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Dominic Lerouzès, fmj LA différence ontologique Comparaison critique des approches de Thomas d’Aquin et de Martin Heidegger università Gregoriana facoltà di filosofia Roma 2013 INTRODUCTION « Cette confrontation méritait d'être tentée : car si saint Thomas et Heidegger ne dialoguent pas entre eux, ils peuvent du moins se rencontrer en nous, qui les lions ensemble. B. Rioux, L’être et la vérité chez Heidegger et Saint Thomas d’Aquin., Presses de l’Université de Montréal, Montréal 1963. Préface de P. Ricoeur, p. VII. » Cette déclaration de Paul Ricoeur, dans la préface de l’ouvrage L’être et la vérité chez Heidegger et Saint Thomas d’Aquin de B. Rioux, ouvre magnifiquement la thématique de la différence ontologique, conceptualisée par Heidegger, et présente dans l’ontologie du grand penseur médiéval. Oui, malgré le décalage d’époque et la différence radicale des approches qu’ils ont utilisé les deux géants de la pensée philosophique dialoguent néanmoins en nous. Comme nous le verrons, plusieurs auteurs ont tenté ce rapprochement afin d’en relever différences et similitudes pour établir un diagnostic sévère ou optimiste de leur appréhension théorique de l’être. C’est donc par le biais de la différence ontologique que nous suivrons le même sillon; notre essai voudra modestement mettre en parallèle la manière dont Heidegger et saint Thomas d’Aquin ont traité cette question. Notre travail se situe dans une perspective métaphysique. Bien avant d’être systématisée par Heidegger au XXe siècle, la notion de différence ontologique est née, avec la métaphysique, à partir du moment où l’on s’est questionné sur l’être en tant qu’être : « Pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien? » Cette différence surgit ainsi d’un émerveillement étonné de celui qui constate la contingence de l’existence : tout ce qui est aurait pu ne pas être. Ainsi l’esprit distingue-t-il l’être de l’étant, l’être de l’ensemble des étants et lui-même se découvre comme un étant parmi les autres. En revanche, l’homme, au milieu de tous les étants, est le seul étant qui puisse poser la question de l’être. C’est à partir de cette problématique fondamentale de la différence ontologique entre l’être et l’étant que s’est ordonné tout l’édifice de la métaphysique à travers les siècles. Aristote, le premier, a placé la science de l’être en tant qu’être en première position dans la hiérarchie des savoirs philosophiques et c’est à lui que l’on en doit les premières formulations : « Comme il y a une science qui étudie l'Être en tant qu'Être, et séparé de la matière, il nous faut voir si cette science est identique à la science de la nature, ou si plutôt elle n'en est pas différente. V. Cousin, De la Métaphysique d’Aristote. Rapport sur le concours ouvert par l’Académie des sciences morales et politiques; suivi d’un essai de traduction du premier et du douzième livres de la Métaphysique., Chez Ladrange, Paris 1838. 7, § 5. » Cependant, au cours des âges, la philosophie et la science lésineront à systématiser le discours sur l’être en tant qu’être, se concentrant de préférence à l’étude des étants, attitude que Heidegger appellera « oubli de l’être ». Balthasar pose ainsi le diagnostic dans son Esthétique théologique : « Pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ? Aucune « science » n'a jamais posé sérieusement la question, parce que la science présuppose toujours que son objet lui fait face et donc lui appartient. Mais la philosophie ne l'a posée elle-même que rarement, et jamais très longuement, le premier geste de la philosophie n'étant pas l'étonnement mais la description, ou bien, si c'est l'étonnement, c'est très vite le besoin de trouver à la question inattendue de l'existence de l'être, une réponse tirée du domaine de son essence. H. U. von Balthasar, La gloire et la croix : les aspects esthétiques de la révélation. IV, Le domaine de la métaphysique, 3 : les héritages, Aubier, Paris 1983, 369. » Discipline difficile donc que celle de la métaphysique. Qui entreprend aujourd’hui un premier contact avec la métaphysique, se parant d’une honnête curiosité intellectuelle, se rendra bien vite compte de l’âpreté des débats et tensions qui ont voulu la rayer du catalogue moderne des sciences. Les auteurs qui osent encore écrire sur le sujet ont pleinement conscience de prêter flanc à la critique et de recevoir comme réponse une fin de non-recevoir. Ils prennent le risque malgré tout, comme pour donner une autre parole, presque comme s’il s’agissait d’un thème interdit. L’introduction de L’être et l’Esprit de C. Bruaire, représentative de cette lutte pour la survie de la métaphysique dans le monde moderne, est éloquente en ce sens : « La question de l’être, de l’être en tant qu’être, semble effacée de nos mémoires. N’est-elle pas oiseuse et stérile, réservée aux archéologues d’une philosophie préscientifique? C. Bruaire, L’être et l’esprit, Presses Universitaires de France, Paris 1983. V. présentation de l’ouvrage. » A. Léonard parle aussi de cette vive contestation : « Science de l’être en tant qu’être, attentive au mystère ontologique, la métaphysique est cependant aujourd'hui une sagesse vivement controversée et même radicalement contestée. A. Léonard, Métaphysique de l’être : essai de philosophie fondamentale, Cerf, Paris 2006, 17. » Malgré tout, en abordant la question plus précise de la différence ontologique chez Heidegger et saint Thomas, nous pensons que la métaphysique conserve aujourd’hui toute son actualité, d’une part du fait que l’être chapeaute et unit tout le créé, son étude permettant d’unifier l’infinie diversité du créé, et d’autre part, à cause de la tendance bien moderne à la surspécialisation des savoirs et son inévitable fragmentation. En d’autres mots, sa pertinence consiste dans la question du sens, principe d’unification de la diversité. Cet essai compte aborder la question de la différence ontologique. Dans le traitement de ce thème, cependant, nous ne ferons pas prévaloir l’ordre chronologique qui commencerait par naturellement par saint Thomas; au contraire, nous donnerons la priorité à Martin Heidegger, car c’est à lui qu’on doit la paternité de l’expression « différence ontologique », expression qui a littéralement traversé l’ensemble de son œuvre. Étant donné que saint Thomas n’a pas traité directement de la question dans ces termes, c’est comme à rebours, après avoir exposé l’essentiel de la doctrine heideggérienne, que nous examinerons les corollaires chez l’Aquinate. Enfin, dans une troisième partie, nous tenterons l’expérience risquée d’un rapprochement. Nous opèrerons avec l’aide d’auteurs qui ont déjà étudié la question de ce rapprochement, dont les principaux sont A. Léonard, A. Dartigues et H. urs von Balthasar, mais ce faisant, tout en gardant un œil sur les textes originaux. La différence ontologique chez Heidegger D’une manière pour le moins surprenante pour le début du XXe siècle, Martin Heidegger (1889-1976) a réussi à remettre au centre de la réflexion philosophique la question du sens de l’être. Personne, autant que lui, n’a pu poser à nouveau cette question avec autant d’acuité après saint Thomas d’Aquin. La question s’est présentée à lui d’une