Les Cahiers philosophiques de Strasbourg
30 | 2011
Michel Henry : une phénoménologie radicale
Sens et fondement du monisme ontologique
Francesco Paolo De Sanctis
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/cps/2444
DOI : 10.4000/cps.2444
ISSN : 2648-6334
Éditeur
Presses universitaires de Strasbourg
Édition imprimée
Date de publication : 15 décembre 2011
Pagination : 81-96
ISBN : 978-2-354100-40-7
ISSN : 1254-5740
Référence électronique
Francesco Paolo De Sanctis, « Sens et fondement du monisme ontologique », Les Cahiers
philosophiques de Strasbourg [En ligne], 30 | 2011, mis en ligne le 15 mai 2019, consulté le 19 mai 2019.
URL : http://journals.openedition.org/cps/2444
Cahiers philosophiques de Strasbourg
Sens et fondement du monisme ontologique
Francesco Paolo De Sanctis
I. Sens du monisme
Généalogie du terme et disparition ultérieure du « monisme ontologique »
La critique formulée contre le monisme ontologique apparaît comme
l’un des points majeurs constituant la grande originalité de L’essence de
la manifestation, originalité qui se retrouve déjà dans la formation de
l’expression en question (le syntagme « monisme ontologique »). Celleci semble ne pas avoir d’équivalent dans la tradition philosophique.
Christian wolff avait en premier élaboré ce terme (« monisme »), en le
référant à ces philosophies qui dégageaient un seul principe explicatif :
« on appelle monistes ces philosophes qui admettent seulement un type
de substance », pour aussitôt ajouter : « ainsi, les monistes sont ceux pour
qui il n’existe que les choses matérielles ou corporelles »1. Mais la critique
henryenne ne vise pas le monisme au sens dégagé par wolff. C’est la
première partie de cette proposition qui attire notre intérêt, si nous
voulons la confronter au « monisme ontologique » de Michel henry.
Suivant wolff, le monisme définit, de façon générale, toute philosophie
qui repose sur un même principe explicatif de la réalité. Le monisme est
donc une forme de pensée opposée au dualisme et au pluralisme qui
admettent deux ou plusieurs réalités. henry, quant à lui, ne donne
aucune indication historique quant à la relation entre le « monisme »
1
« Monistae dicuntur philosophi, qui unum tantummodo substantiae genus
admittunt. Ita Monistae sunt, qui nonnisi entia materialia, sive corpora existere
affirmant », wolff, Psychologia rationalis, sect. 1, cap. 1, § 32, Frankfurt-Leipzig,
Renger, 1740, nous traduisons.
Les Cahiers Philosophiques de Strasbourg, ii / 2011
francesco paolo de sanctis
et l’« ontologie ». or, s’il est vrai que le terme « monisme » chez henry
prend sa signification originale seulement à la lumière de l’adjectif qui
l’accompagne, « ontologique » (bien qu’il ait aussi une portée polémique
non négligeable), ce terme semble toutefois issu d’une interprétation
scolaire de Spinoza (qui, quant à lui, ne s’est jamais servi du terme
« monisme », qui apparaît bien plus tard). voici, par exemple, une
attestation sans équivoque du monisme de Spinoza ; la Proposition XIV
de l’Éthique dit que « nulle substance en dehors de dieu ne peut être
donnée ni conçue », et son Corollaire I : « il suit de là très clairement :
1. que dieu est unique, c’est-à-dire […] qu’il n’y a dans la nature qu’une
seule substance et qu’elle est absolument infinie [...] »2. Mais le concept
henryen de monisme fut élaboré sans référence concrète à Spinoza.
L’ouvrage de jeunesse de henry sur Spinoza, publié de manière
posthume3, s’il ne cite jamais expressément le mot en question, paraît
toutefois imprégné par l’orientation moniste du philosophe hollandais.
Pourtant, tandis que le concept de « bonheur » chez Spinoza ne s’inscrit
pas dans une dialectique du manque, henry montre à l’inverse que
« l’inquiétude des modernes », propre à la littérature allant de Leopardi
à Mallarmé, est la négation de cette auto-suffisance du bonheur4.
Bref, c’est dieu en tant que substance qui peut donner à l’homme son
bonheur (ou plutôt sa béatitude), en et par l’unité qui régit la Substance
(parfaite, infinie et « puissante d’exister »5, dans son rapport aux attributs
et aux modes finis. « qu’arriverait-il en effet si la substance était
multiple ? Le monde des passions fantasmagoriques et contradictoires
serait le vrai, et le bonheur, un mot écrit sur l’eau »6. henry qui adopte
une position critique envers la philosophie spinoziste, se réclame
pourtant, à plusieurs reprises, d’un concept du bonheur qui procède de
l’unité de la Substance, qu’il transpose toutefois de l’absolu à l’homme.
L’homme trouve sa béatitude dans ce « sentiment de l’éternité » qui est
le legs le plus important de la conception de Spinoza : « le singulier
n’est pas séparé de l’essence vraie des choses […] (qui est) intériorité
2
3
4
5
6
Spinoza, Éthique, tome i, 1677, traduction de Ch. appuhn, Paris, garnier,
1935, p. 48-49.
henry M., Le bonheur de Spinoza, Paris, PuF, 2004.
Idem., p. 28.
Idem., p. 32.
Idem., p. 51.
