KARAPA 4
Revue d’AnthRoPologie des sociétés AméRindiennes Anciennes,
d’histoiRe et d’ARchéologie coloniAle du bAssin AmAzonien et du PlAteAu des guyAnes
décembRe 2015
KARAPA 4
Revue d’AnthRoPologie des sociétés AméRindiennes Anciennes,
d’histoiRe et d’ARchéologie coloniAle du bAssin AmAzonien et du PlAteAu des guyAnes
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Éditrice du numéro: Catherine Losier
Conception de la couverture: Catherine Losier
Relecture: Nicolas Payraud, Catherine Losier
Infographie: Catherine Losier
Coordination: Nicolas Payraud, Catherine Losier
Responsabilité des auteurs:
Les auteurs sont responsables de leurs contributions, en particulier de leurs citations et
références. L’origine des igures, tableaux, etc. doit être indiquée dans le manuscrit.
Un manuscrit proposé à la revue ne doit pas être soumis en même temps à une autre
revue, ni avoir été publié précédemment.
Les avis exprimés n’engagent que la responsabilité des auteurs des textes.
Publié avec le soutien inancier de la
Direction des afaires culturelles de Guyane
© 2015 Association AIMARA
Rémire-Montjoly, Siret: 43189562200022
www.archeoaimara.net
ISBN 1249-3422 © 2014
KARAPA 4
Revue d’AnthRoPologie des sociétés AméRindiennes Anciennes,
d’histoiRe et d’ARchéologie coloniAle du bAssin AmAzonien et du PlAteAu des guyAnes
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Table des maTières
Bilan de la recherche archéologique en guyane en 2014
4
rites funéraires précolomBiens de l’île de cayenne : l’exemple du site de
momBin ii, rémire-montjoly
8
le centre d’archéologie amérindienne de Kourou, la question de la valorication
d’un site archéologique précolomBien
20
la tradition arauquinoïde en guyane française : les cultures BarBaKoeBa et
thémire
25
« cayenne hollandaise », claes jan langedijcK et quirijn spranger
27
archéologie funéraire en guyane française : le cimetière de l’haBitation
jésuite loyola. fouille programmée de 2014
39
la poterie des jésuites : croissance et déclin d’un atelier du xviiie siècle
43
l’haBitation Beauregard, 1665-1890
50
la « résidence » du gouverneur montravel à montjoly
58
les techniques de l’orpaillage artisanal à
impacts dans le paysage
saül (guyane française), vestiges et
73
mise en place d’un système d’information géographique dans le domaine
culturel
89
bilan de la recherche archéologique en guyane en 2014
nicolas payraud, conservateur de l’archéologie
de guyane
4
L
'année 2014 a été plutôt contrastée pour l'archéologie guyanaise, qui a tourné au ralenti au premier
semestre – seulement deux diagnostics archéologiques pendant les six premiers mois de l'année !
– avant de retrouver un rythme plus habituel au
second semestre, pendant lequel se sont déroulés 12
chantiers. La faute en incombe à une longue saison
des pluies, toujours peu propice à l'organisation de
chantiers, mais aussi à une conjoncture économique
diicile, qui a poussé de nombreux aménageurs à
reporter leurs projets à la in de l'année, voire à 2015
et donc à limiter le nombre d'opérations d'archéologie préventive. En témoigne le fait que, sur 73
dossiers d'urbanisme reçus au service de l'archéologie
dans l'année – un nombre en chute libre en comparaison avec les 105 de l'année précédente – 30 ont
été traités après le 1er septembre. Cette légère reprise
laisse augurer d'une année 2015 plus active dans
le domaine de l'archéologie préventive, sans pour
autant avoir des conséquences trop lourdes pour le
patrimoine guyanais. C'est un paradoxe qu'il convient
de toujours rappeler : la plupart des découvertes
archéologiques sont aujourd'hui réalisées en amont
de travaux de construction, lors d'opérations dont le
but principal est de préserver, par l'étude, la connaissance de sites destinés à disparaître. Cependant, la
recherche archéologique en Guyane ne se limite pas
aux seules opérations préventives et demeure très
diverses quant à ses méthodes, ses acteurs et ses objets
d'étude, ce qui a justiié de relancer, en in d'année,
une journée régionale de l'archéologie, tenue le 6
décembre à Rémire-Montjoly.
des recherches essenTiellemenT concenTrées dans l'île de cayenne
L'activité archéologique en Guyane est traditionnellement concentrée dans la bande littorale et l'année
2014 n'aura pas dérogé à la règle, puisqu'une seule
opération – une prospection pédestre menée par
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Pierre Rostan (IDM Tethys) dans le secteur de la
Montagne d'Or, dans la commune de Saint-Laurentdu-Maroni – a été menée loin du littoral. Il faut même
aller plus loin et souligner la place centrale occupée
par l'île de Cayenne, où se sont déroulés cette année
9 chantiers : 2 à Cayenne et 7 à Rémire-Montjoly.
Seuls trois diagnostics (à Kourou, Macouria et
Mana) et deux prospections (à Régina et, donc,
Saint-Laurent-du-Maroni) ont été réalisés hors de
l'agglomération cayennaise.
Le simple énoncé de ces communes rappelle à
quel point la carte des opérations archéologiques
est intimement liée à celle des projets d'aménagements. Ainsi, sur quatorze opérations, on compte
neuf diagnostics et deux prospections liées à des
projets d'aménagement : celle de Pierre Rostan, déjà
évoquée, réalisée dans le cadre d'une étude d'impact
et celle de Nathalie Cazelles (AIMARA) sur le site
de l'habitation Beauregard, à Rémire-Montjoly,
destinée à apporter au service de l'archéologie et à la
commune des éléments pour faire face à l'urbanisation croissante du secteur.
D'ailleurs seules trois des quatorze opérations
menées en Guyane en 2014 ont été motivés exclusivement par des projets de recherche : ce sont les
nouvelles campagnes de fouilles menées à RémireMontjoly sur les sites du cimetière de Loyola par
Zocha Houle-Wierzbicki (université Laval) et de la
Poterie des jésuites par Catherine Losier (université
des Antilles) et une prospection autour d'un bateau
échoué sur la rive de l'Approuague à Régina, sous la
conduite de Michelle Hamblin (service de l'archéologie). La poursuite de la fouille de la montagne
couronnée de Fortunat-Kapiri, dirigée par Mickaël
Mestre (INRAP) a été reportée à 2015.
Dans les zones moins soumises à la pression des
aménageurs, les projets sont plus rares, surtout en
raison des diicultés matérielles qu'implique l'organisation de chantiers. Le service de l'archéologie a
cependant accompagné le démarrage d'une étude
des traces matérielles de l'orpaillage ancien à Saül,
réalisée par Pierre Rostan en partenariat avec le parc
amazonien de Guyane et l'association AÏMARA,
inancée par le programme européen LEADER et
poursuivie en 2015.
archéologie amérindienne : des connaissances en plein renouvellemenT
En archéologie amérindienne, l'année 2014 aura
d'abord été l'occasion de revenir dans des secteurs
déjà explorés dans le passé et d'avancer dans l'étude
de données anciennes.
A l'occasion d'un diagnostic archéologique lié au
projet de réaménagement de la colline de Montravel,
porté par le Conseil général, dont il sera de nouveau
question plus loin, Mickaël Mestre a ainsi eu l'occasion
de procéder à des sondages sur un site précolombien
découvert par Stéphen Rostain (CNRS) il y a près
de 30 ans. Ce type d'intervention, à défaut de livrer
beaucoup d'informations complémentaires, permet
de vériier l'état de sites potentiellement menacés par
l'érosion ou la montée des eaux.
De son côté, Sandrine Delpech (INRAP) a pu avancer
dans l'étude d'ensembles de céramique découverts en 2012 sur le site de Mombin 2, interprétés
comme des structures funéraires amérindiennes,
probablement précolombiennes. Le corpus de sites
demeurant restreint et presque exclusivement limité
à l'île de Cayenne (sites de Chennebras et Kreola
Park), le service de l'archéologie a mis en place une
stratégie de prescription de diagnostic systématique
dans les secteurs pouvant abriter ce type de vestiges,
notamment le lanc occidental du massif du Mahury ;
de nouvelles fouilles préventives, attendues en 2015,
devraient permettre de mieux comprendre la nature
et la chronologie de ces sites.
A Mana et à Kourou, deux diagnostics portant sur
des secteurs de cordons littoraux ont rappelé le
potentiel extrêmement important de ces formations
sur le plan archéologique. Jérôme Briand (INRAP) a
ainsi mis au jour une petite occupation amérindienne
à proximité du site déjà connu de Crique Jacques,
qu'il a été possible de préserver en accord avec
l'aménageur. C'est d'autant plus intéressant que ce
Karapa, vol. 4, décembre 2015
diagnostic a aussi permis de constater, une nouvelle
fois, l'impact considérable sur le sous-sol des travaux
de déforestage. Dans le même ordre d'idée, une
prospection réalisée par le service de l'archéologie à
Macouria, dans le cadre de l'instruction d'un permis
de construire, a entraîné la découverte de mobilier
témoignant de l'existence d'une occupation amérindienne sur un terrain où des terrassements avaient
pourtant déjà eu lieu. Ces deux exemples démontrent
que ce type de travaux n'eface pas toujours toute
trace des occupations anciennes et justiient ainsi
largement la réalisation d'opérations d'archéologie
préventive.
A Kourou, le premier diagnostic réalisé dans le cadre
du projet Ariane 6, sous la conduite de Sandrine
Delpech, a permis la découverte d'un site spectaculaire, où des amas de galets rappelant ceux d'Eva 2
(2000 av. J.-C.), sont recouverts de dépôts sableux
au sein desquels se succèdent deux occupations
attribuées au groupes Koriabo (XIe-XVe siècles) et
Eva-Galibi (XVIIIe-XXe siècles). Il pourrait s'agir,
pour les périodes récentes, d'un exemple exceptionnel
de réoccupation de site avec glissement du centre de
l'occupation d’un emplacement à l'autre. Le CNES
ayant renoncé à exploiter la carrière concernée, ce
site est, pour l'heure, préservé dans l'enceinte du
centre spatial guyanais.
Enin, des indices de sites amérindiens ont été découverts lors des prospections réalisées par Pierre Rostan
sur la Montagne d'Or et Jérôme Briand à RémireMontjoly, sur la route des plages, deux secteurs déjà
partiellement explorés dans le passé, mais où chaque
nouvelle opération révèle des informations inédites.
archéologie coloniale : une période de
TransiTion
Deux programmes de recherche concernant la
période coloniale se sont poursuivis en 2014. L'étude
du cimetière de l'habitation Loyola (XVIIIe siècle) a
ainsi été achevée par Zocha Houle-Wierzbicki, tandis
qu'une nouvelle campagne de fouille a été réalisée par
Catherine Losier sur le site de la Poterie des Jésuites,
dans le cadre du programme de recherche sur les
céramiques métissées en Guyane. Dans les deux cas,
les résultats de ces fouilles doivent être interprétés à
plusieurs niveaux. Celle du cimetière est ainsi venue
avant tout préciser l'organisation et les limites de
5
6
ce dernier, n'apportant pas forcément un éclairage
nouveau sur l'histoire de Loyola, mais permettant
la constitution d'un corpus de données qui pourrait
s'avérer extrêmement utile en cas de fouille future
d'un autre cimetière. La fouille de la Poterie des
Jésuites a, inversement, soulevé plus de questions
qu'elle n'a apporté de réponses : la découverte d'un
four a conirmé qu'il s'agissait bel et bien du site
d'un atelier de potiers, qui reste encore largement
à étudier en lui-même, mais elle a aussi conduit à
prolonger d'un an l'étude des céramiques métissées,
ain de permettre le traitement du corpus mobilier
considérable rassemblé en trois ans.
Deux probables sites d'habitations jusque-là inconnus
ont été partiellement prospectés au cours de cette
année, l'une sur la rive gauche de l'Approuague par
Michelle Hamblin et l'autre sur la route des plages par
Jérôme Briand. Dans ce dernier cas, la cartographie
ancienne permet de l'assimiler à l'habitation Métifeu,
potentiellement occupée dès la in du XVIIIe siècle,
tandis que l'autre devra sans doute faire l'objet de
recherches complémentaires.
Deux diagnostics réalisés par Sandrine Delpech à
Cayenne ont pris la suite des opérations qu'elle avait
auparavant menés place Léopold Héder et sur le site
de l'ancien hôpital Jean Martial. Si les découvertes
efectuées dans le cadre de ces derniers chantiers sont
modestes, elles témoignent néanmoins de diférentes
périodes de l'histoire de la ville depuis le XVIIIe siècle.
L'accumulation de ce type de données ponctuelles
pourrait permettre de renouveler, à terme, nos
connaissances sur la formation et l'évolution du tissu
urbain cayennais.
La campagne de prospection conduite par Nathalie
Cazelles dans le secteur de Beauregard, à l'initiative
du service de l'archéologie, est la première opération
archéologique jamais menée sur cette habitation,
dont l'histoire remonte au XVIIIe siècle, mais qui prit
son essor surtout après le démantèlement du domaine
de Loyola, au point de devenir le noyau du bourg de
Rémire. La question du devenir de ces vestiges, dont
un spectaculaire barrage hydraulique, se posera sans
doute très rapidement, tant la pression immobilière
est forte sur les lancs du Mahury.
Lors d'un diagnostic sur le mont Attila Cabassou,
Mickaël Mestre a eu l'occasion d'étudier les vestiges
d'une case construite dans les années qui suivent
Karapa, vol. 4, décembre 2015
l'abolition de l'esclavage, dans une zone lotie entre les
anciens esclaves. C'est un témoignage précieux pour
mieux comprendre ce moment crucial de l'histoire
guyanaise, dont les aspects pratiques ont encore peu
été étudiés par les historiens.
Enin, toujours à Rémire-Montjoly, le même Mickaël
Mestre a mené, dans le cadre d'un diagnostic déjà
évoqué, une étude déjà très riche sur l'habitation
du gouverneur Tardy de Montravel, à travers la
confrontation des archives et d'observations sur le
terrain. Après l'hôpital Jean Martial et le camp de
la Transportation de Saint-Laurent-du-Maroni, c'est
la troisième fois en peu de temps que l'archéologie
préventive permet d'aborder sous un angle nouveau
ces grands projets du XIXe siècle.
On peut ainsi considérer que l'archéologie de la
période coloniale en Guyane connaît une période
de transition, entre des recherches au long cours
portant principalement sur les habitations des
XVIIIe-XIXe siècles, dont les travaux menés depuis
une vingtaine d'années sur l'habitation Loyola sont
l'exemple le plus évident et l'apparition de nouvelles
problématiques, comme celle de la formation des
centres urbains. L'expansion continue de ces derniers
risque en efet de faire progressivement disparaître
toute trace d'un passé qui peut encore sembler récent,
d'où la mise en place par le service de l'archéologie
d'une stratégie d'étude systématique dans les secteurs
les plus menacés.
quelles perspecTives ?
Le bilan de la recherche archéologique en Guyane
en 2014 est inalement assez contrasté. Si le ralentissement de l'activité économique a eu un efet
très net sur l'archéologie préventive, les opérations
réalisées ont tout de même permis d'aborder une
multitude de contextes diférents et de mettre au
jour des vestiges de toutes périodes. Inversement, les
recherches programmées n'ont porté que sur des sites
de l'époque coloniale, limitant le dialogue pourtant
nécessaire entre ces deux branches complémentaires
de la recherche archéologique.
Les années à venir pourraient sensiblement changer
ce rapport, tout d'abord en raison de l'apparition ou
du redémarrage de grands projets d'aménagement
(Ariane 6, barrage de Maripasoula, zones d'activités,
etc.) qui devraient mobiliser une grande partie des
moyens de l'INRAP. Le service de l'archéologie a
ainsi un rôle essentiel à jouer, pour que ces grands
projets n'empêchent pas de maintenir une politique
volontariste en matière d'archéologie préventive,
notamment à travers l'étude systématique des zones
soumises à la pression urbaine (centres historiques,
périphérie des grandes agglomérations). Cela passe
aussi par un investissement direct du service, à travers
des prospections préalables, le suivi de travaux ou
encore la commande de relevés au LIDAR pour
disposer de données détaillées concernant les zones
les plus sensibles. Cela conduit également à mette en
place une programmation de la recherche susceptible
de mieux compléter l'activité préventive, à travers une
diversiication des thématiques et des lieux d'étude.
L'année 2015 devrait ainsi voir la réalisation d'opérations plus nombreuses hors de l'île de Cayenne,
certaines portant sur des sites amérindiens.
Il convient aussi de rappeler que l'archéologie n'a
pas de sens si elle reste coupée du monde. Il convient
de présenter les résultats de toutes ces recherches au
grand public : c'est le sens de la renaissance de la
journée régionale de l'archéologie en 2014, mais aussi
celui du soutien apporté par le service de l'archéologie aux musées de Guyane et au centre d'archéologie amérindienne de Kourou, seul lieu entièrement
consacré à l'archéologie dans la région, dont l'histoire
récente été rappelée lors de la journée en question
par Bérénice Valot. Cela passe aussi par une inscription de l'action du service dans celle de la DAC, à
travers notamment une collaboration permanente
avec la conservation des monuments historiques, dont
témoigne la mise en place d'un système d'information
géographique à vocation patrimoniale élaboré par
Juliette Berger, lui aussi présenté lors de la journée
régionale. Le service de l'archéologie accueille aussi
régulièrement des stagiaires de tous niveaux, ce qui
ne peut malheureusement pas pallier à l'absence
– provisoire, espérons-le – de formation consacrée
à l'archéologie dans l'enseignement supérieur en
Guyane.
Enin, comment évoquer l'avenir sans rappeler que
l'archéologie a une place importante dans le projet
de maison des cultures et de mémoire de la Guyane,
entre autres, mais pas seulement, parce que le site de
la MCMG à Rémire-Montjoly abritera un centre
de conservation et d'étude, outil destiné à faciliter le
travail des chercheurs et la conservation des archives
Karapa, vol. 4, décembre 2015
du sol. Il reste donc aux chercheurs de Guyane et
d'ailleurs à lui donner encore plus de sens en continuant à s'investir dans l'étude du patrimoine archéologique guyanais.
7
riTes funéraires précolombiens de l’île de cayenne : l’exemple du siTe de
mombin ii, rémire-monTjoly
sandrine delpech, inrap
8
S
ituée en bordure nord-est de l’Amérique méridionale dans le département français ultramarin de la
Guyane, la presqu'île de Cayenne est ceinturée par
l'océan Atlantique au nord, la rivière Cayenne à
l'ouest, l'estuaire du Mahury à l'est et par la rivière
du Tour de l'Île au sud. Le Bouclier Précambrien y
aleure le long du rivage atlantique, sous la forme
d’îlots rocheux couverts de végétation au large des
communes de Cayenne et Rémire-Montjoly. Le site
de Mombin II est localisé sur cette dernière, au pied
du lanc ouest d’une colline nommée montagne à
Colin, et au bord de la route départementale 2 reliant
le vieux bourg de Rémire à celui de Montjoly. La
parcelle est constituée d’un terrain en pente douce
entre 8 et 12 m d’altitude vers l’est redescendant vers
une dépression ennoyée, et se situe sur des terrains
sédimentaires moyens de type Coswine composés de
sols argilo-sableux comprenant de nombreux blocs
de dolérite issus du massif voisin.
opéraTions archéologiques eT premiers
résulTaTs
En 2011 une première campagne de sondages
mécaniques, a été prescrite par le Service de
l’Archéologie de la DAC Guyane en amont de la
construction de logements en zone périurbaine. Les
ouvertures réalisées à l’aide d’une pelle mécanique de
20 tonnes avaient alors décelé la présence de structures fossoyées anciennes contenant des niveaux de
tessons de céramiques (igure 1), enfouies à environ 50
cm de profondeur (Delpech 2011b). Étant donné le
caractère innovant de ces découvertes, évoquant des
fosses à vocation funéraire peu étudiées jusqu’alors
en Guyane et plus précisément sur l’Île de Cayenne,
une fouille extensive menée sous la responsabilité
de l’Inrap a été réalisée l’année suivante sur une
surface totale de 1175 m². Le décapage mécanique
des couches supérieures n’ayant mis au jour aucun
Figure 1 Dépôts fossoyés de céramiques © S. Delpech-Inrap 2015.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
9
Figure 2 : Site de Mombin II © S. Delpech-Inrap 2015
Karapa, vol. 4, décembre 2015
10
niveau de sol, les vestiges se limitent donc à des fosses
majoritairement oblongues creusées dans le substrat.
Il faut souligner que les creusements n’étaient pas
visibles dans les niveaux supérieurs et que dans la
plupart des cas seule la présence de tessons a permis
de détecter les structures avant le niveau latéritique
induré.
organisaTion de la nécropole
Outre les huit structures détectées lors de la première
opération archéologique, la fouille a permis la mise
au jour de dix-huit fosses supplémentaires regroupées en cinq îlots de deux à dix fosses chacun. Une
typologie des structures a pu être mise en place
selon les modes opératoires de dépôts, déinissant
huit modèles diférents : à lits de tessons, à dépôts
de céramique entières, fosses perturbées, à blocs et
dépôts de vases, à platines, à grands tessons, vides, et
indéterminées. Parmi ces structures il a été possible
d’identiier sept recoupements impliquant onze
fosses, dont une majorité dans le secteur 2 (igure 2).
Ces perturbations post-dépositionnelles successives
peuvent s’expliquer par un marquage éphémère ou
inexistant des fosses lors des dépôts, ainsi que par des
occupations diachroniques du site sur une longue
période : des fragments de charbons découverts dans
les fosses ont été datés par radiocarbone et les résultats
calibrés indiquent une occupation comprise dans une
fourchette chronologique de près de 250 ans, allant
du Xe au XIIIe siècle de notre ère (1097 ± 28BP /
854 ± 27BP) .
ainsi que plusieurs vases partiels déposés renversés
ou accolés à d’autres (igure 4). Certains dépôts
renfermaient des fragments de plaques en céramique
(platines à manioc), habituellement destinées à la
cuisson de galettes de manioc et réemployées ici
sans doute en cofrage. Certaines plaques semblent
avoir basculé vers l’intérieur de la structure, ce qui
corrobore l’hypothèse de la disparition d’un élément
sous-jacent. Une autre fosse se diférenciait de
l’ensemble car remplie dans sa partie supérieure de
nombreux blocs de dolérite (igure 5), lesquels ont été
déposés au-dessus de trois céramiques entières dont
deux accolées l’une à l’autre et placées à l’envers.
Typologie des dépôTs
Les fosses à lits de tessons correspondent à des creusements de forme allongée ou ovoïde et en cuvette.
Leur fouille a mis au jour un voire deux niveaux de
tessons disposés en grande partie à plat, et répartis
de manière homogène. Les tessons trouvés sur les
bords et contre les parois avaient une inclinaison très
prononcée, voire même verticale, indiquant un afaissement homogène de l’ensemble (igure 3). Sous ces
lits de tessons, des poteries entières ou partielles ont
été parfois découvertes, disposées retournées à l’une
des extrémités des fosses. Deux structures comportaient des dépôts de céramiques entières retournées,
parfois empilées les unes dans les autres. L’une de ces
fosses, de dimensions plus restreintes, contenait quant
à elle deux grandes jattes retournées à ses extrémités,
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Figure 3 Fosse à lits de tessons © S. Delpech-Inrap 2015
inTerpréTaTion
Ces structures anthropiques témoignent donc de
rites nécessitant l’enfouissement de poteries entières
et retournées vraisemblablement par-dessus un
élément à protéger. Les lits de tessons surmontant
certains de ces dépôts présentent un afaissement
général homogène ainsi qu’un basculement vertical
des fragments situés vers les bords, ce qui peut être
interprété par la disparition lente d’un élément
sous-jacent présent tel qu’un corps allongé. On peut
donc supposer que ces vestiges ont une vocation
funéraire et ont été disposés sur le défunt ain de le
11
Figure 4 : Vases retournés © S. Delpech-Inrap 2015
Figure 5 : Blocs recouvrant des poteries © S. Delpech-Inrap 2015
protéger. Cependant, en l’absence de vestige osseux
dans les structures, des prélèvements méthodiques
de sédiments ont été réalisés au cours de la fouille
en privilégiant notamment les zones susceptibles
de contenir des traces de marqueurs parasitaires
résultant de la décomposition de corps. Une sélection
d’échantillons a été envoyée au laboratoire de l’Université de Franche-Comté pour des analyses de
paléoparasitologie : les premiers résultats n’étant pas
concluants, il faudra certainement reconduire ces
études avec de nouveaux échantillons, voire opter
pour des analyses de taux de phosphate présents dans
Karapa, vol. 4, décembre 2015
ces fosses, élément déterminant notamment de la
présence d’ossements.
sources hisToriques eT eThnologiques
Les rites funéraires amérindiens sont mentionnés dès
le XVIe siècle dans les récits de voyage des colons
européens et apparaissent très diversiiés : crémation,
momiication, endocannibalisme, immersion, dépôt
à l’air libre, dépôt en urne, inhumation... Plusieurs
études comparatives plus récentes (Roth 1924,
Métraux 1947, Chaumeil 1997) ont permis d’établir
un inventaire exhaustif des pratiques inhérentes aux
12
diférentes nations amérindiennes depuis l’Orénoque
jusqu’au Brésil dont les principales sont rappelées ici.
sanctuarisés comme des grottes ou enterrées dans des
cimetières (Métraux 1947).
En premier lieu, la crémation du défunt ainsi que tous
ses objets personnels : par exemple, chez les Waiwais
du Guyana les cendres et les fragments d’os étaient
placés dans une poterie, couvert d’un deuxième pot
et laissé sur place, ou bien un trou était creusé pour
y jeter les quelques os restants recouverts ensuite
d’un pot retourné (Farabee 1924). Chez les Indiens
Guayaki du Paraguay et du Brésil cette crémation
était suivie d’endocannibalisme avec l’ingestion
des cendres et des fragments d’os dans une boisson
(Clastres 1968).
Autre mode funéraire, le dépôt à l’air libre (igure
6) consistait à enfermer le corps dans un contenant
végétal - tronc d’arbre creusé, canoë, ballot de feuilles
de palmier - puis à le disposer sur des tréteaux à l’air
libre ou sous un carbet comme les Guaraounos de
l’Orénoque (Crevaux 1883).
Certains groupes amérindiens conservaient les os : il
s’agissait alors de décharner le corps soit en le laissant
pourrir à l’air libre soit dans son hamac à l’intérieur
du carbet familial voire dans un endroit isolé, soit en
l’enterrant jusqu’à la disparition complète des parties
molles comme chez les Mbyá-Guarani du Paraguay
(Allard 2000) ; les Indiens Guaraunos sur l’Orénoque
immergeaient quant à eux le corps dans une crique
pour que les poissons mangent les chairs (Bellin 1763).
Les os étaient ensuite récupérés pour être conservés
soit dans des poteries, des vanneries ou même des
calebasses, voire exposés à la vue de tous dans les
carbets (Raleigh 1722). Les reliques pouvaient aussi
être placées en urne et conservées dans des espaces
enTerremenT du corps
Les inhumations avaient le plus souvent lieu dans le
carbet où était survenu le décès, voire dans un autre à
vocation funéraire : le corps était quasiment systématiquement enveloppé dans son hamac, ou dans une
natte, puis déposé dans une fosse, en position assise,
fœtale ou allongée. Certaines pratiques indiquent
clairement une volonté de protéger le corps d’un
contact direct avec la terre : un tapis de végétaux
pouvait être préalablement placé au fond du trou,
ou bien le corps était déposé sur un élément en bois
comme un siège ; il pouvait même être suspendu
par son hamac à quelques centimètres du fond de la
fosse à l’aide de poteaux (igure 7). Les objets ayant
appartenu au défunt étaient alors soit déposés à ses
côtés soit complètement détruits. Il pouvait arriver
qu’un animal familier soit enterré avec lui, parfois
même un ou plusieurs esclaves. Dans le cas d’un
Figure 6 Dépôt à l’air libre © Cercueil des Guaraounos, Morin 1881
Karapa, vol. 4, décembre 2015
13
Figure 7 Sépulture d’un piay, suspendu dans la fosse © gravure de Riou, Crevaux 1883
homme, il arrivait aussi que l’une de ses femmes soit
ensevelie vivante avec lui (Roth 1924).
Lors de la fermeture de la tombe, le corps pouvait
être recouvert par des végétaux, parfois associés à de
la terre glaise pour rendre la fosse hermétique aux
insectes (Bellin 1763). Des dépôts de nourriture placés
dans ou sur la sépulture devaient apaiser l’esprit du
mort – ce qui peut expliquer certains dépôts de vases
non retournés dans les fosses de Mombin II - et un feu
était souvent allumé et maintenu pendant plusieurs
jours sur la tombe, plus vraisemblablement par souci
d’hygiène. Enin, si le lieu de l’inhumation était
extérieur au carbet, il pouvait être marqué dans le
paysage soit par de simples végétaux, par la construction d’un abri ou le dépôt d’un canoë retourné (Roth
1924). Dans le cas d’une nécropole à l’air libre, la
disparition de ces marqueurs périssables pourrait
expliquer que certaines fosses aient été perturbées par
le creusement de nouvelles, comme les recoupements
mis au jour à Mombin II. Quelques exemples de
regroupements d’inhumations dans des zones dédiées
sont connus, soit sous la forme de villages abandonnés (Pétesch 1992), soit comme chez les Indiens du
Rio Uaupès sur l’Amazone avec la concentration de
plus de cent sépultures dans un grand carbet (Roth
1924), ou encore dans des zones à l’écart du village
parfois réservées aux « piayes » (Im Thurn 1883).
Karapa, vol. 4, décembre 2015
inhumaTions avec dépôTs de céramiques
De même, les pratiques funéraires relatées pour la
Guyane depuis la colonisation jusqu’aux travaux
ethnologiques du XXe siècle sont très diversiiées
(crémation, endocannibalisme, conservation des
os, dépôt en urne ou à l’air libre). Cependant, peu
d’exemples d’inhumations en fosses associées à des
dépôts de céramique sont observés : ainsi lors du
passage du Sieur de la Ravardière sur les côtes de
Guyane en 1604, Jean Mocquet témoigne indirectement d’inhumations parmi les Caribes de l’Ile de
Cayenne :
« (…) ils se levoient pour faire bonne chère (…) et
faisoient le festin sur la fosse de leurs maris et amis
morts, estimans l’avoir ainsi bien obligé : car ils
croient l’immortalité des âmes » (Mocquet 1617).
En 1744 le médecin du Roy Artur décrit quant à lui,
lors d’une expédition en compagnie de La Condamine
et d’Orvilliers dans l’Ile de Cayenne (vers Roura), une
inhumation avec au moins un vase retourné :
« Il en avait enterré depuis peu de jours un autre dont
nous reconnûmes aisément la fosse à la puanteur qui
en sortait quoy qu’elle fut recouverte par une grande
jarre renversée sur elle. (…) ils se contentent de creuser
un trou peu profond dans lequel ils ne peuvent placer
leurs morts qu’accroupis, la tête presque à leur de
terre (…) quoyqu’ils recouvrent cette espèce de fosse
de quelque grand vaisseau de terre cuitte » (Artur
2002).
14
Autre exemple plus récent rapporté par l’ethnologue
P. Grenand en 1982 : chez les Wayãpis de Guyane
« les morts dont l’âme risque d’être dangereuse pour
les vivants, en particulier celle des chamanes » sont
enterrés en position fœtale avec une urne retournée
sur la tête (Grenand 1982).