manière si fondamentale qu’elle sera l’unique thème de sa philosophie; elle parcourra l’ensemble de son œuvre. Après Descartes, Kant, Hegel et tant d’autres penseurs qui ont redessiné la cartographie philosophique du monde moderne, ce nouvel intérêt pour la question de l’être pouvait marquer une sorte de rupture, notamment dans un temps où l’attention générale se portait préférentiellement sur les progrès de la science et de la technique. Or, Heidegger relève ce paradoxe : comment expliquer une telle attention portée sur les étants alors qu’est éclipsée la question du sens de l’être? Ainsi, parallèlement à une telle floraison des savoirs scientifiques et techniques subsiste un oubli du fondement de tous les étants : « Pour peu que nous demandions : « Qu’est-ce que l’“être” ? », nous nous tenons dans une compréhension du « est », sans que nous puissions fixer conceptuellement ce que le « est » signifie. M. Heidegger, Être et temps, Authentica, Paris 1985, 27. » Cette réflexion, aussi brusque que géniale, bousculera bon nombre de certitudes philosophiques par sa rigoureuse teneur et son approche phénoménologique originale. Comment en effet considérer ce progrès des connaissances scientifiques, ce recentrement sur les étants, alors que leur fondement, jamais sérieusement mis en examen, demeure inexpliqué? Dartigues explique : « L'aspect positif du destin métaphysique de la pensée tournée vers la représentation de l'étant est d'avoir permis les incroyables progrès de la connaissance par le développement des sciences, et de la maîtrise de l'homme sur la nature par celui des techniques. Mais ce progrès s'est payé d'un prix très lourd : celui de l'oubli de la vérité de l'Être ou du sens de l'Être. A. Dartigue, «Saint Thomas d’Aquin et Heidegger d’après quelques études thomistes», Revue thomiste 95/1 (1995), 137–149, 139. » Partant de ce paradoxe pour lui intolérable et injustifiable — l’oubli de l’être en pleine effervescence scientifique —, la phénoménologie heideggérienne entreprendra courageusement une remontée méthodique jusqu’au fondement de la métaphysique impliquant un dépassement de la métaphysique traditionnelle, finalement oublieuse elle aussi de l’être en tant qu’être, ne s’en tenant qu’à l’ensemble de ce qui est. Cette remontée — à la recherche d’un fondement à la question de l’être — amènera le philosophe de la Forêt-Noire à théoriser abondamment sur la notion de différence ontologique, soit la différence entre l’être et l’étant. Pour marquer une rupture avec l’ensemble de la philosophie, de Socrate à Hegel, il mettra de l’avant, comme lieu de cette différence ontologique, non pas l’homme, mais le Dasein, en tant qu’il est le questionnant de l’être. Le Dasein ou le questionnant de l’être La philosophie moderne en général et la pensée kantienne en particulier ont introduit ce que l’on a appelé une incontournable révolution en transformant le sens traditionnel de l’axe sujet/objet, faisant du cogito le point de départ absolu de la connaissance. En effet, pour dire brièvement, ce n’est plus à l’homme de percer les secrets de la nature pour en extraire la connaissance, mais bien à celle-ci de se donner à connaître. D’où la thématique kantienne des structures a priori de la connaissance subjective. La conséquence d’une telle révolution a été un accent nettement subjectif de la pensée philosophique au détriment de la pensée métaphysique traditionnelle. Avec Heidegger s’opère philosophiquement un puissant décentrement de la conscience comme mesure de toute chose vers la considération de ce qui se présente comme premier, avant même le cogito, c'est-à-dire l’être. Il s’agit d’un retournement — on pourrait dire encore une fois d’un nouvel ordre — qui suppose d’abandonner le terrain de la subjectivité afin de se centrer sur la question de la vérité et du sens de l’être : « La question du sens de l’être doit être posée. Si elle est une, ou plutôt la question fondamentale, alors un tel questionner requiert une transparence appropriée. M. Heidegger, Être et temps, 26. » Lui-même un étant, l’homme doit s’ouvrir à son identité de « questionnant de l’être » — car lui seul parmi tous les étants peut en effet poser cette question — afin de passer de l’être qui engendre la question à l’être qui questionne : « Cet ordre, qui commande la célèbre introduction de L'Être et le Temps, est en lui-même significatif; il implique que la conscience n'est pas la mesure de toute chose; l'homme ne sera pas désigné par cette conscience, mais par l'être même qui lui donne d'être le questionnant de l'être; c'est pourquoi le questionnant lui-même est désigné par un terme ontologique : Dasein, être le lieu, le « là » de la question de l'être. L'analytique du Dasein, thème central de L'Être et le Temps (Sein und Zeit), est encore une phénoménologie, mais en un sens nouveau; elle dit l'apparaître d'un « étant », dont toute la condition est d'être ouvert à la question de l'être. P. Ricoeur, «Ontologie», in Encyclopedia Universalis France S.A., Paris 1972, 100.» Heidegger revendique donc à sa philosophie existentialiste le statut d’ontologie fondamentale. Au sein de l’ensemble des étants s’en distinguent un tout à fait privilégié, l’homme en tant qu’il pose la question de l’être, car c’est à lui qu’échoit cette tâche. « Le Dasein est l’étant qui, se comprenant en son être, se rapporte à cet être. M. Heidegger, Être et temps, 62. » Le Dasein, notion à mille lieues de prétentions subjectives totalisantes, renvoie l’homme, en recherche d’une réponse, à la question de l’être : « Élaboration de la question de l’être veut donc dire : rendre transparent un étant — celui qui questionne — en son être. En tant que mode d’être d’un étant, le questionner de cette question est lui-même essentiellement déterminé par ce qui est en question en lui — par l’être. Cet étant que nous sommes toujours nous-mêmes et qui a entre autres la possibilité essentielle du questionner, nous le saisissons terminologiquement comme Dasein. Ibid, 28. » Autrement dit, le Dasein, l’homme en tant qu’il pose la question de l’être, devient le lieu à partir duquel peut s’élaborer la notion de différence ontologique. C’est traversé lui-même par cette différence et en l’examinant dans son existence qu’il peut être en mesure d’en approfondir les structures. Structure fondamentale du Dasein : le souci. Le Dasein « est l’étant qui, se comprenant en son être, se rapporte à cet être » Ibid, 62.. Ce qui fait en sorte qu’il porte en lui-même — existentiellement pourrions-nous dire — une structure fondamentale lui permettant de poser cette question. Ainsi, sans pouvoir se référer à aucun autre étant pour accéder à la compréhension de l’être, sinon à sa propre existence, le Dasein saisit ses propres caractères d’être à l’aide d’existentiaux. L’être dont le Dasein bénéficie et envers lequel il se comporte lui confère un statut ontologique particulier, une existence déterminée par ses choix, par lesquels il se gagne ou il se perd, selon qu’il vive son mode d’être d’une manière authentique ou inauthentique. Par sa structure fondamentale d’être-au-monde, il entre en contact avec le reste des étants parmi lesquels il est le « là » : « l’étant qui est essentiellement constitué par l’être-au-monde est