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sens et fondement du monisme ontologique
absolue »7. un monisme de type spinoziste semble donc être à l’œuvre,
dans l’affirmation d’une connexion du sentiment et de la Substance
qui, selon henry, fait la matière du « bonheur » : celui-ci est donc moins
un sentiment illusoire qui précède la souffrance et lui succède que « la
nécessité de notre être et de sa dépendance absolue avec dieu et avec le
monde »8.
La référence à Spinoza ne réapparaît pas dans les œuvres ultérieures
où même son nom disparaîtra, ainsi que l’idée spinoziste, déjà peu
présente dans ce texte, d’un lien à une Substance qui serait, en même
temps, la nature. il y aura, en revanche, une prise de conscience
accrue du sentiment et de cette intériorité, mais d’un point de vue
phénoménologique. C’est bien ce passage à la phénoménologie qui
représente le moment « constructif » de la critique du monisme. C’est
à travers ce passage à la phénoménologie que la critique du monisme
ontologique va se réaliser. avant de l’interroger, il faut signaler que, si le
mot de monisme n’est jamais utilisé en un sens positif, le terme même
aura une durée brève dans l’œuvre de henry : il sera vite supplanté par
celui d’« ek-stase ». Ce dernier terme peut être défini ici, de manière
sommaire, comme la mise en œuvre d’une transcendance qui tenterait
de défaire l’intériorité et de promouvoir un type de connaissance tournée
vers le monde, traversée par la saisie d’une altérité. dans quel rapport
se trouvent le monisme et l’ek-stase ? La substitution progressive de l’ekstase au « monisme ontologique » peut signifier deux choses équivalentes :
premièrement, que henry tient pour acquis sa critique du monisme, et
qu’il croit bon de passer à autre chose9 ; deuxièmement, que le terme
de « monisme » perd son sens par rapport à celui d’ek-stase. Ce dernier
semble plus pertinent pour désigner le caractère saillant du monisme :
celui d’une « sortie » de soi, une philosophie du « hors de- », qui contredit
en cela l’immanence que henry lui-même tente de dégager10. nous nous
trouvons en face d’un véritable recouvrement théorique, méthodologique
et enfin philosophique du monisme par l’ek-stase. Ce qui signifie soit que
7
8
9
Idem., p. 142-143.
Idem., p. 143.
Cf. Généalogie de la psychanalyse, Paris, PuF, 1985, ou Phénoménologie
matérielle, Paris, PuF, 1991.
10 Bien qu’avec certaines ressemblances évidentes d’avec Spinoza, peut-être
concernant les concepts d’ « essence » et de « subjectivité », les deux étant
proches, dans l’histoire du lexique philosophique, de celle de « substance ».
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le monisme n’a jamais été mis en question, soit au contraire que le terme
d’ek-stase reprend les acquis de sa critique11.
Pour les critiques de l’œuvre de henry, l’utilisation du concept
de monisme ne semble poser aucun problème. Cela s’avère largement
compréhensible. Même si par l’intermédiaire de ce terme, henry pointe
une difficulté majeure de la pensée occidentale, la finesse, voire la
« beauté » de sa critique du monisme ne semblent pas avoir été reçues
comme il convient par ceux qui aujourd’hui continuent à pratiquer une
philosophie moniste. Cette tentative de destruction nous semble plus
lisible en maintenant le sens contenu dans le terme de « monisme » plutôt
que dans celui d’ek-stase. Ce dernier court le risque d’être utilisé, parmi les
« henryens », comme un slogan polémique incapable de donner les raisons
d’une destruction si radicale. autrement dit, la critique henryenne du
monisme ontologique semble si pertinente qu’une substitution totale de
ce terme au profit de celui d’ek-stase ne ferait qu’appauvrir la richesse de
la problématique. Le terme d’ek-stase finit certes par exprimer le caractère
saillant du monisme : l’être à distance de soi. Mais « monisme », par cette
indication du μόνος, renferme le véritable « sens » de cette critique, et,
comme on le verra, sa véritable portée destructrice, qui s’atténue dans
celui d’« ek-stase ». avant de pénétrer dans les méandres du texte, faisons
une dernière remarque. notre parcours peut se dire « inspiré » par la
critique du monisme ontologique, mais il n’a pas la prétention (d’ailleurs
inutile) d’en faire un commentaire ou d’en présenter à nouveau les
étapes. notre but est celui d’aller plus loin dans les conséquences de cette
critique, ce qui peut paraître paradoxal, voire contradictoire. L’intention
de la critique du monisme fut en effet la réintégration d’une essence
« invincible », originaire, qui prime sur toute théorisation conceptuelle,
sur toute élaboration intellectuelle, puisque « la transcendance repose sur
l’immanence. La vérité originaire est le vrai fondement »12. La présente
11 on pourrait songer à une toute autre raison : le terme d’ek-stase permettait
à henry de viser plus particulièrement des auteurs de son époque qui en
faisaient grand usage. il s’agissait donc, pour lui, de rendre possible une
polémique directe à ses contemporains.
12 henry M., L’Essence de la manifestation, PuF, Paris, 1963, p. 52 (désormais
noté EM). dans ce texte, on se trouvera face à de nombreuses expressions
(« essence », « réalité », etc.), qui peuvent paraître, dans leur utilisation, très
discutables. il faut donc souligner qu’elles sont présentes dans notre texte
en raison de leur provenance henryenne. La remise en question du lexique
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étude veut indiquer comment le sens de la critique du monisme se lie au
« nouvel objet » qui la sous-tend, le fondement.
