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alternatives sud, vol. 25-2018 / 117 Structures du système international et diffusion du tourisme en Haïti Sadais Jeannite1 et Bruno Sarrasin2 Au il des dernières décennies, les pouvoirs publics haïtiens ont élaboré des politiques de développement consacrant le processus de diffusion du tourisme dans l’économie. Sous l’égide des institutions inancières internationales, cette mise en tourisme de la « perle des Antilles » a surtout consisté à créer les conditions propices à l’implantation d’entreprises étrangères et à la reproduction des asymétries structurelles du système mondial. Grâce à la croissance soutenue des lux touristiques au cours des dernières décennies, le tourisme apparaît comme la panacée pour rattraper le « retard de développement » des pays du Sud face au Nord (Froger, 2010 ; Dwyer et coll., 2010). La notion de développement est alors appréhendée selon sa signiication étroite, défendue par l’économie classique et associée à l’augmentation du produit intérieur brut (PIB) et à ses effets. Pour les États structurellement confrontés à certaines dificultés (faible dotation en ressources naturelles, capacité industrielle limitée…), le tourisme est présenté par les institutions inancières 1. Diplômé en développement du tourisme, conseiller technique à la direction générale du ministère du tourisme en Haïti, coauteur notamment de « La production de l’espace touristique de l’Île-à-Vache (Haïti) : illustration du processus de développement géographique inégal », Études caribéennes, 2016. 2. Politologue, professeur et directeur du département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), responsable de la collection Tourisme aux Presses de l’Université du Québec et auteur de multiples publications sur les enjeux et la prospective du phénomène touristique. 118 / la domination touristique internationales, comme source de devises permettant de soutenir l’activité économique (Sarrasin et Breton, 2012). Froger (2010) et Ashley et coll. (2007) montrent ainsi que les dépenses des touristes peuvent créer des effets multiplicateurs qui stimulent de nombreuses branches de l’économie et contribuent à la croissance de la production. Ces relations entre tourisme et développement ont présidé à de nombreuses politiques publiques donnant la primauté à cette industrie dans les pays du Sud. Aux Maldives, par exemple, l’activité touristique contribuait en 2016 à près de la moitié du PIB et à 78,5 % du total des exportations (WTTC, 2017). Pour explorer la relation entre tourisme, mondialisation et développement, nous nous appuierons sur l’économie politique de Susan Strange (1998 ; 1996 ; 1993) qui s’est intéressée à la structure de production de nombreux pays du Sud, à partir du type de biens et services qu’ils produisent et des enjeux de pouvoir. Cette démarche nous permettra de mieux comprendre comment le système d’économie politique internationale inluence la diffusion du tourisme en Haïti. Les structures de pouvoir dans le système international L’évaluation de la structure de pouvoir dans le système international est une méthode de diagnostic et de compréhension du comportement des acteurs qui opèrent dans l’économie contemporaine (Paquin, 2010). Le pouvoir dans le système d’économie politique internationale, contrairement à la pensée orthodoxe, est l’apanage d’une multitude d’acteurs (Strange, 1996 ; 1993). En plus des États, les irmes multinationales, les institutions internationales, le marché, la maia, le monde de la inance expriment leur puissance d’agir dans l’économie mondiale (Chavagneux, 2007). Pour Susan Strange, le pouvoir, dans ce régime d’acteurs, est structurel et se situe au centre des enjeux économiques internationaux. Elle suggère qu’il est nécessaire d’analyser la composition des rapports qu’entretiennent ces acteurs pour comprendre les règles du jeu économique et social à l’échelle mondiale. Pour Chavagneux (2010) et Paquin (2010), ces structures se déclinent en quatre dimensions dont la relation est moins hiérarchique que dynamique : la structure de sécurité, la structure de production, la structure inancière et la structure du savoir. Loin de se limiter aux aspects militaires conventionnels, la structure de sécurité inclut l’ensemble des accords qui déterminent les structures du système international et diffusion du tourisme en haïti / 119 conditions permettant d’assurer la protection des citoyens et des entreprises (Paquin, 2010). Centrée sur l’État, elle est largement affectée par la