lui-même à chaque fois son "Là". Suivant la signification familière des mots, le « là » fait référence à l’"ici" et au "là-bas" » Ibid, 119.. Si l’on a souvent traduit Dasein par « Être-là », Heidegger a lui-même suggéré de le traduire en français par « être-le-là », ce que d’aucuns considèrent comme une torture de la langue de Molière! A. Léonard, Métaphysique de l’être, 246 - Voir la note 3. L’expression traduit néanmoins le retournement fondamental qui suppose l’abandon de toute subjectivité. Le « là » ouvre la « spacialité » du monde dont il est « l’être-au-monde » : « Le Dasein désigne déjà un être (Sein) qui est lui-même le là (Da) de l'Être en général ; si bien qu'il est toujours question de l'être dans Sein und Zeit. P. Ricoeur, «Renouveau de l’ontologie», in L’Encyclopédie française, Société Nouvelle de l’Encyclopédie Française, Paris 1957, 19.15–16–19.18–3, 19.18–1 – 19.18–2. » Par l’existential de la préoccupation, le Dasein entretient un commerce surtout avec les « étants-sous-la-main » appelés outils M. Heidegger, Être et temps, 73., autrement dit choses. L’outil en soi n’existe pas; c’est plutôt l’ensemble des outils, l’ensemble des étants déterminés par leur utilisation qui constitue pour le Dasein « le monde », et ce, par un complexe de renvois. Par rapport aux autres Dasein, l’homme est appelé à « être avec », structure « cooriginaire » à l’ « être-dans-le-monde » et répondant à la question du « qui? », dans un rapport de sollicitude L’expression n’a pas immédiatement un sens éthique et sociale, mais entend faire écho à l’idée existentiale de « préoccupation » (en all.: Sorge et Fürsorge).. Mais ce rapport comporte le risque d’une dissolution de son être authentique dans l’« On », par lequel il se laisse priver de son être par d’autres : « C’est dans cette non-imposition et cette im-perceptibilité que le On déploie sa véritable dictature. Nous nous réjouissons comme on se réjouit ; nous lisons, nous voyons et nous jugeons de la littérature et de l’art comme on voit et juge; plus encore nous nous séparons de la « masse » comme on s’en sépare ; nous nous indignons de ce dont on s’indigne. M. Heidegger, Être et temps, 115. » Ainsi, l’ensemble des conventions peut forcer le Dasein à vivre d’une manière inauthentique et ainsi avoir raison de sa capacité à s’interroger sur l’être. Pour qu’il puisse y avoir rapport avec le monde, les étants et les autres, il faut une ouverture originaire de la part du Dasein; c’est par les modes de l’affection (joie, tristesse, ennui, crainte) et de la compréhension (de son « pouvoir-être ») que le Dasein peut s’ouvrir originairement à l’être. Vient seulement après le parler en tant qu’articulation de la compréhensivité et qui « a ses racines dans la constitution existentiale de l’ouverture du Dasein. Ibid, 138. » Dans cette approche existentialiste de l’être, un des aspects inédits demeure sans conteste l’angoisse comme expérience d’ouverture à son entièreté d’être. Comme Heidegger l’explique dans sa conférence Qu’est-ce que la métaphysique?, elle place l’homme dans un état où tous les étants se confondent avec l’indéterminé : « L’angoisse nous tient en suspens, parce qu’elle porte à la dérive l’étant dans son ensemble. […] L’angoisse nous ôte la parole. Parce que l’étant dérive dans son ensemble et fait qu’ainsi le rien s’avance, face à lui se tait tout dire qui dit "est" ». C’est ainsi que le Dasein ressent son être-jeté, sa finitude, son « être-pour-la-mort », mais aussi connaît la libération de la dictature du « on » et accède à son « pouvoir-être-soi ». Cette angoisse « dans laquelle l’être tout entier m’échappe et moi à moi-même par là, devient le point méthodique par où je dois passer pour poser la question fondamentale des principes d’être. H. U. von Balthasar, La gloire et la croix, 373. » Le retournement (Kehre) À partir de 1929, Heidegger fera franchir à sa pensée un cap qu’il appellera Kehre, qu’on peut traduire par « retournement », et qui aurait dû constituer la troisième partie de son opera magna. Si dans Sein und Zeit, Heidegger met de l’avant la notion de « pro-jet », c'est-à-dire de l’homme se projetant lui-même vers l’être, après 1929 Heidegger corrigera le tir en affirmant que c’est plutôt l’homme qui est « jeté » par l’être dans l’existence : « Ce qui jette dans le projeter n’est pas l’homme, mais l’être lui-même qui destine l’homme à l’ek-sistence de l’être-le-là comme à son essence. M. Heidegger, Questions, Gallimard, [Paris] 1968; Q. III, 112. » Léonard explique que le but de ce « retournement » consiste à donner à l’être toute sa priorité, de conférer à l’homme un nouveau statut qui contraste résolument avec les accents prométhéens de la philosophie moderne : « La vérité n’est plus du tout en l'homme et dans son projet, mais dans l’être. C’est l’être qui est vérité et requiert l'homme pour veiller sur cette vérité, pour en être le berger, avec le souci qu’en cette lumière de l’être l’étant, c'est-à-dire les choses du monde, apparaisse comme l’étant qu’il est, en toute liberté, au lieu d’être aussitôt l’objet d’une attitude technique dominatrice. » A. Léonard, Métaphysique de l’être, 247. Par ce changement, Heidegger opèrera ainsi un passage important où la recherche du sens de l’être fera place à la vérité de l’être. Ce retournement est annoncé non seulement comme un dépassement de la métaphysique, mais également de l’ontologie : « S'il y a un problème du dépassement de la « métaphysique », c'est que le propre de la question de l'être en tant qu'être est de demeurer dissimulée ; l'oubli tient à « l'essence de la vérité », si l'on entend par vérité non plus seulement l'accord des propositions énoncées par un sujet avec la constitution d'un objet, comme dans la tradition classique, mais le dévoilement, la non-dissimulation, le laisser-être de ce qui se montre. P. Ricoeur, «Renouveau de l’ontologie», 19.18-2. » Existentialiste, Heidegger se distinguera par contre d’un Sartre qui affirmait un monde où il y a d'abord l’homme. Laissant derrière tout humanisme, il transformera radicalement ses propres concepts-clés, mis de l’avant dans Sein und Zeit, pour en arriver à l’affirmation d’un monde où il y a d’abord l’être. Même la notion de Dasein en subit la transformation, notamment dans Lettre sur l’humanisme : « L’homme déploie son essence de telle sorte qu’il est le "là", c'est-à-dire l’éclaircie de l’être. Cet "être" du là, et lui seul, comporte le trait fondamental de l’ek-sistence, c'est-à-dire de l’instance extatique dans la vérité de l’être M. Heidegger, Questions LH; Q.III, 93. ». Autrement dit, par le passage du « sens de l’être » à la « vérité de l’être », Heidegger ne s’intéresse plus à l’homme à partir duquel la révélation de l’être se produit au moyen du questionnement de sa propre existence, mais à la vérité de l’être à partir de l’être même, et à l’homme seulement à l’intérieur de cette vérité. C’est dans cette lancée que Heidegger forgera le concept d’Ereignis pour désigner l’être tout en lui ôtant toute confusion possible avec l’étant. Si dans l’allemand usuel le terme désigne « évènement », le philosophe lui forge un sens très technique : « Nous ne disons pas : l'être est, le temps est — mais : il y a être et il y a temps. [...] Au lieu