaux anthropologiques documentent les effets de la professionnalisation
à la fin du
XXe siècle,
l’examen historiographique des premières tentatives de réglementation
illustre déjà des réactions similaires contre l’institutionnalisation de l’archéologie, entre la fin du
XIXe et le début du XX e siècles : HUREL, Arnaud. La France préhistorienne, de la Révolution à 1941.
Paris : CNRS, 2007 ; KAESER, Marc-Antoine, REGINELLI-SERVAIS, Gianna et PERÉ-NOGUÈS, Sandra
(éd.). Dossier : Financement et réglementation étatique de la pratique de l’archéologie (fin
début
XXe siècle).
XIXe-
Les Nouvelles de l’archéologie, 2013, 133, p. 5-52 ; http://nda.revues.org/2081 (en
particulier les contributions suivantes : KAESER, Marc-Antoine. « L’archéologie, une affaire
publique : Les enjeux de la réglementation et du financement ». Les Nouvelles de l’archéologie, 2013,
133, p. 6-9 ; HUREL, Arnaud. « L’échec du projet de loi sur les fouilles archéologiques et
paléontologiques de 1910 ». Les Nouvelles de l’archéologie, 2013, 133, p. 10-14).
6. - Dans les pays anglo-saxons, le terme de professionnal archaeologists désigne même précisément
les praticiens de la contract archaeology, c’est-à-dire de l’archéologie préventive (souvent des
employés de sociétés privées, d’ailleurs, lorsqu’il ne s’agit pas d’archéologues directement
embauchés par les aménageurs)... Implicitement, ce « professionnalisme » paraît ainsi dénié à
leurs collègues des services étatiques, des universités et de la recherche programmée : voir
CUMBERPATCH, Christopher et BLINKHORN, Paul. « Clients, contractors, curators and
archaeology: Who owns the past? ». Dans PLUCIENNIK, Mark (éd.). Responsibilities of Archaeologists:
Archaeology and Ethics. Oxford : Archeopress, coll. « BAR International Series, 981 », 2001, p. 39-45.
7. - OLIVIER, Laurent. « Notre passé n’est pas à vendre ». Complutum, 2013, 24/1, p. 29-39 (31). En
ligne,
[consulté
le
1er janvier
2016].
URL :
revistas.ucm.es/index.php/CMPL/article/
download/42323/40283.
8. - FABRE, Daniel (dir.). Émotions patrimoniales. Paris : Éditions de la MSH, 2013.
9. - DUREUIL-BOURACHAU, Catherine. Archéologie au présent : les découvertes de l’archéologie
préventive dans les médias. Marseille : Presses universitaires de Provence, coll. « Archéologies
méditerranéennes », 2015.
10. - APPADURAI, Arjun. Modernity at large. Cultural Dimensions of Globalization. Minneapolis:
University of Minnesota Press, 1996.
11. - BERLINER, David. « Nostalgie et patrimoine. Une esquisse de typologie ». Dans FABRE, Daniel
(dir.), op. cit., p. 393-407.
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La médiation de l’archéologie. Éthique de la complaisance ou impératif épisté...
12. - Comme on l’aura compris, cette notion nouvelle répond évidemment à un problème luimême récent, qui est né de la division du travail consécutive à la professionnalisation de
l’archéologie.
13. - SCHLANGER, Nathan. « “Suivre les gestes, éclat par éclat” : la chaîne opératoire d’André
Leroi-Gourhan ». Dans AUDOUZE, Françoise et SCHLANGER, Nathan (dir.). Autour de l’homme :
contexte et actualité d’André Leroi-Gourhan. Antibes : APDCA, 2004, p. 5-25 ; DJINDJIAN, François.
« Us et abus du concept de “chaîne opératoire” en archéologie ». Dans KRAUSZ, Sophie, et al.
(éd.). L’âge du Fer en Europe. Mélanges offerts à Olivier Buchsenschutz. Bordeaux : Ausonius, 2013,
p. 93-107.
14. - DENISE, Fabrice. « De la fouille aux publics : l’opération Arles-Rhône 3 (médiationmédiatisation-festivisation-participation ». Dans JACOBI, Daniel et DENISE, Fabrice (dir.). Les
médiations de l’archéologie. Paris : OCIM, à paraître.
15. - KAESER, Marc-Antoine. « Manifeste architectural d’une archéologie intégrée : le Laténium
(Neuchâtel, Suisse) ». Les Nouvelles de l’archéologie, 2009, 117, p. 27-34. Mis en ligne le 30 octobre
2012, [consulté le 31 décembre 2015]. URL : http://nda.revues.org/763 ; KAESER, Marc-Antoine
(coord.). Neuchâtel : Le Laténium, Parc et musée d’archéologie. Actualités archéologiques en Suisse.
Dossiers d’Archéologie, 333, 2009.