dynamique des technologies et des marchés. L’ordre économique mondial dépend grandement, soutient Jaquet (2001), de ce qu’il advient de la structure de sécurité. Les États jouent un rôle important dans cette structure, car ils ont la responsabilité d’assurer la pérennité de leur économie et de leur population face aux nombreuses menaces (militaires, environnementales, etc.) auxquelles les sociétés humaines font face. Certaines destinations touristiques sont, de nos jours, particulièrement résilientes aux catastrophes naturelles, aux conlits militaires ou au terrorisme qui menacent leur viabilité et leur pérennité. La croissance des lux de l’activité touristique dans le monde se diffuse dans les États où la protection qui permet au touriste de se mettre à l’abri de ces menaces est garantie par des moyens conséquents. Quand un pays se retrouve incapable de garantir cette protection à ses ressortissants, il émet des avertissements de voyage ou limite les déplacements ; ce qui conséquemment impacte l’activité touristique et la structure de production. La structure de production se rapporte aux types de biens et services qu’une économie produit ainsi qu’aux conditions, aux méthodes et aux technologies utilisées par les entreprises qui les produisent (Jaquet, 2001). Elle est la résultante de l’ensemble des accords qui déterminent ce qui est produit, par qui, pour qui, où, avec quelles méthodes, quelles combinaisons de facteurs de production (terre, travail, capital, technologie) et à quelles conditions (Chavagneux, 2010 ; 1998). L’économie politique suggère que la structure de production est déterminée par les dotations en facteur d’une économie et surtout les politiques publiques qui incitent la prise de risque de l’activité productive par certaines entreprises dans certains secteurs particuliers de l’économie (Paquin, 2010 ; Chavagneux, 2010 ; 1998). Dans ces conditions, la structure de production est fortement centrée sur le pouvoir des entreprises et est dominée par les irmes multinationales. Elle est déinie par les avantages comparatifs, avantages sur lesquels sont fondés le commerce international et le libre-échange. Ces avantages se traduisent pour les irmes multinationales par la recherche des gains d’eficacité, c’est-à-dire la maîtrise des coûts de production et de proximité avec les marchés ou la main-d’œuvre (Chavagneux, 2010 ; 1998). Le tourisme est le 120 / la domination touristique produit de cette structure de pouvoir et contribue à son inluence dans l’économie mondiale. La structure inancière correspond « aux accords qui ixent l’accès aux crédits et sa disponibilité, le coût et la valeur des monnaies entre elles » (Paquin, 2010). Elle se compose d’un marché mondial reliant des centres inanciers à un ensemble de systèmes monétaires et inanciers nationaux (Jaquet, 2001). Elle est fondamentalement caractérisée par sa volatilité, exacerbée par la libéralisation des marchés. Pour Susan Strange, les États ont vu s’effriter dans ce domaine leur capacité à déterminer le taux de change de leur monnaie et le montant des crédits disponibles sur leur territoire. Sur le plan des inances publiques, la garantie de la stabilité des systèmes inanciers nationaux des pays du Sud est assurée, notamment, par les accords passés avec le Fonds monétaire international. Les accords de prêts pour inancer les déséquilibres des balances de paiement et les déicits budgétaires constituent les mécanismes par lesquels opère cette institution. Ces mécanismes contribuent, dans certains pays du Sud, à la diffusion du tourisme dès lors que les politiques iscales, monétaires et budgétaires qu’ils imposent induisent une division internationale de la production mondiale de biens et services basée sur un essaimage de fonctions productives des irmes multinationales. Par exemple, les politiques douanières et iscales qu’exigent ces accords de prêts obligent les pays du Sud à abandonner la production de biens manufacturés à fort coeficient de main-d’œuvre – car les entreprises locales ont vu s’effriter leur compétitivité –, pour s’engager dans une spécialisation productive basée sur les dotations en facteurs de leur territoire. L’implantation d’activités productives dans ces pays se fonde alors principalement sur l’environnement iscal et douanier qui est imposé dans ces accords de prêts. Le tourisme est surdéterminé dans la plupart des pays du Sud par ces conditions de inancement des déicits budgétaires par les aides publiques au développement. La structure des savoirs, enin, se déinit, selon Susan