de 'il est', nous disons ' il y a'. M. Heidegger, Questions 4, Temps et être, Gallimard, Paris 1976, 18. » "Il y a" [Es gibt] en allemand peut se traduire mot à mot : "il donne". Et ce qui est donné dans ce "il y a" est l’être comme présence, l’être dans sa relation indissociable avec le temps : « Nous pouvons seulement dire que le temps est le don et l'être la donation, ou le temps « la région de l'Ouvert » et l'être « la présence », et qu'ainsi temps et être s'accordent l'un à l'autre dans ce qu'ils ont de propre. C'est cet appropriement que tente de nommer l’Ereignis. A. Dartigue, «Saint Thomas d’Aquin et Heidegger d’après quelques études thomistes», 145. » Au travers les termes d’un jargon abscons, Heidegger tente ainsi de cerner l’insaisissable de l’être — car l'homme ne peut jamais définir cet être totalement pur de tout étant, car lui-même est un étant, de sorte qu’il est vain de poser la question : qu’est-ce que l’Ereignis? « Dans la mesure où il y a être et temps seulement dans l'appropriation (de l'être et du temps), à cette dernière appartient donc la propriété qu'elle porte à son propre l'homme en tant que celui qui entend l'être durant qu'il insiste au cœur du temps véritable. Ainsi proprié (ainsi rendu propre à ce qui lui est propre), l'homme est à sa place et a sa part dans l’Ereignis. M. Heidegger, Questions 4, Temps et être, 46. » Conclusion Au terme de ce parcours évidemment succinct, nous avons tout de même pu saisir l’importance que revêt la différence ontologique chez Heidegger pour une approche phénoménologique de l’être. Le parcours de sa propre pensée a évolué, nous permettant de penser qu’il voulait donner toujours plus priorité à l’être, peut-être au détriment du « questionnant de l’être ». Peu importe pour le moment, retenons seulement son constat, l’oubli de l’être, qui est essentiellement l’oubli de cette différence entre l’être et l’étant : «Nous ne pensons l'être tel qu'il est que si nous le pensons dans la différence qui le distingue de l'étant et si nous pensons l'étant dans la différence qui le distingue de l'être. M. Heidegger, Questions; «Identité et différence», p. 296. » Bien des siècles séparent Heidegger de saint Thomas d’Aquin, mais remontons maintenant le temps afin de vérifier si l’on peut trouver chez l’Aquinate des termes correspondant à la notion de différence ontologique analysée par Heidegger et si c’est le cas, voyons en quels termes ils y sont exprimés. Nous tenterons d’établir une sorte d’équivalence qui permettra de proposer une correspondance et un rapprochement en vue d’une brève analyse comparative. La différence ontologique chez Thomas d’Aquin Saint Thomas d’Aquin (1224-1274) est le génie de la pensée médiévale spéculative, philosophique et surtout théologique, qui a audacieusement assumé et dépassé la philosophie d’Aristote pour porter la métaphysique à des sommets inégalés. Pour situer dans cette métaphysique thomasienne la question de la différence ontologique, il est capital de comprendre la différence radicale de sa méthode et de son approche. D’abord, pour Thomas, toute son ontologie demeure au service des vérités révélées de la foi, alors que pour Heidegger, la question de Dieu fera problème. Mais aussi, bien que les thèses de Heidegger sur la question de l’être aient suscité au XXe siècle un nouvel enthousiasme pour la philosophie thomiste de l’être, Thomas et Heidegger sont néanmoins séparés méthodologiquement par deux tournants philosophiques majeurs: le tournant phénoménologique et le tournant historico-herméneutique. Dans cette section, nous verrons que la question de la différence ontologique se pose pour Thomas d’Aquin en des termes bien évidemment différents de ceux de Heidegger. Pour nous aider dans ce parcours, nous suivrons en grande partie le chapitre de l’ouvrage Métaphysique de l’être de A. Léonard intitulée : Thomas d’Aquin et l’émerveillement devant l’être A. Léonard, Métaphysique de l’être, 34–104.. Une première partie abordera la hiérarchie propre à l’ontologie thomasienne et dans une seconde partie, la question fondamentale de l’analogie de l’être. Après quoi, nous serons plus à même d’opérer une comparaison avec l’ontologie du maître de la Forêt-Noire. Dieu, l’être et les étants La métaphysique thomasienne se décline admirablement en quelques acceptions bien précises de l’être, laissant entrevoir les différences entre les multiples modalités de l’être. Parmi ces modalités, notons l’étant (ens) Notons d’entrée de jeu les deux acceptions du terme ens : « Ens per se dicitur dupliciter, uno modo quod dividitur per decem genera, alio modo quod significat propositionum veritatem ». Thomas d’Aquin - P. Porro, L’ente e l’essenza, Bompiani, Milano 2002. , l’essence (essentia), l’être (esse), l’acte d’être (actus essendi), l’être commun (esse commune), l’être lui-même (ipsum esse) et l’être subsistant (ipsum esse subsistens). Bien entendu il faut noter une différence entre Dieu et l’être lui-même —contrairement à Spinoza —, l’être commun étant distinct en tant qu’acte simple et plénier de tous les étants. Voyons la distinction : « L’être signifie quelque chose de plénier et de simple, mais de non subsistant ; la substance, par contre, signifie quelque chose de subsistant, mais de sous-jacent à autre chose. Nous posons donc en Dieu la substance et l’être, mais la substance en tant que subsistance et non en tant que sous-jacente, et l’être en tant que simplicité et plénitude et non en tant qu’inhérence par laquelle il inhère à autre chose. » (De Pot. 1,1) Ainsi, sans être la somme de tous les étants, l’être commun non subsistant est l’actualité de toute forme, et demeure en quelque sorte « suressentiel » aux étants en tant que parfaite simplicité. En d’autres termes, les étants, selon des déterminations infinies, participent de l’être commun sans l’épuiser. De plus, l’être commun agit comme une sorte de médiateur entre Dieu et les étants, d’où la hiérarchie suivante : Dieu comme être subsistant L’être commun Les étants L’être doit être compris chez saint Thomas comme une émanation de la bonté de Dieu qui appelle à l’existence toutes choses : « La positivité de l’acte d’être est ainsi l’expression primordiale de la bonté active du Créateur au cœur de la créature. C’est en ce sens que "Dieu est proprement la cause de l’être universel en toutes choses" (ST, I, 105, 5), formule où l’expression "être universel" est toute proche de l’ "être commun". A. Léonard, Métaphysique de l’être, 43. » Ainsi demeure une différence ontologique entre Dieu, l’être et l’étant. Pour comprendre cette altérité, Léonard introduit la distinction entre l’être, le sujet et l’essence Ibid, 46 et s.. Plusieurs occurrences situent la différence fondamentale de l’être avec l’étant dans la notion de subsistance. Si, d’un côté, l’être est non subsistant par lui-même, la substance quant à elle ne peut subsister sans l’être. Il y a donc complémentarité due à l’altérité des deux. L’être subsiste grâce à la générosité du Créateur, qui le pourvoie généreusement à tout étant. Pourtant, quand se pose la question de l’étant en tant que subsistant par lui-même « Nous disons que subsistent ces choses qui existent en soi et non en autre chose » (ST, I, 29, 2)., la théorie thomiste de