On peut aussi citer le cas plus éloigné (Nord-Ouest de
l’Amazone) de groupes amérindiens qui enterrent les
femmes avec leurs poteries, lesquelles sont brisées lors
de la cérémonie funéraire et placées dans la tombe :
Figure 8 : Inhumation avec poterie retournée sur la tête
© Thevet 1558
« Among the Kuretu-language group, when a woman
dies, her pots are broken before they are placed in the
grave (…) » (Whifen 1915).
De même des dépôts de poteries dans les tombes sont
attestés chez certains Indiens Caraïbes des Petites
Antilles : ainsi vers 1618-1620 un récit de voyage de
l’« anonyme de Carpentras » rapporte que « lorsque
quelqu’un meurt l’on tue tous ses esclaves (…) et on
les enterre en même fosse au-dessous de lui ; avec
une terrine sur la tête pour lui faire cuire son poisson
même » (Verrand 2001). Laborde témoigne à son
tour que lors de l’enterrement « ils font la fosse dans
la case (…) ils le posent dedans assis sur ses talons (…),
la face en haut ayant deux petits Canaris [poteries]
posés sur ses yeux, ain qu’il ne voye ses parens, et ne
les rende malades. (…) Ils y jettent encore quelques
Canaris et ustansiles (…) » (Laborde 1674).
Karapa, vol. 4, décembre 2015
sources archéologiques
Entre 2004 et 2015, des opérations archéologiques
préventives menées par l’Inrap en amont de travaux
d’aménagement du territoire dans l’Île de Cayenne,
ainsi qu’une prospection-inventaire réalisée par
la DAC Guyane autour du Mahury, ont permis de
repérer plusieurs sites contenant des fosses à dépôts
similaires à ceux de Mombin II (igure 9), majoritairement concentrés sur la commune de RémireMontjoly.
En premier lieu, le site de Katoury (Mestre 2005),
aujourd’hui remplacé par le lotissement du même
nom à Cayenne, dont la fouille en 2004 avait livré
un site d’habitat précolombien du Néoindien récent
(800-1400 AD) avec des puits d’eau douce, d’extraction d’argile, et des zones dépotoirs. À la périphérie de
cette occupation, une fosse contenant de grandes jattes
retournées aux extrémités et considérée à l’époque
comme une fosse dépotoir, pourrait aujourd’hui, à la
lumière des dernières découvertes, être revue comme
une possible inhumation (igure10). Ce modèle se
retrouve aussi sur le site de l’Ecolodge-Stoupan,
découvert en 2010 lors d’une prospection mécanique
précédant un projet d’aménagement touristique sur
la commune de Roura (Delpech 2010a). Plusieurs
tranchées avaient alors mis au jour de nombreuses
fosses à dépôts céramiques (igure 11), soit remplies
de tessons, soit de vases entiers retournés dont l’une
d’entre elles contenait des fragments d’os brûlés.
À Rémire-Montjoly, plusieurs sites présentant les
mêmes types de vestiges ont été répertoriés : tout
d’abord celui de Chennebras, fouillé en 2010 et 2012,
qui a permis de mettre au jour de nombreux dépôts
céramiques du Néoindien récent (1000-1400 AD)
dans des fosses allongées (igure12), avec toujours ces
grandes jattes retournées aux extrémités, et de larges
tessons disposés à plat (Delpech 2010b). Le diagnostic
de Kreola Park attenant au site précédent a détecté
plusieurs fosses contenant des dépôts de vases entiers
retournés ou des niveaux de tessons (Delpech 2011a)
qui sont aujourd’hui dans l’attente d’une fouille
extensive prochaine.
Le site des Anses du Mahury quant à lui correspond à
une découverte fortuite provoquée par des travaux de
terrassement d’un projet immobilier situé sur la Route
des Plages : les engins mécaniques ont mis au jour
deux fosses allongées sous les niveaux archéologiques
15
Figure 9 © BD ORTHO ® S. Delpech Inrap 2015
arasés (igure13), dont la fouille sommaire a dégagé
de grands tessons disposés à plat ainsi que des vases
entiers (Samuelian 2007). De plus la fouille préventive
du Cimetière Paysager Poncel (van den Bel 2013),
réalisée en 2010 à proximité du Quartier Arc-en-ciel
à Rémire-Montjoly, a révélé un site d’occupation
précolombien daté du Néoindien récent (900-1400
AD) dans lequel plusieurs fosses à possible vocation
funéraire ont été relevées, dont certaines similaires
aux dépôts évoqués précédemment.
Enin le site de Mombins III repéré récemment lors
d’une nouvelle campagne préventive de sondages
mécaniques (Mestre 2015) : localisé à quelques
Karapa, vol. 4, décembre 2015
centaines de mètres du site de Mombin II et fouillé
très récemment, il présente les mêmes types de structures fossoyées en cours d’étude au moment de la
rédaction de cet article.
synThèse
Les découvertes, efectuées au cours des dix dernières
années, d’un échantillonnage minimum de 76 dépôts
fossoyés répartis sur 8 sites ont permis de mettre en
place une première étude typologique de ces structures révélant un mode de dépôt attribué à la culture
matérielle dite de l’Île de Cayenne déinie sur les sites
de Thémire en 1991 (Rostain 1994 ) et Katoury en
(Mombin II, Anses du Mahury), amène de nouveaux
questionnements quant à l’appartenance exclusive de
ces types de dépôts à un seul groupe précolombien.
16
Figure 10 Dépôt de vases retournés, site de Katoury
© S. Jérémie-Inrap 2005
2004 (Mestre 2005). En efet, les séries céramiques
mises au jour dans ces fosses présentent des caractères morphologiques et stylistiques inhérents aux
groupes précolombiens identiiés autour de Cayenne,
tels que des jattes et des bouteilles à incisions obliques
enchevêtrées et/ou bandeau rouge sublabial. Les
datations obtenues lors des diférentes opérations
archéologiques ont établi une fourchette chronologique correspondant au Néoindien récent (900-1400
AD) et viennent corroborer l’attribution culturelle.
Toutefois, alors que ces types de dépôts semblent
récurrents sur l’île de Cayenne, il faut rappeler que
leur répartition actuelle est induite par le nombre
important d’opérations d’archéologie préventive liées
à la croissance exponentielle des zones urbaines et
périurbaines entre Cayenne et Matoury. La mise au
jour de deux fosses similaires sur le site de Tukuwali
à Awala Yalimapo (Coutet 2010), dont les dépôts
de grands tessons à plat – datés entre 1050 et 1300
AD - rappellent certaines fosses de l’île de Cayenne
Karapa, vol. 4, décembre 2015
En ce qui concerne l’interprétation de ces structures
fossoyées comme modes funéraires, l’absence d’os
dans celles-ci peut évidemment être sujet à caution.
On peut ainsi s’interroger sur le fait que des fragments
osseux sont parfois conservés dans les urnes alors que
ces inhumations supposées en pleine terre ne laissent
aucun vestige organique. Les études en cours et les
fouilles à venir permettront peut-être de conirmer
cette hypothèse par le biais d’analyses complémentaires (paléoparasitologie, phosphates, amidons…).
Toutefois, en partant du postulat que ces fosses sont
des tombes – hypothèse confortée par la disparition
d’un élément sous-jacent induisant le mouvement
vertical homogène des dépôts céramiques – de
nombreuses questions restent encore à ce jour en
suspens : l’absence de vestige d’habitat autour des
fosses indiquerait un mode d’enterrement dans un
lieu isolé à l’écart du village dont l’emplacement reste
à l’heure actuelle indéterminé. On peut néanmoins
avancer l’hypothèse d’un lien avec le site précolombien de plein air - nommé « Montagne à Colin » surplombant le site de Mombin II sur la montagne
de Rémire, et repéré sous la forme d’épandages de
tessons dans un abattis lors d’une prospection-inventaire de l’AGAE dans les années 80 (Briand 1998).
De plus, dans le cas d’une nécropole organisée et en
l’état actuel des données récoltées, il n’est pas possible
Figure 11 Tessons et vases retournés, Ecolodge-Stoupan
© S. Delpech-Inrap 2010
17
Figure 12 Diagnostic de Chennebras © S. Delpech-Inrap 2010
Figure 13 Vase dégagé par les engins mécaniques, Anse du Mahury © C. Samuelian 2008, DAC 2008
d’identiier une répartition par genre ou par rang des
individus enterrés ni aucune iliation ; ni de déterminer le traitement du ou des corps (décharnement,
réduction, hamac) et les éventuels dépôts d’aliments
ou d’objet en matière organique. Enin, si les premiers
résultats des études céramiques semblent indiquer que
les tessons déposés dans les fosses sont plus vraisemblablement issus du réemploi de contenants à usage
domestique, les analyses en cours pourront peut-être
démontrer à terme une sélection intentionnelle voire
une production de certaines formes de poteries pour
les rites funéraires.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
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Karapa, vol. 4, décembre 2015
19
le cenTre d’archéologie amérindienne de Kourou, la quesTion de la
valoricaTion d’un siTe archéologique précolombien
Bérénice valot, assistante de conservation du
patrimoine, mairie de Kourou
20
E
n 1992, le Service Régional d’Archéologie dirigé
par Guy Mazière, Conservateur en chef du patrimoine à la DRAC de Guyane, met au jour, ou plutôt
remet au jour le site des roches gravées de la Carapa
sur la commune de Kourou. Cette découverte est
issue d’un travail de prospection mené à partir de
documents tels qu'un relevé cadastral de 1904 ou
l'ouvrage d'un entomologiste, Eugène Le Moult,
édité en 1955 (ces archives mentionnent les gravures
de la zone Pariacabo à Kourou).
Le site se trouvait alors enfoui dans un îlot de
végétation ayant échappé à l'extension de la zone
industrielle. Suite à cette mise au jour, la parcelle fut
classée non constructible au Plan Local d'Urbanisme
et un carbet fut édiié au-dessus des principaux bancs
rocheux gravés ain de les protéger des intempéries.
Le site archéologique fut également classé au titre des
Monuments Historiques en 1993. C'est actuellement
l'un des plus importants sites d'art rupestre connus
sur le territoire guyanais, il compte plus de 240 entités
graphiques (igure 1).
Pour compléter cette découverte, un diagnostic
archéologique fut également efectué in 2011. Seuls
quelques tessons et petites haches lithiques furent mis
au jour. La faible quantité de tessons ne permettant
pas de les attribuer de façon pertinente à un complexe
archéologique connu, une tentative d'attribution les
place à l’époque néo-indienne récente (900 – 1500
apr. J.-C.). Néanmoins, la contemporanéité entre les
roches gravées et le mobilier enfoui dans l'environnement immédiat reste toujours diicile à démontrer.
Il est à noter que l’absence de vestiges en abondance
près de ce type de site est plutôt habituelle. N'étant
vraisembablement pas des sites d’habitat, ils devaient
bénéicier d'un statut spéciique, peut-être comme
lieu lié à des rites ou cérémonies.
Figure 1 Photographie prise en 1992 lors du relevé photogrammétrique
Karapa, vol. 4, décembre 2015
les premiers élémenTs de valorisaTion
l'aproca
Une fois ce site mis au jour, s'est posée la question de
la valorisation et de la mise en accessibilité au public.
L'APROCA (association de protection des roches
gravées de la Carapa) fut donc créée immédiatement après la découverte. Elle était essentiellement
composée de l'équipe ayant participé à la découverte
des roches (on peut citer Ms François Colin, Yves
Dejean, Henri Sec, Didier Bironneau, Jean-Pierre
Joseph). Ces membres s’engagèrent à exercer une
surveillance permanente du site et à organiser des
visites guidées toute l'année sur demande. Cette
association mis également en place, avec l'aide
de la DAC, un travail de moulage des roches et
leur étude complète (soit 104 m2) mené par M.
Aujoulat, directeur du Centre National de Préhistoire de Périgueux. Ces moulages sont actuellement
conservés dans les anciens quartiers du Service
Régional Archéologique à Cayenne ainsi qu'au
Centre d'Archéologie Amérindienne de Kourou.
Néanmoins, cette gestion associative avait ses limites :
les visites étaient assurées par des bénévoles, le budget
était réduit, etc. Le site nécessitait une réelle prise en
charge ain d'assurer sa conservation et un travail de
valorisation de plus grande ampleur. En efet, malgré
l'implication de l'APROCA, le site était menacé par
une pression urbaine de plus en plus évidente et
commençait à subir des dégradations inligées par
des visiteurs clandestins peu scrupuleux (graiti, vie
nocturne, vélo sur les roches) (igure 2).
Figure 2 Graiti sur les roches gravées de la Carapa en 2008
Karapa, vol. 4, décembre 2015
un projeT muséal pour proTéger les gravures
Dès mai 1993, M. Guy Maziere proposa un « projet
d’étude et de mise en valeur des roches gravées de
la Carapa ». Cette étude fut suivie en 1999, par un
rapport de Madame Danielle Heude, Conservateur
général du patrimoine de la Direction des Musées de
France, concernant la création d'un musée d’archéologie amérindienne sur le site de la Carapa. Ce type
d'établissement permettrait de protéger de manière
durable ces vestiges précolombiens en limitant les
agents de dégradation (climat, public, animaux)
grâce à une prise en charge du site et une surveillance
quotidienne.
la créaTion du cenTre d’inTerpréTaTion
archéologique de la carapa : l’esquisse
d’un espace paTrimonial
relance du projeT
Ce projet va rester dans les tiroirs jusqu’à la in 2006.
À cette date, l'opérateur de l’État pour le développement du tourisme, Atout-France, à travers son
délégué régional, Didier Bironneau, relança l'idée de
la création d'un musée suite à la possible attribution
d'un budget exceptionnel d’investissement octroyé
par le ministère du tourisme.
En 2007, le projet de construction d’un centre
d’interprétation archéologique sur le site des roches
gravées de la Carapa fut donc inalement inscrit au
« plan exceptionnel pour la Guyane » dans son volet
tourisme. La maîtrise d’ouvrage des bâtiments de
ce CIAC (centre d’interprétation archéologique de
la Carapa) fut coniée à la ville de Kourou, assistée
par Atout-France. Cette assistance méthodologique
comprenait les recherches et la documentation
dans les archives historiques, la conception d’un
programme muséographique sous le contrôle d’un
comité scientiique, l’aménagement d’un parcours
de découverte des roches gravées, la déinition des
mobiliers et supports matériels de présentation de la
muséographie et la rédaction des textes de la muséographie ainsi que la conception des visuels. Ces études
furent notamment menées par Guy Mazière pour le
compte d’Atout-France.
Le 30 octobre 2008, la convention de subvention du
« plan exceptionnel pour la Guyane » fut signée par
21
22
le préfet de Guyane. Le CIAC pouvait donc voir le
jour. Un comité scientiique fut nommé comprenant
des représentants des organismes compétents tels que
la Ville de Kourou, la Fédération des Organisations
Autochtones de Guyane, l'association Kalawachi,
la DAC, le SRA et l'INRAP. D'autres personnalités
furent invitées à y siéger : Messieurs Norbert Aujoulat,
Jean Clottes, André Delpuech, Denis Vialou, Alexis
Tiouka, Stephen Rostain, André Prous, Pierre
Grenand, Guy Mazière et Mesdames Edithe Péreira
et Marlène Mazière.
le choix d'un cenTre d'inTerpréTaTion archéologique
L'idée d'un musée labellisé, comme il en était
question dans les premières études, fut rapidement
abandonnée au proit d'un centre d'interprétation
archéologique. Le point de départ de ce centre était
l'art rupestre en Guyane (et plus particulièrement
les roches gravées de la Carapa). Or l’ensemble des
gravures et peintures des sites actuellement connus
étant dispersé sur tout le territoire de la Guyane
et généralement inaccessible au grand public, il ne
pouvait donc pas être sujet à conservation dans un
musée. Néanmoins, ce patrimoine se prêtait parfaitement à une interprétation muséographique à partir
des relevés et études existants, notamment ceux
réalisés sous l’égide de la DAC.
le programme archiTecTural
Le CIAC devait répondre à diférents critères.
- Tout d'abord il devait permettre la valorisation
et la conservation d'un site précolombien classé
Monument Historique situé paradoxalement dans
une zone industrielle ;
- Il devait réunir dans un lieu dédié, les collections
archéologiques notamment celles qui portent sur l’art
des civilisations anciennes de Guyane ;
- L'idée était également de créer un lieu de tourisme
culturel, d’intérêt général pour la Guyane, sur le
territoire de la ville de Kourou ;
- Enin ce lieu devait s'inscrire dans le circuit des
musées de Guyane.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Dans cette optique, il fut décidé que le Centre d’Interprétation Archéologique de la Carapa comprendrait
six espaces aménagés : un accueil avec billetterie,
une exposition permanente sur l’art des civilisations anciennes de Guyane, une salle d'exposition
temporaire présentant « l’actualité archéologique »
de la Guyane, une salle de projection et conférence,
un parcours pédestre de l’espace d’exposition des
roches gravées et un autre reliant ce même espace au
bâtiment d'accueil comprenant bar et boutique.
En 2010, la maîtrise d’œuvre fut coniée à Jungle
Architecture Group. Leur projet consistait alors à
créer 3 espaces névralgiques. Le premier bâtiment
d'accueil contiendrait bureaux, boutique et espace
de restauration avec façade extérieure végétalisée
donnant sur le stationnement. Le visiteur, via une
rampe, aurait ensuite accès à une salle vidéo. Enin,
un dernier bâtiment accueillerait les salles d'expositions permanentes et temporaires avant d’accéder au
site des roches gravées de la Carapa.
Cependant, la construction de la salle dédiée aux
conférences et vidéoprojections est reportée, le projet
ayant trop largement dépassé le budget initialement
prévu.
le choix du mode de gesTion
Le CIAC fut conçu comme un établissement touristique à caractère commercial, fondé sur une activité
de service culturel. Il fut ainsi décidé de séparer le
fonctionnement du CIAC de celui de la commune
en lui conférant une autonomie de gestion. Ses
ressources de fonctionnement seront principalement
issues de recettes propres (billetterie et boutique) et
exceptionnellement de subventions. Dans ce cadre, le
centre apparaît comme un service public industriel et
commercial (un SPIC) qui sera exploité par l'Oice
de tourisme de Kourou qui a le statut d’un établissement public industriel et commercial (EPIC).
le projeT acTuel : le cenTre d’archéologie
amérindienne de Kourou
un siTe ouverT au public
En 2013, le Centre d’Interprétation Archéologique
de la Carapa prend le nom de Centre d'Archéologie Amérindienne de Kourou et se voit doter d'un
logo. Le site est inauguré en janvier 2014, mais reste
néanmoins encore en travaux. Il est toutefois ouvert
au public de manière ponctuelle via des visites guidées
des roches gravées et l'installation de l'exposition
permanente (igure 3).
Cette exposition, conçue avec le concours scientiique
de la DAC, de Guy Mazière maintenant retraité, et
de sa femme Marlène Mazière, archéologue ayant
participé aux campagnes de prospection des années
90, est découpée selon quatre grandes thématiques :
Une recontextualisation géographique et historique
des civilisations précolombiennes ; une présentation
des sites d'art rupestre de Guyane (la liste n'étant pas
exhaustive) ; un rappel des diférentes phases d'exploration des Européens en Amérique du Sud ; et enin
une description des méthodes de recherche archéologique (igure 4).
Le centre n'ayant pas vocation a détenir de mobilier
archéologique, des moulages d'objets issus de fouilles
sont présentés au public (des haches, poteries,
amulettes, pagaies, etc.). Le public peut ainsi se
familiariser avec le mobilier amérindien, ce mobilier
ayant très bien pu avoir été contemporain des
gravures.
Si la visite de l'exposition est libre, celle des roches
gravées est strictement encadrée par un guide. Ce
caractère obligatoire, au vu des récents rapports des
géologues (les principales dégradations des roches
sont anthropiques), permet également une meilleure
approche des roches gravées. Le guide est, en efet,
un médiateur indispensable ain de valoriser ce patrimoine et de sensibiliser le public.
Le relais de l'APROCA est désormais assuré par
un assistant de conservation du patrimoine. Depuis
l'inauguration, plus de 1000 personnes ont visité le
site. Si le public est en grande majorité kouroucien,
cela tient des nombreuses visites organisées avec les
centres aérés, le Centre Urbain de Cohésion Sociale
(nous avons accueilli près de 200 enfants des quartiers
de Kourou durant le seul été 2014) et quelques
établissements scolaires. Le type de visiteurs suivant
est lié au tourisme (métropolitains, antillais, américains, etc.) (igure 5).
la conservaTion des roches gravées de la
carapa
Figure 3 Logo du Centre d’archéologie Amérindienne de
Kourou conçu par Atout-France
Figure 4 Les bâtiments d’exposition du CAAK
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Si le CAAK est pensé pour valoriser les roches
gravées, sa seconde mission directement liée est de
permettre une meilleure conservation du site archéologique. En ce sens, une étude fut menée en 2013
par une équipe de géomorphologues et géologues de
l'université de Clermont-Ferrand ain de rendre un
diagnostic général sur l'état des gravures et les causes
de leur détérioration. Leur verdict fut sans appel, les
principales détériorations sont liées à la fréquentation
humaine. Cette conclusion nous incite à renforcer
les mesures de sécurité autour des roches à l'aide de
barrières et en n'autorisant que les visites accompagnées.
Par ailleurs, une restauratrice, missionnée également
par la DAC en 2013 et 2014 a efectué un constat
d'état et entamé, en conséquence, un traitement des
roches. Sa mission continuera en 2015 (igure 6).
23
une poliTique d'accueil des publics en
élaboraTion
Les principaux axes de l'accueil des publics sont :
- l'appropriation de ce patrimoine par la population
locale ;
24
- le développement de partenariats avec les établissements scolaires ;
- la création de partenariats avec les structures culturelles régionales, voire nationales ;
- le développement du tourisme patrimonial à Kourou.
Figure 5 Visite à la lampe de poche lors de la
Nuit des Musées 2014
Dans cette idée, la construction de carbets destinés aux
activités pédagogiques est prévue. Ces lieux d'accueil
permettront l'animation d'ateliers pour enfants et
adultes tournés vers l'archéologie (fac-similé de fouille,
industrie lithique), mais aussi vers l'artisanat amérindien (céramique, vannerie). Ces animations doivent
permettre aux visiteurs de se familiariser avec ces
techniques scientiiques et artisanales, et ainsi mieux
appréhender la question du patrimoine.
Par ailleurs, si le CAAK n'est actuellement pas déini
oiciellement comme un « centre de ressources », il
possède d'ores et déjà un important fonds photographique sur l'art rupestre et sur les missions de prospection lancées dans les années 90. Le CAAK, en efet,
réuni des clichés issus de la DAC ainsi que des autres
intervenants lors de ces missions (les géomètres-experts
de l’entreprise SATTAS par exemple).
conclusion
Figure 6 Pose de mortier par la restauratrice ain de consolider
la roche – novembre 2014
Ces mesures ne seront que peu utiles, si aucun travail
de sensibilisation des publics et de la population
locale n'est fait. En efet, malgré le travail de prévention, certains publics continuent à piétiner les roches
et des animaux appartenant à des habitations voisines
ont élu domicile sur le site. Malgré des relances aux
propriétaires, rien n'a été fait pour les empêcher d’y
accéder.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
La valorisation de ce site archéologique est un travail
de longue haleine. Le système associatif ayant montré
ses limites face à un site d'une telle ampleur, la mise
en place d'une vraie structure patrimoniale avec un
encadrement quotidien pourrait être la réponse.
Le potentiel et la valeur touristique ne sont plus à
démontrer, au vu du nombre de visiteurs s'étant
présentés juste par le bouche à oreille. Aujourd'hui
le CAAK nécessite le maintien de l'implication de
tous les intervenants ain de répondre à sa mission de
valorisation, de sensibilisation et de conservation des
roches gravées.
la TradiTion arauquinoïde en guyane française : les culTures barbaKoeba
eT Thémire
claude coutet, association aïmara
L
a céramique représente l’un des matériaux les
mieux préservés dans le bassin amazonien. De fait,
il est important d’en extraire le maximum d’informations. En Guyane française, la recherche concernant la variabilité de la céramique arauquinoïde
(et spéciiquement de deux des cultures associées à
cette tradition : Barbakoeba et Thémire) répond à la
question de l’existence d’une entité socio-culturelle
sous-jacente à la tradition Arauquoinoïde.
La méthode mise en œuvre – une analyse technologique associée à une approche ethno-archéologique – constitue un procédé qui n’avait pas encore
été appliqué dans la région. La première étape fut
de constituer, avec l’aide de potières amérindiennes
en activité, un référentiel des macro-traces diagnostiques des techniques et méthodes utilisées pour le
façonnage et les initions des poteries (Coutet 2014).
Ensuite, des assemblages céramiques issus de sites
Barbakoeba et Thémire (côte occidentale de Guyane)
ont été analysés selon une procédure permettant
de reconstituer la ou les chaînes opératoires de la
production (de la préparation de la pâte aux décorations post-cuisson) (Coutet 2010).
Ce type d’analyse a permis d’appréhender les critères
les plus pertinents pour l’identiication de cultures
céramiques et a conirmé l’attribution des cultures
Barbakoeba et Thémire à la tradition Arauquinoïde
(Coutet 2010 ; 2014).
25
sphère d’interaction. À l’intérieur de cette sphère, les
cultures Barbakoeba (igure 1) et Thémire (igure 2)
témoignent chacune d’une uniformité techno-stylistique propre. Nous pouvons imaginer qu’à l’instar
des populations post-coloniales, elles pouvaient entretenir des échanges économiques, établir des alliances,
partager une idéologie commune tout en relétant
une ou des identités sociales et linguistiques propres.
Au sein de ces unités culturelles, les communautés
villageoises et familiales gardent une liberté certaine
dans leurs choix de pâte, de formes et d’ornementations tout en respectant une tradition technologique
et stylistique commune à l’ensemble du groupe.
Figure 1 Barbakoeba
L’uniformité technologique et la récurrence de
certains modes décoratifs de l’Arauquinoïde
pourraient être le résultat d’une origine commune
à ces populations, mais aussi de la mobilité des
personnes (et, notamment des femmes par l’intermédiaire de mariages inter-ethniques ou de rapts),
les techniques de façonnage, de inition et de décors
circulant avec elles.
La tradition Arauquinoïde est considérée comme
une entité macro-régionale supra-culturelle ; une
Karapa, vol. 3, juin 2014
Figure 2 Thémire
26
Ainsi, les divers degrés d’organisation socio-culturelle dont témoigne l’analyse technologique de la
céramique de la tradition Arauquinoïde pourraient
s’intégrer dans un modèle où les sociétés interagissent
au cœur d’un réseau d’échanges complexes auquel se
superpose un fond supra-culturel commun.
bibliographie
Coutet, Claude
2010 Archéologie du littoral de Guyane. Une approche
technologique des techniques céramiques amérindiennes.
Editions Universitaires Européennes, Sarrebruck.
2014 « La caractérisation techno-stylistique de la
céramique de tradition Arauquinoïde en Guyane :
une approche ethno-archéologique de la céramique
amérindienne ». Karapa, n°3, Association AIMARA.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
« cayenne hollandaise »
jan claes langedijcK eT quirijn spranger (1654-1664)
lodewijK hulsman, université fédéral de roraima
martijn van den Bel, inrap
nathalie cazelles, aïmara
L
a présence néerlandaise sur l’île de Cayenne de
1654 à 1664 représente un moment clé dans l’histoire
de la Guyane. En 1654, après une première période
de tentatives anglaises, françaises et néerlandaises,
les marchands « hollandais1 » sont chassés par les
Portugais de la colonie néerlandaise de Pernambouc
au Brésil et s’installent le long les côtes des Guyanes
et des petites Antilles. Ils y transmettent leur savoirfaire (acquis des Juifs portugais au Brésil) en matière
de production de sucre et y implantent leur réseau
économique : l’importation d’une main-d’œuvre
servile africaine et un réseau de vente des produits
en Europe.
Avant l’arrivée des Français en Guyane, en 1652,
un certain Jan Claes Langedijck d’Amsterdam
noue des liens commerciaux avec les amérindiens
de Cayenne2. En 1655, la Chambre d’Amsterdam
de la Compagnie des Indes occidentales (WIC) lui
donne le patronage de la colonie de Cayenne. En
1659, la Chambre d’Amsterdam de la WIC avait
aussi donné la permission au consortium de David
Nassy, marchand juif d’Amsterdam, de s’installer
à Cayenne3. Cependant, suite aux embrouilles avec
Langedijck, ce consortium s’installe à Aremire,
1 Un Hollandais est un habitant de la province de la Hollande
des Provinces Unis, et plus tard Les Pays-Bas ou Nederland.
2 En 1653, l’Île de Cayenne avait été abandonnée par les
Français suite aux guerres avec les Galibi (A. Biet, Voyage de la
France Eqvinoxiale en l’Isle de Cayenne, entrepis par les françois en l’année
MDCLII, François Clouzier, Paris, 1664, chapitre 29).
3 La WIC pouvait donner des concessions à un patron pour
fonder et développer une colonie. Les patronages émis par les
Chambres d’Amsterdam et de Zélande avaient des formes diférentes mais la plupart entre eux obligeait le patron à emporter
un certain nombre de colons sur place et à structurer la colonie
selon le règlement de la WIC. Le patron était récompensé par
ses eforts avec le droit héréditaire (G. J. van Grol, De Grondpolitiek
in het West–Indische Domein der Generaliteit: De rechtstoestand van het
Grondbezit, Vol. 2, Algemene Landsdrukkerij, Den Haag 1942, pp.
24-56). Finalement, le patronage était une forme de colonisation
« bon marché » pour les chambres de commerce de la WIC qui
se voyaient pratiquement en faillite après l’aventure au Brésil.
Karapa, vol. 3, juin 2014
fondant ainsi une deuxième colonie néerlandaise sur
l’île de Cayenne. Une troisième colonie néerlandaise
est implantée au même moment sur l’Approuague :
il s’agit de la colonie de Balthasar Gerbier. Arrivé
en 1660 sur la côte de Guyane, il construit un fort
sur la rive droite de l’Approuague et tente de trouver
des mines d’argent dans la région. Des querelles avec
les autres membres de sa compagnie l’obligent à
abandonner son projet et à se réfugier dans la maison
de Langedijck à Cayenne. Gerbier est attaqué ensuite
par ses collaborateurs, sa ille est assassinée, il rentre
en Hollande. La colonie de l’Approuague, quant à
elle, continue de fonctionner pendant encore 25 ans4.
Ainsi l’occupation néerlandaise de l’île de Cayenne
s’est poursuivie jusqu’à 1664 quand Antoine Lefebvre,
seigneur de la Barre, occupe et achète les plantations
de cette colonie à Quirijn Spranger, le successeur de
Langedijck. Nous allons présenter dans cet article les
igures de Langedijck et Spranger, qui ont dirigé la
colonie néerlandaise de Cayenne.
inTroducTion
Les marins néerlandais ont commencé à fréquenter
l’île de Cayenne depuis la in du XVIe siècle (igure 1).
En 1599, le premier rapport néerlandais a été déposé
par Abraham Cabeliau qui décrit l’île de Cayenne
comme un lieu de rendez-vous pour les navires
français, anglais et hollandais, pour faire le plein
de vivres après la traversée de l’Atlantique avant de
continuer vers les Antilles. L’expédition de Cabeliau
passait quelques semaines à Cayenne, en explorant la
côte guyanaise avec sa chaloupe.