Strange, par six questions essentielles : quel type de savoir est découvert ? Comment le savoir est-il stocké ? Qui communique, comment, à qui et dans quels termes ? Elle se caractérise par la croissance du lux d’information, qui stimule la croissance des activités de services, facilite la production et le marketing global, soutient l’expansion des marchés inanciers et transforme la structure sécuritaire au fur et à structures du système international et diffusion du tourisme en haïti / 121 mesure que la capacité des États de monopoliser les moyens de communication et les médias s’élargit (Chavagneux, 2010 ; 1998). Structurellement, la production de savoirs dans le système international se situe dans les pays à revenus élevés. Les pays du Sud sont rangés dans la catégorie des consommateurs de ces connaissances. Chavagneux (1998) explique que la structure des savoirs, au niveau le plus général, s’intéresse à la nature de la communication, à ses usages sociaux et aux relations de dépendance entre des combinaisons d’idées et de croyances, d’évolution des techniques de communication et des pratiques politiques et sociales. Dans le domaine du tourisme, la structure des savoirs représente un élément déterminant de sa diffusion dans les pays du Sud. Attirer les investisseurs touristiques en Haïti Certaines tendances de l’économie mondiale de la période d’après-guerre ont favorisé la diffusion du tourisme en Haïti, comme dans d’autres pays du Sud. Les stratégies d’internationalisation et de délocalisation des entreprises touristiques, en quête de compétitivité, ont participé à la transformation des structures de production nationales qui se sont graduellement diversiiées au proit du tourisme. Ainsi, de nombreuses multinationales (Club Med, Panamerican…) se sont implantées en Haïti au cours de cette période (Noël, 2011). Toutefois, pour que ces irmes déploient leurs objectifs stratégiques, elles ont dû bénéicier de la collaboration intéressée des pouvoirs publics qui ont mis en place des politiques favorisant leurs investissements. L’analyse de ces politiques permet de comprendre que les actions entreprises par l’État haïtien représentent une stratégie d’adhésion et d’adaptation à un état du monde. Ce dernier peut être considéré comme un marché mondialisé, où sévit une concurrence de plus en plus importante entre territoires nationaux pour attirer des capitaux étrangers (Chavagneux, 1998 ; 2010). L’adhésion à ce marché se traduit, dans le secteur du tourisme, par la mise en place de conditions visant à rendre l’économie attractive aux investissements des multinationales touristiques. Il s’agit d’un ensemble d’actions mises en œuvre par les pouvoirs publics telles que des lois et décrets organisant structurellement le secteur, en vue de développer l’offre des services touristiques et promouvoir Haïti comme destination sur les marchés émetteurs. À titre d’illustration, le décret de mars 1975 portant organisation du 122 / la domination touristique secteur touristique attribue aux pouvoirs publics un certain nombre de prérogatives telle l’élaboration des normes réglementant la qualité du service dans le secteur touristique (Noël, 2011). Par ces actions, les pouvoirs publics cherchent à consolider leurs prérogatives et à rendre l’économie apte à attirer et à retenir les activités et les facteurs de production en lien avec le tourisme, devenus de plus en plus mobiles. La recherche de l’attractivité comme stratégie de inancement du trésor public pousse les États à faire évoluer leurs législations socio-économiques, iscales et transactionnelles de manière à libérer les contraintes liées au déploiement des activités de ces irmes multinationales touristiques. Cela prend la forme d’une collaboration intéressée du système local au système d’économie politique internationale. Cette collaboration contribue à la transformation de la structure de production au proit des irmes multinationales. Ce mécanisme s’est traduit, au moment des balbutiements du tourisme après la Deuxième Guerre mondiale, par la volonté des pouvoirs publics haïtiens de réaliser en 1949-1950 une exposition internationale, à l’occasion du bicentenaire de la ville de Port-au-Prince. Cet événement, rapporte le Bureau international des expositions, représenta un effort public important de mise en avant de la modernisation du pays sur un ensemble d’aspects, tels que la rénovation urbaine de la capitale, l’assainissement et le développement de la côte maritime du golfe de la Gonâve…, l’objectif étant la promotion d’Haïti