l’être recèle quelques insuffisances. En effet, comment peut-on dire qu’« il n’y a rien en dehors de l’être sinon le néant» (De Pot. 7, 2, 9) et concevoir l’altérité de l’être commun avec l’étant? Et si l’étant est subsistant par lui-même – contrairement à l’accident qui ne peut subsister que d’une manière inhérente à la substance – comment expliquer sa dépendance par rapport à l’être commun? Léonard apporte cette solution : « L’altérité de l’étant par rapport à l’être, à savoir sa "subsistence" [sic, NdA], doit donc être pensée finalement comme une différence immanente à l’être. C’est donc en vertu d’une facilité de langage que Thomas, pour exprimer la différence de l’être et de l’étant, recourt, d’une manière peu critique, au schéma du sujet ou du substrat recevant une forme ou une perfection. A. Léonard, Métaphysique de l’être, 48–49. » Dans le même sens, qui étudie de près la manière dont est abordée la question de la différence ontologique chez Thomas d’Aquin fait face à une apparente aporie : l’être se conçoit-il comme englobant, c'est-à-dire comme « actualité de tous les actes et la perfection de toutes les perfections » dont rien ne viendrait le déterminer, ou bien comme un « moment » de la triade « sujet-essence-être »? En effet, Thomas parle dans ses écrits de cette triade par soucis de distinction entre le sujet (ce qui est), l’essence ou la quiddité (ce qu’il est) et son être (ou l’acte même d’exister). Dans cette distinction, l’être est défini comme « ce qu’il y a de plus intime à toute chose et est le plus profondément en elle, puisqu’il se comporte comme une forme à l’égard de tout ce qui est dans la chose » (ST I, 8, 1). Ainsi pouvons-nous conclure que si l’être est la forme des formes qui sous-tend la perfection de l’être et l’accomplit, alors l’être n’est plus englobant, mais seulement un moment de la triade de l’étant concret. La question de fond qui se dégage de cette ambiguïté est plus précisément celle-ci : quels rapports entretiennent entre eux l’être et l’essence et le sujet? On trouve une intuition spéculative magnifique qui laisse entrevoir une piste de solution à ce problème des rapports, mais que Thomas n’a pas empruntée pour l’appliquer à la différence ontologique dans la création. C’est lorsqu’il est question de l’être de Dieu : En Dieu se trouve tout ce qui appartient à l’ordre du subsistant ou de l’essence ou de l’être lui-même. En effet, ne pas être en quelque chose lui convient en tant qu’il est subsistant; être quelque chose lui convient en tant qu’il est essence, et être en acte en raison de l’être lui-même [SG, IV, 11]. Il est intéressant de constater avec Léonard que dans cette amorce plus spéculative de la triade « sujet-essence-être » telle qu’elle se présente en Dieu, l’être participe de chaque moment, trouvant ainsi une fonction englobante. Aurait-on pu conserver à l’être sa propriété englobante tout en distinguant la séquence avec laquelle il se déploie dans le créé? Hélas, Thomas d’Aquin ne l’a pas fait en termes aussi rigoureux. De cet exposé sur la différence ontologique chez Thomas d’Aquin, Léonard tire trois conclusions sommaires : la première est l’appréhension concrète et réaliste de l’être comme acte et plénitude suressentielle; la seconde est que la question de la différence ontologique se pose effectivement chez l’Aquinate, et ce, en termes bien précis, soit entre l’être d’une part et le sujet et l’essence d’autre part; en dernier lieu, « la solution apportée à la question demeure cependant, sur le plan de l’expression, particulièrement défectueuse et témoigne d’une certaine inconséquence, au moins du point de vue du langage adopté, avec la conception thomiste de l’être elle-même. Ibid, 54. » Cette imprécision des termes, à la décharge de notre auteur, peut tenir du caractère analogique de l’être, théorie reçue d’Aristote et enrichie par Thomas. Voyons en quoi elle peut compléter et pallier à cette insuffisance. L’analogie de l’être Si l’on peut identifier le fondement de l’ontologie heideggérienne dans la notion de différence ontologique, l’infrastructure de celle de saint Thomas d’Aquin se situe, elle, dans l’analogie de l’être, clé de voûte de l’architecture métaphysique de toute la scolastique. En effet, l’analogia entis est un instrument conceptuel permettant de penser les rapports de Dieu avec l’être et les étants — ou la différence ontologique chez saint Thomas. Elle caractérisera par ailleurs la pensée catholique dans son effort de théorisation métaphysique et théologique, de saint Thomas d’Aquin jusqu’à maintenant Voir en particulier : E. Przywara, Analogia entis, Presses universitaires de France, Paris 1990; B. Montagnes, La doctrine de l’analogie de l’être d’après Saint Thomas D’Aquin., Publications universitaires, Louvain 1963.. Bien qu’elle connaisse sa forme la plus achevée avec Thomas d’Aquin, l’analogie de l’être puise ses sources dans les débats philosophiques de son époque, et plus originairement dans l’œuvre d’Aristote. Celui-ci ne fait par ailleurs état que d’un seul type d’analogie : l’analogie de proportionnalité. Par une règle de trois, Aristote, notamment dans la Lettre à Nicomaque, montre qu’il est possible d’établir un rapport d’égalité de proportion, par exemple : « Ce que la vue est au corps, l’esprit l’est à l’âme. » Il en conclut de ce fait qu’est « un par analogie ce qui se rapporte à un autre comme un autre à un autre Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 4, 1096b. ». Un autre type d’analogie, cependant, n’est pas spécifiquement nommé par Aristote, mais demeure néanmoins présent dans son œuvre et que l’on appelle l’analogie d’attribution. Il s’agit d’une analogie qui se fait à partir d’un principe premier, un terme unique (): « Le rapport (pros) n’indique plus une correspondance de proportions, mais un rapport simple à un terme premier et unique dont les autres termes dépendent et par rapport auxquels ils sont nommés. Le terme unique (hén) n’est donc pas ici l’identité d’une correspondance, d’une convenance réciproque, mais le point suprême de référence auquel renvoient les divers termes  A. Léonard, Métaphysique de l’être, 88.». De la même manière qu’on dit, pour reprendre l’exemple classique d’Aristote, qu’une urine est « saine », le terme « sain » se dit toujours en référence implicite mais non équivoque au corps qui, le premier, est dit sain. Ainsi l’urine, le médicament ou l’aliment sont « sains » en ce sens qu’ils contribuent à la santé du corps. Lorsqu’il est question de l’être, dire « Dieu est » et « cette pierre est » n’ont évidemment pas même valeur; cette homonymie ne comporte pas de valeurs similaires. Se pose alors la question des degrés de l’être. Pourtant, l’être, pour Thomas, n’est ni parfaitement univoque, ni parfaitement équivoque, univoque en tant que le verbe être s’applique exactement aux différentes réalités qu’il désigne, équivoque en ce sens qu’il s’applique différemment aux différentes réalités qu’il désigne. Suivant cette logique, on peut dire que la pierre est en référence à l’être Dieu, lui qui a l’être par excellence. C’est ainsi que Thomas dit que l’être est analogique, en référence à ce principe premier, l’être de Dieu, qui donne l’être à tout étant. Pour être un peu plus précis – car cette doctrine thomasienne est autrement plus complexe que ce que nous venons d’en dire –, l’analogie de l’être se distribue traditionnellement On dit ici traditionnellement, car Montagnes prévient que si cette systématisation en trois modes présente quelques avantages sur le plan de la ressemblance à la base de l’analogie, elle ne parvient pas à embrasser la complexe unité de la pensée thomiste. Mais pour notre propos, cette distribution nous semble convenable. selon trois modes : « D’abord comme analogie d'attribution extrinsèque entre Dieu et le créé, sans que la perfection divine soit réellement communiquée; ensuite comme analogie par laquelle une perfection créée imite une perfection divine à la façon dont l'image ressemble à son modèle ; enfin comme analogie suivant laquelle la cause première est nommée à partir de ses effets. B. Montagnes, La doctrine de l’analogie de l’être d’après Saint Thomas D’Aquin., 8–9. » Ainsi, l’analogie de l’être permet de nommer Dieu à partir des perfections créées, compte tenu que l’être qui se trouve dans les étants est le même que l’on trouve en Dieu, mais dont ce dernier est la source. En somme, retenons que le concept d’analogie sert à exprimer à la fois la convenance (univocité) et la non-convenance (équivocité) du langage humain pour parler des réalités divines : « Entre le plus humble des étants et Dieu il y a donc, selon l’analogie de l’être, une réelle parenté, une authentique similitude ontologique. Mais en même temps, en vertu de la même analogie de l’être, règne entre Dieu et la plus élevée des créatures une dissemblance tout aussi essentielle. A. Léonard, Métaphysique de l’être, 97. » Conclusion Synthétiser à ce point le grand penseur médiéval se trouve à la limite du convenable, nous en convenons, mais le genre littéraire oblige… Rappelons que Thomas d’Aquin est théologien avant d’être philosophe et que son approche ontologique vise à parler de Dieu d’une manière intelligible et véridique. Autrement dit, la question de Dieu demeure au centre de sa préoccupation métaphysique, et c’est précisément dans ce contexte qu’on peut « extraire » une doctrine thomiste de la différence ontologique. Ce point précis – la question de Dieu – se méritera de la part de Heidegger une fin de non-recevoir dans son ontologie parce que s’imposant comme une sorte de « prêt-à-penser » facile exemptant l’effort et le courage du philosophe devant la question de l’Être. Mais l’effort de rapprochement n’est pas perdu pour autant car, dans les deux cas, l’ineffable de l’être a voulu être préservé. Un rapprochement entre Heidegger et Thomas d’Aquin Bien que Ricœur, dans la préface de l’ouvrage de B. Rioux B. Rioux, L’être et la vérité chez Heidegger et Saint Thomas d’Aquin., signale les « périls » d’une entreprise comparative, il va sans dire que le mouvement reste néanmoins presque instinctif de vouloir comparer Thomas d’Aquin et Martin Heidegger. Il vient, d’une part, du fait qu’ils ont traité la question de l’être de manière systématique, mais aussi à cause de la critique sévère adressée par celui-ci au Scolastique. L’avertissement de Ricœur vaut certainement du moins pour la différence radicale d’approche utilisée par l’un et l’autre. La question que nous nous proposons d’élucider tiendrait –malgré l’avertissement!– à celle-ci : malgré la critique heideggérienne contre l’Aquinate, les visées poursuivies par les deux étaient-elles vraiment opposées ou n’ont-ils pas tous deux voulu dire la même chose : préserver l’indicible de l’être? Pour répondre à la question, deux thèmes occuperont le théâtre de cette comparaison « périlleuse » : la question de Dieu, question apparemment incompatible entre les deux, et un exemple de rapprochement, celui des concepts de « Ereignis » chez Heidegger et de « Creatio » chez Thomas d’Aquin. La question de Dieu La critique de Heidegger vis-à-vis de saint Thomas d’Aquin concernait non seulement sa métaphysique, mais encore plus, il dénonçait le fait qu’il soit le « représentant de la pensée métaphysique A. Dartigue, «Saint Thomas d’Aquin et Heidegger d’après quelques études thomistes», 140. » parvenue à son terme. En définitive oublieuse de l’être, la métaphysique en général et la métaphysique thomiste en particulier lui semblaient avoir perdues leur élan primordial d’émerveillement de l’être — pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? —, devenant aussitôt des problématiques sur l’être de l’étant : « La distinction entre l’être et l’étant semble ne pas subsister du tout. Subsiste-t-elle, il semble qu’on puisse ignorer son existence sans causer de ‘dégâts’ particuliers » M. Heidegger, Concepts fondamentaux, Gallimard, [Paris] 1985, 43.. Si l’on prend la comparaison de la lumière, c’est tout comme si la métaphysique avait tenté de se représenter l’être à partir de ses effets sur l’étant; ne pouvant la concevoir que par sa réfraction sur les étants, la métaphysique s’est représenté l’être comme un étant, sans avoir, selon Heidegger, d’égard pour sa particularité, c'est-à-dire sa différence : « Dit en d’autres termes, elle perçoit le différent que conditionne la différence entre l'être et l'étant, mais non la différence elle-même ; ce qui va précisément se traduire par la constitution onto-théologique de la métaphysique. A. Dartigue, «Saint Thomas d’Aquin et Heidegger d’après quelques études thomistes», 139. » C’est précisément là que, pour Heidegger, la métaphysique en général et saint Thomas d’Aquin en particulier ont fait fausse route car la « différence » comme telle n’a pas été pensée : « Dans la mesure où la métaphysique pense l’étant comme tel dans sa Totalité, elle se représente l’étant dans la perspective de ce qu’il y a de différent dans la Différence, sans avoir égard à la Différence comme telle. Ce qu’il y a de différent se révèle à nous comme l’être de l’étant dans l’Universel et comme l’être de l’étant dans le Suprême M. Heidegger, Questions «Identité et différence», p. 305. ». Au cœur de cette métaphysique, la question de Dieu est perçue en dernière analyse comme un ensemble de réponses toutes faites empêchant le croyant de poser la question de l’être, d’entrer finalement dans l’aventureuse angoisse inhérente au chercher de l’être : « Celui, par exemple, pour qui la Bible est révélation divine et vérité divine, possède déjà, avant tout questionner de la question "Pourquoi donc y a-t-il l’étant et non pas plutôt rien?", la réponse, à savoir : l’étant, s’il ne s’agit pas de Dieu lui-même, est créé par Dieu. Dieu lui-même, comme créateur incréé, "est". Celui qui se tient sur le terrain de la foi peut, certes, de quelque manière suivre le questionner de notre question et y participer, mais il ne peut pas questionner authentiquement sans renoncer à lui-même comme croyant avec toutes les conséquences de cet acte. Il peut seulement faire comme si… M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, Gallimard, Paris 1967, 19. » En bref, une métaphysique oublieuse de la différence entre l’être et l’étant, portant en son sein la question de Dieu pour soutenir tout l’édifice métaphysique, ne pourra faire autrement que de considérer Dieu comme un « super étant »… Or, demande Heidegger, comment peut-on appréhender la totalité de l’Être et