Le sens de la critique du monisme ontologique.
que veut dire finalement « monisme » chez henry ? il est possible
d’en retracer deux sens qui s’entremêlent constamment : l’un, historique,
concernant son rôle dans l’histoire de la pensée, et l’autre, ontologique,
qui contient le germe de son dépassement. notre vigilance à l’égard
de cet -isme doit être d’autant plus forte que l’idéologie du monos se
découvre traversée ontologiquement par une duplicité incontrôlable.
Les formulations les plus claires que henry donne de ce mónos sont
au nombre de deux, qui correspondent à la double signification de
monisme. Leurs différents sens peuvent se rassembler en cette formule :
« le dualisme traditionnel est un monisme ontologique » (EM, p. 107).
La première formulation concerne le concept de distance : « l’être n’est un
phénomène que s’il est à distance de soi » (EM, p. 81). La phénoménalité
est épuisée dans une seule sphère, d’où le « monisme ». Ce dernier serait
« ontologique », car cette condition d’apparition du « phénomène »
reconduit à l’être. L’ontologie est ainsi toujours phénoménologique.
L’ontologie sur base phénoménale est l’ontologie du μόνος, moniste
donc, en tant que « système » idéologique de la « distance ». La deuxième
formulation traite, plus spécifiquement, de l’altérité interne qui se crée
par ce processus de « monisation » et de mise-à-distance : « la réalité est
réelle que pour autant qu’elle est à la fois elle-même et autre qu’ellemême » (EM, p. 97). Ce qui est mis en relief dans cette deuxième
formulation, c’est une importante nuance portant sur la donation de la
phénoménalité de la distance – à savoir le leurre propre au phénomène
du monisme.
La première section de L’essence de la manifestation est donc dédiée à
la « genèse de l’extériorité » dont le terme « monisme » véhicule les idées
majeures : la répétition de l’unique manière de penser l’extériorité, qui
historiquement a occulté une autre manière de penser la phénoménalisation
(c’est-à-dire le processus de la donation d’un phénomène). La valeur du
d’un auteur déborderait le cadre d’une courte étude. nous ne doutons pas
qu’est en jeu une partie de la question de la phénoménologie de la vie ; nous
tâcherons de le faire dans un ouvrage ultérieur.
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terme « monisme », dans son sens idéologique, désigne donc une « notion
de fond » de l’histoire de la philosophie qui semble avoir résisté au temps et
aux différences spécifiques de ses représentants les plus illustres : la période
hellénique, l’idéalisme allemand et la nouvelle Fundamentalontologie.
Mais la force du choix du terme « monisme » réside dans l’expression
d’un contre-sens, voire même d’une contradiction : le monisme est
critiqué précisément en tant qu’il fait surgir, à travers une phénoménalité
paradoxale de l’ « opposition » et du « champ », de l’ « horizon », de la
« lumière », le leurre d’une univocité stable et définitive (un seul mode de
manifestation pour tout ce qui existe) alors qu’il implique la réintroduction
sournoise d’un dualisme. Le monisme repose donc sur un dualisme – la
tradition philosophique repose au mieux sur un malentendu, au pire sur
une contradiction13. La critique de Henry, en visant le dualisme, prend
plutôt pour cible le monisme14. Nous voici donc confrontés à une double
signification, historique et ontologique, du monisme – les deux étant liées
dans le sens du mónos, que l’une aurait tendance à « institutionnaliser »
et l’autre à faire agir dans une dualité illégitime. ontologiquement, en
effet, le monisme prend du mónos la distance créatrice d’un espace entre
la connaissance et le connaissant, entre la manifestation et le manifesté :
dualiste dans le contenu, il est moniste dans la forme -ce qui a permis ses
nombreuses répétitions historiques- qui en détermine le « champ » de
séparation. de cette manière, le monisme devient « ontologique » ou
13 nous pouvons remarquer que, de ce point de vue, le lien substance-attributs
spinoziste ne serait pas, pour henry, un des meilleurs exemples du monisme
ontologique. du moins, henry ne le prend pas en considération. Ce qui est,
pour le moins, étonnant, si le système de Spinoza se configure aujourd’hui
comme l’un des meilleurs exemples de « monisme ».
14 Le legs de cette critique (ou mieux ce qu’il en reste...), c’est de comprendre
justement ce qui peut demeurer de non-dualiste dans un non-monisme. Ce
qui est difficile à aborder dans la réflexion henryenne, qui s’orientera de plus
en plus dans le sens d’une duplicité de l’apparaître (thématisée dès 1963,
mais présente massivement dans Phénoménologie matérielle (1991), c’est
justement ce manque d’écart, malgré une duplicité renouvelée (qui pourrait
comporter, paradoxalement, le risque de se retrouver dans un dualisme sur
la base d’une « monité » – un mónos élu à principe – toujours à l’œuvre). Ce
paradoxe peut être résolu, croyons-nous, en partant du sens ontologique
de monisme, à travers le concept de « distance », qui serait le seul à pouvoir
permettre un véritable dualisme, alors que celui henryen serait un dualisme
de subordination ou fondation de deux réalités hétérogènes, dont l’une est
soumise à l’autre.