4 Artur remarque la présence d’une colonie néerlandaise sur
l’Approuague en 1664 (J.F. Artur, Histoire des colonies françoises de
la Guianne. Transcription établie, présentée et annotée par Marie
Polderman. Matoury, Ibis Rouge, 2002, p. 195). Même après la
deuxième prise de Cayenne par le chevalier de Lézy en 1676 (M.
van den Bel, L. Hulsman, Une colonie néerlandaise sur l’Approuague
au début de la deuxième moitié du XVIIe siècle, Bulletin de la société
d’histoire de la Guadeloupe 164:5–15, 2013).
27
28
Figure 1 Les fortiications néerlandaises au XVIIe siècle en Guyane.
Les Néerlandais ont établi des postes de commerce
sur place, ainsi que le long toute la côte des Guyanes
entre l’embouchure de l’Amazone et de l’Orénoque.
Les Hollandais appelaient cette région De Wilde
Kust ou « la Côte Sauvage » suite à la présence des
Wilden ou « sauvages ». En 1609, la guerre entre
la République néerlandaise et l’Espagne prend in
avec la signature de l’Armistice (trève) de Douze
Ans entre les deux pays : la partie sud devient les
Pays-Bas autrichiens et la partie nord La République
des Sept Provinces-Unies des Pays-Bas. Parmi diférentes conditions lors de la signature de cet armistice
de 1609, la République s’engageait à ne plus faire
d’incursions sur le territoire espagnol, donc plus dans
la région des Guyanes5. Malgré cette stipulation, les
5 Pour rappel, l’île de Cayenne est considérée comme faisant
partie du territoire espagnol à partir du traité de Tordesillas de
Karapa, vol. 4, décembre 2015
activités commerciales des Néerlandais sur la Côte
sauvage ont continué sous forme de comptoirs6. On
peut citer le projet d’implantation néerlandaise sur
Cayenne de Claessen en 16157.
1494 et jusqu’à la in du XVIe siècle. Après 1609, la République
des Sept Provinces n’avait plus le droit de faire des incursions sur
le territoire espagnol, incluant donc les Guyanes.
6 Une compagnie d’Amsterdam, appelée Guiaansche Compagnie,
avait des facteurs sur la côte entre l’embouchure de l’Amazone
et la Corantine. Une autre compagnie d’Amsterdam possédait
également des plantations de tabac sur les mêmes rivières. Voir
L. A H. C. Hulsman, De Guiaansche Compagnie; Nederlanders
in Suriname in de periode 1604–1617, OSO Tijdschrift voor Surinamistiek en het Caraïbisch gebied, 29 (2), 2010.
7 British Guiana Boundary Commission, Arbitration with the
United States of Venezuela, Appendix to the case on behalf of the Government
of Her Britannic Majesty, t. I (1593-1723). Foreign Oice, London,
1898, No. 15, p. 39. C. Goslinga, The Dutch in the Caribbean and
29
Figure 2 Carte de l’île de Cayenne avec les installations hollandaises lors de la prise de
Cayenne par les Français en 1664
L’île de Cayenne connaît une position stratégique sur
la côte, protégée par les courants maritimes contre
les attaques portugaises et / ou espagnoles, située à la
limite de leurs territoires respectifs8. En même temps,
il s’agissait d’une base maritime qui donnait accès à la
mer des Caraïbes et au delta amazonien.
Les relations diplomatiques entre l’Espagne et la
République néerlandaise ne permettaient pas aux
Néerlandais de réclamer oiciellement le droit territorial de Cayenne durant l’armistice. La reprise de la
guerre en 1621 bouleverse cette situation politique.
La fondation de la Compagnie des Indes occidentale, appelée en néerlandais Generale Geoctroyeerde
West Indische Compagnie (WIC), a alors pour but
de déclencher une guerre maritime dans l’océan
Atlantique, mais aussi de conquérir de la terre aux
Amériques. Cette compagnie est fondée grosso
modo sur le modèle de la VOC (Geoctroyeerde Oost
Indische Compagnie ou Compagnie des Indes orientales) établie en 1602. La WIC était divisée en cinq
Chambres (de Commerce) dont les plus importantes
étaient celles d’Amsterdam et de la Zélande. Ces
on the Wild-Coast (1580-1680). Van Gorcum, Groningen, 1971,
p. 79.
8 Voir M. O. Sousa Cruz, L. A. H. C. Hulsman & R. Gomes
de Oliveira, A Brief Political History of the Guianas; from Tordesillas to
Vienna. Editora UFRR, Boa Vista, 2014, pp. 59-75.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Chambres sont des entreprises indépendantes gérées
par une assemblée d’élus (conseil de députés) appelés
les Heren XIX, les « Seigneurs dix-neuf »9. Selon ce
modèle, la WIC distribuait des privilèges (patente ou
brevet) ain de fonder des colonies, mais les colons
restaient sujets du Staten Generaal, du gouvernement des Pays-Bas.
L’île de Cayenne était localisée dans la région assujettie à la patente de la WIC. On note que les Chambres
de Zélande et d’Amsterdam sont des rivales. La
Chambre de Zélande veut faire de Cayenne son
centre administratif pour gérer les (futures) colonies
de la WIC de cette côte (Essequibo, Amazone, Xingu,
Oyapock). Envoyé par la Chambre d’Amsterdam en
1634, David Pietersz de Vries dépose une trentaine
d’hommes sur Cayenne pour planter du tabac, du
coton et du roucou. Il raconte qu’il y a déjà une
implantation zélandaise sur place pour le compte
de Jan de Moor, qui était un des Directeurs de la
Chambre de Zélande10 (igures 2).
9 H. den Heijer, De geschiedenis van de WIC. Walburg Pers,
Zutphen, 2002.
10 D. Pietersz de Vries, Korte Historiael ende Journaels Aenteykeninge
van verscheyden Voyagiens in de Vier Deeles des Werelds-ronde, als Europa,
Africa, Asia, ende Amerika gedaen […]. Symon Cornelisz, Brekegeest, 1655 ; M. van den Bel, E. Gassies, Le passage de David
Pietersz de Vries sur la côte des Guyanes en 1634. Avec une brève
introduction à ce récit de la présence néerlandaise en Guyane
30
La conquête d’Olinda dans la Capitania brésilienne
de Pernambouc par la WIC en 1630, fait des Guyanes
une région périphérique pour le commerce néerlandais et les Français commencent à s’intéresser à
Cayenne11. Après l’échec des tentatives françaises en
1652 et la perte du Brésil « hollandais », on remarque
un renouvellement d’intérêt néerlandais pour la
côte sauvage et notamment pour Cayenne, où vient
d'arriver Jan Claes Langedijck. Ici sont présentées les
données concernant Langedijck et Spranger, patrons
de la Colonie de Cayenne, situées autour l’ancien fort
français de Cépérou, rebaptisé Nassau.
langedijcK (1650-1655)
Les données historiques sur le personnage de Jan Claes
Langedijck ou Langendijck sont encore limitées. Il est
le ils de Claes Jansz Langedijck et Pietertje Sijbrants
et il a trois frères et une sœur : Willem Claesen
Langedijck, Adriaen Claesz Langedijck, Claes Claesz
Langedijck et Trijntje Claesz Langedijck12. En plus,
le nom Langedijck (« Digue longue ») est très caractéristique de la Province de Noord-Holland, située au
nord d’Amsterdam.
Les frères Langedijck sont des commerçants.
Adriaen Langedijck tient un magasin dans la rue
Warmoesstraat, qui se trouve dans le centre commercial d’Amsterdam de l’époque. Il décède en 165713. Il
n’y a pas d'indices sur un éventuel lien de Langedijck avec le Brésil. En 1667, Langedijck déclare qu’il
a environ 49 ans ; il serait donc né aux environs de
161814.
Certains actes des archives notariales d’Amsterdam
indiquent qu’il a fait des afaires commerciales
au début des années 1640 à Nieuw Nederland (le
futur New York). Deux actes, datés de 1651 et de
1652, impliquent Langedijck dans un commerce
française entre 1598-1677, La Guyane au temps de l’esclavage. Discours,
Pratiques et Représentations, Actes du colloque 16 au 18 novembre 2010 à
Cayenne, J.-P. Bacot, J. Zonzon (eds.), Ibis Rouge Edition, Matoury,
2010, pp. 67-104.
11 J.-F. Artur, Mémoires pour servir à l’histoire générale des découvertes
et des établissements des diférentes nations de l’Europe. Dans la Guyane par
M. Artur (1498- 1680), Bibliothèque Nationale de Paris, Nouvelles
Acquisitions Françaises 2579, microilm 7959.
12 Claes Claesz était probablement la même personne qui se
présente plus tard comme Nicolaes, frère de Jan Claesz.
13 Stadsarchief, Amsterdam (AmSAA)
5075_1120_76v_16570118.
14 NL-AmSAA_5075_3163_387_16670106.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
à Cayenne. Il a également un facteur sur l’île de la
Barbade en 165315. Les activités de Langedijck font
partie du développement d’une nouvelle économie
dans la mer des Caraïbes, où de nouvelles colonies
françaises, anglaises et néerlandaises sont servies
par la lotte mercantile zélandaise et hollandaise. La
côte sauvage et notamment Cayenne, par sa position
géographique, sont visitées par un nombre croissant
de navires dans cette période.
Dans la littérature disponible, on apprend que la
Chambre d’Amsterdam donne à Langedijck le
patronage de Cayenne en 165516. Le Nationaal
Archief (NA) conserve les copies de ses patentes17.
Dans des actes datées du 2 avril 1659, qui se trouvent
aux archives municipales d’Amsterdam (SAA), est
mentionné que Langedijck transfère son droit de
patronage à la Chambre d’Amsterdam de la WIC.
Il déclare avoir reçu le droit du patronage le 30 août
1655 de la Chambre d’Amsterdam, ainsi qu’une
commission de la même chambre le 27 avril 165618.
langedijcK (1655-1659)
C’est en 1656 que Langedijck prend les voiles pour
l’île de Cayenne dans le Witte Fortuin avec son maître
Pieter Visscher Sijbrandtsz d’Enkhuizen. En efet,
on a retrouvé un acte de 1657 dans lequel Nicolaes
Langedijck, le frère de Jan Claes, dépose une plainte
contre Visscher après son retour dans le Witte Fortuin
aux Pays-Bas, car il n’a pas respecté le contrat signé
avec Jan Claes Langedijck qui a dû rester à Cayenne19.
Pour sa défense, Visscher enregistre plusieurs déclarations de ses marins qui disent :
« […] que le maître mentionné Pieter Sijbrantsz
[Visscher] avait fait son ultime devoir pour tout
intérêt commun. En arrivant à Cayenne il a passé
trois semaines en chargeant son navire avec du bois
qu’il avait échangé, malgré le fait qu’il s’agissait
d’un pays sauvage avec peu d’établissements. Arrivé
dans la rivière de Cayenne et une fois que le pilote
[Visscher] avait mis pied à terre avec son bateau
15 NL-ASAA_5075_1067_189190v_16430720;
2420c_87_16510708; 1099_208_16520224.
16 Van Grol 1942, pp. 90-91
17 Nationaal Archief, Den Haag (HaNA) 1.01.02_5767.
18 NL-AmSAA_5075_:1309_22-23_16590402;1309_2425_16590402.
19 NL-ASAA_5075_2548_265-66_16570502;
2548_275_16570508; 2548_277_16570509.
[chaloupe] alors les Indiens sont venus à bord, car ils
le connaissaient bien. Ils se sont mis d’accord, grâce
aux connaissances du pilote, pour que notre peuple
puisse vivre sur l’île de Cayenne et que les Indiens
construiront [en marge : pour le marchand et son
équipe] une maison et couperont les arbres et défricheront le tout ain que notre peuple puisse semer
ensuite sur cette terre et planter. Après huit ou neuf
jours de travail, les Indiens sont venus à bord ain
d’être payés pour leurs travaux, de sorte que le pilote
a donc payé pour la dite maison et les défrichements
un grand nombre d’Indiens à chacun deux couteaux,
à savoir un grand et un petit, et aux garçons un
couteau, et aux dignitaires un sabre ou une hache.
Une fois le bateau chargé, il a aussi déclaré que ‘le dit
marchand Langedijck voulait garder une partie des
dites ferrailles [hâches et couteaux] du pilote ce qui a
provoqué un malentendu [baston]20 ».
En 1658, Langedijck retourne à Amsterdam.
Les Seigneurs XIX lui accordent le patronage de
Cayenne le 26 septembre 1658 et les Staten Generaal
lui conirment également la commission le 1er
novembre 165821. Ensuite il arme un autre bateau, le
Vergulde Vos du maître Hendrick Andriesz Backer,
20 […] dat de gemelde schipper Pieter Sijbrantsz sijn uijtterste
devoir voor ’t gemene beste [boven de regel< in alles>] heeft
aengewent/ ende aen Caijanen gekomen sijnde sijn schip in de
tijt van ontrent drie weken met geruijlde hout waren aldaer heeft
afgeladen niet tegenstaende dattet aldaer tot Caijanen doe sij
aldaer eerst quamen seer ongedaen was of het een wildernisse
ware/ Ende op de Rivier van Caijanen gecomen sijnde ende als
de schipper daer met de boot aen Landt was geweest doe sijn
de Indianen goede kennisse aende schipper hebbende daer op
aen haer boordt gecomen/ ende met malcanderen veraccordeert
door des schippers goede kennisse dat ons volck aldaer op dat
Eijlandt van Caijanen mochte wonen ende dat de Indianen [#
in margine # voor den coopman ende sijn bij hebbend volck]
een huijs soude maken ende de boomen om hacken ende alles
beslechten om op dat onse volck daer op [boven de regel<dat
lant>] soude mogen saeijen [boven regel< en planten>] / Ende
de Indianen alsoo met dat wercken acht oft negen dagen doende
geweest hebbende/ sijn aen onse Boort gecomen om voor dat
gedane werck betaelt te werden/ sulcks dat den schipper voor het
maken van het voors huijs ende de beslechtinge / aen een groot
getal Indianen heeft betaelt ijeder man twee messen een groot
met een kleijn ende aen de jongens elck een mes/ ende aende
pouenarisen ijeder een hackmes ofte een bijl. Ende verclaerden noch weijders dat als sij tot Caijanen afgeladen waren de
voors coopman Langedijck eenige vande schippers gemeld
ijserwerck aldaer op Caijanen willende houden sij beijde daer
door in verschil sijn geraeckt/ (L. A. H.C. Hulsman, Nederlands
Amazonia. Handel met indianen tussen 1580 en 1680, Thèse de
Doctorat Université d’Amsterdam, 2009, pp. 298-299).
21 NL-HaNA_1.01.02_ 4846 : 273 ; 5767 ; 5769.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
à la suite d’un contrat signé le 31 mars 1659 avec
le commerçant Jean Vignon ain de transporter 40
colons22. Deux jours après, la Chambre d’Amsterdam
établit encore deux contrats :
(a) Celui de Jan Claes Langedijck dans lequel Langedijck transfert son droit de patron à la Chambre
d’Amsterdam de la WIC. Vignon est responsable des
coûts de l’expédition23.
(b) Le deuxième acte établit une énumération des
titres obtenus par Langedijck et des droits de propriété
privée24. Ceci est conirmé par une référence dans les
résolutions des Staten Generaal qui airment que la
commission de Langedijck du 1er novembre 1658
ainsi que les lettres de la WIC d’Amsterdam portant
des copies des patents. Ce deuxième acte reconnaît
les droits de propriété privée de Langedijck ainsi que
ceux des colons qui ont construit les maisons au pied
du vieux fort français Cépérou. Les biens des colons
situés autour du vieux fort sont transférés à la possession de la WIC sur Cayenne25.
L’historien van Grol a émis l’hypothèse que le transfert
du titre de Langedijck à la WIC d’Amsterdam est du
au fait que Langedijck n’a pas réussi à trouver des
inanceurs pour sa colonie26. Cela semble possible,
car le contrat de Langedijck avec Vignon du 31 mars
1659 oblige le premier à fournir des colons, mais aussi
à payer leur passage en avance au deuxième. Langedijck a donc des diicultés pour rassembler des colons
et à attirer des inanceurs pour son projet. Ceci est
conirmé par une lettre de la WIC d’Amsterdam27.
Le contrat avec la WIC garantit le paiement des frais
de voyage de l’expédition de Langedijck et il est fort
probable que les Directeurs de la WIC aient aidé à
mobiliser des orphelinats pour céder des garçons à
Langedijck qui les emporte à Cayenne. Dans tous les
cas, Langedijck poursuit son projet d’une colonie à
Cayenne, mais cette fois au service des directeurs de la
WIC d’Amsterdam. Malgré le fait que les conditions
du service ne soient pas spéciiées dans les contrats, il
obtient le droit de sa propriété sur l’île de Cayenne.
22 NL-AmSAA_5075 : 2206_510_16590331. Jean Vignon et
son frère Daniel avaient aussi du commerce avec St Kitts.
23 NL-AmSAA_5075_1309_22-23_16590402.
24 NL-HaNA_1.01.02_5767.
25 NL-AmSAA_5075_1309_24-25_16590402.
26 Van Grol 1942, pp. 90-91.
27 NL-HaNA_1.01.02_5767 (incomplet) 16640221.
31
langedijcK (1659-1663)
32
Des trois expéditions à destination de Cayenne en
1659, Langedijck est le premier arrivé et accompagné
de ses colons dans le navire Vos28. Malheureusement,
les sources concernant ce voyage sont absentes, mais
des informations ont été retrouvées dans quelques
déclarations ultérieures, car la situation à Cayenne
s’avère problématique.
Le navire St Jean Evangelist, armé par Balthasar
Gerbier, arrive en janvier 1660 (igure 3). Ce
navire compte des colons ainsi que des mineurs
pour la Nieuwe Guiaansche Colonie ou la Nieuwe
Guiaansche Compagnie d’Amsterdam (« Nouvelle
Compagnie de Guyane », NGC). Gerbier et la NGC
ont signé un accord avec la WIC d’Amsterdam pour
matérialiser cette entreprise. L’expédition de Gerbier
connaît une traversée avec des conlits constants
concernant l’objectif de l’expédition : d’une part un
certain nombre de colons veut fonder une colonie
ayant des plantations (de canne à sucre) alors que
Gerbier veut faire une mine d’argent. Une partie
des colons préfère alors rester sur l’île de Cayenne et
refuse de s’installer sur l’Approuague.
David Nassy, accompagné de ses colons, est le dernier
arrivé avec les navires Land van Belofte et Abrahams
Oferande29. Ce groupe composé de Juifs portugais et
de Hollandais a obtenu un patent de la WIC d’Amsterdam. Deux autres navires, le Stad Hamburg et la
frégate Abrahams Oferande arrivent un peu plus
tard avec le reste des colons de Nassy30.
L’arrivée de ces navires provoque des conlits avec
Langedijck qui refuse aux Juifs l’accès à l’île de
Cayenne. Le 10 mai 1660, Cornelis Fransen, le
maître de l’Abrahams Oferande, déclare à son
retour à Amsterdam que Langedijck a refusé la
permission de débarquer aux passagers de son navire
28 NL-AmSAA_5075_2423_15v_16590814. Il s’agit d’une
source curieuse. Les curateurs de Manuel Spranger, qui était
un commerçant faillite en Amsterdam, demandent à Vignon s’il
savait si Langedijck était prêt à partir pour Cayenne. En efet, il
s’agit de la seule source mentionnant le nom Spranger en relation
avec Cayenne pour cette période et demeure diicile à expliquer
pour l’instant.
29 NL-AmSAA_5075_2889/352_166001. Voir également J.
Zwarts, Een episode uit de Joodsche kolonisatie van Guyana,
West Indische Gids 9, 1927, pp. 519-530.
30 NL-AmSAA_5075: 2207_279-282_16590815;
2207_503_16590922; 1309_40-43_16590925.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Figure 3 Gravure de Baltasar Gerbier (Collectie Zelandia
Illustrata ZI-IV-0393). Avec les remerciements aux Koninklijk
Zeeuwsch Genootschap der Wetenschappen (KZGW) à
Middelburg
sur l’île de Cayenne. Il déclare également que c’est
l’expédition de Gerbier qui a endommagé la canne
à sucre de Langedijck et non les Juifs que ce dernier
tient pour responsable. Langedijck impose que toute
personne voulant quitter Cayenne avant d’en avoir
reçu l’ordre des directeurs de la WIC devra payer la
somme de 2000 lorins. Langedijck donne également
l’ordre de décharger la cargaison d’un navire juif qui
venait d’être chargé pour son retour aux Pays-Bas31.
Les témoignages de Francisco van Dalen du 4 mai
1660 sont plus précis : il déclare que Langedijck a
demandé 2000 lorins à Gerbier pour les dégâts de
la canne à sucre32. Langedijck refuse l’installation des
31 Zwarts 1927, p. 521 : NL-AmSAA_5075 : 2889_344345_16600510 (Zwarts 1927, p. 522) ; 1761_475_16600622
32 En efet, van Dalen déclare qu’il arrivait au début du mois de
janvier 1660 avec le navire Het landt van Beloften et l’Abrahams
Oferande. La frégate Abrahams Oferande et le navire De Stadt
Hamburgh arrivent peu après avec les autres colons de Nassy.
Parmi eux, il y avait beaucoup d’Hollandais, des Juifs portugais
mais aussi quelques actionnaires de la colonie. Les colons de
Juifs sur l’île de Cayenne parce que ces terres sont
dans l’intérêt de ses colons. Les colons de Nassy se
replient sur la terre ferme, mais trouvent la terre
mauvaise (Macouria ?). Van Dalen déclare que l’île
de Cayenne mesure six lieues et que Langedijck
dirige 30 ou 35 personnes sur place ; pour la plupart
des garçons et à peine douze artisans. Il n’a presque
rien planté : seulement un quart du lieu près du fort
pour leurs propres victuailles33.
L’arrivée du navire l’Eendracht le 17 février 1660
provoque de nouvelles complications, car ce navire
amène des mineurs pour Balthasar Gerbier. Le
navire les dépose à la Montagne Commaribo
[d’Argent] pour creuser leur mine34. Le navire jette
l’ancre devant la montagne et la chaloupe prend la
voile vers l’île de Cayenne et dépose les autres colons
sur l’Approuague. Le capitaine du navire raconte
que Gerbier est fait prisonnier dans son campement
sur cette rivière. Gerbier s’enfuit avec sa famille et
se réfugie dans la maison de Langedijck au bourg
de Cayenne. Langedijck se rend sur l’Approuague
ain d’essayer de résoudre les problèmes sur place.
Cependant, Otto Keye, Adolphus Rhenanus et
plusieurs autres subversifs proitent de l’absence de
Langedijck pour attaquer sa maison. Une des illes de
Gerbier est tuée (igure 4)35. À son retour, Langedijck
appréhende Keye c.s. et les renvoie aux Pays-Bas.
Gerbier rentre à son tour en août 1660 et réclame ses
droits sur la colonie de l’Approuague à la NGC36. Un
pamphlet, publié par Gerbier lui-même avec le but
Nassy ont lui montré le contrat dans lequel les Directeurs de la
WIC ont spéciié les terres sur l’Île de Cayenne pour sa colonie.
33 Van Dalen fait plusieurs remarques intéressantes dans
sa déclaration. Il a entendu aussi que les colons de Langedijck
ont menacé et même de tuer le dernier ain de refuser les Juifs
sur Cayenne l’Île et qu’ils les avaient menacés de l’abandonner
et même de les tuer. Il déclare aussi que les Indiens aiment les
Juifs. Ensuite, il déclare que Langedijck avait envoyé quatre ou
cinq Indiens dans les environs du fort pour défricher plusieurs
lieux ain de réclamer qu’il avait préparé toute l’Île de Cayenne
(NL-AmSAA_5075_2889_352_16600511 ; Zwarts 1927, p. 522).
Voir aussi W. Jennings, Les premières générations d’une société
créole : Cayenne 1660 – 1700, Amerindia 26/27, 2001/2002,
pp. 251-252 : Capitaine Langouillon était sur l’Île de Cayenne,
occupée par 30 à 40 hommes et femmes hollandais, en 1660 et
1661 pour livrer des esclaves.
34 NL-AmSAA_5075_1714_131_16600217.
35 NL-AmSAA_5075_3068_43-73_16600903.
36 NL-AmSAA_5075_2990_289_16600823;
1714_223_16600826.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
de dénoncer Keye c.s., contient vraisemblablement la
première image du bourg de Cayenne (cf. igure 4)37.
En juillet 1660, le navire St Mattheus arrive à
Cayenne avec de nouveaux ordres provenant des
directeurs de la WIC suite aux plaintes des Juifs38.
Langedijck est vraisemblablement forcé par la WIC
de donner de la terre aux colons de Nassy à Aremire,
situé dans l’actuelle anse de Rémire. Il n’y a que très
peu de données sur la période suivante allant de 1660
à 166339. En 1663, le navire Vos fait encore un voyage
aux Pays-Bas avec Langedijck à bord. Entre-temps,
les directeurs de la WIC d’Amsterdam décident
de remplacer Langedijck par Quirijn Spranger40.
Finalement, Langedijck retourne à Amsterdam et la
dernière trace d'archive le concernant se trouve dans
un acte de 1667 à Amsterdam41.
spranger (1663-1664)
La littérature française concernant la colonie néerlandaise de Cayenne n’évoque guère le personnage
de Langedijck, mais elle mentionne plutôt ceux de
Quirijn ou Guérin Spranger, qu'elle présente comme
fondateur : ceci est faux, comme nous avons pu le
démontrer42. En fait, c’est Spranger qui met un terme
à la colonie néerlandaise de Cayenne ainsi qu'à la
deuxième colonie néerlandaise, face au chevalier de
Lézy, en 167643.
37 NL-KB_pamphlet_08349_1660, Sommier verhaal van sekere
Amerikaensche voyagie gedaen door den Ridder Bathazar Gerbier Baron
Douvily.
38 NL-AmSAA_5075_2770_1040_16640915.
39 Un autre voyage : NL-AmSAA_5075_1138_231.
40 NL-AmSAA_5075_2771_nn_16641127 et 16641210.
41 NL-AmSAA_5075_3163_387.
42 Voir Polderman dans Artur 2002, p. 194, note 58; H.
Ternaux-Compans, Notice historique sur la Guyane française, Chez
Firmin Didot, Paris, 1843, p. 65.
43 Les références de l’historien néerlandais J. J. Hartsinck
(Beschrijving van Guiana, of de Wilde Kust, in Zuid-America […]. Gerrit
Tieleburg, Amsterdam, 1770, p. 161, 163) et du Père Labat
(Voyage du Chevalier Des Marchais en Guinée, t. III, 1722, p. 89)
se répètent dans la plupart des publications postérieures comme,
par exemple, dans l’article de L. C. van Panhuys sur Quirijn
Spranger (West Indische Gids 12, pp. 535-540, 1930). Les sources
historiques démontrent comment Quirijn Spranger arrivait à
Cayenne en 1663 pour remplacer Langedijck comme gouverneur de la WIC d’Amsterdam, mais il faudra réviser ce passage
dans l’histoire « traditionnelle » sur Cayenne.
33
34
Figure 4 Gravure de l’attaque de la maison du Commandeur Langendyck, probablement dessinée par Gerbier lui-même. (A) « La
maison du Commandeur Langendyck » ; (B) « Otto pénètre la maison » ; (C) « Debora Gerbier qui jette Adolphus Rhenanus par
terre, et s’empare du rapier ». Débora est probablement la femme de Gerbier. Si la gravure est basée sur la réalité, comme le suggère
la description des biens appropriés par Spranger en 1664, il s’agit de la première image du bourg de Cayenne (page d’ouverture B.
Gerbier, Sommier verhael, van sekere Amerikaensche voyagie, gedaen door den Ridder Balthasar Gerbier, Baron Douvily […], 1660). Avec les remerciements à la Bibliothèque universitaire de Leiden.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Quirijn Spranger est le ils de Michiel et Élisabeth
Spranger44. La famille Spranger, demeurant à
Amsterdam, a des relations avec les villes d’Anvers
et Prague et possède une solide base inancière.
Spranger a servi comme secrétaire du comte Johan
Maurits van Nassau au Brésil hollandais. Après le
retour de Maurits en 1644 aux Pays-Bas, Spranger
continue sa vie comme marchand45. Il reste jusqu’à la
reddition de Recife aux Portugais46. En 1656, Quirijn
est inalement de retour à Amsterdam47. Il y fait du
commerce avec les frères Sweerts qu’il connaît du
Brésil48. Spranger a également fait du commerce avec
Abraham Cohen, l’investisseur de David Nassy.49
Malheureusement, les actes de la réunion générale
des directeurs de la Chambre d’Amsterdam de la
WIC sont absents des archives pour cette période
et nous n’avons trouvé aucune information sur les
délibérations concernant le remplacement de Langedijck par Spranger. On peut imaginer que l’afaire
entre Langedijck et la colonie de Nassy a joué un rôle
important dans la décision des directeurs. Spranger
présente l’avantage d’avoir déjà servi la WIC au Brésil
et il semble avoir une bonne relation avec Abraham
Cohen. En 1663, les directeurs de la WIC exemptent
les colons de l’impôt du « dixième » pour les premiers
dix ans ain de faire prospérer la colonie50.
En 1663, Spranger se trouve alors à bord du Vos à
destination de Cayenne où il arrive en juin ou juillet
de la même année51. Il est accompagné par Goossen
van Vreeswijck, un spécialiste des mines52. Le navire
Vos compte environ 190 personnes à son bord,
principalement des colons et des marins. Après le
44 NL-AmSAA_5075_ 1070_16_16440507.
45 NL-AmSAA_5075_1082_172_16470815. Peter Blauwenhaen (notaire Ven), proteste contre une lettre de échange de
Quirijn Spranger datée le premier mai 1647 au Recife pour
Elisabeth Spranger.
46 NL-AmSAA_5075_1121_230_16570605.
47 NL-AmSAA_5075_1118_38_16560712.
48 NL-AmSAA_5075_1121_230_16570605. Pour la famille
Sweerts voir L.A.H.C. Hulsman, M. van den Bel, Recherches
en archives sur la famille Sweerts, Bulletin de la société d’histoire de la
Guadeloupe 163, pp. 45-58, 2012.
49 NL-AmSAA_5075_1113_259_16550614.
50 Hollantsche Mercurius 1663, pp. 14-16.
51 NL-AmSAA_5075_2771_16641127.
52 Le mineur Vreeswijck arrive avec sa famille et perd son
épouse et trois ils à Cayenne, G. Vreeswijck, Het licht der Mane,
of glans der Sonne […]. Barent van Santbergen, Rotterdam, 1678,
p. 171. Dans son livre, il donne aussi une brève description de la
Guyane et ses habitants.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
débarquement des passagers à Cayenne et l’embarquement de Langedijck, le navire part ensuite pour
les Caraïbes et Nieuw Nederland avant de rentrer
aux Pays-Bas53.
Les données du gouvernement de Spranger à Cayenne
depuis juin 1663 jusqu’à la reddition aux Français en
1664 sont très limitées. On trouve la mention d’un
navire hollandais ayant des esclaves angolais à bord
en avril 166454. Carlof, le capitaine du navire, a
vendu des esclaves à Nassy en échange d’un terrain
à Cayenne. Le sieur De La Barre achète ces esclaves
à Jean Prignon pour 5000 lorins par l’intermédiaire
de Carlof. Le gouvernement de Spranger s’arrête en
mai 1664 quand Lefebvre de la Barre prend l’île de
Cayenne. Le journal Hollantsche Mercurius parle
d’une simple prise de Cayenne par les Français ainsi
que de la déportation des Hollandais et Juifs aux
Pays-Bas en passant par le port de La Rochelle55.