sur la scène internationale. Au-delà, il s’agissait d’encourager les irmes multinationales touristiques à prendre le risque de l’activité productive. Les travaux de modernisation urbaine visaient à marquer une rupture avec les représentations négatives dont Haïti faisait l’objet à l’international. Au moment où se développait la télévision, la diffusion des images d’un pays embelli – représentation mentale – qui célèbre la beauté de sa culture et son histoire glorieuse – représentations théâtrales – devait détruire les représentations négatives projetées dans l’espace public par les médias (Bourdieu, 1982). Cette démarche a permis aux pouvoirs publics d’inluer indirectement sur les irmes touristiques, en exerçant une inluence directe sur les lux de touristes, à travers les mythes, les images et les discours publicitaires. La rénovation urbaine fut concentrée sur les quarante-cinq hectares que recouvrait l’endroit même de l’exposition internationale, pour diffuser à l’adresse des futurs touristes structures du système international et diffusion du tourisme en haïti / 123 l’image d’une ville moderne qui répond à leur quête de confort existentiel. L’élaboration des politiques publiques et la mise en place de programmes d’aménagement du territoire ont ainsi créé les conditions de la naissance et de la diffusion du tourisme en Haïti. Enlever tout obstacle à l’implantation touristique La diffusion du tourisme en Haïti s’insère dans une vision du développement portée par les institutions supranationales qui consiste à ouvrir le marché, abolir les droits de douane et « assainir » les inances publiques. Cette vision du développement a été élaborée dans le contexte du ralentissement de l’économie mondiale à la suite des chocs pétroliers survenus au cours des années 1970 et de la crise économique mondiale du début des années 1980. La stratégie de croissance préconisée alors consista à désengager l’État du marché. Connue dans les pays du Sud sous le vocable d’ajustement structurel, cette stratégie fut mise en œuvre en Haïti à partir de 1987, telle qu’exigée par les institutions de Bretton Woods. À cette date, le gouvernement haïtien entama une politique d’ouverture du marché sur l’extérieur visant, selon ce que rapportent les médias, à « libérer le pays du sous-développement » (François, 2009 ; Adam, 2009 ; Alter Presse, 2006). La Banque mondiale et le FMI « proposèrent » de baisser les droits de douane et le taux d’imposition sur les revenus des entreprises et d’élaborer des politiques publiques visant le développement des secteurs pour lesquels le pays dispose de dotations en facteurs. L’aide au développement et les nouveaux prêts accordés au pays étant désormais conditionnés à ces « ajustements », Haïti est passé d’un régime de douane fermé et réglementé à l’un des régimes les plus ouverts aux échanges commerciaux des Caraïbes et d’Amérique latine (Alter Presse, 2006). Comme la structure tarifaire représente le plus important outil de inancement du trésor public en Haïti, l’État a dû appliquer de surcroît, pour compenser la baisse des droits de douane, un ensemble de politiques publiques (régime iscal incitatif…) visant à faciliter l’implantation de nouveaux investisseurs transnationaux, notamment en matière de tourisme. Haïti s’est ainsi doté d’un premier plan directeur du tourisme en 1996, avec comme priorité le développement de trois régions – la côte atlantique, la côte caribéenne et la région de l’Ouest –, en s’appuyant sur leur patrimoine naturel, culturel et historique. La côte 124 / la domination touristique des Arcadins était également visée, à travers l’implantation d’hôtels de luxe. Depuis lors, le tourisme a été élevé au rang de priorité nationale par les différents gouvernements. Il est considéré à la fois comme activité économique stratégique et outil de développement local. Le plan directeur du tourisme de 1996 prévoyait la construction de 4 000 chambres d’hôtel et la création de 30 000 emplois à l’horizon de 2004. Ces objectifs n’ayant pas été atteints, le pays a élaboré un Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) qui fait du tourisme un vecteur de croissance économique et de création d’emplois. Trente-deux iches de projets touristiques y sont consacrées. Suite au séisme du 12 janvier 2010, les prévisions ont été révisées, pour tenir compte du nouveau contexte, mais le tourisme est de nouveau considéré comme secteur clé de l’économie dans le Plan stratégique de développement pour Haïti (PSDH) de 2012. Ce dernier privilégie en effet