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sens et fondement du monisme ontologique
(comme henry le dira par la suite) « phénoménologique », puisque l’être
qui apparaît doublement (sujet et objet, conscience et chose, être et
étant) semble déterminé d’une seule manière – autrement dit, selon un
seul mode de manifestation qui n’arrive pas à se fonder sur un présupposé
phénoménologique cohérent. Le terme mónos révèle que ce qui apparaît
dans ce mode d’apparaître excède ses possibilités : la distance, l’ek-stase ne
font qu’engendrer deux « réalités » séparées qui n’ont rien à voir avec ce qui
rend possible leur « être », le mode de manifestation qui devrait les tenir
ensemble.
historiquement, le monisme se configure comme le mónos qui
a été le seul mode d’interprétation de l’être (un seul mode pour un
dualisme de base). Mais de quel dualisme parle-t-on, et d’un dualisme
propre à quel type de pensée ? il semble qu’il ne s’agit ni de kant,
pour qui l’objet n’est connu qu’à travers les formes pures a priori du
sujet ; ni de hegel, pour qui le sujet et l’objet sont pris dans la relève
du Concept ; ni de heidegger, où le Dasein apparaît déjà pris dans le
rapport d’interprétation, d’être-situé et de compréhension portant sur
le monde. de surcroît, toutes ces positions se sont toujours présentées
comme un dépassement des dualismes issus de descartes, à savoir d’un
penseur dont henry se réclame expressément. La réussite de la critique
du monisme dépend, encore une fois, du fait que le monisme est clivage,
écart, ek-stase ; mais le « sens » du monisme implique, du point de vue
ontologique et phénoménologique, une contradiction, puisqu’il repose
sur un mode de phénoménalité qui est séparation de deux réalités. Le
monisme est dualisme ; l’ek-stase ne peut rendre compte de son mode
d’être et d’apparaître – ce qui, d’un point de vue phénoménologique, où
l’être est reconduit à l’apparaître, est le comble de la contradiction. en
ce sens, nous nous risquons à affirmer que l’ « élucidation du concept
de monisme » proposée par henry constitue non pas seulement une
critique d’une position philosophique, mais s’offre aussi comme un
modèle (un paradigme) de critique phénoménologique. Ce qu’elle vise
n’est pas l’examen d’un phénomène déterminé ou d’une modalité de
phénoménalisation, mais la « structure » du phénomène : la « logique » qui
s’instaure derrière une phénoménalité moniste est contradictoire par rapport
à ce que cette phénoménalité pose. Si « principe de non-contradiction »
il y a en phénoménologie, il devrait adopter cette forme, puisque le
monisme, de cette manière, donnerait un apport ontique, et non pas
ontologique, à la compréhension de la phénoménalité. « ontologie »
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et « phénoménologie » se correspondent mutuellement pour henry
en 1963 : les deux doivent viser ce qui permet la manifestation du
phénomène, sans contenu ontique particulier. L’être ne peut donc se
distinguer de l’étant que s’il se garde de toute « contamination » de
celui-ci. en créant une dualité « ontique », concernant deux étants
(sujet-objet, conscience-monde, etc.), et octroyant à la phénoménalité le
seul « mécanisme » de constitution des deux pôles d’étants, le monisme
se prive de pouvoir interroger cette « constitution » même. on voit ici
pourquoi, pour henry, le Sein de heidegger n’a pas vraiment congédié
la Setzung idéaliste et la Vorstellung kantienne. Les trois sont encore en
dette envers l’Abgrund de Böhme. Ce fondement abyssal, qui est l’origine
de la transcendance, henry l’appellera « ek-stase » ; cette même critique
sera répétée dans la critique de l’intentionnalité propre à l’intuitionnisme
eidétique husserlien.
Le « sens » de la critique du monisme consiste donc moins à vider
une boîte de Pandore, qu’à montrer l’inanité de la démarche moniste
elle-même. de cette manière, toute tentative qui ne prend pas en compte
cette critique révèle une contradiction entre ses principes et son but, et
sera donc laissée à sa propre répétition continuée et stérile. La thèse
henryenne de la contradiction propre à la dualité moniste indique que
cette tradition est vouée à l’épuisement : celui-ci apparaît de manière
emblématique dans la phénoménologie heideggérienne, qui a retrouvé
un concept pur de l’ek-stase, d’abord dans le Sinn vom Sein (comme
rapport au monde), ensuite dans la Lichtung (comme béance originaire)
et enfin dans l’Ereignis (se dédoublant toujours en Ent-eignis). de ce
point de vue, il est clair que heidegger a pu indiquer plus que tout
autre la voie pour sortir de la contradiction. toute l’histoire de la pensée
occidentale n’aurait été que l’histoire des modifications de ce paradigme
– modifications de la structure du champ venant se surajouter à ce
que henry désigne comme « l’essence de la manifestation ». L’aporie
du monisme « présuppose, comme condition de l’acte d’éloigner qu’il
accomplit chaque fois, un éloignement plus originel, à savoir l’événement
ontologique qui fait surgir l’horizon vers lequel et à l’intérieur duquel
des actes concrets d’approche ou d’éloignement peuvent avoir lieu
en fait » (EM, p. 77). C’est à travers ce concept d’un « intérieur de
l’horizon » qu’un approfondissement du monisme s’avère fécond :
l’intérieur de l’horizon est le déploiement ek-statique du monisme, la
non-essence foncière, l’« aliénation ». or, comment une monstration
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sens et fondement du monisme ontologique
peut-elle être non-moniste, ne pas montrer justement ce qu’elle montre ?
tel est le passage du « sens » de la critique du monisme (sa pars destruens
dégageant un nouveau chemin de pensée) au « fondement » de cette
critique : à la pars construens, qui sera rendue possible par une véritable
« phénoménologie du fondement » (EM, p. 259).