Cependant, les sources les plus complètes sur ce sujet
présentent des réclamations de Langedijck faites à
Spranger. Langedijck fait appel à trois témoins, qui
déclarent que Spranger s’est approprié du terrain
et des esclaves lui appartenant. La déclaration d’un
certain Bastiaen Miljou de Paris, interprète pendant
les négociations entre Spranger et De La Barre,
raconte qu’il est arrivé à Cayenne en juin 1663 à
bord du Vos du capitaine Jacob Huijs avec Spranger
(nouveau directeur de la colonie de Cayenne), navire
qui ramène Langedijck aux Pays-Bas(!). Spranger
utilise son témoin (Miljou) comme interprète lors
de ces négociations, car il ne parle pas le français56.
Spranger s’approprie alors sur Cayenne : ‘(a) une
maison double construite au pied du fort, (b) quelques
habitations dans les environs du même fort, (c) une
habitation à Matterij [Matoury] située á l’accès à la
crique [dite] de la Roche verte, (d) touts les outils [les
biens des habitations].’ Spranger emploie les esclaves
africains pour lui-même jusqu’à l’arrivée des Français
en mai 1664 et la reddition du fort. Finalement,
Spranger vend la maison et les habitations avec 32
esclaves au général français de la Barre pour 14 000
53 NL-AmSAA_5075_2776_215-216_16660211.
54 NL-AmSAA_5075_3188_386_16641223;
3188_387_16641224.
55 Hollantse Mercurius 1664, p. 127.
56 Ceci nous semble curieux pour un personnage notable
comme Spranger.
35
lorins57. Efectivement, Artur mentionne l’acquisition de l’habitation à Matoury par De La Barre,
associé à son frère le commandeur de Saint-Lazare
et à M. de Thiennes et « un Hollandais Bessy que
Spranger y avait laissé en qualité d’économe58 ».
36
Apparemment, Langedijck n’a pas réussi à incriminer Spranger par rapport à sa nomination comme
directeur de la colonie hollandaise de Cayenne dix
ans plus tard en 1676, suite à la brève reconquête de
Cayenne par les Hollandais sous le commandement
de Jacob Binckes.
la venTe de cayenne ?
La prise de Cayenne par Antoine Lefebvre, seigneur
De La Barre et Alexandre Prouville de Tracy, au début
de mai 1664, se passe en accord avec les Hollandais.
Ni La Barre, ni Spranger, ni les journaux néerlandais
ne parlent d’une prise ou d'une attaque violente.
Le fort Nassau est rebaptisé Saint-Michel de Cépérou
et les dits « biens » de Spranger sont rachetés par De
La Barre, laissant ainsi Langedijck comme grand
perdant de son entreprise à Cayenne. Selon Artur,
les Hollandais capitulent efectivement sans combat
57 NL-AmSAA_5075_2770_1040_16640915; 771_16641127;
2771_16641210. Le Roux a publié la transcrit partiellement dans
sa thèse le texte de la concession du Spranger à Lefebvre de la
Barre, avec des détails (Y. Le Roux, Habitation guyanaise sous l’Ancien
Régime, Etude de la culture matérielle, 3 Tomes, Thèse de Doctorat de
l’Ecole des Hautes Etudes et Sciences Sociales, Paris, t. I, 1994,
p. 78, note 172). La transaction de l’habitation Matoury à De La
Barre (C14/Registre 1, Folio 78, 1664): « Une très belle et très
bonne plantation avec dix maisons édiiées, avec quelques cannes
à sucres prêtes à mettre au moulin et quelques autres cannes qui
ne sont plantées que depuis dix mois, avec une grande quantité de
manioc prête à être cueillie dont une grande partie qui n’est pas
dans sa maturité, avec aussi une très grande et très belle terre avec
des ignames et des patates, et deux mille arbres d’acajou, avec
des bananiers et vaikouans [ ?] tous plantés. Toutes ces choses
qui sont ci-dessus écrites seront trouvées par vous très nobles et
très excellents seigneurs comme nous avons dit et pour toutes les
choses susdites je demande la somme de £ 8000 […]. Plus une
certaine belle terre sise vers la marine, plantée de cannes à sucre
prêtes à être placées dans notre moulin et d’autres qui ne sont
pas dans leur maturité, avec un autre terrain chargé de cassave
prête à être recueillie, et une autre portion qui n’est plantée que
depuis six mois. Toutes ces choses sus nommées sont comme je
dis et je demande icelles la somme de £ 6000. Pour vingt six
habiles nègres avec six enfants comme il appert par le certiicat
ci-attaché : £ 6850. Pour une maison avec une cuisine qui est
construite : £ 1000. Total : £ 21.850 ».
58 Artur 2002, p. 203. Le personage de Bessy demeure inconnu,
s’agit-t-il peut-être de Nassy ?
Karapa, vol. 4, décembre 2015
et livrent Cayenne aux Français, après cinq jours
de discussions. Ils signent un accord le 15 mai 1664
constitué de plusieurs articles et conditions importants concernant les Hollandais et Juifs présents59.
Le premier article stipule « que messieurs les états
généraux et l’octroyée compagnie des Indes occidentales retiendront et demeureront en leur pleine vigueur
toutes les actions, prétentions et intérêts faits en l’isle
de Cayenne et lieux circonvoisins ». Le deuxième
article précise « que tous [les] biens appartenant à
la compagnie […] seront menés et conduits francs
et libres au lieu qu’il appartiendra ». Le cinquième
article stipule « que la nation judaïque demande
aussi libre exercice de la religion comme dans le
chapitre précédent [Article 4] ». Le septième article
stipule « que tous les habitants s’arrêtant icy, auront
en pleine possession leurs biens, terres et esclaves, et
leur sera permis de les aliéner et vendre. Quant ils
voudront partir, leur sera loisible d’emmener leurs
biens meubles et esclaves où il leur plaira sans aucun
empêchement à quoy leur sera toujours prestée la
marine auxiliaire des messieurs les gouverneurs.
Semblablement les habitants de leur franchise de dix
ans, et puis ne seront en aucune sorte plus durement
traittés que les sujets de Sa Majesté60 ».
Lefebvre de la Barre note alors un certain mépris
pour la colonie hollandaise qu’il vient de prendre :
« À ma descente en cet Isle, d’autres gens moins
résolus eussent esté épouvantez par le nombre de
nos malades, par les restes languissans de la Colonie
Holandoise que nous trouvâmes en ce lieu, & par les
malédictions que ces pauvres gens donnoient a une
Terre qu’ils n’avoient daigné cultiver ; comme si elle
eust dû sans travail de leur part, & sans assistance de
l’Europe, leur fournir toutes les choses necessaires à la
vie. Leurs visages parloient autant que leurs langues ;
& ces vifs tableaux de leurs miseres, quoy qu’ils ne
issent point d’impression sur les esprits de mes
Oiciers, en irent neantmoins sur ceux de quelquesuns de mes Volontaires & Soldats ; desquels la crainte
& le dégoust m’ayant paru, je crûs qu’il estoit meilleur
de les renvoyer d’abord en France, que de les garder à
59 Artur 2002, pp. 199-200.
60 Plus loin, Artur (2002, p. 204) conirme que les Hollandais
« qui ne voulurent point rester à Cayenne, furent transportés
aux Antilles. Ceux qui se déterminèrent à vivre avec les Français
furent acceuillis, et il paraît qu’il en resta un bon nombre qui
conservèrent leurs habitations et leurs Nègres. On laisse mesme
aux Juifs leurs établissements à Rémire».
contrecœur, dans un Païs où il ne faut aucune prévention d’esprit pour y posseder une santé parfaite, & où
leur chagrin nous auroit fait plus de mal en un jour,
qu’ils ne pouvoient rendre de service en un mois. Et
c’est à ces foibles Esprits qui n’ont eu de la Nature
que la crainte & la legereté en partage, que Cayennc
est redevable du décry où ils avoient mis le Païs dans
toute m’année 1664. & jusques en May 1665 par les
faussetez qu’ils en ont debitées, & desquelles ils ont
voulu couvrir leur lâcheté, & ensevelir leur honte61 ».
Cependant, la présence sur place de moulins à bœufs,
de main d’œuvre et de savoir-faire pour la transformation de la canne à sucre les a incités à conserver la
colonie hollandaise en état. En établissant un accord
avec Spranger, De La Barre pouvait récupérer les
plantations sans que les Néerlandais ne les brûlent
lors d’une attaque. Les Français étaient même prêts à
accepter une présence hollandaise sous leur gouvernement ainsi que la religion des Juifs. Les Juifs de
Aremire avaient alors le droit d’y rester, et la vente
en 1668 aux jésuites de la plantation de Sr. Abraham
Drago, gérée par Gabriel Lavella Drago, semble
s’inscrire dans la lignée de la politique de Spranger et
De La Barre pour sauvegarder la colonie de Cayenne
et du contrat signé en 166462. La vente des plantations néerlandaises aux Français montre clairement
l’intérêt économique ou même la réussite de cette
première colonie sucrière de la Guyane63.
On peut signaler la brève description de la colonie
néerlandaise sur l’île de Cayenne faite par Artur qui,
quant à lui, avait bien fait la distinction entre les deux
colonies néerlandaises :
« On comptait avec les Holandois qui occupèrent
Cayenne environ soixante Juifs qui avaient à eux
quatre-vingts esclaves nègres. Ils formèrent un bourg
à l’embouchure du ruisseau de Rémire, à l’endroit où
l’on a depuis bâti l’église paroissiale du quartier ; en
l’on voit encore à peu de distance sur l’autre bord du
ruisseau, sur une roche au bord de l’anse, les restes
61 F. Lefebvre De La Barre, Description de la France Equinoctiale,
cy-devant appellee Gvyanne, et par les Espagnols El Dorado […]. Jean
Ribov, Paris, 1666, p. 5.
62 Le Roux et al. 2009, p. 49.
63 L’arrivé des Hollandais de Brésil en Guadeloupe a initié les
Français à la production du sucre (G. Laleur, Familles hollandaises
en Guadeloupe aux XVIIIe et XVIIIe siècles, Bulletin de la société d’histoire de la Guadeloupe 163:59–75, 2012. La prise de Cayenne
présentait alors un vrai trésor économique pour la nouvelle
colonie française.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
37
Figure 5 Détail de la carte de l’île de Cayenne dressée par M. Mel en
1666 (Bibliothèque nationale de France (BNF),
département Cartes et plans, GE C-5175)
d’une batterie de deux ou trois pièces qui continue
toujours de s’appeler le fort des Juifs. Ils irent leurs
plantations dans le vallon et le long de la coste jusqu’à
Mahury. Ils s’attachèrent principalement à la culture
des cannes à sucre et ils construisirent en commun
dans le fond du vallon sur le ruisseau un moulin à eau
pour leur usage.
Les Holandois s’établirent dans le voisinage du
fort où ils eurent bientôt à peu de distance, au lieu
appelé maintenant le Jambon [à deux portées de
fusil du fort, p. 203], une autre sucrerie avec un
moulin à bœufs. C’est là que le nommé Vermejo, juif,
fabriqua le premier sucre qu’on ait fait à Cayenne,
soit qu’il fut propriétaire de cette sucrerie, ou plutôt
qu’il en eut seulement la direction. Les Holandois
formèrent d’autres habitations dans le quartier de
Matoury, Spranger, entre autres, y avait la sienne.
Déjà même, ils commençaient à s’étendre et à faire
d’autres établissements dans la rivière d’Approuague
où ils avaient une centaine d’hommes avec un fort
commencé quand ils furent chassés par messieurs de
Tracy et de La Barre64 ».
Après le départ des Hollandais du fort « il resta au fort
et dans la bourg de Cayenne, composée alors d’environ
64
Artur 2002, pp. 194-195.
38
deux cents cases, troys cent cinquante François avec
cinquante nègres achetés des Holandois qui s’étaient
retirés65 ». Cette image du bourg se retrouve dans
l’encart de l’île de Cayenne sur la « Carte Nouvelle
de la France Equinoctiale » dressée par le géographe
Mel en 1666 et reproduite par De La Barre dans son
livre, et relète parfaitement le bourg de Cayenne
construit par Langedijck (et puis Spranger) lors de la
prise des Français (igure 5)66.
Finalement, n’oublions pas que la guerre entre les
Pays-Bas et l’Angleterre, lors de laquelle les Français
choisissent le camp hollandais, se déclenche en 1665.
En 1666, la colonie française de Cayenne (ainsi que
celle de Sinnamary) est visitée par les Anglais, sous
le commandement de Peter Wroth, qui laissent le
Gouverneur de Lézy en paix67.
remerciemenTs
Ces données sont le fruit d’un premier dépouillement
des archives nationales et communales des Pays-Bas,
en collaboration avec l’Association Aimara et la DAC
de Guyane. Une deuxième campagne de dépouillement est prévue ain d’étofer notre base de données
concernant la colonie juive à Rémire. Les auteurs
voudraient remercier Thomas Mouzard pour la
relecture.
65 Ibid., p. 204.
66 Bibliothèque nationale de France (BNF), département
Cartes et plans, GE C-5175 : Carte Nouvelle de la France
Equinoctiale Faite et presentée à Sa Majesté / Par le Sieur le
Febvre de la Barre son Lieutenant General en ces Pays au mois
de Septembre 1665. Dressée sur les memoires du dit Sieur de la
Barre / Par le Sr Mel, Geographe. 1666.
67 V. T. Harlow, Colonising expeditions to the West-Indies and Guiana,
1623-1667. In: Works issued by The Hakluyt Society, Second
Series 56. The Hakluyt Society, London, 1925, p. 200. En 1666,
Joseph Antoine Lefebvre, seigneur de la Barre, fut crée lieutenant
général et envoyé aux Antilles en laissant Cayenne à son frère
Cyprien Lefebvre, chevalier de Lézy. Cayenne a été pillé par les
Anglais sous le commandement de John Harman en aout 1667
(Harlow 1925, pp. 222-242 ; J. B. du Tertre, Histoire generale des
antisles habités par les François […]. Thomas Jolly, Paris, 1671, t. 3,
pp. 309-316).
Karapa, vol. 4, décembre 2015
archéologie funéraire en guyane française :
le cimeTière de l’habiTaTion jésuiTe loyola.
fouille programmée de 2014
zocha houle-wierzBicKi, msc, université de montréal
yannicK le roux, appaag
S
ituée dans la commune de Rémire-Montjoly en
Guyane Française, l’habitation de Loyola s’étend
sur plus de mille hectares. Cet établissement a été
administré par des jésuites français entre 1668 et
1764, dans le but de inancer leurs missions d’évangélisation auprès des populations amérindiennes de la
Guyane. Selon les époques, la canne à sucre, le café,
le cacao, l’indigo, le coton y ont été produits, souvent
à grande échelle. Sous l’Ancien Régime, la force
d’une habitation était évaluée en fonction du nombre
d’esclaves, l’inventaire, dressé par les liquidateurs au
moment de son abandon, en dénombrait 500, ce qui
était énorme en comparaison avec les établissements
qui existaient alors dans toutes les colonies françaises.
L’ampleur matérielle et l’importance économique
de cette habitation témoignent avec éloquence du
savoir-faire des religieux, missionnaires eicaces et
gestionnaires redoutables.
Aujourd’hui, les principaux terrains de Loyola appartiennent au Conservatoire du Littoral et un sentier
pédestre y a été aménagé pour le public. Les vestiges
archéologiques se présentent presque sans protection,
exposés aux intempéries, aux actions de la végétation
et au piétinement des visiteurs, il est donc essentiel
de procéder à une étude de cet ensemble, la plus
exhaustive possible, ain de préserver l’intégrité des
ressources archéologiques, mais aussi, la sécurité des
visiteurs. C’est dans cette optique que Loyola fait
l’objet de campagnes de fouilles programmées tous
les ans depuis 1994. Ces chantiers sont principalement menés par l’association guyanaise d’archéologie l’APPAAG, avec la collaboration d’équipes
de chercheurs et d’étudiants de l'Université Laval à
Québec. Divers secteurs ont ainsi été étudiés, tels que
la maison des Jésuites, la cuisine, l’hôpital, la chapelle,
le magasin, l’aqueduc, le moulin à vent la sucrerie,
etc. Depuis 2012, outre le magasin, les recherches
archéologiques ont porté sur l’étude du cimetière.
Karapa, vol. 3, juin 2014
Les registres paroissiaux de Rémire, conservés aux
Archives Nationales à Aix, attestent des pratiques
funéraires à Loyola. Le bourg de Rémire disposait
bien d’une église et d’un cimetière paroissiaux, mais
la chapelle et le cimetière de Loyola, destinés à l’usage
privé de l’habitation, ont servi assez souvent aux
habitants de Rémire. Des baptêmes, des mariages et
des enterrements y étaient régulièrement célébrés.
Les jésuites qui géraient Loyola, étaient les mêmes
qui desservaient la paroisse, ce qui explique cette
double fonction.
De l’aveu même du jésuite qui les a retranscrits, ces
actes ne sont que les reliques de tout ce qui a été anéanti
par les guerres, l’action du climat et des insectes,
mais surtout par la négligence. Pour précieuses
qu’elles soient, il faut donc considérer ces sources très
lacunaires comme ayant, au mieux, valeur d’échantillon. Le premier acte conservé remonte à 1735, le
dernier à 1768. On n’en dénombre que 27, pour une
période de plus de trente années, ils ne concernent
que des personnes « libres » : amérindiens, afranchis, européens. Les inhumations d’esclaves, étaient
consignées dans des registres séparés et encore plus
négligés, aucun n’étant parvenu jusqu’à nous. Cette
absence de sources ne laisse aucun doute sur le fait
que l’immense majorité des personnes enterrées à
Loyola, étaient les esclaves employés au service des
jésuites.
Les esclaves ne sont mentionnés dans ces actes que
comme témoins des enterrements :
« 1741 L’an mil sept cent quarante un, Pierre Jacques
Lacroix, natif de Saint Denis en France, âgé de vingthuit ans, ils de Pierre Jacques Lacroix, demeurant
chez les pères à Loyola en qualité de maçon, après
avoir reçu tous ses sacrements est mort le quatorze et
a été enterré le quinze dans le cimetière de Rémire
en présence de Raphaël, d’Antoine tonnelier, et de
Rémy, nègre des pères. Signé Lacoste, jésuite ». On
39
peut noter, au passage, que contrairement à l’article
30 du Code Noir qui dénie aux esclaves la possibilité
d’avoir qualité de témoins, ils sont ici nommément
cités, bénéiciant là d’une sorte de reconnaissance
juridique.
40
Le cartouche de 1730 (igure 1) mentionne également
la présence d’un cimetière, attenant à la chapelle. Un
calvaire y igure en son centre. À l’usage, cette image
s’est révélée une source très iable pour tout ce qui
concerne l’organisation générale du secteur résidentiel. On constate que l’emplacement du cimetière
et son étendue correspondent bien avec ce que nos
recherches archéologiques ont retrouvé. On peut
estimer aussi que la pratique des inhumations dans ce
terrain est antérieure à 1730, sans qu’une date puisse
être avancée.
l’université de Caen. Dans un sondage de 12 m2
environ, dix fosses d’inhumations avaient alors été
identiiées à quelques mètres de la sacristie (Le Roux
et al. 2009 : 217). La principale diiculté à préciser
davantage le nombre de personnes inhumées est la
conséquence de la forte acidité des sols guyanais qui
empêche toute préservation de la matière organique.
Seule une diférence de couleur et de texture du sol
permet de repérer les vestiges organiques. Dans le cas
présent, la forme anthropoïde des tâches de sol nous
a permis d’associer ces éléments à des fosses d’inhumation. L’orientation des fosses respecte l’orientation
générale de l’habitation et surtout de la chapelle, et
respecte à peu près la pratique chrétienne qui privilégie une orientation ouest-est.
les découverTes archéologiques
En 2012, un second sondage exploratoire (igure 2)
avait été efectué en vue de préparer une intervention importante prévue pour l’été suivant. La surface
présumée du cimetière avait été désherbée faisant
ainsi apparaître deux alignements de pierres parallèles d’environ onze mètres de long, parallèles à
la chapelle. Le sondage avait alors été implanté au
centre de ces deux structures dont la surface n’était
pas complètement dégagée en raison de la pente
naturelle du site. La proximité entre ces structures
et la chapelle, ainsi que plusieurs caractéristiques
communes d’un point de vue architectural, laissaient
présager que ces deux espaces pouvaient être reliés
entre eux. Notre hypothèse était qu’il devait exister
des espaces séparés dans le cimetière, les registres
paroissiaux portent ainsi la mention « cimetière pour
enfants », on peut supposer également que comme à
Cayenne, il existait un emplacement pour les esclaves
et un autre pour les libres. Toutefois, cette hypothèse
n’a pu être conirmée puisqu’aucune trace de fosses
d’inhumation n’y a été retrouvée. Des observations
ultérieures nous orientent vers une autre interprétation. Cette structure est sans doute postérieure à la
période de l’occupation jésuite. Ceux qui ont repris
l’habitation, les frères Prépaud, ont aménagé un
bâtiment dans l’emprise du cimetière, abandonné
et déconsacré. Lors de ces travaux, le terrassement
du sol a provoqué de fortes perturbations ou l’efacement des fosses d’inhumation qui se trouvait peut être
à cet emplacement.
La présence de fosses d’inhumation à Loyola avait
d’abord été conirmée lors d’un sondage exploratoire en 1997 par le professeur Claude Lorren de
En 2013, des sondages archéologiques, sous forme de
tranchées, ont été efectués dans l’objectif de retracer
les limites du cimetière, de comprendre l’organisation
Figure 1 Cartouche de la carte d’Hébert 1730, archives de Vincenne
On sait que, en l’espace d’un siècle, l’habitation a
été implantée à trois ou quatre endroits diférents.
L’habitation précédente occupait le site de Quincy
remontant au dernier quart du XVIIe siècle, les
éléments de mobilier, recueillis sur ce dernier site,
déinissent une période d’occupation qui n’est pas
antérieure au XVIIIe siècle. Ces quelques sources
conirmées par les recherches archéologiques, font
de ce cimetière le premier exemple, identiié et
documenté, remontant à l’époque esclavagiste en
Guyane Française.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
41
Figure 2 Croquis de la fouille du cimetière
spatiale et de documenter les pratiques funéraires des
jésuites. Nous souhaitions aussi étudier davantage
la relation entre le cimetière et le reste du secteur
résidentiel de Loyola. La supericie fouillée pour
répondre à l’ensemble de ces interrogations était si
vaste pour une équipe de cinq fouilleurs que, malgré
l’aide de nombreux bénévoles, une deuxième intervention majeure a été nécessaire. Au cours de cette
troisième année, cinq semaines de fouilles ont été
accordées pour inaliser l’étude de ce secteur, dont
le principal objectif était de retracer les limites du
cimetière ain d´en estimer sa supericie.
L’ensemble de la supericie, fouillée au cours de ces
deux campagnes importantes, a été divisé en trois
sections : nord, centrale et sud. La section nord, celle
qui contenait les deux murs de pierres parallèles,
n’a pas permis de retrouver de fosses d’inhumation
conservées. Toutefois, il n’est pas exclu qu’il y en ait eu
à l’origine. En efet, la fouille a mis au jour des indices
de réaménagement postérieur à l’occupation jésuite
de cet espace, dont la construction de ces murets
(Rapport 2014 : 69-70). Outre les fosses qui avaient
été identiiées en 1997, la section centrale s’est révélée
également perturbée par cet aménagement : aucune
trace de fosses d’inhumation et seuls quelques petits
fragments de poterie sucrière ont été retrouvés. C’est
la section sud qui, contre toute attente, contenait les
indices les plus lisibles de l’existence d’un cimetière à
cet endroit.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
L’organisation spatiale du cimetière s’est révélée assez
complexe. Tout d’abord, l’analyse des proils stratigraphiques a permis d’identiier deux niveaux superposés de fosses d’inhumations. Puis, la découverte de
fosses d’enfants mélangées à celles d’adultes viendrait
mettre en doute la présence d’un espace réservé aux
enfants comme le sous-entendait les archives. Plus
d’une quarantaine de fosses ont été identiiées dans les
deux tranchées principales. De plus, en contradiction
avec les pratiques funéraires chrétiennes, certaines
fosses contenaient des ornements corporels (bijoux).
En efet, des perles de verre noires, bleues et blanches
et un anneau en argent ont été retrouvés lors du
tamisage du sol des fosses. Les restes d’un Christ en
alliage cuivreux d’une croix de chapelet, représentent
un reste de mobilier funéraire plus attendu (igure 3).
On a découvert une fosse dont la taille et la
profondeur dépassaient largement les dimensions
habituelles. Plusieurs clous encore en place ont été
retrouvés pendant la fouille formant le dessin de ce
qui pourrait être un cercueil en bois rectangulaire.
C’est dans la fosse de son voisin que le Christ en
cuivre a été retrouvé. Situés en amont du cimetière,
parmi les plus éloignés par rapport à la chapelle, nous
sommes en droit de nous questionner quant au statut
de ces deux personnages.
Enin, la découverte d’un alignement est-ouest d’au
moins quatre taches circulaires dans le sol pourrait
être associé aux négatifs d’anciens trous de poteaux
42
Figure 3 Artéfacts trouvés lors de la fouille de 2013
en bois (Rapport Loyola 2015 : 74-75). L’absence
de traces supplémentaires s’explique par l’importante bioturbation qui caractérisait cette zone du
cimetière lors de la fouille. Ces négatifs avaient tous
un diamètre d’environ 22,0 cm et atteignaient une
profondeur similaire. Grâce aux découvertes précédentes, ainsi qu’à l’organisation spatiale générale
du secteur résidentiel de l’habitation, nous pouvons
estimer la position de la limite perpendiculaire. En
partant du principe que le cimetière était rectangulaire, comme les bâtiments de l’habitation, sa
supericie serait d’environ 450 m2 (Rapport Loyola
2015 : 75). On ne peut malheureusement pas estimer
le nombre d’individus inhumés puisque les fouilles
antérieures ont montré que la densité d’occupation
n’est pas uniformément répartie dans le cimetière.
espoirs d’analyse
En plus de documenter les découvertes archéologiques, il était aussi question de tester des méthodes
dans le but de retracer la présence d’éléments
organiques anciens, tels que des vestiges de maçonnerie et de restes humains. Pour ce faire, des échantillons de sol ont été recueillis sur le site : d’abord dans
les couches naturelles et d’occupation ; puis, dans
le fond des trous associés au poteau en bois et dans
le fond des fosses d’inhumation. Ces échantillons
ont été envoyés à l’Institut National de Recherches
Scientiiques (INRS) de Québec ain d’être analysés
au spectromètre de masse, ainsi que pour passer des
tests physico-chimiques. Nous sommes toujours dans
l’attente de ces résultats qui devraient être connus
dans le courant de l’année 2015.
conclusion
L’habitation Loyola a été un centre religieux et
économique de tout premier plan dans l’histoire de
la Guyane Française. Bien que plusieurs secteurs
restent encore à découvrir et à étudier, l’archéologie a
déjà fourni un apport décisif d’informations sur cette
période de l’histoire coloniale et plus particulièrement
sur celle des habitations. C’est dans des lieux comme
celui-ci qu’a commencé à se construire la société
guyanaise d’aujourd’hui. Des religieux, des soldats,
des habitants, des Amérindiens, des esclaves afranchis, mais, sans aucun doute, la grande majorité des
esclaves de Loyola que l’on peut estimer à plusieurs
centaines, ont été inhumés dans ce cimetière.
Retrouvé et étudié, cet emplacement est un lieu de
rencontre entre l’histoire et la mémoire.
bibliographie
Houle-Wierzbicki, Zocha et Le Roux, Yannick
2015 Loyola 2014, rapport de fouille programmée, secteur
du cimetière et son projet de mise en valeur. Cayenne : Service
régional d’archéologie de la Guyane.
Houle-Wierzbicki, Zocha et Le Roux, Yannick
2014 Loyola 2013, rapport de fouille programmée, secteur
du cimetière et son projet de mise en valeur. Cayenne : Service
régional d’archéologie de la Guyane.
Le Roux, Yannick, Auger, Réginald, et Cazelles,
Nathalie
2009 Les jésuites et l’esclavage Loyola : l’habitation des
jésuites de Rémire en Guyane française. Presses de l’Université du Québec, Québec.
Letton, Colette
2000 Esclavages. Les cahiers du patrimoine Fonds
Saint-Jacques, CERA, Martinique, Schoelcher.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
la poTerie des jésuiTes :
croissance eT déclin d’un aTelier du xviii
e
siècle
catherine losier, memorial university of newfoundland
claude coutet, aïmara
L
a fouille de la poterie des Jésuites est l’un des
volets du projet de recherche intitulé « À l’origine
d’une société métissée : les interactions culturelles
au début de la colonisation en Guyane (in du XVIIe
siècle – début du XVIIIe siècle) ». Ce projet vise à
documenter les interactions culturelles entre les
membres des diférentes communautés établies en
Guyane à une époque où la colonie et ses habitants
devaient faire face à un isolement important, en
l’absence d’un ravitaillement régulier provenant de
France. De fait, des collaborations se sont développées
entre les nouveaux arrivants (européens et africains)
et les populations indigènes ain de produire les objets
nécessaires à la vie en Guyane, notamment ain de
ravitailler les habitations en céramiques essentielles
à la production de sucre, formes à sucre et pots de
raineurs.
Peu abordée en Guyane, l’étude des interactions
culturelles et de la créolisation des coutumes et des
techniques peut être approchée sous diférents angles.
La fouille de cet atelier de poterie a pour objectif de
venir compléter les précédentes fouilles de l’habitation
Quincy et de la poterie Bergrave (Losier et Coutet
2013a ; 2013b). En considérant les résultats d’analyse
de la céramique des XVIIe et XVIIIe siècles trouvée
à la poterie Bergrave et à l’habitation Quincy, nous
nous sommes naturellement dirigées vers la poterie
des Jésuites (en fonction au moins depuis 1690 et
jusque dans les années 1760) ain de comparer
l’organisation du site et son mobilier avec les assemblages des sites fouillés en 2012 (igure 1). Les fouilles
réalisées en 2014 constituent la deuxième campagne
que nous entreprenons sur ce site et se basent sur les
découvertes faites au cours de l’été 2013, notamment
l’identiication d’une structure maçonnée (Coutet et
Losier 2014).
Figure 1 Carte de localisation des sites archéologiques
Karapa, vol. 3, juin 2014
43
44
Le site de la Poterie des Jésuites a été identiié en
1988 par Patrick Huard, près de la crique Cabassou,
non loin de la mairie de Rémire. La première, et la
seule, intervention archéologique qui a eu lieu sur ce
site date de 2001. Nathalie Croteau, alors étudiante
à l’Université Laval au Québec, avait réalisé des
fouilles préliminaires en vue de vériier s’il s’agissait
bien du site de la poterie des Jésuites et d’évaluer
son potentiel (Croteau 2002). Lors de ces fouilles,
des bonnettes de cuisson et des briques vitriiées ont
été trouvées, de même qu’une quantité impressionnante de céramiques sucrières accumulée dans le but
de drainer une aire de circulation. Ces découvertes
constituent un faisceau d’indications permettant de
penser que ce site est associé à un atelier de poterie.