concevoir en même temps un Dieu, un étant, de qui émane cette totalité? Il y a contradiction. En revanche, si Dieu il y a, il doit être alors absolument inconnaissable et irreprésentable, car l’être en soi est comme tel. Heidegger oppose à la conception métaphysique (thomiste) une approche où l’Être est totalement indéfinissable car pur de tout rapport avec l’étant. On pense ici, comme nous l’avons abordé plus haut, à l’expression typique : l’Ereignis. Ainsi, l’homme, en tant que questionner de l’être, ne pourra jamais parvenir à une saisie totale de cet Être à cause de sa finitude, car lui-même est un étant. Si, par cette expression, est alors évitée toute confusion de l’Être avec l’étant — et où la différence ontologique apparaît dans toute sa luminosité —, il va sans dire qu’une telle approche comporte un prix : « Ce faisant, Heidegger décentre admirablement l'homme de ses prétentions anthropocentriques, mais c’est pour le placer finalement devant l’énigme insurmontable d’un être indéterminé et hypostasié dans son indétermination anonyme, selon la formule impersonnelle à souhait : Das Ereignis ereignet (littéralement : « l’événement évient »). Quel contraste avec l’acquis fondamental et libérateur de la pensée judéo-chrétienne, qui avait été et est d’appréhender le fond de l’être comme étant de nature personnelle!  A. Léonard, Métaphysique de l’être, 269.» Et avec l’humour qu’on lui connaît, Léonard charge à nouveau : « On peut vivre et mourir pour le Dieu vivant qui révèle son nom et sa grâce dans l’histoire. Mais qui mourra jamais pour l’être anonyme qui use de nous? Qui donnera jamais sa vie pour le « Il » du « Il y a » de l’Ereignis? Ibid. » Ainsi, la question de Dieu ne semble pas trouver réponse satisfaisante par cette entité profondément indéterminée, clé de voûte de l’architecture ontologique du second Heidegger. La solution de rechange ne convainc guère. Mais lorsqu’il s’agit de prendre la problématique en sens inverse, à savoir de partir de l’Ereignis et d’en approfondir les exigences dans le sens de ce que Thomas a vraiment dit de Dieu, nous sommes en lieu de nous poser la question : Thomas a-t-il vraiment appréhendé la question de Dieu dans le sens où Heidegger l’entend? Thomas a-t-il sombré dans l’onto-théologie, c’est-à-dire en concevant l’étant dans sa totalité sans réfléchir sur sa différence par rapport à l’être? Et la métaphysique de Thomas était-elle vraiment une métaphysique au sens où l’entendait Heidegger? Certains en doutent. Rioux relève par ailleurs chez lui un manque de connaissance suffisante de l’approche thomiste de l’être pour opérer une telle critique : « L'influence du penseur médiéval sur Heidegger ne semble pas très profonde. Tout au plus, ce dernier a-t-il commenté la première question du De veritate dans les premières années de son enseignement » B. Rioux, L’être et la vérité chez Heidegger et Saint Thomas d’Aquin., 247.. Pour le philosophe canadien, cette lecture onto-théologique de la métaphysique est pour le moins « caricaturale » lorsqu’elle est appliquée à saint Thomas, bien que cette lecture ait l’avantage de favoriser une redécouverte des études thomistes. Léonard va dans le même sens; l’hypostasiation de l’être comme tel, « comme une entité flottant en elle-même », est probablement à l’origine de la lecture réductrice que fait Heidegger de l’histoire de la métaphysique. Autrement dit, il tente de penser l’être en dehors de la finitude. « Bref, la simplification heideggérienne de l’être ne résulte-t-elle pas d’une compréhension trop indifférenciée de l’être comme différence? A. Léonard, Métaphysique de l’être, 293. » La critique de Heidegger envers saint Thomas sur la question de Dieu, à défaut d’être convenablement documentée, d’une part, et de trouver une solution de rechange satisfaisante, d’autre part, ne se trouve pas à atteindre son but. Elle laisse donc ouverte la possibilité de faire appel de la sentence… et finalement, d’opérer un rapprochement. Un rapprochement : Ereignis et Creatio J.B. Lotz a travaillé la question du rapprochement des deux géants à travers la comparaison qu’il effectue du concept de Ereignis et celui, thomiste, de Creatio J.-B. Lotz, Martin Heidegger et Thomas d’Aquin, Homme, Temps, Être, Presses universitaires de France, Paris 1988.. Il postule que, tout en gardant rigoureusement sa propre originalité, les thèmes fondamentaux de la pensée heideggérienne « sont souvent plus proches de la pensée de saint Thomas que ne le pensait Heidegger A. Dartigue, «Saint Thomas d’Aquin et Heidegger d’après quelques études thomistes», 145. ». Lotz suggère le rapprochement courageux entre l’expression « Es » dans Es gibt afin de poser la question de Dieu et du geben comme un acte proche du « créer ». Heidegger lui-même s’opposerait à cette démarche rétorquant que si Dieu il y a, il dépend essentiellement de l’Ereignis. Mais contrairement à ce que celui-ci peut penser de la notion thomiste de Creatio, elle ne tient pas d’abord du facere, mais doit être comprise comme une « émergence de la totalité de l'être et de la substantialité de toute chose à partir du non-étant, ou du néant » Ibid, 146.. Sans nous aventurer dans le détail de cette analyse, retenons deux conclusions que Lotz tire de cette mise en confrontation : « Selon ces considérations, la 'Creatio' correspond à un double égard à l’Ereignis : elle n'est pas ou 'mutatio', mais la fonde comme une source plus originaire ; de même, elle n'a pas seulement trait à l'eidos mais à la totalité de l'étant J.-B. Lotz, Martin Heidegger et Thomas d’Aquin, Homme, Temps, Être, 152. ». Ainsi, l’acte de la Creatio échappe aux catégories du « faire » et de la « relation » et doit être compris comme un événement en retrait, à la manière dont le traite Heidegger : « Ce que Heidegger appelle le retrait (Entzug) va dans cette direction. En se communiquant par la 'Creatio' de la créature, simultanément Dieu se tient à soi ou se dérobe à elle ; dans son dévoilement, il reste essentiellement voilé - le Dieu caché » Ibid, 157.. Enfin, le rapprochement de ces deux notions est confirmé par le fait que, pour saint Thomas, l’acte de la création n’est pas seulement un événement initial, mais un acte toujours présent, surgissant continuellement et rendu par le terme conservatio : « le créé est uniquement du fait qu'il est amené à l'émergence ;[...] il n'est qu'en tant que surgi dans et par l'événement de la 'creatio-conservatio' ; et il n'est jamais en mesure de sortir de l'événement et d'accéder ainsi à un état de dé-tachement de celui-ci » Ibid, 159.. Le rapprochement Ereignis-Creatio ne constitue qu’un exemple très ponctuel de rapprochement — exemple parmi d’autres qu’il est possible de faire entre les deux géants — qui permet, d’une part, de nuancer les critiques de Heidegger envers Thomas d’Aquin, mais aussi — et d’une manière réjouissante — de constater l’existence de pistes possibles de compatibilité de leur saisie de l’Être. Il ne sera sans doute jamais possible de « traduire » les résultats de l’un dans les catégories de l’autre, mais l’on peut discerner tout de même une intention commune, une attitude d’émerveillement devant le mystère de l’être. CONCLUSION C’est à regret que nous devons limiter ici notre propos sur la