II. Fondement du monisme
De l’aliénation à l’autonomie de l’essence : le fondement
« L’aliénation est l’essence de la manifestation » (EM, p. 87). de la
« manifestation », non pas de la « révélation » (EM, p. 52) : cette dernière
est l’essence elle-même – l’essence (la « véritable » essence) ontologique
et phénoménologique de la manifestation. « Le fait que le fondement
soit un «phénomène» au sens d’une «révélation», est ce qui confère à
ce fondement sa réalité en lui donnant le moment de sa présence » (EM,
p. 52). L’aliénation comme « essence » est ce qui interdit au monisme
de comprendre son essence réelle : une essence non productrice d’un
déchirement entre deux pôles ontiques (« l’intérieur de l’horizon »).
or, l’introduction du terme d’« aliénation » aide-t-il à comprendre
davantage la « suppression » de l’essence ? n’a-t-il pas au contraire la
mission de révéler l’impossibilité d’unir deux pôles séparés, l’impossible
mónos du faire-voir, fondé justement sur le « déchirement et la division »
(EM, p. 89) – et donc assumant, de droit, ce dualisme ? Ce mónos ne
risque-t-il pas de caractériser la seule « unicité » de la conception de la
phénoménalité dans l’histoire de la philosophie ? Le monisme aurait-il
alors une signification purement historique, s’il assume son manque de
fondement, comme chez Schelling ou même chez heidegger ? La réponse
de henry est formulée ainsi : « la réalité n’est réelle qu’en tant qu’elle est à
la fois elle-même et autre qu’elle-même. […] l’aliénation ouvre et définit
le champ de l’être, c’est une structure ontologique ultime. La suppression
de l’aliénation ne saurait avoir une signification ontologique. L’aliénation
est bien plutôt posée et maintenue dans une telle suppression comme
le phénomène ontologique originaire qui la fonde et la rend possible »
(EM, p. 87-88, nous soulignons). L’aliénation est l’essence du dualisme
moniste puisque c’est par l’aliénation – principe phénoménologique
du monisme – que le monisme se « dualise » : c’est par cette « essence »
aliénante que s’accomplit, pour henry, un « fonder ». que signifie cette
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francesco paolo de sanctis
réponse ? qu’indique-t-on par le verbe « fonder » ? henry ouvre ici le
cadre de son alternative au monisme, qui consiste en une radicalisation
du « mónos » du monisme ontologique, mais sans engendrer de dualité.
Même sans écart, la phénoménologie du fondement pourrait être,
en apparence, un monisme plus moniste que les monismes ontologiques.
Pour ce faire, il devrait radicaliser phénoménologiquement un concept
spinoziste, « l’unité de la Substance », entendue cette fois-ci comme ce
qui, en manifestant quelque chose, révèle en vérité cette révélation15.
La réfutation du dualisme moniste ne concerne pas le monde compris
comme l’autre du processus de phénoménalisation, mais, pour utiliser
une expression du Marx, la réalité de la réalité du monde ; à savoir, ce
milieu où la philosophie de l’ek-stase doit « reposer » afin d’être possible.
henry arrive ainsi à renverser ce qui demeure implicite dans l’aliénation :
si elle voulait reposer sans s’en rendre compte sur la dualité et sur l’accès à
l’altérité, elle ne parviendrait pas à se comprendre elle-même. on pourrait
néanmoins se demander si elle le voulait. en tout cas, le monisme n’est
rien d’autre qu’une philosophie qui pense que cette distance comme
pouvant se tenir en elle-même à travers un dédoublement de deux
pôles d’altérité. Ce « se tenir en elle-même » signifie : sans demander un
fondement qui lui soit préalable. Ce que l’histoire du monisme nous
révèle alors, c’est que le monisme a une signification profonde. henry
l’interprète comme sa fonction instructive, et peut-être comme une sorte
d’étape nécessaire. Pensons par exemple au surgissement du concept
15 Le différend qui sépare henry par rapport à Spinoza, c’est à la fois 1)
l’orientation cartésienne et husserlienne du Commencement, et 2) la
coïncidence de ce « mónos » avec la phénoménalité, maintenant identifiée
à « l’ego ». Concevoir la phénoménalité comme « à même de soi » à la
manière de henry, ce n’est donc proprement pas adopter un nouveau
présupposé moniste, mais, si « l’essence de la manifestation doit pouvoir
se manifester [se montrer] » (EM, p. 164), cela consiste à envisager une
subordination hiérarchique du sens du monisme (l’aliénation comme
essence) à cette révélation fondamentale. La phénoménologie de la vie
commence dans la « monstration » même, comme sentiment de soi (avec
lequel coïncide la manifestation du se manifester, comme un « soi » et un
« intérieur » phénoménologique : comme une révélation). de ce point de
vue, la « révélation » n’a rien d’une substance, puisqu’elle est de part en part
phénoménologique. il faut l’aborder différemment : c’est l’idée de « réalité »
et de « fondement » qui finissent par caractériser de manière décisive la
critique du monisme, en se configurant comme un hyper-monisme de fond.