En outre, la découverte de tessons marqués avec
l’étampe IHS, Jésus sauveur de l'humanité, a permis
de proposer un lien avec l’habitation Loyola.
Bien que ces travaux n’aient pas mené à l’identiication d’indices prouvant hors de tout doute que le
site était bel et bien une poterie, un chemin d’accès
menant vraisemblablement vers le cœur de l’atelier
a été identiié, de même qu’un très grand nombre de
tessons de céramique. Il est probable que ce chemin
d’accès ait aussi servi pour amener les céramiques
sucrières vers l’habitation Loyola comme le suggèrent
les ponts et chemins illustrés sur la carte de Dessingy
en 1771.
Nathalie Croteau n’a pu continuer les fouilles et les
recherches ont été interrompues. Le site de production
n’a donc jamais été mis au jour (fours et tessonnières
n’ayant pas été identiiés). Après plus de 10 ans de
suspension des recherches, des fouilles ont été entreprises au cours de l’été 2013 dans un secteur situé
au nord du secteur exploré par Nathalie Croteau.
Au cours de cette campagne, plusieurs sondages
ont été efectués et l’un d’eux a livré les vestiges
d’une structure maçonnée (igure 2). Nous avons
posé l’hypothèse que cette structure était peut-être
associée à un des bâtiments de la poterie des Jésuites,
tels qu’illustrés sur la carte de Dessingy dressée en
1771 (igure 3). L’objectif des fouilles entreprises en
2014 visait à explorer cette structure.
La mise en place de la poterie des Jésuites peut être
associée à l’habitation Loyola. Les Jésuites devaient
avoir accès à une quantité importante de céramiques
dans l’objectif de produire du sucre. Il est aussi
possible qu’une certaine partie de la production
de la poterie des Jésuites ait été destinée à la vente.
Thibaudault (1995 : 175) rapporte que de Férolles, en
1696, a accordé aux Jésuites la propriété des terres où
se situe « leur vieille poterie ». On peut donc estimer
que cette poterie était utilisée dès l’installation des
Jésuites, dans les années 1660 (acquisition des terres
de Quincy en 1665 et de Drago en 1668). Elle est
d’ailleurs très proche de ces deux terrains et du
quartier des esclaves.
Figure 2 Maçonnerie identiiée en 2013
Karapa, vol. 4, décembre 2015
45
Figure 3 Mention «la poterie » la carte de Dessingy en 1771
Lors de la campagne de 2014, l’aire de fouille de 2013,
a été élargie vers le sud, l’est et l’ouest dans l’objectif de mieux documenter la structure maçonnée.
Au nord de cette opération, nous avons ouvert un
sondage exploratoire. La fouille a été réalisée à la
main, sans l’apport de machinerie lourde. L’aire
de fouille principale nommée couvre une surface de
6,30 m (axe nord-sud) sur 5,20m (axe est-ouest). Le
sondage exploratoire situé au nord de l’aire de fouille
principale couvre une supericie de 2,50 m sur 1,20
m. Les résultats de la campagne 2014 sont enthousiasmants. Ils répondent à plusieurs questions et en
soulèvent d’autres. Les découvertes seront détaillées
en suivant la chaîne opératoire de la fabrication de la
céramique à la poterie des Jésuites, ce qui permettra
dans la foulée de comprendre l’organisation du site.
Dans le secteur sud-ouest de l’aire de fouille, une
zone (igure 4) a été excavée, très probablement dans
l’objectif d’y retirer l’argile nécessaire au fonctionnement de l’atelier. Toujours sur la même igure,
une zone (encerclée) pourrait aussi avoir servi de
carrière d’argile. Toutefois, si dans le premier cas, le
creusement est très clair, ce n’est pas le cas pour la
deuxième zone. Les aires ou ateliers de préparation
et travail de l’argile n’ont pas été identiiés ni au cours
des fouilles réalisées en 2013, ni au cours des fouilles
2014. Des travaux futurs devront être entrepris pour
mieux comprendre ces aspects de la fabrication de la
Figure 4 Zones d’extraction d’argile
Karapa, vol. 4, décembre 2015
46
Figure 5 Emplacements possibles de l’atelier de production des céramiques
céramique à la poterie des Jésuites. Le secteur nord
et ouest de la plateforme sur laquelle est sis le four de
potier pourrait abriter d’autres bâtiments (igure 5).
Il est possible que les alignements de pierres identiiés dans la section est de la tranchée exploratoire
soient associés à un bâtiment, ce secteur devra faire
l’objet d’une attention particulière lors de prochaines
fouilles.
Le rapport de la fouille de 2013 a beaucoup insisté
sur la production de céramique à la poterie Bergrave
(Coutet et Losier 2014). Il a été mentionné dans ce
rapport une technique mixte de production alliant le
montage au colombin et le façonnage au tour. Cette
technique est peu connue pour l’époque coloniale
et des analyses supplémentaires seront nécessaires
pour déterminer si cette technique est spéciique à la
Guyane ou si elle était pratiquée à diférents endroits
dans l’aire circum-caraïbe. Cette méthode de production est particulièrement intéressante car elle suggère
une chaîne opératoire permettant la division des
tâches selon plusieurs groupes de travailleurs. De plus
amples recherches devront être réalisées pour mieux
documenter cette chaîne opératoire.
En ce qui concerne les objets importés, comme au
cours de la saison 2013, ils ont été presque absents des
assemblages de 2014, seuls deux fragments de faïence
avec un décor bleu ont été trouvés à l’extérieur du
four de potier. Pour les autres objets importés, ou
diférents des productions de la poterie des Jésuites,
il s’agit d’une bouteille de verre vert foncé et d’un
contenant de verre opaque blanc, trouvés dans les
couches postérieures à l’abandon de l’atelier à la
in du XVIIIe siècle ou au XIXe siècle. Il est diicile
Karapa, vol. 4, décembre 2015
d’ainer les dates d’occupation du site en l’absence
d’artefacts diagnostiques.
L’aspect le plus intéressant des fouilles de 2014 est
sans contredit le fait qu’une structure de chaufe
mesurant 2,72m (N-S) sur un minimum de 1,58m
(E-O) et dont l’intérieur est chemisé en briques a été
identiiée (igure 6). Les briques étaient certainement
utilisées à cause de leurs qualités thermiques qui
permettent de bien conserver la chaleur à l’intérieur
du four. Les mesures mentionnées plus tôt sont celles
Figure 6 Vue du four
47
Figure 7 Relevés des parois du four
Karapa, vol. 4, décembre 2015
48
de l’intérieur du four, les dimensions extérieures ne
sont pas connues, car les limites de la structure n’ont
pas été atteintes (igure 7). Selon les données recueillies durant la fouille, le toit de cette structure était
très certainement recouvert de tuiles en céramique, à
crochet ou non. En efet, un très grand nombre de ces
tuiles a été découvert dans le remblai qui comblait le
four. L’orientation des tuiles, positionnées à l’oblique,
concorde avec l’interprétation qui veut que le toit
se soit écroulé à l’intérieur du four. Toutefois, il est
impossible pour le moment de déterminer quelle
portion du four était destinée à recevoir le bois pour
la chaufe et à quelle hauteur se situait le laboratoire.
Il est aussi nécessaire de mentionner que les pierres
de gros calibre recouvrant le four proviendraient du
nettoyage du canal (bordant l’ouest du site) et elles
suggèrent que cette activité a endommagé le four de
potier dans son extrémité ouest.
En comparaison avec le four du site de Petite poterie
situé près du Marin en Martinique, le four de la
poterie des Jésuites semble petit. Même si les murs
faisaient 1 m d’épaisseur (ce qui est une estimation)
le four guyanais serait beaucoup plus petit que son
acolyte martiniquais, qui mesure 8,40m sur 7,80m
(Ollivier 2012). Le plan de Dessingy montrant
quatre bâtiments, il est raisonnable de suggérer que
la poterie des Jésuites ait été pourvue de plus d’un
four, comme c’est le cas dans plusieurs autres poteries
coloniales (au Marin, par exemple). Des excavations
supplémentaires seront nécessaires ain d’élucider
cette question.
Les fouilles réalisées à l’extérieur du four donnent
aussi des informations concernant un possible réaménagement du four ou encore sur les séquences d’occupation de la poterie. En efet, une première couche
d’occupation couvre le sol naturel, elle est identiiée
par des tessons posés à plat et le sol semble avoir
été piétiné (igure 8). En association avec ce lot, des
pierres bordant le four ont été trouvées. L’importante
accumulation de sol entre le sommet de ces pierres
et une autre série de pierres présente au moins 20
cm plus haut est diicile à expliquer. Il est possible
que cette accumulation de sol ait été causée par une
modiication ou réparation réalisée sur le four, car de
grandes quantités de matériaux de construction, du
charbon et de la chaux ont été trouvées en association
avec cette couche d’accumulation.
La gestion des déchets de cuisson est toujours un
enjeu pour les travailleurs d’une poterie. En efet,
des problèmes de température et de pression peuvent
mener au bris des pièces dans le four. Lorsque des
Figure 8 Première couche d’occupation
Karapa, vol. 4, décembre 2015
fournées sont ratées et que la majorité des objets
présents dans le four se fracturent, un très grand
nombre de tessons est produit. Souvent les ratés de
cuisson sont disposés en tas autour du four, ces tas
sont appelés tessonnières. C’est ce type de traitement
des ratés de cuisson qui a été observé à la poterie
Bergrave (Losier et Coutet 2013b). Dans le cas de
la poterie des Jésuites, le traitement des déchets se
faisait d’une toute autre manière. Efectivement,
plutôt que d’entasser les tessons dans des monticules,
il est probable qu’ils aient été utilisés pour niveler
la partie nord-est de la terrasse sur laquelle le four
a été trouvé. En efet, les sondages réalisés dans ce
secteur au cours de l’été 2013 et les fouilles de 2014,
notamment la fouille de la tranchée, nous ont permis
de comprendre que le sol d’occupation d’aujourd’hui
a été nivelé.
De plus, le sondage exploratoire fouillé au nord du
four a livré des indices qui permettent de poser l’hypothèse que l’ouverture du four se situait peut-être de ce
côté. En efet, le mélange de tessons et de charbon
permet de croire qu’il est possible que ce secteur
fût utilisé par les ouvriers pour vider les cendres du
four. Cet atelier était très certainement en activité
au cours du XVIIIe siècle et opéré par les Jésuites.
Lorsque la production des poteries était terminée, les
objets reprenaient les chemins vers Loyola, Rémire
ou Cayenne où la production pouvait être écoulée,
probablement par le chemin d’accès identiié par
Nathalie Croteau.
Grâce à la campagne de fouille de 2014, nos connaissances de la poterie des Jésuites ont été étofées. Six
étapes menant à la production d’objets de céramique
ont été identiiées : l’extraction de l’argile, la préparation de l’argile et le façonnage des objets, la cuisson
des céramiques, la gestion des déchets de cuisson et
l’acheminement de la production vers les lieux d’utilisation des poteries. Jusqu’à présent, les fouilles de
la poterie des Jésuites nous ont permis d’identiier
cinq des lieux destinés à la réalisation de ces étapes
de production. Seul l’atelier de production n’a pas été
identiié, toutefois des hypothèses quant à sa localisation ont été posées.
Selon ces dernières avancées, les prochaines fouilles à
la poterie des Jésuites devront se concentrer sur deux
secteurs :
- L’est du four de potier dans l’objectif de mieux
documenter la tessonnière, mais surtout d’investiKarapa, vol. 4, décembre 2015
guer l’aménagement de pierres situé dans l’est de la
tranchée.
- Il serait aussi important de poursuivre les fouilles
au nord du four ain de vériier la présence d’une
ouverture qui servait à remplir et à alimenter le four
et aussi, ain de mieux comprendre l’accumulation
de charbon identiier dans ce secteur. La fouille de
ce secteur nous permettrait de mieux comprendre le
four en ayant accès à son extérieur et peut-être de
mieux comprendre les réaménagements dont il a été
l’objet.
bibliographie
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2014 Poterie des Jésuites. Rapport de fouille. Soumis au
Service régional d’archéologie, Cayenne, Guyane,
22p.
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Thibaudault, Pierre
1995 Échec de la démesure en Guyane, Autour de l'expédition de Kourou. Imprimerie Pairault, Lezay.
49
l’habiTaTion beauregard
1665-1890
nathalie cazelles, aïmara
50
L
’étude des archives permet de ixer la date de
fondation de l’habitation Beauregard entre 1665 et
1674 par les sieurs Bardet et Bibault1. Dans l’inventaire des habitations de Goupy des Marets en 1689
on peut lire : « au fond de Rémire, la sucrerie de cy
devant les sieurs Bibaud et Bardet et aujoud’hui de M.
Lepigny, Sieur de la Haye, et occupé par le sieur de
Givry comme économe, greier et notaire de l’Ile2 ».
Après la mort de Bardet, l’habitation est afermée en
association avec le sieur Gaudais en 1683. En 1689,
l’habitation est mise en liquidation3. Le 22 avril 1692,
le sieur Gaudais vend sa part au sieur Saint-Cirice.
L’inventaire de 1707, nous indique que « Saint-Cirice
et sa femme ont deux illes (en France), 13 nègres, 13
négresses, 6 négrillons et 2 négrittes et 8 invalides, en
outre, ils ont un indien et 2 indiennes à leur service,
8 chevaux et 30 bêtes à cornes, 4 fusils et 2 armes
blanches, ils font du sucre ».
En 1722, la veuve Saint-Cirice vend l’habitation aux
jésuites qui plantent des caféiers et des cacaoyers.
A la in des années 1730, l’habitation prend la
dénomination de Mont-Louis. Le 2 janvier 1764
l’ordre des jésuites est dissous par décret royal. Dans
l’inventaire de 1764 sont mentionnés : deux grands
bâtiments polyvalents – hangars, ateliers, résidence
et 25 cases d’esclaves. Il semblerait que les jésuites
aient partagé les productions entre les habitations de
Loyola et Mont-Louis, à l’une le sucre, à l’autre le
café et le cacao4. Les biens meubles et immeubles des
pères sont saisis à titre conservatoire et coniés aux
Prépaud (père et ils), fondés de pouvoir du Syndic
de l’union des créanciers des jésuites5. Jacques-Sébastien Prépaud délègue ensuite ses pouvoirs à ses
1 ANOM, C14,f° 188, 1699.
2 Goupy des Marets, F°72, Bibliothèque de Rouen, Fonds
Montbret, 1689.
3 Goupy des Marets, op. cit.
4 Le Roux, Auger, Cazelles, Les jésuites et l’esclavage, Loyola, Presse
de l’Université du Québec, 2009, p.66.
5 ANOM, C14, 27 F°174.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
deux ils, Gaëtan et Joseph-Jacques. L’évaluation des
biens permet d’estimer les habitations Mont-Louis et
Trois Rivières à 64 500 livres6. En 1766, un inventaire indique deux corps de bâtiments sur l’habitation
Mont-Louis7. Cette même année, l’ensemble Loyola
- Mont-Louis est vendu aux frères Prépaud8.
Vers 1775 Gaëtan Prépaud installe une sucrerie à Mont
Louis fonctionnant grâce à un moulin à eau utilisant
le ruisseau Bardet. Une nouvelle maison de maître
est édiiée, portant le nom de Beauregard, du nom
du château que le père de Gaëtan et Joseph possédait
en France9. A la même période, les frères font creuser
le canal Beauregard (ou Lacroix) pour permettre
de relier leur habitation à la crique Cabassou et au
canal de la crique fouillée10. Cependant les dettes
accumulées par les frères sont telles, qu’en 1777, à la
demande d’Anne Grima de Monaco, procuratrice de
son ils après le décès de Jacques Sébastien Prépaud,
l’intendant Malouët missionne deux économes de
Saint-Domingue pour restaurer le domaine. Ils
témoignent de l’état de délabrement de l’habitation :
« l’habitation de Beauregard, telle qu’elle est actuellement avec 45 carrés en cannes, ne donnera pas cette
année 70 barriques de sucre. Le régisseur que j’y ai
mis en a planté tout à l’heure 40 autres carreaux. On
y a fait un très beau moulin à eau et qui coûte fort
cher, mais il n’y a pas d’eau pendant tout l’été11 ».
6 Archives des jésuites de France, Vanves, Papiers Quincerot.
7 ANOM, C14, 34-1766.
8 Bigot, L’habitation Loyola après le départ des jésuites : une lecture
de l’occupation du sol à partir des archives historiques (1764-1938),
Mémoire de maîtrise, Paris I, Sorbonne, 2004.
9 Archives nationales de Paris, CARAN, MC, étude XCVI,
liasse 468, minute Doillot, Paris, 12 décembre 1772.
10 ANOM, 3 mi. B31 : archives Quincerot, étude Andelle,
Paris, 19 décembre 1787, « acte de société entre M. Bajon et M.
Le Roy ».
11 ANOM, serie E 341 bis, pièce 79, lettre Malouët, 14 nov.
1777.
En 1787, l’habitation Beauregard, à laquelle est
réunie celle de Mont-Louis, est vendue à Bertrand
Bajon, ancien chirurgien major de l’isle de Cayenne,
pensionnaire du roi12. En 1789, il crée une société
pour gérer l’habitation avec les sieurs Le Roy La
Brière et Rouhette13. La propriété porte sur 990 carrés
plantée en cannes, en coton et cacao, avec vivres ; elle
comporte des « bâtiments, moulins à eau pour cannes,
sucrerie, purgerie, étuves, cases à bagasse, vinaigrerie, cases à maîtres, hôpital, cases à nègres et autres
bâtiments quelconques » ; elle possède des « bœufs et
vaches, chevaux, mulets et moutons et autre » ; elle
fait travailler un atelier de 420 esclaves14. En 1793,
un inventaire de l’habitation est établi à la suite du
décès de l’administrateur de l’habitation M. Charles
Félix Hérissay15: elle compte alors 345 esclaves, une
maison de maître en bardeau à réparer, un bâtiment
servant de cuisine, écurie et forge, une cuisine, un
ancien moulin servant d’hôpital, un bâtiment de 40
pieds de long servant de chambre pour l’économe
et de magasin pour le café, le cacao et le coton, une
sucrerie avec deux équipages en fer, un bac à vesou,
un rafraîchissoir en cuivre, une sécherie avec 296
formes à sucre, une étuve, une case à bagasse, une
vinaigrerie avec deux chaudières montées, une petite
maison pour M. Bajon, une poterie avec un four avec
galeries tournantes, un bâtiment de 90 pieds de long
couvert à neuf, des plantages en cannes, cotons et
cafés.
A partir du XIXe siècle, les connaissances sur l’habitation sont plus lacunaires dues à un manque de
dépouillement des archives. Ce travail devra être
poursuivi ultérieurement. Le travail d’Eugène Epailly
permet toutefois de savoir qu’en 1843, lors de la visite
de l’habitation par l’inspecteur des douanes, M. Itier,
sont mentionnés deux équipages de quatre marmites ;
qu’en 1847, l’habitation fait travailler 205 esclaves,
fabrique du sucre et du cacao et que de nombreux
esclaves sont à talent : sucrier, charpentier, maçon,
charron, forgeron, pêcheur, chasseur, vacher ; qu’en
12 ANOM, 3 mi B 31, minute Doillot, Paris, acte de vente du
20 septembre 1787.
13 ANOM, 3 mi B 31, op. cit.
14 Richard, « L’habitation Beauregard (1787-1866) », in
Huyghes-Belrose, Deux siècles d’esclavage en Guyane française, Ceger
l’Harmattan, Paris, 1986, p.124-129.
15 ANOM, DPPC, GUY 176, Etude Rondeau, acte du 1er
juin 1793. Document transmis par K. Sarge, Service Langue et
Patrimoine, Région Guyane.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
1890, est fait mention d’une vente de taia de l’habitation Beauregard.
démarche scienTifique
En septembre 2014, le Service de l’Archéologie a
missionné l’association AIMARA pour le relevé des
vestiges de l’habitation Beauregard ain d’établir
un état sanitaire. En efet, le site se situe dans une
zone qui pourrait bientôt être soumise à la pression
des aménageurs, puisque situé au cœur de la ville de
Rémire. Dans les années 1980, le bas de la colline
avait été aménagé pour un bidonville, qui a été rasé
aujourd’hui. Actuellement le bas et le sommet de
la colline sont utilisés par des agriculteurs (serres et
abattis). Il devenait donc nécessaire d’établir un état
sanitaire ain d’inclure les vestiges dans le PLU de
la commune de Rémire-Montjoly, ainsi que dans la
carte archéologique. Les bénévoles de l’association
ont donc procédé au nettoyage de surface du site,
puis à un relevé photographique des vestiges ainsi
remis au jour. Des observations sur les techniques
de construction ont été faites. Dans un deuxième
temps, l’association a missionné des topographes ain
d’insérer les vestiges dans le cadastre de la commune.
Le passage du LIDAR sur la commune a permis
de compléter les observations faites au cours de la
prospection pédestre.
vesTiges repérés
Des polissoirs amérindiens ont été repérés sur le site
au niveau du chemin pavé et du barrage hydraulique
du XXe siècle (igure 1). Ils n’ont pas été relevés par
les topographes.
Figure 1 Polissoirs amérindiens, cliché N. Cazelles 2014
51
52
Sur la carte ancienne datant de 1868 on peut voir
l’emplacement de la retenue d’eau et un ensemble
important de bâtiments (igure 2). Cependant la
prospection n’a pas permis d’identiier autant de
structures, seul le barrage poids et deux bâtiments ont
été clairement identiiés. La carte ne permet pas d’y
associer les données archéologiques car les illustrés
de la carte ne sont pas assez précis. Par ailleurs, l’un
des bâtiments se situe sur la berge droite du criquot
où aucun iguré n’est représenté sur la carte. Il sera
nécessaire de poursuivre la recherche de cartes
anciennes pour ainer le croisement des archives et
des données de terrain.
Figure 3 Le barrage poids, cliché N. Cazelles 2014
2) Un mur en briques de 0.80 m de large sur 17 m
de long conservé a ensuite été construit pour constituer un barrage à l’eau du marécage. 19 assises sont
visibles pour un gabarit de briques de 4 cm × 23 cm
× 11 cm. Les briques sont agencées par rang, l’un sur
la longueur, l’autre sur la largeur de la brique.
Figure 2 Carte de 1868, cliché K. Sarge
Selon les archives le barrage hydraulique aurait été
construit vers 1775 par les frères Prépaud. Les vestiges
visibles sont constitués par (igure 3):
- Un mur barrage de plan en U encadrant une retenue
d’eau, aujourd’hui un marécage reconnaissable à la
forêt de mocou-mocou qui y a poussé.
- Le barrage a été construit en 3 temps :
1) Les murs de côté, d’environ 9 m de long pour 0.63 m
de large, construits en moellons de grison montés à
sec. Ils sont constitués de 2 parements accolés, dont
le parement ouest s’appuie contre la berme naturelle
de la retenue d’eau. Le mur Est est visible sur 1 m de
large, il semble allier des moellons de grison et des
briques. La barre du U s’appuie contre les murs de
côté.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
3) Un glacis de moellons de grison et de cuirasse
ferralitique permettant de faire contrepoids à la
pression de l’eau contre le mur de briques a dans un
dernier temps été construit. Il mesure près de 1.60
m de hauteur pour une épaisseur d’environ 3 m. On
observe 3 étapes dans la construction du glacis, ainsi
qu’un aménagement d’une fenêtre permettant de
canaliser l’eau pour alimenter la roue à eau située à
environ 100 m plus bas, au pied de la colline. Le mur
de briques est enchâssé dans le glacis de moellons.
A : Le glacis de moellons recouvre toute la structure
jusqu’au niveau supérieur du mur de briques
(Figure 4).
B : Une partie du glacis présente un retrait sur 30
cm d’épaisseur à l’ouest de la structure. Il permet
d’observer la technique de construction du barrage
poids : le mur de briques est enchâssé dans le glacis
de pierre (igure 5). On peut supposer que le glacis
à l’origine était moins épais, et qu’à un moment
la pression de l’eau a afaiblit le barrage poids et a
nécessité le renforcement du glacis à l’ouest.
C : Le glacis est construit en briques et il est aménagé
d’une fenêtre pour canaliser l’eau vers la roue
permettant le broyage de la canne à sucre (igure 6).
On observe que la fenêtre a été bouchée, peut-être
peu après l’abandon du site.
53
Figure 4 Glacis de moellons
Figure 5 Mur de briques enchâssé dans le glacis
Figure 6 Fenêtre permettant l’évacuation de l’excédent de la retenue d’eau
Karapa, vol. 4, décembre 2015
54
Figure 7 Zone arrachée du barrage poids
Figure 8 Bassin aménagé dans le ruisseau
On observe également deux zones où le barrage a
été en partie détruit (igure 7). À l’ouest, le mur de
briques et le glacis ont disparu. Aucun jambage n’est
observé, ce qui ne permet pas de conclure à une
ouverture volontaire. Cependant, la connexion entre
la retenue d’eau et le ruisseau est pavée. A l’est, un
fromager a endommagé le barrage et en a détruit une
partie. Il ne permet pas d’observer la connexion entre
le mur nord et le mur est.
On observe dans le ruisseau un petit bassin aménagé
(igure 8) : un mur en briques et en blocs de cuirasse
ferralitique et en grison, barre le ruisseau. Un des
Karapa, vol. 4, décembre 2015
côtés est également consolidé par un mur. Il n’est pas
possible, dans l’état actuel de la recherche, de déterminer au cours de quelle période de l’occupation
de l’habitation ce bassin a été aménagé. Il se situe à
proximité du bâtiment avec véranda.
Au pied de la colline les berges du ruisseau sont
consolidées par un mur en moellons de grison. On
observe également deux avancés des murs réduisant
l’espace du ruisseau. On observe dans le paysage, à
proximité de cet aménagement, la présence d’une
butte très importante qui ne semble pas naturelle. On
émet l’hypothèse que ces avancés marquent l’empla-
55
Figure 9 Emplacement supposé de la roue à eau.JPG
Figure 10 Butte pouvant recouvrir les fours
cement de la roue à eau ayant servi au broyage des
cannes à sucre. La butte pourrait révéler la présence
des fours. A ce stade de la recherche, seuls des
sondages permettraient de conirmer ou d’inirmer
cette hypothèse (igure 9 et 10).
bâtiments ont été identiiés. Il est consolidé par une
assise de moellons de grison sur 1,70 m de large. Un
pont a été installé pour passer par-dessus un dénivelé
important de la colline. Le chemin n’a pas été observé
sur sa totalité.
On observe dans le paysage deux chemins pavés : une
partie de la colline est pavée entre la zone de la roue
à eau (au pied de la colline) et le barrage poids. On
le suit en partie mais il est recouvert par une zone
importante de bambous. Au niveau du barrage,
barrant le lanc est de la colline un chemin pavé est
aménagé pour rejoindre une zone où des vestiges de
À lanc de colline, relié par le chemin pavé qui part du
barrage, on peut observer un ensemble de bâtiments
(Figure 11). Un mur de plus de 60 m de long sur 1,80
m de large suit le dénivelé de la colline jusqu’à son
pied. Il n’a pas été observé dans ses extrémités. Il
est constitué d’un double parement en moellons de
grison montés à sec. Dans l’axe du chemin, accolé
Karapa, vol. 4, décembre 2015
amas de blocs et de moellons correspondant à des
murs démontés.
56
Figure 11 Bâtiment à lanc de colline
au parement est de ce mur de soutènement, on peut
observer un bâtiment de 18 m de long sur 7 m de
large. Il est organisé en terrasse : un emmarchement
d’une trentaine de centimètres sépare un espace de
11 m de large d’un espace de 7 m de large. Ce dernier
possède un seuil en briques. Dans le mur de soutènement, au niveau du bâtiment accolé, on observe
probablement une fenêtre. En efet, on observe une
ouverture dans le mur avec un jambage en blocs
de cuirasse ferralitique. On émet l’hypothèse d’une
fenêtre car dans le parement est du mur de soutènement le bas de l’ouverture est largement au-dessus du
niveau du sol.
Au pied de la colline, près du ruisseau on observe un
bâtiment de 14 m de long par 12 m de large environ.
Sur la façade Est on peut observer un espace de 7,40
m de large qui pourrait correspondre à une véranda.
Entre le ruisseau et la zone humide, au pied de la
colline, on observe de nombreux vestiges qui ne
sont plus dans leur état initial, déplacés soit lorsque
la zone était occupée par le bidonville, soit par les
agriculteurs au moment de l’installation des serres.
Plusieurs marmites à sucre de diamètre compris entre
1,50 m et 2,10 m. Elles sont à tenons, ce qui permet
de les associer à la in du XVIIIe siècle. À Beauregard,
on peut supposer le système de cuisson du sucre est
resté traditionnel et n’a pas connu la révolution du
tunnel de chaufe à l’anglaise, ce système nécessitant
des marmites à rebord. Des rouleaux de broyage des
cannes sont éparpillés sur le site. Ils sont anciens car
creux : au XVIIIe siècle les rolles étaient des tronçons
de tronc d’arbre renforcés par une armature en fonte.
Au XIXe siècle, les rolles sont en fonte pleine. On
observe au niveau des serres et de l’abattis accolé des
Au début du XXe siècle la commune de Rémire a
procédé à plusieurs aménagements pour alimenter la
ville en eau potable. La rue permettant d’accéder à
l’entrée du site s’appelle la rue du château d’eau. On
observe dans le ruisseau, à proximité des avancées
marquant peut-être l’emplacement de la roue à eau,
un aménagement en béton permettant le passage
d’un tuyau en fonte. On peut suivre ce dernier le long
du chemin pavé qui monte vers le barrage poids. Au
niveau du barrage poids, quatre plots en béton ont
été aménagés pour recevoir le tuyau en fonte. On
l’observe ensuite le long de la retenue d’eau jusqu’au
pied de la colline suivante. Des bassins de retenue
d’eau avec des installations de pompes peuvent être
observés. Ils ont la même architecture que les bassins
de retenue d’eau du Rorota. Près des bassins de
retenue d’eau du XXe siècle on peut observer un petit
pont dont une poutre en bois est encore en place. Il
n’est pas possible dans l’état actuel des recherches
de déterminer à quelle période ce petit pont a été
construit.
À lanc de la colline traversé par le chemin pavé
reliant le barrage poids au mur de soutènement,
au-dessus du chemin pavé, on peut observer les
vestiges d’un logement précaire, probablement de
type carbet. On peut observer un petit four de potier
et plusieurs poteries de création originale alliant terre
cuite et calebasse. Un vase de fabrication industrielle
est surmonté d’une collerette en terre cuite rajoutée
probablement par l’artiste installé sur le site16. On
observe aussi un chandelier fabriqué avec des fers
à béton. Autour du four de potier contemporain,
on peut observer divers objets de fabrication industrielle : avion en plastique, mallette de maquillage,
boîte à pâtes, vélo, etc.
éTaT saniTaire
Les vestiges à lanc de colline : bâtiments, bassin,
barrage poids, bassins de retenue d’eau du XXe
siècle sont des éléments importants du patrimoine
de la Guyane. À ce jour, seule les habitations Loyola
et RN3 Poncel ont fait l’objet d’une investigation
archéologique importante et sérieuse pour la connais16 Mes remerciements à Matthieu Hildebrand de l’Inrap pour
son avis d’expert.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
sance des habitations de la 1ère période coloniale
(XVIIe-XVIIIe siècle). Beauregard permettrait donc
d’avoir un deuxième témoignage sur cette période.