différence ontologique et entrer d’une manière un peu précipitée dans la conclusion. Ce faisant, nous espérons que la prudence recommandée par Ricœur a été conservée… Il nous aurait été heureux d’aller plus avant et de faire état de l’approche de Gustave Siewerth, disciple à la fois de Heidegger et de Thomas. Siewerth estime que entre autres que l’approche thomasienne de la question de Dieu a davantage accentué l’identité au détriment de la différence. Latente, cette notion pourrait permettre d’autres rapprochements avec Heidegger Voir à cet effet: R. Quoidbach, «La question de la différence en Dieu chez G. Siewerth», Revue Philosophique de Louvain 95/2 (1997), 240–253.. Hans Urs von Balthasar se livre aussi à l’expérience de mettre en dialogue ces deux génies de l’être dans le chapitre magistral Le lieu de la gloire dans la métaphysique qui traite du problème de la métaphysique. Nous nous permettons de souligner quelques points saillants. Pour Balthasar, il n’est pas possible de concéder à la différence entre l’être et l’étant un statut de mystère suprême, apaisé en lui-même. Cette différence appelle quelque chose au-dessus d’elle, comme principe plus originaire, du fait que dans l’émerveillement de l’être qui suscite la question « pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien? », il faut encore que l’être se donne comme « merveilleux ». C’est en parlant alors d’une quadruple différence de la merveille de l’être que Balthasar introduit la notion métaphysique de « gloire » : « Par la différence ontologique (qui, dans sa portée systématique, ne s'éloigne pas essentiellement de la distinctio realis thomiste), le regard doit tenter d'apercevoir la différence entre Dieu et le monde, dans laquelle Dieu est l'unique fondement suffisant aussi bien pour l'être que pour l'étant dans sa structure. La question originelle de l'être-là se découvrant lui-même, part de sa propre non-nécessité, et la contrepartie : la nécessité plus grande tout d'abord du monde et ensuite de l'être englobant, se manifestent comme insuffisamment solides pour enraciner définitivement le flottement de l'être, et pour le surmonter par des intégrations (Hegel) : il apparaît plutôt que la troisième différence laisse en suspens dans l'air l'être réel, tout autant que moi-même me découvrais en suspens, et même cette fois définitivement. La conséquence est que l'enracinement de cet être qui ne peut être ramené à aucune nécessité, renvoie en Dieu à une liberté suprême que ne pourrait avoir ni l'être (en tant que non-subsistant), ni l'étant particulier (pour autant qu'il se découvre toujours déjà dans son essence particulière). H. U. von Balthasar, La gloire et la croix, 379. » Ainsi se trouve comme replacée, dans la perspective heideggérienne, la place de Dieu comme source et principe unique de l’être, et la place de l’être comme oscillation entre Dieu et le don généreux de l’être aux étants. C’est là que se situe la notion de différence ontologique, revue et corrigée par Balthasar, dans cette liberté absolue de Dieu qui donne : « Si donc la différence ontologique comme division en deux termes doit déjà se rapporter à un principe unique (comme Plotin l'a vu avec une lucidité décisive), elle est gardée en ce qu'elle énonce de plus profond sur l'être comme le véritable « lieu de la gloire en métaphysique », à la condition que l'éclat « glorieux » de son oscillation ne se durcisse pas en une nécessité mathématique (comme finalement chez Heidegger), mais reste, comme événement d'une liberté absolue et par là d'une grâce, dans une oscillation ouverte où chaque « pôle » doit chercher et trouver son « salut » chez l'autre : l'être ne parvient à lui-même comme subsistance que dans l'essence ; l'essence ne parvient à sa réalité (et par là à la possibilité de son auto-génération et de sa perfection) que dans la participation à l'être. Ibid, 379–380. » Ainsi, la merveille de l’être renvoie inexorablement à sa source divine, dans une oscillation entre le donateur et le don, où les différences se mettent humblement à la disposition de la révélation divine. Au terme de notre parcours, il nous est permis d’affirmer que les approches thomiste et heideggérienne ne sont pas totalement incompatibles, bien que plusieurs thèses demeurent radicalement différents, notamment la question de Dieu chez Heidegger, si centrale pour Thomas d’Aquin. Il est cependant possible d’opérer, avec Balthasar, un trait d’union permettant d’apprécier leurs équivalences et d’aborder la question de Dieu en un sens qui respecte l’approche heideggérienne de la différence ontologique. Il faut aussi noter — et c’est probablement ce qui importe le plus — que les deux approches s’accordent pour contrecarrer toute velléité prométhéenne à la pensée ontologique, tendant à ramener trop facilement la totalité à la seule conscience subjective. Dans un temps qui magnifie l’étant au détriment d’une recherche légitime des fondements, l’appel de Heidegger reste profondément pertinent. Benoît XVI fait sien, en quelque sorte, cet appel en le transformant dans un sens évidemment plus thomiste, en dénonçant non seulement la perte du sens de l’être, mais la perte du sens de Dieu, qui est pour ainsi dire sa conséquence logique. Le lien intime entre Dieu et l’être non subsistant se vérifie aujourd’hui particulièrement en Occident, mais par la négative : l’oubli de l’être va de pair avec l’oubli de Dieu. Le matérialisme et l’individualisme inhérents à nos sociétés captivent l’homme et substituent en lui l’émerveillement de l’être par l’émerveillement exclusif des étants. Augustin ne déplorait-il déjà au IVe siècle pas, dans la Cité de Dieu, la conversio ad creaturas? Nous croyons, dans le même sens que H. U. von Balthasar, que « partout où l’amour ne favorise plus l’acte métaphysique englobant, cet acte se désagrège dans le scepticisme et dans l’agnosticisme et se limite à ce que l’on découvre dans le monde Ibid, 396. ». Peut-être plus que jamais auparavant, l’homme a avantage à retrouver cet émerveillement simple et beau, primordial et grandiose : pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas plutôt rien. Oui, vraiment, « Notre temps, impatient, s'active à effacer les différences entre les hommes, et à éliminer ceux qui ne supportent pas cette uniformisation. L'impatience supprime l'être, le temps et autrui. Nous devons retrouver le sens de l'être, du temps et des différences. P. Gilbert, La patience d’être : métaphysique, Culture et Vérité ; Diffusion Brepols, Bruxelles; Paris 1996. » BIBLIOGRAPHIE Balthasar, Hans Urs von, La gloire et la croix : les aspects esthétiques de la révélation. IV, Le domaine de la métaphysique, 3 : les héritages, Aubier, Paris 1983. 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La différence ontologique chez Heidegger 5 a) Le Dasein ou le questionnant de l’être 6 b) Structure fondamentale du Dasein : le souci. 7 c) Le retournement (Kehre) 9 d) Conclusion 11 2. La différence ontologique chez Thomas d’Aquin 12 a) Dieu, l’être et les étants 12 b) L’analogie de l’être 15 c) Conclusion 17 3. Un rapprochement entre Heidegger et Thomas d’Aquin 18 a) La question de Dieu 18 b) Un rapprochement : Ereignis et Creatio 21 CONCLUSION 22 BIBLIOAPHIE 27 SOMMAIRE 29 16 19 20 17