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sens et fondement du monisme ontologique
de « conscience ». Mais alors, comment penser la distance ? Comment
penser la rencontre de l’altérité, pourtant incontestable : je regarde cette
fleur, je parle à cette personne, je suis assis sur cette chaise... comment
un « fondement » peut-il prétendre répondre à l’altérité que je rencontre ?
La pars destruens de la position henryenne a montré l’unité substantielle
du modèle de la manifestation dans l’histoire de la philosophie (à peu
d’exception près : eckhart, descartes, Marx, kierkegaard – et peutêtre Spinoza…) et la dualité qui la traverse, pour autant qu’elle est
un processus d’aliénation de l’essence, à savoir un fondement qui se
désiste de sa condition fondatrice, tout en étant « créateur » du milieu de
visibilité où se révèlent des contenus ontiques (comme celui idéaliste de
« conscience » et d’« objet »). Mais, sa pars construens est restée ici encore
à titre de projet et d’esquisse.
il est important, avant tout, d’entendre la nécessité d’affirmer
l’autonomie de l’essence de la manifestation comme « fondement ».
C’est selon une telle priorité que celui-ci pourra enfin bouleverser la
dualité. et la phrase qui caractérise le mieux le fondement est aussi
celle de sa définition : « l’être doit pouvoir se montrer » (EM, p. 50).
Ce « doit pouvoir se montrer » n’est, toutefois, rien d’autre que la
manifestation de l’essence dans son essence (« révélation »). elle n’est pas
une théorie générale de la « séparation » ; elle n’est pas une construction
du dédoublement ontologique ; elle n’est pas une ouverture à la polarité
des étants. elle est le phénomène de la phénoménalité elle-même, le
se-montrer de l’être. qu’est-ce que finalement que l’être ? il est tout
ce qui est et, en même temps, ce qui creuse la dualité. il est l’un et
l’autre, assimilé maintenant au fondement qui leur donne une assise
phénoménologique. Le dédoublement de l’être n’est qu’apparent : l’ekstase trouve sa certitude dans le fondement de la phénoménalisation
originaire, qui a la structure du fondement. et toutefois, le fondement
paraît rendre nécessaire une autre dualité : entre le fondement (le mode
de révélation originaire) et le fondé. Ce dernier renferme toute l’altérité :
et l’étant mondain, et (surtout) le mode de phénoménalisation qui doit
le mettre à disposition selon un « faire-voir » qui inclura nécessairement
de l’aliénation. Mais cette aliénation n’est pas réelle du point de vue
ontologique et phénoménologique, puisqu’elle s’explique et se montre sur
la base d’une phénoménologie plus originaire.
L’essentiel de la position henryenne face au monisme est ainsi
dégagé. Mais comment le fondement évitera-t-il de retomber dans
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francesco paolo de sanctis
une dualité ? Malgré son avancée décisive, il s’avère que Henry se
trouve toutefois obligé d’affirmer l’autonomie de l’essence contre le savoir
ek-statique. Si cette autonomie garde une validité dans le dépassement
hyper-moniste du monisme, elle dit que la phénoménalité immanente
(d’un « je », d’une ipséité qui puisse s’éprouver), doit reconduire à soi
la phénoménalité ek-statique, qui n’a été critiquée qu’en mettant en
lumière son impossibilité à se tenir en elle-même (ce qui nous est apparu
comme un hyper-monisme). Mais, afin d’éviter tout dualisme et ne pas
retomber dans une impasse moniste, elle est aussi obligée de reconduire
le phénomène au sein d’une structure de « fondement ». Ce terme, présent
tout au long de l’œuvre de 1963, renferme le sens et les difficultés
d’un dépassement concret de la dualité moniste. Le fondement devient
essentiel au fondé, sans que ce dernier puisse se considérer comme
possible sans l’autre, puisque « l’essence du fondement » est « révélation
originaire immanente » (EM, p. 53). dans cette fondation, il n’y a pas
d’écart ou de distance qui soit possible (si l’écart comme tel est le propre
de la modalité qui se trouve fondée), ni de « création », ni de « formation »,
ni de « projection », ni même de « constitution ». Comme il le disait à
propos de Spinoza, « l’unité ne résulte nullement d’une subordination de
l’objet et de l’étendue à l’activité d’une conscience qui les dessinerait »16.
nous nous trouvons face à la partie la plus mystérieuse et la plus
décisive pour la cohérence de la phénoménologie henryenne et pour
le dépassement vers un non-monisme17 qui surgira d’avec le thème de
l’ « affect », de la « vie », puis dans les œuvres suivantes, du « travail »,
de l’ « impression », de l’ « archi-Soi ». notre propos consistera ici à
jeter quelques lumières sur la façon dont la réussite de la critique du
monisme reste tributaire d’une difficulté à fonder le monisme luimême, plutôt que de se limiter à un simple commentaire de la position
henryenne. C’est au « fondement » que revient la tâche de constituer le
lien de l’essence et du monisme. en son sein, réside le mystère qui peut
permettre la compréhension du passage de la phénoménalité immanente
à la phénoménalité transcendante. Mystère propre à la phénoménologie
de la vie, qui, à travers la fondation, ne prétendra pas nier le monisme,
16 henry M., Le bonheur de Spinoza, Paris, PuF, 2004, p. 45.