Cette habitation est d’autant plus importante qu’elle
a récupéré l’atelier d’esclaves de Loyola après le
départ des jésuites et qu’elle a fonctionné jusqu’à la
in du XIXe siècle. Pour le moment, seules les habitations en terre basse pour la période du XIXe siècle
ont été étudiées. L’étude approfondie de Beauregard
permettrait donc d’avoir l’exemple d’une habitation qui a fonctionné après l’abolition de l’esclavage
dans l’île de Cayenne. Le barrage poids est à ce jour
l’unique vestige de ce type d’ouvrage en Guyane. Sa
conservation et son étude sont donc indispensables.
Pour le moment, la nature le protège mais la pousse
des arbres le condamne à disparaître à long terme.
Il mériterait d’être inscrit sur la liste du Patrimoine.
Pour le moment les vestiges du début du XXe siècle ne
font l’objet d’aucun intérêt scientiique, mais à long
terme ils le seront d’autant plus que leur emplacement s’est efacé des mémoires. Il serait nécessaire de
les topographier pour les protéger en cas de pression
de la part des aménageurs.
Toute la zone industrielle, située dans la partie
basse du site a déjà été très largement détruite. En
témoigne les nombreux amas de moellons de grison,
de cuirasse ferralitique et de briques. Il serait indispensable de pratiquer des sondages dans la butte ain
de déterminer si elle recèle les vestiges des fours de
la sucrerie. Elle est actuellement mise en danger par
l’extension de l’abattis et des serres. Une intervention
rapide semble indispensable avant sa destruction à
l’image des autres bâtiments de la zone.
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2004 L’habitation Loyola après le départ des jésuites : une
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ANOM, 3 mi. B31 : archives Quincerot, étude
Andelle, Paris, 19 décembre 1787, « acte de société
entre M. Bajon et M. Le Roy ».
ANOM, serie E 341 bis, pièce 79, lettre Malouët, 14
nov. 1777.
ANOM, 3 mi B 31, minute Doillot, Paris, acte de
vente du 20 septembre 1787.
57
la « résidence » du gouverneur monTravel à monTjoly
michael mestre, inrap
58
L
’Inrap a réalisé en 2014 un diagnostic archéologique dans le cadre d’un projet d’aménagement
de la colline de Montravel, à Rémire Montjoly. Il a
permis, entre autres, d’évaluer l’état de conservation
des vestiges de la résidence du gouverneur Tardy de
Montravel et de réaliser la première étude approfondie de son histoire. Le présent article recense
les principales informations et hypothèses tirées de
cette étude, qu’une fouille d’une partie du site avec
de nouvelles recherches documentaires pourraient
prochainement enrichir.
l’origine du projeT : le domaine de
monTjoly sous l’adminisTraTion
péniTenTiaire
Au XVIIIe siècle, la colline de Montravel porte le
nom de Mont-Joli comme en atteste la production
cartographique de cette période (igure 1). Elle est
située à l’intérieur d’un vaste domaine foncier qui
appartient d’abord à M. de Chassy puis, à partir de
1773, au Baron de Bessner associé au marquis de
Caulincourt. L’habitation coloniale de Mont-Joli est
ensuite léguée à la colonie en 1826 sous le règne de
Charles X. Le lieu est alors consacré à l’élevage et on
y crée un haras, appelé « haras du roi ».
Fig.ure 1 Vue générale de l’anse et de la colline de Montravel
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Le 17 mai 1855, la propriété domaniale de Montjoly
est mise à la disposition du service pénitentiaire
sous l’administration du gouverneur Bonard. Un
détachement de travailleurs immigrants s’attelle au
« savanage » des terrains pour recevoir du bétail.
L’administration souhaite concentrer, sur les terres
du domaine, les animaux de trait, de boucherie ou de
reproduction.
« Vingt hommes et un commandeur seront désignés,
parmi les immigrants de Baduel, pour aller à
Montjoly, s’occuper de faire des traces dans les bois,
ain de faciliter la circulation des bestiaux attendus.
Cet atelier devra, en outre, procéder à l’arrachement
des broussailles et mauvaises herbes qui encombrent
les pâturages de Montjoly. Ces hommes seront dirigés
le plus tôt possible sur cet établissement et munis de
tout ce qui est nécessaire pour leur couchage, leur
nourriture et leur travail. Un homme spécial sera
désigné pour diriger le travail » (Bulletin oiciel de la
Guyane française 1856 : 565).
Le 10 mars 1856, la transportation décide inalement
de créer un dépôt d’internement à Montjoly (Bulletin
oiciel de la Guyane française 1857 : 305). Le
gouverneur Baudin souhaite y établir des ressources
de travail pour les libérés non astreints à résider en
Guyane, mais qui désireraient rester dans le pays. Les
libérés admis à travailler sur le domaine de Montjoly
doivent contracter un engagement de cinq années
avec l’État. Le salaire est ixé par tâche ou journée de
travail de huit heures à 0,80 centimes. Néanmoins,
la discipline sur l’établissement reste très stricte et
soumise à de nombreux impératifs pour les libérés,
bien que le règlement intérieur de Montjoly soit très
difèrent de celui d’un pénitencier classique.
Quelques années plus tard, en 1859, Louis-Marie-François Tardy de Montravel est nommé 41ème
gouverneur de la Guyane. Ce personnage entretient
de longue date une relation privilégiée avec le pays.
Entre 1842 et 1845, il est afecté à la station du Brésil
en tant que commandant du brick-canonnière la
Boulonnaise. Il efectue à son bord le relevé hydrographique de la côte nord du Brésil et de la Guyane.
En 1843, il épouse à Cayenne une créole prénommée
Herminie Albert, une petite ille de Victor Hugues
un ancien gouverneur de la Guyane française. Sous
son administration, Montravel cherche à son tour à
développer le domaine de Montjoly grâce à la main
d’œuvre de la transportation. Le gouverneur engage
plusieurs actions : culture du tabac et du mûrier
(vers à soie) ; assèchement des marais ; création et
entretien d’infrastructures domestiques et routières.
Le 28 juin 1861, il fait part au ministre de sa volonté
de « construire une « maison de convalescence » au
bord de la mer pour les fonctionnaires et le gouverneur lui-même ».
« [...] L’insalubrité du territoire de Montjoli
disparaît à mesure que les travaux de dessèchement
se complètent et je ne doute pas qu’elle fasse place
dans un avenir prochain à une salubrité satisfaisante.
Aussi ai-je pensé que comme annexe à cet établissement une maison construite au bord de la mer avec
les matériaux et bras de la transportation servirait
utilement de lieu de repos et de convalescence pour
les fonctionnaires et le gouverneur lui-même qui ne
jouissent pas dans cette colonie comme dans les autres
de l’avantage précieux d’un local où ils puissent au
besoin se reposer de la grande pratique des afaires.
La dépense du reste en sera inappréciable aussi bien
que celle des cases et des hangars projetés » (Tardy de
Montravel 1861 : n° 467).
À cette date, le gouverneur entre dans son projet
avec coniance. Il est persuadé de parvenir à résorber
rapidement l’insalubrité du site de Montjoly en
asséchant peu à peu les marécages. Par ailleurs, le
coût global du projet paraît insigniiant. Les divers
matériaux de construction (bois, pierre, remblai)
doivent être pris en divers endroits du domaine et
Montravel compte s’appuyer sur la force de travail
des nombreux libérés ou des quelques transportés
logés sur l’établissement dont l’efectif totalise 250
hommes en juin 1861.
« J’ai l’honneur d’adresser à son Excellence le plan
détaillé du dépôt d’internement de Montjoli avec
indication des travaux terminés et de ceux à exécuter.
Le besoin de concentrer à portée du Chef-lieu, les
Karapa, vol. 4, décembre 2015
transportés de toute catégorie destinés à renter en
France ou à être dirigés sur un point quelconque de
la colonie m’a conduit à développer cet établissement
dont le principal but était de recevoir à l’engrais le
bétail d’exportation à l’époque où l’Administration
tenait la boucherie en régie. J’ai donc dû en raison
de l’accroissement rapide du nombre des libérés
pour préparer à l’avance des logements capables
de les recevoir et constituer sur ce lieu un établissement régulier qui ne fut pas à proprement parler
un pénitencier et qui cependant, dût être soumis à
un régime disciplinaire qui donnât aux habitants du
quartier toutes garanties de sûreté. Son administration a été coniée à un oicier du commissariat, enfant
de la colonie très au fait des cultures locales et de tous
les travaux économiques d’une habitation. Sous son
habile direction et sous la surveillance d’une brigade
de gendarmerie, le dépôt de Montjoli renferme
aujourd’hui 250 libérés logés dans six cases élevées
de 2 mètres au-dessus du sol et rangées autour d’une
église qui s’est élevée comme par enchantement ; les
employés et leur famille y occupent des logements
vastes et salubres dans des bâtiments construits avec
des matériaux pris sur les lieux et par les libérés
eux-mêmes. Aujourd’hui que les libérés de la 1ère
section deviennent plus rares et qu’au contraire ceux
de la 2ème section deviendront chaque jour plus
nombreux, les seuls travaux à exécuter plus tard en
vue du dépôt proprement dit se borneront à l’entretien de cases semblables à celles qui existent et au
fur et à mesure de l’augmentation des libérés qui ne
pourront trouver à s’employer dans un quartier. Le
succès de nos essais de culture du tabac et du mûrier
sur le terrain de Montjoli me fait espérer que nous
emploierons utilement les libérés à ces exploitations
et dans cette vue j’ai ordonné que des hangars fermés
fussent élevés avec cette destination et cette appropriation » (Tardy de Montravel 1861 : n° 467).
Le 9 août 1861, Montravel considère que l’importance de Montjoly augmente tous les jours, surtout
par suite de la création de deux ateliers de transportés, l’un à Rémire, l’autre au Diamant. En
conséquence, il décide de donner une plus grande
ampleur à l’établissement en créant une pharmacie
et une inirmerie de dix lits, dont la surveillance est
coniée à un chirurgien résidant sur l’établissement,
ainsi que cela se pratique dans tous les autres pénitenciers (Bulletin oiciel de la Guyane française 1862 :
307). Cependant, le rapport d’inspection du mois
59
60
d’août 1861 dresse la liste exhaustive de l’ensemble
des travaux réalisés par l’efectif de Montjoly dans
laquelle n’apparaît pas encore le projet de « maison
de convalescence » du Gouverneur.
« À Montjoly on s’occupe de la route qui conduit
de l’établissement proprement dit à la maison de
convalescence qui doit être établie en bord de mer »
(Chaudière 1861 : n° 18).
« À Montjoly on a fait diférents travaux d’installation aux bâtiments existants. On a refait la portion
de route qui va rejoindre celle du Diamant. Cette
portion a 85 mètres de long sur 6 mètres de large avec
fossés de 0,60 de largeur sur 0,40 de profondeur. On
a également nettoyé l’avenue qui mène de l’établissement à la grande route. Les travaux de culture ont
consisté en abattage de 6 hectares de gros bois, en
sarclage, labourage et semis de 50 ares de sorgho, en
entretien des plantations de mûriers et de tabac, en
récolte de 326 kg de patates et de 50 000 kg d’herbe
pour la nourriture des animaux. On a également
récolté 400 kg de légumes qui ont été distribués aux
transportés en amélioration de leur nourriture »
(Chaudière 1861 : n° 17).
Les remblaiements de la route sont très activement
poursuivis dans le courant du mois d’octobre 1861 à
la faveur de la saison sèche.
Il faut attendre le mois de septembre 1861 pour
voir débuter les travaux concernant « la maison de
convalescence ». Le rapport mensuel sur la situation
des établissements pénitentiaires signale que l’on
s’afaire autour de la route d’accès menant jusqu’au
site choisi par Montravel.
« À Montjoly on a continué les travaux de la route de
maison de convalescence. Il en a été fait une étendue
de 100 mètres de long sur 8 de large avec 1 m de
remblai » (Chaudière 1861 : n° 19).
Le procès verbal d’arpentage du 16 novembre 1861
exécuté par Louvrier Saint-Mary donne des informations plus précises sur l’état d’avancement du
projet. À cette date, la voie d’accès n’est pas encore
terminée, mais les tranchées de fondations de la
maison de convalescence semblent aménagées, ce
qui induit que le long mur de maintien de la plateforme est vraisemblablement déjà achevé. L’arpenteur évoque une fondation pour une maison de 21,40
mètres de longueur sur 11,40 mètres de largeur. La
superposition du plan de bornage du XIXe siècle
et des données géographiques actuelles, permet de
relier l’emplacement de cette « fondation » avec le
terrain où s’est déroulée l’intervention archéologique
(igure 2).
Figure 2 Extrait du plan d’arpentage réalisé par Louvrier Ste Mary en 1861 où l on voit le chemin neuf avec la fondation de la maison.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
« […] L’an mil huit cent soixante-un et le vingt-un du
mois d’octobre, nous soussigné Louvrier Saint-Mary,
arpenteur juré du gouvernement et du civil, avons
été mis à la disposition de monsieur Chaudière,
directeur par intérim des établissements pénitentiaires de la Guyane française, par une lettre de
monsieur le directeur de l’Intérieur du 19 octobre
courant mois et d’après les instructions données à
monsieur Douillard, directeur du dépôt d’internement à Mont-Joli, qui nous les a communiquées, en
conséquence, nous nous sommes transporté ce jour
sur ce domaine colonial situé dans le quartier de l’île
de Cayenne[…]. Le 16 [novembre], accompagné du
directeur, nous nous sommes transportés à un point
de la route qui conduit à la mer et au chemin neuf
pratiqué sur le lanc de la montagne de Mont-Joli.
[…] Ce nouveau chemin va joindre au pied de la
montagne celui en cours d’exécution sur le lanc de
ladite montagne. Il mesure 170 m de longueur […].
De ce dernier point qui se trouve sur l’axe du chemin
sur la montagne, nous avons levé géométriquement
ce dit chemin et nos diverses opérations jusqu’à une
fondation sur laquelle doit être édiiée une maison
qui aura 21,40 m de longueur sur 11,40 m de largeur,
ont donné le tracé iguré sur notre plan » (Louvrier St
Mary 1861-62).
Le rapport mensuel du mois de décembre 1861
mentionne pour Montjoly l’achèvement de la
construction d’un aqueduc, et le début des maçonneries des fondations à la maison de convalescence.
Le chantier progresse rapidement puisque l’on
commence à assembler la charpente sur le bâtiment
au mois de mars 1862. Celle-ci est déinitivement
montée dans le courant du mois d’avril 1862.
« Au dépôt d’internement de Montjoly, on a terminé
de monter la charpente de la maison de convalescence et commencé la maçonnerie d’un bâtiment
destiné à servir de prison » (Chaudière 1862 : n° 5).
Le rapport mensuel du mois de juin 1862 témoigne
encore de la poursuite efective du chantier à cette
date.
« Au dépôt d’internement de Montjoly, on a terminé
le bâtiment destiné à servir de prison, et on a
continué les travaux de la maison de convalescence »
(Chaudière 1862 : n° 7).
Karapa, vol. 4, décembre 2015
le projeT archiTecTural : les TerrassemenTs, la plaTeforme eT la voie d’accès
Le modèle numérique de terrain obtenu par l’imagerie lidar permet de mieux juger de la somme des
travaux engagés par l’administration pénitentiaire
pour créer cette « maison ».Une voie d’accès et une
plate-forme sont aménagées en déblai-remblai. La
voie d’accès permet de relier le site au domaine de
Montjoly dont les terres se trouvent au sud-ouest de
la colline. La plate-forme se trouve placée à mi-pente
sur le lanc sud-est du morne qui culmine à près de 50
mètres. Elle est idéalement exposée aux vents alizés
de nord-est qui soulent durant la plus grande partie
de l’année en Guyane. Le relief initial de la colline
est modiié pour asseoir les constructions sur un plan
parfaitement horizontal entre 25 m et 26 m NGG.
Selon le rapport d’étude géotechnique, l’épaisseur des
remblais est très variable, quasiment absent au pied
du talus amont, leur épaisseur croît vers l’aval pour
atteindre 5 à 7 m au droit de la voie d’accès (Rostan
2013 : 8). La supericie totale de la plate-forme est
égale à environ 3000 m². Un mur de soutènement, en
moellons de pierres sèches taillées, placé au nord-est
et au sud-est, permet de retenir les milliers de mètres
cubes de terres déplacées. Au nord-est, ce mur
mesure entre 1,5 m et 2 m de hauteur pour environ
56 m de longueur. Au sud-est, il est encore visible
sur une distance de 8 m, mais le recouvrement par
la végétation et les sédiments semble encore occulter
une grande partie de la muraille (igure 3). Le remblai
supérieur est composé du matériau de construction
de mauvaise qualité (brique fracturée ou surcuite) liée
par une matrice limoneuse ocre provenant de l’encaissant naturel ain de faciliter le drainage supericiel des
eaux pluviales autour des bâtiments. Selon l’étude
géotechnique, un ouvrage très peu profond se trouve
aussi aménagé sous la voie d’accès : « il s’agit d’une
galerie étroite maçonnée en pierres sèches avec une
voûte de belle apparence et dont les parois se trouvent
enduites à l’intérieur, attribuables à un ouvrage de
captage d’eau potable avec également sans doute un
rôle de citerne. Cet ouvrage est très peu profond sous
la surface de la voie et se trouve en partie afaissé à
son extrémité nord (non maçonné ?) au-delà de la
voie, cet afaissement se traduit par une petite dépression dans la topographie en pied de talus » (Rostan
2013 : 8). Il est probable que cet ouvrage corresponde
au tracé de l’aqueduc mentionné en décembre 1861
(igure 4). Par ailleurs, l’imagerie lidar a permis de
61
les consTrucTions : la maison principale,
les communs, une sTrucTure d’agrémenT ?
62
Fig.ure 3 Vue du mur de terrasse au sud-ouest
La disposition des sondages archéologiques permet
de mieux préciser le plan des vestiges conservés
sur la plate-forme. Il s’agit de deux constructions
distinctes : une maison principale et des communs.
La maison principale occupe l’espace central de la
terrasse artiicielle. Au contraire, les communs sont
disposés à l’ouest, dans un léger redan de la colline
taillé par l’homme, en retrait, de façon à occulter le
bâtiment pour le visiteur qui arrive sur le site par le
chemin d’accès principal. Les façades nord-est des
deux bâtiments s’alignent parfaitement avec le long
mur de terrasse. Un escalier ou une rampe permettait probablement d’accéder à la plage qui se trouve
au pied de la colline en suivant le dénivelé naturel.
Le cheminement était semble-t-il bordé par des
constructions d’agréments (igure 6).
Figure 4 Galerie voûtée traversant la voie d’accés (aqueduc?)
repérer une anomalie située en bas de pente au sud
de la plate-forme à une altitude légèrement inférieure
à 10 m NGG. La prospection de terrain a permis
de conirmer la présence d’une large excavation de
forme carrée dans le substratum rocheux qui semble
inachevée. La fosse mesure entre 4 à 5 m de diamètre
pour environ 3 m de profondeur. Il pourrait s’agir
d’une carrière d’extraction, d’une citerne, ou d’un
puits. Cette structure qui se trouve en milieu boisé n’a
pas pu être étudiée pour des raisons d’accessibilité et
de sécurité. Le lidar permet également de visualiser
deux carrières d’extraction de latérite qui se trouve
un peu avant le sommet de la colline (communication personnelle: Rostan P.). Elles sont probablement contemporaines des travaux commandés par
Montravel. Il n’est pas à exclure que d’autres aménagements inédits soient encore masqués par la végétation ou les sédiments (igure 5).
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Figure 5 Superposition de l’image lidar et des travaux archéologiques
63
Figure 6 Plan général des vestiges de la maison de convalescence
la maison principale
Le bâtiment mesure environ 21,68 m de longueur
pour 11,81 m de largeur. Ces chifres correspondent
approximativement aux dimensions données par
Louvrier St-Mary en 1861. À cette époque, l’arpenteur décrivait une fondation de 21,4 m de longueur
pour 11,4 m de largeur. D’après nos observations, la
surface totale habitable au rez-de-chaussée est égale
à environ 253 m². Il s’agit d’un projet de logement
conçu par l’administration pénitentiaire destiné à des
fonctionnaires comme l’a spéciié Montravel dans
sa lettre au ministre daté du 28 juin 1861. Son plan
relète donc les conceptions architecturales qui sont
appliquées en Guyane à cette période, notamment
Karapa, vol. 4, décembre 2015
avec la construction de la ville de Saint-Laurent-duMaroni qui débute au mois de février 1858.
L’étude d’une maison destinée à un haut-fonctionnaire de l’administration pénitentiaire à la même
période, permet donc de mieux comprendre le plan
d’ensemble mis au jour lors du diagnostic archéologique.
À ce titre, le logement du médecin major à SaintLaurent du Maroni, qui existe toujours place de la
république, nous paraît être un exemple particulièrement signiicatif. Cette maison reste encore
le dernier témoin du mode de construction des
années 1860-1880 (Mallé 2009 : 54). Il semble que
64
le plan avait été dressé par le conducteur de travaux
Dufournel. Celui-ci comprend une maison principale à étage et des servitudes indépendantes. Le
rez-de-chaussée est composé par deux escaliers en
façade, une galerie tournante « fermée » qui circonscrit deux pièces centrales de supericie équivalente
(salle à manger et salon). L’étage s’organise sur le
même principe et comprend deux chambres avec
une galerie périphérique « fermée ». Les communs
sont compartimentés en quatre espaces : les toilettes,
la salle de bain, la maison du domestique et la cuisine.
Au même titre, l’ensemble bâti découvert sur le site de
Montravel, paraît être le relet des conceptions architecturales des années 1860-1880 qui privilégiaient les
constructions en bois et pans de bois pour certains
édiices (Mallé 2009 : 52). De plus, les bâtiments à
un étage étaient rares au XIXe siècle et réservés
aux fonctionnaires les plus gradés (Mallé 2009 : 49).
L’état de conservation général des vestiges découverts
à Montravel est bon. La lecture du plan apparaît
claire. On y retrouve une large « galerie tournante »
ou véranda destinée à abriter les murs du soleil et de
la pluie (igure 7). Un mur de refend vient diviser la
partie centrale du bâtiment en deux parties égales
distinctes qui correspondent aux pièces à vivre (salon
et salle à manger). Deux porches d’entrées sont
disposés à l’avant des murs gouttereaux au nord-est et
au sud-est en position centrale. Une ouverture semble
avoir été aménagée sur le côté sud-est du bâtiment.
L’étage devait comporter les pièces à dormir. Les
sondages archéologiques réalisés au pied-droit des
murs montrent une conservation des vestiges sur une
hauteur maximale de 0,6 m, à l’exception de l’angle
nord-ouest du bâtiment principal qui n’est plus
matérialisé que par la base de la semelle de fondation.
Tous les éléments de maçonnerie sont liés par du
mortier de chaux blanchâtre (igure 8). Cependant,
les angles du bâtiment principal ne sont pas chaînés.
À chacune des extrémités, les murs viennent en appui
contre des dés de construction d’environ 0,45 cm de
côté, taillés dans la latérite et disposés en renfort. Il faut
également noter que dans les années 1950, M. Masse
a ramassé sur le site quatre chapiteaux monumentaux sculptés dans la latérite. Ces chapiteaux sont
toujours exposés au musée Franconie de Cayenne.
Ils sont lanqués de « volutes doriques » avec des
igurations d’ancres marines placées dans leur centre.
Ce dernier symbole est probablement une référence
directe à la carrière de contre-amiral et d’explora-
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Figure 7 Vue d’une partie de l’angle sud-est de la maison
de convalescence
Figure 8 Vue du bâtiment principal sur la largeur
teur du gouverneur Montravel. Il est vraisemblable
que le projet initial prévoyait des porches d’entrées
munis de colonnes surmontées par ces chapiteaux
(igure 9). Cependant, aucun reste de fût, de tambour
ou de base taillée n’a été découvert sur le site lors de
cette opération. Nous constatons également l’absence
notoire d’éléments architecturaux pour les élévations
ou la couverture, mais le recours à des matériaux
putrescibles aujourd’hui disparus peut expliquer cet
état. Par ailleurs, l’absence de couche ou de mobilier
archéologique semble traduire que le site n’a jamais
été occupé ou bien que la parcelle a été extrêmement
bien nettoyée lors de la phase d’abandon. La thèse du
démontage du bâtiment et du réemploi des matériaux
65
Figure 10 Salle de bain et cabinets d’aisance
Figure 9 Chapiteau sculpté découvert sur le site de Montravel
sur un autre site par l’administration pénitentiaire
semble aujourd’hui la thèse la plus probable.
les communs
La partie des communs (ou servitudes) est indépendante de la maison principale. Le bâtiment mesure
environ 20 m de longueur pour 5 m de largeur. Il
semble que cette construction découverte sur le site
de Montravel soit organisée sur le même principe
que les servitudes de la maison du médecin major à
Saint-Laurent, avec plusieurs pièces en enilade qui
se déclinent de la façon suivante : water-closets ; salle
de bain ; chambres des domestiques ; cuisine. Un
sondage réalisé à la base du mur nord-est montre une
hauteur conservée de 0,7 m. La tranchée de fondation
est nettement visible en coupe. Un élargissement en
fenêtre réalisé à l’extrémité sud-ouest du bâtiment, a
permis de découvrir deux cabinets d’aisance « placés
sous le vent » de nord-est ain de ne pas incommoder
(igure 10). La fouille exécutée dans ce secteur montre
quelques briques non jointives posées au contact d’un
sol limoneux. Le travail apparaît ici inachevé d’autant
que les briques sont disposées parfois en quinconce
ou en colonnes. Cette partie du bâtiment correspond
probablement à la salle de bains. On peut également
observer dès la surface du sol une zone pavée dans
la partie médiane du bâtiment. Cet ensemble qui
mesure environ 5 m, est circonscrit au sud-est par un
alignement de briques inclinées sur la tranche. Nous
n’avons pas réalisé de sondage dans cette zone ain de
ne pas fragiliser la structure. Nous avons réalisé deux
sondages supplémentaires pour retrouver les limites
du bâtiment. La croissance des arbres a fortement
fragilisé toute la partie nord-est de l’ensemble au
niveau du mûr pignon. Il faut noter que nous n’avons
pas retrouvé la façade sud-est du bâtiment dans la
tranchée de diagnostic.
une sTrucTure d’agrémenT ?
D’autres vestiges à l’entour, plus inattendus, ont pu
être mis en évidence. Ils témoignent vraisemblablement d’une rélexion paysagère par le concepteur
du projet. Une structure en forme de coquillage
renversée semble venir agrémenter le cheminement
pour le promeneur entre la terrasse artiicielle et le
site naturel. L’ensemble mesure 7,5 m de long pour
7 m de large. La structure évoque un projet de bassin
Figure 11 Structure d’agrément
Karapa, vol. 4, décembre 2015
ou de fontaine probablement inachevé surtout si l’on
considère l’absence d’alimentation en eau et le mode
de construction en pierres sèches (igure 11).
66
un projeT inachevé : le pari perdu de
monTravel sur l’assainissemenT de
monTjoly ?
Au mois de novembre 1861, l’arpenteur Louvrier
St-Mary témoigne déjà des grandes avancées du
projet de Montravel. Par ailleurs, la charpente sur
la « maison de convalescence » est déclarée montée
dès le mois d’avril 1862 et les travaux sur le bâtiment
continuent d’opérer pendant tout le mois de juin
1862. Cependant, il apparaît que la poursuite des
travaux de dessèchement visant à assainir l’immense
territoire du domaine, n’ont pas du tout l’efet
escompté au cours de l’année 1862. L’administration
de Montravel a pourtant nommé spéciiquement sur
ce point un médecin comme directeur provisoire le 15
janvier 1862 (Bulletin oiciel de la Guyane française
1863 : 55). Il s’agit de Jacques-Thomas Livrand,
chirurgien auxiliaire de 3e classe de la marine,
déjà chargé du service de santé à Montjoly. Ainsi,
Montravel rend compte d’une situation sanitaire très
préoccupante au mois de septembre 1863 qui l’oblige
à prendre des mesures radicales en faveur des libérés.
Le gouverneur décrit même Montjoly, comme un
lieu « insalubre et dangereux ».
« C‘est ici le cas d’éclairer le Département sur la
présence à Montjoly d’une aussi grande proportion
de libérés de la 1ère section, c'est-à-dire astreints à
résidence et je ne doute pas que votre Excellence
en approuve les motifs. À sa création, cet établissement a été destiné à recevoir en attendant l’occasion
de leur départ pour France, les libérés de la 2ème
section et bientôt il reçut en même temps ceux de la
1ère. À chacune de mes visites, je soufrais de voir
des hommes qui ayant atteint leur libération sur
des pénitenciers salubres, étaient arrivés à Montjoly
bien portants et se présentaient à moi valétudinaires
et afaiblis par les ièvres qu’ils y avaient entachées.
Leurs plaintes devenues plus vives dans le courant de
l’année dernière qu’aucune occasion ne se présentent
pendant les 6 derniers mois, me semblèrent assez
fondées pour être prises en considération. Je pensai
que si les circonstances prolongeaient si longtemps
leur séjour à la Guyane, il était, du devoir de l’administration de ne pas en aggraver le poids en les
Karapa, vol. 4, décembre 2015
maintenant dans un lieu insalubre et dangereux et je
décidais qu’à l’avenir l’Île du Diable libre désormais
de transportés politiques, servirait de dépôt aux
libérés de la 2ème section qui ne peut pas rester dans
la Colonie. Cette mesure d’humanité porte ses fruits,
et nous ne voyons plus des hommes, jouissant naguère
d’une bonne santé, s’embarquer valétudinaires par
le seul fait d’un long séjour à Montjoly. Nous ne
comptons donc plus à Montjoly que des libérés de la
1ère section et quelques-uns de la 2ème qui désirant
rester dans la Colonie, attendent une occasion de se
placer : le chifre de ce personnel est en moyenne de
200 à 250 hommes, nombre nécessaire aux travaux
sur les routes en rectiication, la route stratégique
d’un côté et celle de Montjoly au dégrad de Cannes
de l’autre, et aux besoins de l’établissement. Dès que
cette moyenne est atteinte, le trop-plein est dirigé sur
le Maroni et réparti entre Saint-Pierre et Saint-Jean
selon les aspirations de chacun. Que ces libérés soient
ici ou là, les charges de l’état sont les mêmes puisqu’il
ne leur est payé de salaires qu’en raison du travail
qu’ils lui donnent » (Montravel 1863 : n° 551).
Le 6 juin 1863, le père Jardinier témoigne de la
grande précarité sanitaire des hommes de Montjoly
qui sont alors déplacés en convalescence au centre
des libérés à Saint-Jean du Maroni.
« […] Il n’y en avait que 28 au chantier : les autres
sont à l’hôpital ou à l’ambulance au nombre de
presque 30. Ils s’y font conduire pour raison vraie ou
fausse, excepté ceux qui sortent de Montjoli. Là je ne
les ai vu qu’une fois. Leur esprit à l’hôpital, me dit
le P. Viars est pire encore qu’au grand bois : ils sont
une croix pour tout le monde pour les sœurs surtout.
Voilà donc où aboutissent nos soins ! Des hommes qui
sont pires en sortant de nos mains qu’en y entrant! »
(Jardinier 1863 : lettre manuscrite).