16. - D’une certaine manière, la médiation pourrait d’ailleurs même être envisagée comme le
meilleur substitut de la « reproductibilité » et donc de la réfutabilité de l’expérience
archéologique, dont le philosophe Karl Popper faisait une condition essentielle de la scientificité :
POPPER, Karl. The Logic of Scientific Discovery. New York : Basic Books, 1959.
17. - KAESER, Marc-Antoine (dir.). L’âge du Faux. L’authenticité en archéologie. Hauterive : Laténium,
2011.
18. - À ce propos, on se reportera à la déclaration de Nara, par laquelle l’Unesco reconnaît
officiellement la variabilité culturelle de la notion d’authenticité patrimoniale ; ceci autorisera en
1998 l’inscription du sanctuaire shinto de Kasuga-Taisha au Patrimoine mondial, alors même que
selon la tradition du Shikinen-Zôtai, le temple a été démonté et reconstruit à neuf tous les vingt
ans, depuis le VIIIe siècle de notre ère : ICOMOS. Document de Nara sur l’authenticité. Paris : Unesco,
1994. En ligne, [consulté le 2 janvier 2016]. URL : http://www.icomos.org/fr/notre-reseau/
comites-scientifiques-internationaux/liste-des-comites-scientifiques-internationaux/179articles-en-francais/ressources/charters-and-standards/186-document-de-nara-surlauthenticite.
19. - Organisé par la direction générale des Patrimoines du ministère français de la Culture et de
la Communication, en partenariat avec l’Institut national du patrimoine, l’Institut national de
recherches archéologiques préventives et le Centre des monuments nationaux, ce colloque, qui
répondait aux enjeux de l’ouverture de la Caverne du Pont d’Arc, doit faire prochainement l’objet
d’une publication. Les vidéos des communications sont disponibles en ligne : http://
www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Archeologie/Rencontre-despublics [consulté le 2 janvier 2016].
20. - PUCCI, Giuseppe. « Il gesso e la sua eco. Storia e storie dei calchi di Pompei ». Dans OSANNA,
Massimo, et al. (éd.). Pompei e l’Europa, 1748-1943. Milan : Electa, 2015, p. 238-245.
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RÉSUMÉS
L’importance de la médiation est aujourd’hui reconnue par l’ensemble des acteurs de la discipline
archéologique. Pourtant, l’engagement dans ce domaine ne repose souvent que sur des
motivations circonstancielles et des motifs purement formels, qui trahissent parfois
l’opportunisme complaisant du « politiquement correct ». Or, si le développement de la
médiation doit contrebalancer certains effets pervers de la professionnalisation de la discipline
et répondre aux enjeux qui se sont affirmés suite à l’émergence d’une nouvelle perception
publique du patrimoine, les arguments qui militent en faveur de la médiation ne tiennent pas
qu’à des enjeux d’image et dépassent clairement les registres sociopolitiques, culturels et
sociétaux. De fait, la médiation doit s’inscrire dans une conception holistique de la démarche
archéologique, où la médiation participe aux fonctions heuristiques. Ceci répond à une spécificité
de l’archéologie, qui est une entreprise de connaissance détruisant son objet au fur et à mesure
de son dévoilement. Tout au long du mécanisme d’élimination inhérent à la fouille et au
raisonnement archéologiques, l’archéologue est en effet concerné par les impératifs de la
médiation, dont les besoins doivent donc également alimenter sa réflexion en amont. En ce sens,
la médiation constitue une véritable exigence épistémologique, dont la légitimité remonte au
cœur même de la pratique de la recherche archéologique.
The importance of archaeological mediation is now recognized throughout the archaeological
discipline. Yet, involvement in this field often rests on circumstantial incentive and purely
formal motives which in some cases betray a certain complacent expediency of conforming to
“political correctness”. Though the development of cultural mediation must indeed offset certain
perverse effects of the professionalization of the discipline and respond to challenges that have
arisen following the emergence of a new public perception of cultural heritage, advocating for
mediation exceeds image-related concerns and clearly goes beyond socio-political, cultural and
societal interests. Indeed, cultural mediation must subscribe to a holistic conception of the
archaeological approach, in which mediation is a part of the heuristic function. This is in
response to a specificity of archaeology – an undertaking that destroys its object as the latter is
progressively revealed. During the elimination mechanism inherent to archaeological reasoning
and excavation, archaeologists are indeed confronted with mediational imperatives constituting
needs that must also fuel their thought process beforehand. In this sense, mediation constitutes a
true epistemological requirement, the legitimacy of which lies close to the heart of archeological
research.
INDEX
Keywords : Cultural mediation of archaeology, Archaeological Theory, Preventive Archaeology,
Heritage preservation, Public Archaeology
Mots-clés : médiation de l’archéologie, théorie de l’archéologie, archéologie préventive,
conservation du patrimoine, chaîne opératoire
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AUTEUR
MARC-ANTOINE KAESER
Directeur du Laténium, Parc et musée d’archéologie de Neuchâtel, Professeur associé à l’Institut
d’archéologie de l’université de Neuchâtel (Suisse)
[email protected]
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