17 il demeure la possibilité d’une hyper-monisation de l’essence de la
manifestation : mais elle reste, du point de vue henryen, un non-monisme,
puisque tout monisme, pour être tel, ne peut qu’être traversé par la dualité.
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sens et fondement du monisme ontologique
mais envisager comment il « régit » un mode de révélation non-moniste,
en s’en tenant à une phénoménalité « ipséisée » : celle de l’ego. L’autocontradiction du monisme entraîne ainsi la nécessité du fondement,
à savoir la monstration d’une fondation de l’ek-stase. Le fondement
renferme dans un « lien » de fondation la positivité phénoménologique du
sens de la contradiction du monisme.
Le fondement de l’ek-stase
axée sur sa venue au phénomène, la phénoménalité n’est pas seulement
séparable d’une phénoménalisation ek-statique, mais elle possède
également le caractère dynamique du rapport entre phénoménalité
immanente et transcendante (ou ek-statique) – rapport explicable par la
fondation de l’une sur l’autre. nous voyons, par ailleurs, qu’il faut bien
que cette essence soit montrée radicalement et que dans cette autonomie
et cette originarité résident le présent et le futur de la problématique de
henry et de sa critique. autrement, cela reviendrait à dire de nouveau
avec Schelling, peut-être le meilleur lecteur de la forma mentis moniste de
son temps que « la dualité est la condition de toute conscience », et que
cela ne poserait aucun problème. une requête de fondement pourrait
être vue comme arbitraire, car le fondement serait ici l’écart, le rapport.
henry n’a nullement la volonté d’effacer l’ek-stase comme un fantasme.
Son intention, c’est de la reconduire à un non-dualisme : de priver le
monisme de toute ontologie aliénée, de toute distance. or, henry nous
dit précisément que le rapport ne peut fonder aucun rapport, car le rapport
est aliénation, distance. Mais nous ne pouvons pas non plus accepter
ce passage, si nous ne l’avons pas fondé phénoménologiquement. ni
la question de l’ipséité, ni celle de la réception de l’horizon, ni celle
de l’ego ne peuvent nous venir en aide. Le phénomène originaire, qui
est chez henry l’apparaître même (la phénoménalité pure), ne doit
pas être assimilée à un monisme qui, comme le disait wolff, n’admet
qu’« un seul type de substance ». autrement, dans la pure référence à
une condition absolue, nous rentrerons dans une nouvelle forme de
monisme, où la « révélation » ferait place à ce qui auparavant était la
« matière ». dans l’œuvre de henry, ce qui permet d’éviter cette rechute,
c’est la structure interne de l’immanence comme affectivité, dans l’enjeu
de la singularisation de la dynamique même de l’affectivité, en tant qu’elle
se produit dans un affect particulier. Mais la structure affective devrait
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francesco paolo de sanctis
arriver à montrer phénoménologiquement la fondation du processus
d’éloignement : l’aliénation doit être phénoménologiquement légitimée
par la phénoménalité immanente. La duplicité de l’apparaître se
dédoublant en deux modes hétérogènes doit être tirée au clair selon la
modalité de leur lien de « fondation ».
nous ne pouvons suivre totalement henry sur ce point. Le caractère
saillant du fondement ne réside pas dans son être-fondement, mais dans
son être-fondation. de ce point de vue, l’ « autonomie » de l’essence a un
caractère paradoxal. Si la structure de l’essence est d’être une fondation,
en effet, la structure qui semble étrangement la plus éloignée de la fondation
est justement celle de l’autonomie, de la réceptivité et de l’affect, qui semblent
être passifs. Mais en raisonnant de cette manière nous nous montrerions
monistes, car c’est précisément sur ce point que se déploie un deuxième
moment de la critique henryenne du monisme, le plus décisif. il porte sur
l’inconsistance de la position moniste mais aussi sur les résultats d’une
théorie du Commencement (à savoir de l’originaire et du « nouveau »
mais aussi du non-dialectique, du non-historial, de la totalité de ce qui
constitue les conditions de l’apparaître dans son apparaître même). À
cela est dédiée la deuxième section de L’essence de la manifestation qui
a justement pour titre la « répétition de l’élucidation du concept de
phénomène », comme s’il fallait reprendre à nouveaux frais la question
de l’apparaître du phénomène pour que l’on puisse déduire à partir de
là une phénoménologie non-moniste et enfin dégager la définition des
deux domaines, l’immanence et la transcendance. S’il a fallu d’abord
démonter le monisme à partir de ses propres bases, maintenant il doit
être question de s’attaquer à sa plus grande insuffisance : le manque
d’une autonomie de son Fond – et c’est cette reconquête qui pourrait
dégager le domaine de la phénoménalité d’un occupant illégitime : la
volonté de l’aliénation d’être l’essence de la manifestation. Le regretté
y. yamagata disait que la refonte de la philosophie rendue possible par
la phénoménologie de henry ne consiste en rien d’autre qu’à faire que
cette rose soit la rose que je regarde, et que ce moi qui la regarde soit bien
ce moi qui la regarde – que l’immanence et la transcendance sont faites
pour rester là, chacune avec sa phénoménalité propre18.