Le 16 octobre 1863, Montravel adresse au ministre
un compte-rendu du rapport médical du troisième
trimestre 1863 relatif aux établissements pénitentiaires. À cette période, si la situation sanitaire apparaît
légèrement meilleure à Montjoly, elle n’a toujours
pas atteint le seuil de salubrité satisfaisante escompté
par Montravel. Un désaccord profond existe entre le
gouverneur et le médecin général de la transportation. Pour sa part, le corps médical estime que l’éloignement des transportés du site de Montjoly a joué
au bénéice de la santé des hommes. Au contraire,
Montravel airme que les progrès sanitaires résultent
seulement de la poursuite des grands travaux d’assainissement.
« J’ai l’honneur d’adresser ci-inclus, à votre excellence, le rapport médical de M. le médecin en chef
pour le 3ème trimestre de cette année en lui soumettant quelques observations légères qui m’ont été
suggérées par la lecture de ce document. […] Il y a
une très sensible amélioration dans l’état sanitaire de
Montjoly pendant ce troisième trimestre comparé à
celui de l’année dernière puisque pour un chifre à
peu près égal d’internés 249 en 1863 au lieu de 245
en 1862 on ne compte que deux décès (abstraction
faite des morts par accident) dans le trimestre de
cette année, tandis que dans la même période de
1862, on en avait enregistré 13. La moyenne des
malades traitée à l’hôpital n’a été dans ce trimestre
que de 32, tandis qu’en 1862 elle était de 35. Il est
donc évident qu’il y a amélioration et c’est par suite
d’une erreur que M. le médecin en chef l’attribue
en grande partie à ce que presque tout le personnel
travailleur se trouve dans un chantier très heureusement situé sur le bord de la route du Diamant. En
efet, le personnel de Montjoly qui était en moyenne
de 249 hommes pendant le 3ème trimestre, est situé
en trois parties : 1°) un atelier de 40 hommes travaillant sur la route du Diamant et y logeant ; 2°) Un
atelier de 30 hommes travaillant à la route du Dégrad
des Cannes et y logeant ; 3°) Enin, le reste séjourne
et travaille sur l’établissement et les rapports particuliers ne signalent aucune diférence sensible entre les
états sanitaires de ces divisions. J’attribue bien plutôt
l’amélioration aux grands travaux d’assainissement
qui ont été entrepris et poussés activement depuis le
début de la belle saison. J’ai tout lieu d’espérer que
continués jusqu’à complet achèvement, ils assureront
à Montjoly une salubrité relative très satisfaisante.
Nous sommes aujourd’hui édiiés sur la véritable
cause du mal que nous avions combattu là où la
cause n’était que secondaire et nous continuerons à
la poursuivre dans la voie qui nous est indiquée par
les résultats que nous avons obtenus récemment »
(Montravel 1863 : n° 633).
un chanTier volonTairemenT suspendu par
monTravel?
Il est probable que la dégradation de la situation
sanitaire à Montjoly en 1862 engage le gouverneur à
Karapa, vol. 4, décembre 2015
rester dans une certaine réserve ou prudence vis-à-vis
du site de Montjoly. Par ailleurs, dès le mois de
septembre 1863, l’établissement connaît une baisse
de ses efectifs « ouvriers » avec l’évacuation de la 2ème
section vers l’Île du Diable. À cette période, il semble
que l’administration concentre le peu d’hommes
valides dont elle dispose, sur d’autres objectifs jugés
prioritaires pour le développement de la colonie. Du
reste, ce projet de construction n’apparaît pas dans
la liste des tâches assignée au personnel de Montjoly
au mois d’octobre 1863, mais les gros travaux sur
la « maison de convalescence » sont probablement
déjà achevés à cette date. La correspondance de
Montravel au sujet de Montjoly au cours des années
1862-63 démontre l’entêtement du gouverneur dans
la poursuite des « dispendieux » travaux d’assèchement indispensables à l’assainissement du lieu. Le
16 octobre 1863, Montravel se plaint toujours des
conditions malsaines qui frappent l’établissement.
Dans une dernière phrase, le gouverneur glisse
même une allusion très contrastée sur la beauté du
site (igure 12).
« Le grand nombre de malades fournis à l’hôpital de
Cayenne par les Pontons, les quartiers et Montjoly
a des causes dépendantes de leurs conditions. […]
et enin ceux fournis par Montjoly, dans l’insalubrité persistante encore de cet établissement. Je ne
désespère pas de faire disparaître [Montjoly], en
persévérant dans les travaux entrepris les causes
d’insalubrité de cette position que l’on à peine à
croire aussi meurtrière, tant elle ofre des charmes à
l’œil » (Montravel 1863 : n° 596).
Dans son compte-rendu de tournée de in d’année
daté du 15 décembre1863, Montravel juge que les
travaux d’assainissement à Montjoly ne sont toujours
pas achevés.
« Dans ma lettre en date du 26 septembre dernier
notée 551 j’ai eu l’honneur d’exposer à votre excellence les motifs de la présence sur cette île [Île du
diable], des libérés non astreints à résidence qui
ne voulaient pas rester dans la colonie après leur
libération. Ils s’y trouvent relativement mieux qu’à
Montjoly dont le climat agit plus violemment sur
ces natures profondément ruinées par leur existence
première et un long séjour à la Guyane. Ils y sont
libres de tout travail autre que la propreté de leur
logement et du jardinage pour l’amélioration de
67
68
Figure 12 Anse de Montravel
leur nourriture. Ceux d’entre eux qui possèdent la
connaissance d’un métier sont autorisés à s’y livrer
pour leur compte ou pour le compte de l’État dans les
ateliers des Îles, en attendant l’arrivée du bâtiment qui
doit les emporter. Je pense que le choix que j’ai fait de
cette localité produit d’excellents résultats au bénéice
de ces hommes qui embarquent pour France, après
une longue attente de leur départ, dans un état de
santé beaucoup plus satisfaisant que lorsqu’ils attendaient à Montjoly où les occasions de faire des excès
de boisson se joignaient à l’insalubrité du lieu pour
détruire leur santé. Je crois qu’au moins jusqu’à ce
que les travaux d’assainissement entrepris à Montjoly
soient terminés, il sera bien de maintenir cet état de
choses » (Montravel, 1863 : n° 588).
Il semble donc que l’insalubrité qui tarde à se résorber
à Montjoly soit à l’origine de la suspension provisoire
ou de l’abandon déinitif du projet, car malheureusement le temps presse pour le gouverneur Montravel.
Le 1er mars 1864, il tombe malade au retour d’un
voyage d’inspection dans le Maroni
« J’ai l’honneur d’informer votre excellence que Mr
le Gouverneur au retour d’une pénible tournée dans
le Maroni, a été sérieusement atteint par une crise de
Karapa, vol. 4, décembre 2015
coliques sèches, pour me donner de vives inquiétudes.
Il entre maintenant en convalescence et tout me fait
espérer que sous peu de jours, il pourra reprendre les
afaires » (Favre 1864 : n° 122).
Le 25 avril 1864, Montravel décide de rentrer en
France. Antoine Favre occupe le poste de gouverneur
par intérim de la Guyane française du 1er mai 1864
jusqu’au 10 janvier 1865.
« J’ai l’honneur d’informer votre excellence que
suivant l’autorisation qu’elle a bien voulu m’en donner
par la dépêche du 3 décembre dernier, je prends le
passage sur le transport à batterie l’Amazone pour
me rendre en France en congés. Je remettrai le 1er
mai prochain, le gouvernement intérimaire de la
colonie à Mr le commandant militaire, conformément en disposition du décret du 15 janvier 1853 »
(Montravel, 1864 : n° 239).
Dès sa prise de fonction au 1er mai 1864, Favre
adresse au ministre un nouveau compte-rendu du
rapport médical relatif aux établissements pénitentiaires pour le premier trimestre 1864. Le gouverneur
par intérim adopte la même ligne de conduite que
Montravel en désavouant l’avis du médecin général.
La transportation apparaît encore et toujours divisée
sur le cas de Montjoly.
« J’ai l’honneur d’adresser à votre excellence le
rapport médical de Mr le médecin en chef avec
quelques observations qui m’ont été suggérées par son
examen. Ainsi que l’a fait répartir mon prédécesseur
dans la lettre d’envoi du rapport du 3 trimestre 1863
c’est par erreur que Mr le médecin en chef attribue
à la dissémination des transportés en divers ateliers,
l’amélioration qui continue à se remarquer dans l’état
sanitaire de cet établissement. Cette amélioration est
due tout entière aux grands travaux d’assainissement qui ont été entrepris à Montjoly et qui seront
poussés avec activité de manière à être achevés dans
la campagne aussitôt le retour de la saison sèche »
(Favre 1864 : n° 296).
le gouverneur hennique : l’évacuaTion du
siTe de monTjoly eT la fin du projeT
Montravel décède en France le 4 octobre 1864 à l’âge
de 53 ans. Son successeur, le général Hennique arrive
dans la colonie le 14 janvier 1865. Le 13 mars 1865,
il débute une première inspection générale de tous
les établissements pénitentiaires et décide de mettre
en place une politique de réorganisation de toute la
transportation.
« À mon retour, j’aurai l’honneur d’adresser à votre
excellence un rapport général sur la situation de ces
établissements et sur les diverses mesures que j’aurai
cru devoir prendre dans l’intérêt de l’œuvre de la
transportation » (Hennique 1865 : n° 135).
Le 12 avril 1865, Hennique tient des propos peu
optimistes quant à l’avenir de Montjoly. Son administration, contrairement à celle de Montravel, ne
semble pas disposée à engager les fonds nécessaires
pour poursuivre l’assainissement du site. Une partie
du cheptel de Montjoly est même évacué sur SaintLaurent. Cela ne présage rien de bon, puisque
Hennique vient tout juste de procéder à l’identique
avec l’abandon du site de Saint-Georges.
« Ce point [Montjoly] qui a été choisi comme lieu de
résidence des transportés libérés remplit le but qu’on
s’est proposé. Il serait à désirer néanmoins que l’on pût
assécher les marais qui avoisinent cet établissement ;
c’est un travail que je n’hésiterais pas à entreprendre,
s’il ne devait pas en résulter de grandes dépenses. J’ai
Karapa, vol. 4, décembre 2015
donné des ordres au directeur des Ponts et Chaussées
pour qu’il me soumette prochainement un projet à
ce sujet. Je verrai, après un examen scrupuleux, s’il y
a lieu de l’adopter. Quoi qu’il en soit, l’état sanitaire
actuel est bon et tout porte à croire que les petits
travaux d’assainissement que le commandant de cet
établissement à exécutés, avec ses propres moyens,
ont contribué à cette amélioration et qu’il y aura à
l’avenir moins de maladies graves qu’autrefois.[…]
J’ai proité de cette occasion pour diriger sur le Maroni
les animaux excédant les besoins de Montjoly et qui
sont destinés aux concessionnaires mariés, à charge
par eux d’en rembourser le montant à l’état, dès que
leurs ressources leur permettront. J’ai joint à cet envoi
les bestiaux, provenant de Saint-Georges que j’ai fait
évacuer déinitivement comme j’ai l’honneur d’en
informer votre excellence par ma lettre du 14 mars
dernier n° 166 » (Hennique 1865 : n° 193).
Mais six mois plus tard, Hennique a déjà programmé
la in du site de Montjoly comme le prouve le compte
rendu de tournée qu’il adresse au ministre le 27
septembre 1865. Cet établissement n’entre absolument plus dans son schéma de réorganisation de la
transportation. Il est hautement probable que l’avis
médical du commandant de Montjoly n’ait pas non
plus joué en faveur du maintien des hommes sur un
site réputé malsain de longue date.
« […]On le reconstruit en ce moment à SaintJean qui doit recevoir bientôt une augmentation
de transportée par suite de l’abandon prochain de
Montjoly. […]Mon intention est du reste de placer
Mr Livrand à la tête de l’établissement de Saint-Jean
sous la haute direction de Mr Mélinon bien entendu.
Ce mouvement aura lieu aussitôt l’évacuation de
Montjoly qui ne peut tarder beaucoup et aura l’avantage de ne pas nous obliger à envoyer un chirurgien à
Saint-Jean. Mr Livrand remplira, comme à Montjoly,
les doubles fonctions de commandant et de médecin »
(Hennique 1865 : n° 607).
Le 2 octobre 1865, le gouverneur Hennique décide
oiciellement de l’évacuation du pénitencier de
Montjoly pour cause d’insalubrité.
« […] vu le rapport de M. le Directeur des pénitenciers ; considérant que cet établissement est reconnu
insalubre et qu’un tel état de choses ne peut se
prolonger plus longtemps ; sur la proposition du
Directeur des pénitenciers, décide : Article 1er. L’éta-
69
blissement de Montjoly sera évacué, et le mouvement
commencera dès que les circonstances le permettront. Art. 2. Le personnel de l’établissement sera
dirigé sur Saint-Laurent du Maroni » (Bulletin oiciel
de la Guyane française 1866 : n° 737).
70
Ainsi, un contemporain témoigne de la désertion
totale du dépôt d’internement de Montjoly à la in de
l’année 1865.
« Les libérés de Montjoly sont tous déplacés au
Maroni dans les établissements de Saint-Pierre et de
Saint-Jean selon la catégorie à laquelle ils appartenaient » (Rivière 1865 : 188).
Le 30 novembre 1865, Hennique prend la décision
de ixer la destination à donner aux immeubles de
Montjoly et aux matériaux provenant de cet établissement. Le patrimoine immobilier de Montjoly est
soit détruit, vendu ou cédé sur la proposition du
directeur des pénitenciers. Il est hautement probable
que « la maison de convalescence » de Montravel soit
à cette date entièrement démontée par l’administration pénitentiaire.
« […] Article 1er. Les immeubles ci-après igurant
sur l’inventaire établi au 1er janvier 1864 recevront
les destinations ci-après : le côté A sera démoli et
les matériaux susceptibles d’être employés seront
abandonnés au service pénitentiaire. Art. 2. Les
immeubles au nombre de trois, désignés sur l’inventaire établi à la même époque sous les lettres C, D et
H, s’élevant ensemble à la somme de 10950 francs,
existant déjà sur l’établissement au moment de l’occupation par le service pénitentiaire, sont rendus au
service local sans que les agrandissements et réparations dont ils ont été l’objet, s’élevant à la somme de
4000 francs, donnent lieu à remboursement. Art.
3. L’immeuble désigné sur le même inventaire sous
la lettre B, s’élevant à la somme de 1200 francs, est
cédé au service local, qui versera au trésor, pour le
compte du service pénitentiaire, la dite somme de
1200 francs. Art. 4. Les immeubles au nombre de
trois, désignés sous les lettres E F K, construits avec
des matériaux de démolition, seront démolis, et les
bois susceptibles d’être employés seront abandonnés
au service pénitentiaire. Les matériaux provenant
du bâtiment K seront abandonnés à M. le supérieur
des aumôniers, attachés au service pénitentiaire
pour l’agrandissement de la chapelle actuelle située
à Cayenne. Art. 5. le bâtiment désigné sous la lettre
Karapa, vol. 4, décembre 2015
I, évalué à 1000 francs, est cédé à titre gratuit au
service local. Art. 6. Le bâtiment désigné sous la lettre
J, évalué à 1800 francs, reste la propriété du service
pénitentiaire. Art 7. Les immeubles au nombre de six,
désignés sous la lettre G, et portant les numéros 1, 2,
3, 4, 5 et 6, construits avec des matériaux en service,
seront démolis et recevront les destinations ci-après :
N° 1 et 2, cases en bois, dont les matériaux de démolition pourront être cédés à titre de remboursement
au trésor. N° 3, cédé à titre gratuit au supérieur des
aumôniers pour la chapelle. N° 4, la case en fer sera
reprise par le service pénitentiaire. N° 5 et 6, cases
en bois cédées au service local, à titre gratuit pour
l’établissement des jeunes détenus » (Bulletin oiciel
de la Guyane française, 1866, n° 838).
Il est tout à fait extraordinaire de constater que
la mémoire de « la maison de convalescence »
de Montravel reste encore très prégnante dans
l’inconscient collectif guyanais en 1874. Au passage,
un auteur contemporain vient égratigner le souvenir
du gouverneur Montravel et son projet de « maison
au bord de la mer ».
« […] ce pénitencier était assis tout près du morne
Mont-Joly, nom que les colons ont rendu commun à
ce vaste plateau, qui est spécialement afecté à l’élève
du bétail. Ce domaine colonial est à sept km de
Cayenne, sur un point d’où l’on domine la mer. Au
vent est un pripri d’1 km de long, formé par les eaux
pluviales et par les sources sortant des montagnes
de Rémire. Avant l’émancipation de 1848, un canal
conduisait ces eaux à l’océan. Aujourd’hui ce canal est
bouché par les sables du rivage ; ce lieu est devenu un
marécage. Par suite, Mont-Joly est malsain pendant
l’été, quand soulent les brises de l’est. Il semble
que la transportation aurait pu, au lieu de construire
une maison d’agrément, qu’on a portée à Cayenne,
sur les lancs de ce morne, rouvrir ce canal qui est
dans les cent pas géométriques, et assainir le rivage »
(Mourié,1874 : 299)
En 1874, l’administration reprend l’idée d’un projet
de construction d’une résidence des gouverneurs
de Guyane. L’ancien site de Montjoly n’est pas
retenu. On récupère des éléments de construction
d’un bâtiment ruiné aux Hattes à l’embouchure du
Maroni. Les éléments sont transportés par bateau à
Cayenne pour servir à la construction d’un chalet
à Bourda, ancienne résidence des gouverneurs et
actuelle maison du préfet de la Guyane.
Après la catastrophe de la montagne Pelée en
1902, plusieurs familles martiniquaises de Saint
Pierre trouvent refuge sur le domaine de Montjoly.
On construit un camp fermé destiné à recevoir de
nouveau 150 transportés mis à disposition par l’Administration pénitentiaire pour le débroussaillage des
terres et l’assèchement des marais. L’administration
distribue à chaque famille martiniquaise un hectare
de terrain et une maison d’habitation (Alexandre
2002 : 25 à 27). Un plan cadastral de 1909 montre
que le souvenir de Montravel est toujours extrêmement présent à cette période. La légende qui est
placée sur la carte fait référence par deux fois au
nom de l’ancien gouverneur dont le toponyme reste
encore aujourd’hui attaché à la colline.
biblioThèque
ALEXANDRE R. (2002)
L’installation
des
sinistrés martiniquais sur le domaine colonial de Montjoly
1902-1903. Numérique impression.
BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE
FRANCAISE (1856). Année 1855. N° 242. Ordre
concernant les travaux à exécuter à Montjoly pour recevoir le
bétail attendu par l’administration. Bonard. Cayenne le 17
mai 1855.
BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE
FRANCAISE (1857). Année 1856. N° 399. Règlement
pour les libérés non astreints à la résidence engagés sur le
domaine de Mont-Joly. Baudin. Cayenne le 17 mars 1856.
BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE
FRANCAISE (1862). Année 1861. N° 485. Décision
qui crée à Montjoly une pharmacie et une inirmerie de dix lits.
Tardy de Montravel. Cayenne le 9 août 1861.
BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE
FRANCAISE (1863). Année 1862. N° 78. Décision
du 15 janvier 1862, M. Livrand (Jean-Thomas), chirurgien
auxiliaire de 3e classe de la marine, chargé du service de santé
à Montjoly, a été appelé a y exercer provisoirement les fonctions
de directeur.
BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE
FRANCAISE (1866). Année 1865. N° 737. Décision
Karapa, vol. 4, décembre 2015
prescrivant l’évacuation du pénitencier de Montjoly. Hennique.
Cayenne le 2 octobre 1865.
BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE
FRANCAISE (1866). Année 1865. N° 837. Décision
qui supprime l’établissement de Montjoly. Hennique.
Cayenne le 30 novembre 1865.
BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE
FRANCAISE (1866). Année 1865. N° 838. Décision
ixant la destination à donner aux immeubles de Montjoly
et aux matériaux provenant de cet établissement. Hennique.
Cayenne le 30 novembre 1865.
CHAUDIERE (1861). Situation générale des établissements
pénitentiaires au mois d’août 1861. N° 17, Cayenne le 14
septembre 1861.
CHAUDIERE (1861). Situation générale des établissements
pénitentiaires. Rapport mensuel du mois de septembre
1861. N° 18, Cayenne le 14 octobre 1861.
CHAUDIERE (1861). Situation générale des établissements
pénitentiaires. Rapport du mois d’octobre 1861. N° 19,
Cayenne le 12 novembre 1861.
CHAUDIERE (1861). Situation générale des établissements pénitentiaires. Rapport du mois de novembre. N°
22, Cayenne le 14 décembre 1861.
CHAUDIERE (1862). Situation générale des pénitenciers.
Rapport mensuel de mars 1862. N° 4, Cayenne le 15
avril 1862.
CHAUDIERE (1862). Situation générale des pénitenciers.
Rapport mensuel d’avril 1862. N° 5, Cayenne le 15
mai 1862.
CHAUDIERE (1862). Situation générale des établissements pénitentiaires. Rapport du mois de juin 1862. N°
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FAVRE (1864). Le gouverneur a été sérieusement malade,
il entre en convalescence. Colonies 1er bureau, N°122.
Cayenne le 1er mars 1864.
71
FAVRE (1864). Envoi du rapport médical du médecin en
chef du 1er trimestre 1864. Observations. N° 296, 16
mai 1864.
72
HENNIQUE, A (1865). Arrivée du gouverneur à la
Guyane. N° 14, le 14 janvier 1865.
HENNIQUE, A (1865). Le gouverneur a commencé la
tournée sur les établissements pénitentiaires. N° 135, le 13
mars 1865.
HENNIQUE, A (1865). Compte rendu de la tournée du
gouverneur sur les établissements pénitentiaires. N° 193, le
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HENNIQUE, A (1865). Compte rendu de la tournée du
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par les colons, au point de vue de l’aptitude de la race blanche à
exploiter de ses mains les terres de cette colonie ; accompagnées
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Paul Dupond.
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détaillé du dépôt d’internement de Montjoly. N° 467, 28 Juin
1861, Direction des Colonies, 3ème bureau.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
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TARDY DE MONTRAVEL, L. (1863). Rapport de
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pénitentaires. N° 588, 16 octobre 1863.
TARDY DE MONTRAVEL, L. (1864). Le gouverneur
prend passage sur le transport l’Amazone pour se rendre en
France en congés N° 239, 25 avril 1864.
les Techniques de l'orpaillage arTisanal à saül (guyane française),
vesTiges eT impacTs dans le paysage
pierre rostan, Bureau d’études idm-tethys
97354 rémire-montjoly
S
ur une période de plus de 150 ans depuis la découverte des premiers indices aurifères en 1854, l'exploitation aurifère a mis en œuvre en Guyane française une
gamme de techniques et de méthodes d'exploitation
très variées. Depuis le travail des alluvions dans les
criques à caractère artisanal jusqu'aux exploitations
de gîtes primaires iloniens par galeries, elles sont
accompagnées d'une étonnante diversité des moyens
employés, entre autres le terrassement manuel avec
récupération de l'or à la battée, ou encore le dragage
des alluvions par des machines lottantes, les dragues,
atteignant jusqu’à 40 m de longueur et pesant jusqu’à
300 tonnes.
la problémaTique des vesTiges eT de leur
effacemenT
Un large éventail de techniques qui ont été employées
et la forêt guyanaise a été le témoin d'une suite
continue d'évolutions techniques. Si le patrimoine
industriel minier a pu laisser quelques vestiges dont
l’inventaire a débuté (Rostan 2013), le domaine de
l'orpaillage artisanal, pourtant très connu et vulgarisé,
n'a cependant jamais encore fait l'objet d'une
approche archéologique quant à ses techniques, pour
l'essentiel encore vivantes récemment. Au-delà du
« folklore » des images d’Épinal de l'orpailleur avec
sa battée et son coui, systématiquement reprises dans
toute l'imagerie coloniale d'une époque, cette activité
a laissé des traces d'une grande richesse à travers
des vestiges variés qui traduisent une adaptation des
techniques aux conditions géologiques et gîtologiques
de l'or natif.
Cependant, si toutes les zones aurifères de la Guyane
ont été couvertes de travaux d'orpaillage depuis un
siècle et demi, la pression permanente qui émane du
milieu naturel (altération rapide, forêt, crues, érosion,
etc.), mais aussi du milieu humain avec la poursuite
des exploitations aurifères successives avec de
multiples « repassages » de leurs alluvions, ont détruit
Karapa, vol. 3, juin 2014
les traces des exploitations antérieures. De plus, l'activité minière clandestine gomme les traces des exploitations artisanales jusque dans de très petites criques.
Cet efacement des traces du passé est même souvent
poussé jusqu'à la destruction des sites ayant abrité
d'anciens villages d'orpailleurs ain de récupérer l'or
qui a pu être disséminé dans les fonds des carbets.
Ainsi, dans de nombreux secteurs, tous les vestiges de
cette activité artisanale ont d'ores et déjà disparu et
on peut ainsi considérer que les traces de l'activité des
premiers orpailleurs artisanaux et non mécanisés se
trouvent intégralement gommées sur l’essentiel de la
supericie pourtant importante du territoire où cette
activité s’était développée.
C'est dans ce contexte de disparition systématique des
traces anciennes de cette activité à caractère éminemment patrimonial pour la Guyane que se situe tout
l'intérêt du secteur de Saül. En efet, celui-ci a échappé
aux travaux mécanisés ou de grandes ampleurs par
les sociétés minières, sans doute par suite de son
isolement et des diicultés d'accès, et ce même pour
des époques plus récentes (hormis la région de Sophie
- Saint-Léon très au nord de Saül où des travaux sur
des gîtes iloniens ont été développés dans les années
1950 par la Société Nouvelle des Mines de SaintÉlie et Adieu-Vat). La région du Bourg de Saül se
trouve ainsi caractérisée par une exploitation aurifère
réalisée par un travail quasiment individuel ou avec
de petites équipes et qui a perduré jusqu'à la in du
XXe siècle, menés par une génération d'acteurs en
train de disparaître. Ainsi, cette activité ne se trouve
éteinte que depuis seulement très peu de temps.
Les vestiges laissés par ce type d'exploitations artisanales, qui ont ainsi échappé aux reprises modernes
des exploitations et couvrent des supericies encore
importantes, ont toutefois été largement menacés par
le développement de l'activité clandestine autour de
Saül qui conduit à leur destruction systématique.
73
74
Ces travaux artisanaux d'exploitation de l'or et l'activité orpaillage artisanal ont été conduits de façon
identique en Guyane, au Brésil, au Suriname, au
Guyana et au Venezuela où l’activité d’orpaillage
et les techniques employées se trouvaient tout à fait
semblables à celles dont les vestiges subsistent à Saül
et avec une situation d’efacement comparable à celle
de la Guyane française.
gisemenTs eT Techniques
élémenTs généraux
L'or natif recherché par l'activité artisanale est un
or grossier, c’est-à-dire dont la granulométrie est
supérieure à 1 à 2 mm environ, qui se rencontre dans
la nature avec d'une part les gisements primaires
correspondant à de l'or en place dans le substratum
rocheux et d’autre part les gisements secondaires à
caractère supericiel et qui résultent de la destruction
du premier type par l'érosion.
Dans le secteur du bourg de Saül, les gisements
primaires consistent exclusivement en des ilons de
quartz aurifères et ne concernent pratiquement ici
que la montagne de Bœuf-Mort.
Les gisements secondaires sont beaucoup plus
nombreux et résultent de la désagrégation plus ou
moins poussée des gisements primaires ; le climat
tropical provoque une altération très profonde de la
roche, souvent sur plusieurs dizaines de mètres avec
érosion et libération de l'or puis transportée par les
eaux de surface avec concentration de diférentes
façons sur les versants et en fonds de thalwegs. La très
forte densité de l'or lui confère une mobilité sous les
efets de l'érosion beaucoup plus faible que celles des
autres matériaux géologiques qui l'accompagnent et
on distingue ainsi :
- les éboulis et les éluvions, également nommées
« terres de montagne » issus directement de la destruction des ilons et composés d'amas de gros blocs de
quartz et de cailloutis, dispersés sur les versants en
aval des gîtes primaires sources ;
- les alluvions accumulées dans les criques par l’action
des eaux pluviales et de ruissellement ; ces alluvions
graveleuses, riches en galets de quartz et en sables,
témoignent d'un régime hydraulique de plus forte
énergie qu’actuellement et sont recouvertes par des
Karapa, vol. 4, décembre 2015
dépôts de limons argileux plus ou moins développés mis en place lors de phases d'inondations et
dont l'épaisseur va déterminer des variantes dans la
technique d'exploitation. De plus, la topographie de
ces criques, plus ou moins larges et plus ou moins
pentues, va également déterminer des variantes dans
les modes de travail de l’or.
À la variété des occurrences de l'or, autant sur les
plans gîtologiques que topographiques, correspond
une variété de techniques mises en œuvre avec
l'adaptation des modes d'exploitation à chaque type
de gisement comme aux conditions locales, et ce
toujours à partir de moyens artisanaux limités, mais
en développant une ingéniosité des techniques qui n'a
d'égale que leur simplicité et la frugalité des moyens
mis en œuvre.
Ces caractères ont permis aux techniques de demeurer
adaptées à travers le temps, et certaines ont perduré
depuis l’antiquité voire la préhistoire quasiment sans
changer. L’orpaillage artisanal à Saül illustre ainsi,
pour certaines de ces techniques, d’étonnantes survivances technologiques.
Il convient par ailleurs d'introduire ici une distinction entre l’orpaillage non mécanisé et l'orpaillage
artisanal, tous deux intervenant avec des techniques
identiques, mais le premier avec un personnel
nombreux appointé par des sociétés, souvent cotées
en bourse malgré le caractère rustique des travaux et
des méthodes employées, et qui a perduré jusqu’au
début du XXe siècle. Celles-ci évolueront par la suite
avec les premières tentatives de mécanisation des
exploitations aurifères guyanaises, à l'inverse de l'activité individuelle créole qui demeurera intacte dans
ses approches et ses techniques jusqu’à la in du XXe
siècle.
La principale nuance réside dans le matériel utilisé,
avec pour l’orpailleur artisanal une substitution
poussée à ses extrêmes limites des objets achetés, par
du matériel essentiellement confectionné à partir des
ressources de la forêt.
L'ensemble de ces techniques a pour but de séparer
l’or des matériaux dans lesquels il se trouve naturellement à l'état dispersé et elles reposent sur la très
forte densité de l'or (d = 20 t/m3, avec à titre de
comparaison pour du rocher d = 2,6 t/m3 et pour
des limons et argiles d = 1,6 t/m3). Elles nécessitent
de façon systématique deux facteurs avec d'une part
la présence d'eau et d’autre part la pente topographique, de façon à obtenir un courant d'eau pour
laver les terres et les sédiments qui renferment l'or
avec une force suisante pour entraîner la boue et les
sables et laisser les particules d’or.
du temps notamment en fonction des moyens disponibles. Les alluvions que l'on souhaite tester sont
alors extraites du trou et lavées à la battée.
75
Ce sont ainsi des trésors d'ingéniosité qui vont être
développés dans l’activité artisanale avant l'apparition de motopompes, mais certains gisements
seront longtemps délaissés en l’absence de possibilité d'y amener les eaux autrement qu'avec des
moyens mécaniques qui faisaient défaut à l'orpailleur
artisanal.
L’analyse de ces techniques à travers les sources
écrites a permis une interprétation des éléments du
paysage minier subsistants sur le terrain, en général
d’ordre topographique ou micro-topographique,
avec restitution des gestes et des techniques qui ont
conduit à leur création.