l’investissement touristique. Et ce, par l’amélioration du cadre réglementaire et iscal, la recherche d’investisseurs, le développement d’infrastructures d’accueil, la mise en valeur du patrimoine, la restauration et la promotion de l’image d’Haïti, l’éducation en matière de gestion du tourisme et le renforcement institutionnel en matière de gouvernance. Tourisme et développement sont associés dans les discours politiques. Ils justiient projets d’infrastructures et mises en tourisme de certains territoires, comme lors de la construction du quai de croisière de Labadie ou de la mise en œuvre du projet de « développement touristique de l’Île-à-Vache » (Sarrasin et Renaud, 2014). Principaux enseignements La diffusion du tourisme en Haïti illustre la structure du pouvoir dans le système d’économie politique internationale. Ce processus de diffusion s’inscrit dans le cadre de la composition des rapports d’inluence entre, d’une part, les acteurs dominants, c’est-à-dire les multinationales touristiques, les institutions supranationales et les États riches et, d’autre part, les États en position de faiblesse dans le système international. À travers l’aide publique et privée au « développement », les acteurs dominants inluencent les acteurs locaux dans l’élaboration des politiques – iscales, d’investissement, etc. – qui impulsent la croissance de l’activité touristique. structures du système international et diffusion du tourisme en haïti / 125 L’analyse du cadre dans lequel ces politiques sont élaborées montre que la source d’inluence sous-jacente déinissant ce jeu économique et social en Haïti est déterminée par la structure de pouvoir du système international. L’adoption du tourisme comme vecteur de croissance et de développement par les pouvoirs publics, sa diffusion et sa croissance progressive dans la structure de production illustrent le rôle hégémonique sur le système local des acteurs dominants de l’économie politique internationale, tels le FMI, la Banque mondiale et les multinationales touristiques. Nous avons relevé les principaux mécanismes de déploiement de cette hégémonie. D’abord, elle se manifeste dans un discours, porté par les acteurs dominants, qui enchâsse le tourisme dans le développement. Ce dernier résulte d’un construit socio-économique issu d’un groupe d’intérêt – les pays occidentaux – qui présente le développement sous la forme d’un savoir technique et objectif. C’est ce que Susan Strange nomme une valeur prioritaire qui, présentée comme savoir scientiique, prend la forme de pratiques obligées qui imposent et renforcent l’adhésion de tous les acteurs au système mondial dont les retombées sont asymétriques. En Haïti, le tourisme ne tient pas sa promesse d’impulser la croissance et de créer des emplois (WTTC, 2017). Sa contribution à l’économie nationale n’a jamais atteint le seuil du milliard de dollars, alors que le taux de fuite (hors Haïti) de cette industrie correspond à 65 % des recettes engendrées. L’activité touristique se produit en dehors du reste de l’économie, en accusant une forte propension à la consommation de biens importés au proit d’une clientèle étrangère. Une part importante des retombées économiques sont retournées dans les pays d’origine des irmes, ne laissant qu’un effet marginal sur l’économie locale. De la sorte, la diffusion de l’activité touristique en Haïti contribue à la reproduction des déséquilibres fondamentaux du système international, reposant sur une structure de pouvoir politique et économique favorisant les acteurs dominants. La diffusion du tourisme est la résultante de ces déséquilibres, car, nonobstant les retombées marginales de cette activité sur l’économie, les pouvoirs publics n’ont cessé d’engager d’importantes ressources pour sa diffusion, montrant que les déterminants de ces politiques sont exogènes au système local. En faisant du tourisme un outil de développement, les élites offrent une collaboration intéressée aux acteurs du système 126 / la domination touristique d’économie politique internationale, comme une heuristique de reproduction. Cette collaboration se déploie dans le discours politicoéconomique qui enchâsse le tourisme dans le modèle de développement. Ce discours sert d’argumentation qui légitime l’internalisation du tourisme dans les pays du Sud, notamment sous la forme de politiques publiques. La diffusion du tourisme en Haïti s’inscrit ainsi dans une dynamique de reproduction des déséquilibres fondamentaux du système économique mondial. 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