18 yamataga, y, « une autre lecture de L’Essence de la manifestation », Les études
philosophiques, n° 2, 1991, p. 173-191.
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sens et fondement du monisme ontologique
nous ne cachons pas toutefois une difficulté propre à la dichotomie
de « l’apparaître double ». il est clair que le propos de la critique du
monisme était de déréaliser l’ek-stase, de la priver de sa réalité, de
son fondement, de la rendre insuffisante à elle-même. Mais, si la
fondation s’effectue dans une position non-moniste (n’incluant pas
un dualisme ontologique), il reste encore à concevoir la possibilité
de « fonder » ce qui les différencie. Comment, l’immanence peut-elle
rendre possible la transcendance qui n’est certes, au sens strictement
phénoménologique, ni l’un de ses attributs, ni l’un de ses modes (à la
manière de Spinoza) ? L’une est dépendante de l’autre ; il reste, même
intuitivement, difficile de comprendre une fondation immanente
d’une distance qui paraît essentiellement hétérogène, et l’est aussi
explicitement dans les textes henryens. henry, au sujet d’une discussion
sur la « déchéance » du § 43 de heidegger19, (et d’une discussion plus
élargie sur le problème de la justification de la réalité externe), souligne
que ce qui est à éviter absolument lorsqu’on critique l’ek-stase serait
d’envisager une unité entre un intérieur et un extérieur : « l’idée même
d’une démonstration de la réalité du monde extérieur implique la
méconnaissance de l’essence originaire du monde comme tel. Celle-ci
est confondue avec la totalité de la réalité intramondaine. C’est cette
dernière qu’on cherche [dans un monisme kantien-heideggérien] à
fonder, et cela en montrant que la vie psychologique et intérieure de la
conscience n’est possible que dans sa connexion avec les objets extérieurs
dont l’ordre objectif constitue le seul fondement assignable à l’unité,
comme à la distinction, des événements intérieurs »20. il faut donc
fonder ce mode de pensée, fonder le rapport au monde déjà traversé
par une dualité. La fondation est ce qui sous-tend la validité de la
thèse henryenne, déjà présente in nuce en 1963 et approfondie par la
suite, de l’apparaître double (l’immanence et la transcendance) : mais,
sans un dégagement onto-phénoménologique de la « fondation », l’hypermonisation henryenne impliquerait un nouveau dualisme, et donc
retomberait elle-même dans la critique moniste21. La fondation est ce qui
19 Sein und Zeit, Frankfurt am Main, klostermann, 1927.
20 EM, p. 123, les crochets sont à nous
21 « onto-phénoménologie » ne veut dire rien d’autre qu’une étude du
phénomène de l’être dans leur rapport d’immédiateté. Le point à soulever,
c’est que cette « immédiateté » se tient dans les limites d’une fondation, qu’il
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francesco paolo de sanctis
montre que le fondement présente son rapport au fondé – la transcendance et
le contenu ontique qu’elle révèle – comme un non-dualisme.
Pour revenir à la dernière citation, le monisme ontologique qui,
à travers une même conception de l’être, se dédouble en deux pôles
d’étants, révèle que la réalité externe (ou même une réalité interne
psychologique), en tant que contenu ontique, reste impossible, voire
inutile, à justifier. Ce serait donc toute pensée de la transcendance
qui perpétue une instance fondative impossible à réaliser. Car c’est
le deuxième apparaître, la transcendance, qui semble poser problème
pour la compréhension d’une continuité fondatrice, d’une dépendance
de l’immanence : comment le fondement peut-il, par sa fondation,
donner de la réalité à l’ek-stase ? ne doit-on pas penser le fondement
exclusivement sous l’égide de sa fondation : d’abord dans la perspective
d’une relation rendue possible par un fondement affectif, et ensuite en
découvrant le lien de dépendance hiérarchique à l’apparaître toujours
affectif auquel est soumis le sens de l’être, et enfin saisir la fondation dans
le sens encore immanent du dépassement que l’affectivité permet du
simple donné ontique, le mouvement du « se rapporter à » (EM, p. 316) ?
n’est-ce pas dans la fondation, et non pas dans le fondement, que réside le
sens du monisme ? La fondation n’est-elle pas le fondement du fondement ?
henry nous permet de dépasser la tradition. La philosophie n’a jamais
osé aborder la question d’une fondation du phénomène de l’être, mais
elle s’est toujours interrogée sur la possibilité d’un fondement ultime ou
bien sur la possibilité d’une phénoménologie fondamentale de l’être.
Cette distinction a ouvert les voies de la métaphysique ou de l’ontologie,
que heidegger paraît avoir séparé à jamais. nous pensons nous trouver
face à une nouvelle ouverture de la philosophie qui échapperait à cette
dichotomie : cette onto-phénoménologie du fondement, approfondie
dans cette perspective de son pouvoir de fonder. il reste que, si l’autocontradiction du monisme demande un fondement capable de sauver
l’ek-stase, c’est à partir de cette réussite ou de cet échec de la fondation
que le monisme pourra être réellement possible – ou se perpétuer sous la
forme d’un bavardage infini.
est nécessaire (en allant au-delà de henry, bien que cette contribution ne
puisse pas y parvenir) de tirer au clair.
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