Figure 2 Trou de prospection manuel, 1,5x0,5 m,
crique Grand Fossé aval
les chanTiers d'orpaillage alluvionnaire – le
Travail au sluice
Figure 1 Théodore Timane, orpailleur de Saül,
avec sa battée et son coui
les Trous de prospecTion
La première étape de la recherche concerne la localisation des gisements avec le plus souvent la nécessité
de réaliser des sondages terrassés manuels pour reconnaître le gisement avec sa profondeur, l'épaisseur de
terre qui le recouvre et l’épaisseur de la couche de
graviers aurifères que l’on se propose d’exploiter.
Ces trous à rôle de sondage, réalisés manuellement,
ne sont encore aujourd'hui observables que lorsque
leurs résultats n'ont pas été jugés dignes d'intérêt par
l'orpailleur, c’est-à-dire dans des secteurs non travaillés ou bien en périphérie des secteurs travaillés. La
notion d'intérêt ayant varié sensiblement au cours
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Tout en demeurant de principes très simples, les
méthodes d'exploitation des criques vont une nouvelle
fois s’adapter aux conditions locales : plus ou moins
grande largeur de la crique et plus ou moins forte
épaisseur de recouvrement de limons stériles sur la
couche aurifère. L'élément majeur de ce travail est
le sluice, aussi dénommé « dalle », un outil passif
composé d'un canal en bois confectionné sur place
dans lequel l’alluvion aurifère dont les gros éléments
se trouvent éliminés à l'aide d'un crible métallique
ou en bois, est délayée dans un courant d'eau ; les
éléments stériles sont évacués par l’eau pour les plus
légers ou manuellement pour les cailloux et les blocs
et les particules d'or se déposent dans des pièges
disposés au fond du canal, les riles. Cette méthode,
encore en usage à Saül jusqu'à la in du XXe siècle,
était déjà qualiiée de « primitive » en 1909 par A.
Dangoise.
76
Les sluices guyanais reposent sur des piquets verticaux
et horizontaux dont la liaison efectue par une pièce
métallique composée de deux crochets perpendiculaires, le « croché dal ».
Si l'eau est l'élément nécessaire du travail de l'or, elle
est aussi un élément gênant et perturbant, car elle
noie les fosses d’extraction et empêche alors tout
travail. Le mineur doit alors s'attacher à établir un
équilibre subtil pour maîtriser cette eau avec d'une
part la nécessité de l'amener sur le site et d'autre
part celle de l'écarter du chantier, cette considération
représentant une des clés de la compréhension de
l'allure et de la morphologie des chantiers orpaillage
artisanal.
La première démarche va consister à écarter le cours
d'eau, c’est-à-dire ici le lit mineur de la crique du
chantier et la crique va se retrouver reportée contre
une de ses berges dans un canal terrassé dans ce
but. L’allure des criques aujourd’hui pourrait laisser
Figure 3 Principe du travail au sluice (Brousseau 1901) noter les crochet-dalles de maintien du sluice
Figure 4 Le travail au sluice (F. Hue 1892)
Karapa, vol. 4, décembre 2015
les travaux lorsque les sites, en particulier les fosses
d'extraction sont noyées, conduisant à la nécessité
de s'adapter et de gérer les zones d’exploitation en
fonction de ces facteurs.
Figure 5 Crochet-dalles, Bourg de Saül
penser à un écoulement naturel, mais la présence de
levées de terre en bordure du lit ne laisse aucun doute
quant à l'origine artiicielle de leur tracé, même si les
eaux ont parfois réinvesti un lit plus central.
A partir de la crique seront tracés successivement un
ensemble de canaux de dérivation amenant les eaux
de la crique vers les chantiers. Un barrage de palme
est mis en place dans le canal principal pour en élever
le niveau et alimenter ainsi le canal secondaire et le
creusement de la fosse dans l'alluvion peut débuter
avec simultanément le lavage de l'or dans le sluice.
Ain de pouvoir laver le gravier aurifère, il convient
ainsi de gérer deux aspects antagonistes, aggravés
par la quasi-absence de pente dans le lit des grandes
criques, avec d'une part la nécessité de s'afranchir des
eaux dans la fosse creusée et d’autre part d'amener des
eaux dans le canal en bois pour le lavage des graviers
aurifères ; il est ainsi creusé un canal de dérivation
des eaux de surface qui empêche l’ennoiement de
la fosse. Le cas échéant celle-ci est dénoyée par des
moyens artisanaux, en général de simples seaux. Sur
des chantiers à caractère moins artisanal, des modes
d'épuisement des eaux étaient employés avec les
« pompes macaques », simples plateaux à balancier
plongés dans la fosse, et évidemment des pompages
mécanisés, méthodes qui ne semblent jamais avoir été
employées par les orpailleurs de Saül, sauf peut-être
sur les toutes dernières années d'activité.
Ces contraintes vont souvent conférer un caractère
saisonnier aux chantiers d’orpaillage, en raison
du manque d’eau en saison sèche pour permettre
le lavage du gravier aurifère ou bien en raison de
l’abondance de l’eau en saison des pluies empêchant
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Lorsque l’horizon d'alluvions que l'on souhaite
exploiter est masqué par une tranche importante de
dépôts supericiels, limons et argiles déposés lors de
débordements anciens de la crique (alluvions à fort
recouvrement), il devient nécessaire de créer des fosses
de quelques mètres de diamètre avec un ensemble
de chantiers ponctuels plus ou moins juxtaposés.
Lorsque la couche de graviers est peu profonde ou
sub-aleurante (alluvions à faible recouvrement), les
chantiers deviennent allongés et linéaires et s’efectuent systématiquement de l'aval vers l'amont.
Le chantier, situé près d'un des canaux principaux,
débute ainsi par le creusement d'un canal de dérivation des eaux de faible section destiné à alimenter le
sluice le moment venu et à maintenir les eaux hors
du chantier de façon à éviter de noyer la fosse. Puis,
il s’en suit le creusement de la fosse dans l’alluvion
stérile supericielle, composée de limons argileux
sans graviers ni galets quartzeux. La fosse est élargie
jusqu'à la bordure immédiate du canal de dérivation
ain de ne pas trop perdre de volume de minerai.
Lorsque le gravier aurifère est atteint, le sluice sera
mis en place de façon à traverser la fosse et à rejeter
ses eaux plus en aval, dans un canal de fuite sans
autre possibilité de retour dans la fosse d’extraction ;
le canal de dérivation des eaux en amont est alors mis
en relation avec le sluice par un court canal.
Les produits issus du creusement de la fosse sont jetés
directement dans le sluice, dont il n’est pas question
de s’éloigner plus que la portée d'un jet de pelle,
limitant ainsi la taille de la fosse. E.D. Levat (1902)
considère qu'il faut un piocheur dans la couche de
graviers pour deux pelleteurs qui envoient le gravier
dans le sluice.
La gestion de l'espace de travail nécessite ainsi sur
une faible surface de cumuler l'alimentation en eau,
la dérivation des eaux, le creusement de la fosse, le
transport du minerai jusqu’au sluice (à l'aide de la
pelle) et le traitement de l'alluvion par le sluice. Il faut
y ajouter les tâches annexes d'épuisement des eaux
parasites de la fosse, d’évacuation des stériles et des
gros cailloutis et blocs de quartz sur ses bordures,
77
78
Figure 6 Sluice enjambant une fosse d’extraction (ancienne carte postale, Suriname)
de débourbage le long du sluice de façon à briser et
délayer les mottes d’argiles, etc.
À l'issue de la fosse, un canal de fuite est creusé ain
que les eaux chargées de sédiments issus du sluice ne
reviennent pas envahir la fosse et celles-ci retournent
au canal principal puis à la crique où elles déposent
une partie des matières issues du lavage, et on
comprend dès lors l'impératif d’avoir des chantiers
progressant de l'aval vers l’amont.
Les criques orpaillées comportent un réseau de canaux
et de fossés d’allure confuse et anastomosée, mais se
trouve en fait structuré à petite échelle en fonction de
l'implantation des fosses d'exploitation. Cette structuration, qui n'est pas perceptible par un observateur
en raison du champ de vision très court lié au couvert
forestier, est variable selon l'échelle et si elle semble
anarchique à l'échelle de la crique, elle apparaît très
organisée à l'échelle de la fosse. Les canaux seront de
plus ou moins grande section en fonction des volumes
d'eau à faire transiter et de section décroissante en se
rapprochant de la fosse de travail. Parfois muraillés de
blocs de quartz sur les cotés, ils sont d'allure voisine de
celle des canaux antiques des exploitations aurifères
romaines de l'Italie du Nord.
Figure 7 Crible métallique en sortie d’un sluice
(ancienne carte postale, Suriname)
Une typologie des canaux peut-être établie avec :
La crique - canal principal : Elle va présenter un
écoulement permanent, au moins de façon saisonnière, et se trouve souvent déviée pour ne pas ennoyer
les chantiers, et si possible repoussée sur l'une ou
l'autre des berges en pied de versant ; elle devient
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Figure 8 Crible en bois installé dans le sluice
(photographie ancienne)
ainsi le canal principal du site alimentant les canaux
primaires. Des criques d'allure aujourd’hui naturelle
présentent ainsi souvent un bourrelet de terre sur une
des berges, témoignant de leur caractère artiiciel.
Les canaux primaires : leur écoulement est variable
dans le temps en fonction des zones travaillées et de
leur alimentation par la crique grâce le plus souvent
à la mise en place d'un barrage végétal ; de grande
section (environ 1 x 1 m), ils sont en général à peu
près parallèles au sens général de la vallée et afectés
de quelques ondulations de façon à éviter les fosses
d'exploitation. La dérivation s'efectue au moyen
d’un barrage temporaire, le plus souvent à l'aide d'un
simple rideau de palmes pour l’orpailleur artisanal
et, sur les sites les plus importants, par une véritable
retenue avec un barrage en terre compactée entre
deux rangées de parements en bois. Il ne subsiste
habituellement pas de trace sur le terrain de tels
ouvrages.
Les canaux secondaires : de plus faible section (environ
40 x 40 cm), ils alimentent directement un chantier
à partir du canal primaire dont ils constituent une
série de dérivations successives ; une courte branche
79
Figure 10 Barrage de palmes sur une crique,
travaux clandestins actuels
alimentera le sluice de la fosse, alors que le canal
secondaire, qui devient alors le canal de dérivation,
se poursuivra sur la bordure de la fosse et recevra en
aval les eaux du sluice.
Le canal de fuite : situé à l’arrière du chantier, il représente la poursuite du canal de dérivation du chantier
et reçoit les eaux qui ont traversé le sluice.
Figure 9 Canal primaire de large section, distribuant les eaux
aux canaux secondaires
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Les fosses d'exploitation : avec une emprise variable,
de l'ordre de 4 x 4m environ soit 15 à 20 m2, leur
profondeur est fonction de celle de la couche de
graviers, mais n’excède rarement 2 à 3 m, profondeur
au-delà laquelle l'épuisement des eaux devient diicile
(fortes arrivées d'eau de la nappe aquifère d'accompagnement des criques, diicultés d'épuisement des
eaux vu la hauteur d'exhaure) ainsi que l'évacuation
des produits dans le sluice. Creusé manuellement à la
pelle, le recouvrement de limons stériles est rejeté sur
ses bordures, ce qui a pour efet de rehausser les bords
de la fosse. La couche aurifère est creusée à la pelle
et les graviers déversés dans le sluice sont évacués en
aval par le courant d’eau, les galets et blocs sont triés
à la main et rejetés un peu en aval en tas (cf. ci-dessus).
80
Figure 13 Canal de fuite à l’issue d’une fosse d’extraction avec
aleurement de la couche de graviers minéralisés dans le talus
de la fosse, crique Grand Fossé
Figure 11 Canaux secondaires étroits amenant les eaux aux
chantiers en fosse
Figure 14 Chantier en fosse avec son bourrelet de remblais
stériles périphériques
Dans le même temps, les blocs de quartz dégagés de
la fosse sont stockés en tas sur ses bordures, parfois en
muraillements de ses parois, et les gros cailloutis lavés
dans le sluice sont éliminés à la main et mis en tas en
bordure du sluice, en général vers son extrémité aval.
Figure 12 Canaux secondaires étroits amenant les eaux aux
chantiers en fosse
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Les tas de quartz : répartis autour des fosses d'exploitation, ils consistent en des accumulations de gros galets
et blocs triés à l’entrée du sluice, peut-être au droit
81
Figure 18 Chantier linéaire (ancienne carte postale,Guyana)
Figure 15 Accumulation de petits blocs de quartz (refus du
crible) en bordure de fosse, crique Grand Fossé
Figure 16 Matériaux de refus du crible : tas de galets lavés,
crique Bon Accord
Figure 17 Chantier linéaire, crique Bon Accord
Karapa, vol. 4, décembre 2015
d'un crible et quelques fois accumulés en parement
des fosses et canaux, en des tas de granulométrie
moins forte enlevés manuellement du sédiment dans
le sluice après avoir été soigneusement débourbés et
lavés, et enin en des tas de petits graviers et sables qui
correspondent aux alluvions lavées et rejetées à l'issue
du sluice, les fractions plus ines, sables et argiles
ayant été emportées plus loin par le courant d'eau.
Ces tas de graviers triés seront rencontrés de façon
systématique lorsque les layons traversent une crique
aurifère (layon de Bœuf Mort sur ses parties sud et
ouest, layon de l'aérodrome, diférentes traversées de
la crique Cochon par les layons des Monts La Fumée
et Roche Bateau, etc).
Lorsque les alluvions aurifères ne comportent qu'un
faible recouvrement et sont donc supericielles,
l'exploitation est plus aisée et se déroule alors non
pas en fosses ponctuelles, mais de façon linéaire
selon des canaux plus ou moins larges voire sur de
grandes surfaces. De tels chantiers se rencontrent
dans la partie aval de la crique Mulet Mort, au droit
du layon joignant l’aérodrome à celui de Bœuf-Mort,
mais aussi sur le layon des Cascades avant la crique
Limonade.
Si la crique ne comporte pas assez d’inclinaison et
présente une allure marécageuse, le travail artisanal
devient diicile par suite de l'impossibilité d’évacuer
les eaux des chantiers, par de simples canaux et
fossés. Les criques sont alors délaissées, car le travail
artisanal rencontre un obstacle technologique qu'il ne
lui est pas possible de franchir. La partie centrale de
la crique Mulet Mort, entre le layon de l’aéroport et
le layon joignant l’aérodrome à celui de Bœuf Mort,
s'est ainsi trouvée grande partie délaissée malgré une
probable ressource aurifère avérée plus en amont et
plus en aval.
82
Les petites criques étroites sont le plus souvent localisées en têtes de versant avec des pentes et des proils
en long prononcés et les techniques de travail y sont
distinctes de celles des criques plus larges. En efet, il
n'y a pas de possibilités de dériver ce type de crique
ou d'y creuser des canaux.
L'exploitation y sera nécessairement linéaire, en
remontant le criquot et abandonnant des tas de
matériaux, limons stériles et graviers lavés accumulés
de chaque côté du ruisseau. Si les alluvions
comportent de gros blocs de quartz ou de cuirasse
latéritique comme cela est souvent le cas en têtes de
criques, l’étroitesse du site va conduire à construire
des édiices avec les blocs de quartz, des tas de quartz
soutenus par des murets ou parements muraillés sur
les bordures de la crique ain que le chantier ne soit
pas envahi par ces matériaux. Le sluice est posé à
même le ruisseau et alimenté à la pelle depuis l'amont
et si la pente est insuisante, elle est créée par le
creusement d'un étroit canal dans le « bed-rock » (la
roche en place altérée sous les alluvions).
criquots voisins jusqu’au chantier que l'on souhaite
travailler avec dérivation des criques, parfois sur des
distances considérables et avec des canaux étagés de
façon à exploiter chaque fois une partie plus élevée
du gisement.
La limite amont des travaux correspond ainsi
habituellement à la limite technique des possibilités
d'amener de l'eau de façon gravitaire sur le site et les
ressources des fonds en amont ont alors été abandonnées.
Ces canaux, réalisés de manière complètement
empirique et pourtant à la pente régulière, ont parfois
reçu de petits confortements de leur talus aval par des
blocs de quartz et se trouvent localement tapissés
d'argile en fond pour assurer leur étanchéité.
L'utilisation gravitaire de l'eau permet de plus d'aider
au creusement du terrain en raison de la forte pente
qui permet une évacuation spontanée et immédiate
des produits creusés manuellement, voire un creusement spontané complémentaire. Les eaux s'écoulent
ensuite dans un chenal amorcé artiiciellement et
qui se développe et s'approfondit naturellement par
Pour mémoire, on rencontre également parfois des
travaux, non documentés à Saül sensu stricto pour
l'instant, sur des têtes de criques ne comportant pas
d'écoulement d'eau permanent ou qui se trouvent de
toutes façon trop faibles ; il est alors créé dans le lit
du criquot un ensemble de bassins creusés et qui se
remplissent spontanément d'eau avec une disposition
en cascades ; chaque bassin permet le lavage des
alluvions à la battée grâce à la petite réserve d'eau
ainsi constituée et les gros éléments sont rejetés en tas
sur les cotés.
le Travail des versanTs - les « Terres de
monTagne »
L’exploitation des éluvions et des éboulis présents
sur les versants des reliefs collinaires se heurte à la
question de la ressource en eau gravitaire nécessaire
pour laver la terre et en séparer les particules d’or
selon la même technique du sluice utilisée pour les
alluvions de criques.
Il devient alors nécessaire de réaliser des ouvrages
hydrauliques pour amener les eaux sur le site avec la
création de canaux amenant les eaux des criques et
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Figure 19 Parements muraillés en blocs de quartz sur le talus
d’un chantier éluvionnaire, crique Grand Fossé amont
l’action du courant d'eau amené sur le site ; la récupération de l’or s’efectue ici aussi par un sluice, souvent
posé à même le lit du ruisseau artiiciel. Les autres
aspects techniques du chantier sont sensiblement
identiques à ceux du travail au sluice, avec notamment
des tas de remblais observables sur les bordures du
canal d’écoulement des eaux, mais les travaux sont
en général encombrés de gros blocs de quartz issus du
démantèlement des ilons par l'érosion.
83
De tels chantiers, dont le déroulement s’efectue
ici aussi nécessairement de l'aval vers l'amont, sont
observables sur le versant nord de la montagne de
Bœuf-Mort en aval de la piste de Bélizon (rive gauche
de la crique Bœuf-Mort) et dans la crique Grand
Fossé au voisinage du captage d'eau potable où ces
travaux, développés de façon spectaculaire, ont donné
son nom à la crique. Ils ont certainement présenté un
caractère saisonnier, car alimentés par des criquots
au débit souvent très faible en saison sèche.
Le travail des versants est accompagné le plus souvent
de la technique du « sous-marin », forme la plus
simple et la plus archaïque de l'exploitation de l'or ;
en efet le canal en bois du sluice se trouve remplacé
par un canal creusé directement dans la terre. Des
replats et empochements piègent l'or, éventuellement
avec du mercure déposé sur ces redans au fond du
canal et il s'agit là d'une technique héritée des toutes
premières époques de la métallurgie de l’or.
Figure 20 Un « sous -marin », canal creusé dans le substratum et
qui joue le rôle du sluice, crique Cajou
La récupération de l'or s’efectue ensuite le même
principe que celui de l'exploitation des criques, grâce
à une topographie en forme de talweg créée de toute
pièce qui se trouve évolutive avec l’avancement des
chantiers vers l'amont ; le minerai, terres et cailloutis
avec leurs particules d’or, lavé par l’apport des eaux
des canaux, passe dans un sluice pour en récupérer
les particules d'or.
Avec l’évolution des techniques, les eaux issues des
canaux se sont trouvées captées et acheminées par
tuyaux sur les chantiers pour alimenter des lances
équipées de réducteurs (les « monitors ») dont la
pression permettait de déstructurer le terrain tout en
assurant le lavage et le débourbage des matériaux.
Plus tardivement, ces lances seront alimentées par des
pompes thermiques.
Un chantier éluvionnaire typique réalisé à l'aide d'une
lance alimentée par une pompe thermique est obser-
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Figure 21 Chantier éluvionnaire avec attaque à la lance monitor
(carte postale ancienne, Guyana)
vable en contrebas de l’aérodrome dans les pentes
qui dominent la rive droite de la crique Cochon. Une
amorce de chantier de ce type existe sur la crique
Grand Fossé un peu en aval de son intersection avec
le layon de Bœuf-Mort.
le Travail au feu
84
Il s'agit d'une technique parmi les plus anciennes qui
se trouve parfois encore en usage et dont l’emploi
dans les exploitations minières remonte au moins
au Néolithique moyen dans les cristallières alpines
(travaux pour l'extraction des cristaux de quartz
destinés à être taillés) ou pour l’extraction des haches
alpines en roches tenaces.
Cette méthode se trouvait également en usage dans
les petites Antilles pour briser des roches massives
sans outillage. De même que pour l'élimination des
roches dans les champs de cannes ou le terrassement
de citernes enterrées dans les îles sèches, en particulier à Saint Barthélémy où le terrassement de l'usine
électrique de Gustavia dans les années 1960 a été
réalisé par cette méthode. Basée sur les propriétés de
dilatation thermique des roches poussées jusqu’à la
rupture du matériau sous l’action de la chaleur, elle
fut la méthode de creusement des roches compactes
employée dans les mines lorsque les outils métalliques
devenaient inadaptés par suite de la dureté de la
roche, et ce jusqu’à l'application de la poudre noire
pour cet usage au XVIIe siècle.
Elle est en pratique demeurée la méthode la mieux
adaptée, autant sur les plans technique qu’économique, pour briser des blocs de roche dure en
l’absence de moyens mécaniques. La méthode été
employée plus au nord sur la commune à Sophie
dans les années 50, et serait apparue à Saül lorsque
les travaux du BMG, qui ont employé les orpailleurs artisanaux de la commune sur les chantiers de
prospection ilonienne, ont révélé la présence d’or
dans ces massifs de quartz. Diférents orpailleurs se
sont alors détournés du travail des alluvions, au moins
de façon saisonnière, pour s’afranchir des inondations en saison des pluies. Une enquête DRIRE de
1983 recense 4 orpailleurs exploitant le quartz de
Bœuf-Mort par le feu sur les 13 travaillant encore à
Saül à cette époque là.
Les travaux que nous avons menés par ailleurs sur
cette question par le passé et notamment à Saül ont
montré qu'elle relevait d'un fond culturel général
et patrimonial des populations et qu'elle se trouvait
systématiquement réinventée en fonction des besoins
par des opérateurs qui l’avaient vu pratiquer par
ailleurs dans leur passé ou en avaient entendu parler,
chacun l'adaptant à ses besoins.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
La technique consiste à chaufer les blocs de quartz
massifs jusqu’à leur éclatement de façon à obtenir
des éléments de plus faible module susceptibles d'être
ensuite brisés à la masse, l’abatage étant complété à
la masse et avec des coins. Les morceaux comportant
des particules d'or étaient alors triés et ramenés dans
un katouri-dos au village de Saül, puis broyés dans
des « pilons » en mortier de ciment encastrés dans
le sol à l'aide d'une barre métallique de récupération
(cardan de camion, pilon de broyeur mécanique..) ;
l’opération est terminée par un lavage à la battée
du concentré de façon à séparer les sables de quartz
broyé d'avec les particules d'or.
Il ne semble pas que l'aspersion d’eau, pourtant
relatée par J.Petot, était systématique pour provoquer
l'éclatement de la roche qui intervient de toutes
façon au cours du processus de chaufe, mais cette
aspersion permettait de gagner du temps sur l'opération. En pratique, les orpailleurs allumaient un feu
en première moitié de journée, puis le laissait brûler
et refroidir, jusqu'au lendemain matin et proitaient
de l'après-midi pour vaquer à d'autres occupations et
notamment à l’abatis.
Les produits obtenus par le creusement au feu
présentent une morphologie typique et l’abatage
thermique détache en surface des éclats de quartz
très plats, puis des éclats décimétriques d’allure
courbe et plus en profondeur des éclats de roche avec
une section et triangle aigu isocèle qui permettent
d’identiier immédiatement la mise en œuvre de cette
méthode.
Les moyens mis en œuvre dans ces opérations
d'exploitation de l'or primaire ne se trouvent guère
plus évolués que ceux disponibles dès avant l'Antiquité et représentent ici une véritable survivance technologique.
Les chantiers à Saül se localisaient sur le versant
nord de la montagne de Bœuf Mort sur des masses
de quartz ilonien plus ou moins éboulées sur ellesmêmes. Les témoignages des orpailleurs ont montré
que la méthode était mieux adaptée que l'explosif qui
disperse les produits issus du tir et ne permet pas de
récupérer les cailloux portant de l'or.
Les blocs de quartz de ce secteur portent les stigmates
caractéristiques de l'éclatement au feu, produits de ce
type de travail, avec des éclats supericiels très plats
85
Figure 24 Produits caractéristiques de l’attaque au feu : éclats de
quartz plats et éclats courbes
Figure 22 Feu expérimental, montagne de Bœuf Mort
Figure 25 Produits caractéristiques de l’attaque au feu : éclats de
quartz avec une section de triangle aigu isocèle
le quartz.L'aspersion d'eau attestée par Jean Petot ne
présente pas ici une utilité fragrante autre que celle
de gagner du temps, la fragmentation de la roche
intervenant au cours de la durée du feu.
Figure 23 Un pilon de broyage du quartz aurifère encastré dans
le sol, Bourg de Saül
et légèrement courbes, de diférentes tailles et des
éclats plus profonds avec une section de triangle aigu
isocèle. eu expérimental, montagne de Bœuf Mort
Les expérimentations (P. Rostan 2006 et 2007) ont
montré que les éclatements se produisaient très
rapidement lors de la montée en température et se
poursuivaient avec l'avancée du front de chaleur dans
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Il a été montré que les feux trop vifs dissipaient
beaucoup de chaleur dans l'atmosphère et n’induisaient qu’un écaillage supericiel ; les feux lents et
prolongés, sans lammes vives et spectaculaires,
permettent une lente progression des fronts de chaleur
dans le quartz massif et induisent un rendement de
quartz brisé plus élevé. Ainsi l’utilisation de bois
encore vert ou de couverture de feuilles sur le foyer,
si elle donne au feu un aspect moins vif, permet de
conserver la chaleur contre la roche et d'augmenter
son eicacité et le bois sec est surtout nécessaire au
démarrage du feu.
méthode de l'emplombage pour les analyses des
minerais aurifères.
Le mercure permet ainsi une récupération aisée des
particules d'or les plus ines dès lors que celles-ci se
trouvent à son contact.
86
Figure 26 Front de taille d’une attaque au feu, avec une allure
caractéristique en gradins renversés, montagne de Bœuf Mort
D’une façon générale, la méthode fut employée en
Guyane avec un caractère très empirique et à notre
connaissance seul des carriers artisanaux de Cayenne
au quartier de la Madeleine ont utilisé cette méthode
de façon régulière pour fournir les travaux publics en
éléments rocheux.
la levée – l'amalgamaTion au mercure
Cette technique ne s’accompagne pas de traces sur le
terrain, mais représente l'ultime étape de la démarche
minière et métallurgique de l'orpaillage artisanal.
La récupération de l’or s'efectue avec une périodicité
variable selon les auteurs, et surtout en fonction de
l'importance du chantier et des volumes d’alluvions
traités, de l'ordre de quelques heures à une semaine,
mais sans doute pour l’orpailleur artisanal de façon
quotidienne, avec un lavage du sluice et des riles qui
ont retenu l’or, suivi d'une concentration des éléments
lourds à la battée.
« Cette opération ne présente aucune particularité
remarquable et s'efectue en nettoyant, d’amont en
aval, toutes les parties du sluice » (E.D. Levat 1905).
Outre sa densité, une autre des particularités de
l'or réside dans le fait qu'il s'agit d'un métal soluble
à froid dans le mercure pour former un amalgame
Au-Hg.D’autres métaux, et notamment l’argent, ont
le même comportement en présence de mercure et
l'or est de plus soluble à chaud dans le plomb, cette
propriété étant utilisée de longue date avec la vieille
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Les propriétés d'amalgamation du mercure étaient
connues dès l'Antiquité et il s’agit d'une méthode,
commune ici aux diférentes techniques décrites
ci-dessus, qui a été d’utilisation courante à partir du
XVIe siècle pour l’extraction de l'or et de l’argent
à l'échelon artisanal comme à celui industriel. Les
techniques employées par les orpailleurs créoles sont
demeurées dans la forme la plus simple de la méthode.
La levée s’efectue en nettoyant les diférentes parties
du sluice d'amont en aval et on lave aussi alors les
mottes d’argile qui ont été mises de côté dans la
journée.
« Il ne reste plus qu'à nettoyer, avec la battée, l'amalgame du sable qu'il contient et à le débarrasser
ensuite de l'excédent de mercure. Pour cela, on étend
un carré de linge de coton mouillé sur la battée, de
façon à former une poche sur laquelle on verse avec
soin le contenu du seau en bois, puis on relève les bris
du linge et serrant de plus en plus, en les tordant, les
plis de cette poche de haut en bas, le mercure iltre
au travers et seul l’or amalgamé reste en culot avec
quelques grains de sable et quelques grenats que l’on
enlève par un dernier lavage à la battée. On recommence la même opération de pression dans le linge à
production (ndr = qui contient « la production ») en
lavant et secouant cette fois fortement le culot dans le
seau à mercure, à moitié plein d'eau, et, l'on emporte
au chef-lieu du placer la production de la journée
que l'on débarrasse du mercure par évaporation en
chaufant dans une poêle en fer destinée uniquement
à cette opération » (G.Brousseau 1901).
Les techniques n’ont donc, ici non plus, pas connu
d’évolution sensible et l'amalgame est serré dans un
tissu de façon à laisser s'échapper le mercure qui est
récupéré.L'amalgame d'or et de mercure, qui a perdu
son caractère liquide, est ensuite passé à la poêle pour
récupérer l’or et le mercure s’évapore. La récupération, très partielle, du mercure s’efectue avec des
feuilles de balisier maintenues au-dessus du feu de
distillation qui permettaient sa condensation. Il ne
semble pas que des appareils de distillation pourtant
simples, les retortes, aient été utilisés à Saül, ceux-ci
étant en usage sur les chantiers des grandes sociétés
d'orpaillage au siècle dernier ou ayant été difusés sur
les petits chantiers à des époques plus récentes. Ces
retortes ont cependant été réutilisées par les orpailleurs successifs et ne se retrouvent pas sur les sites.
Les pertes de mercure proviennent du mercure
échappé durant les opérations sur le site, mais aussi
et surtout du mercure gazeux évaporé susceptible de
se difuser aisément dans le milieu naturel ainsi que
d'être inhalé par l’opérateur.
conclusion
Il apparaît ainsi, à travers la multiplicité des
techniques employées, toute l'ingéniosité de l'orpailleur artisanal créole avec d’une part la nécessité d’une
parfaite connaissance de son milieu et de sa géologie,
même si elle se trouve acquise de manière empirique,
et d’autre part celle de parvenir à s'adapter en
permanence à tout un ensemble de facteurs comme
la topographie du lieu, le mode de gisement de l’or, la
saison de travail, etc..
Tous ces aspects viennent illustrer autant d'éléments
pour la lecture d'un paysage profondément modelé
par l'action humaine, mais où ces modiications ont
été intégrées dans la topographie actuelle et passent
ainsi aisément inaperçues.
Saül concentre ainsi tous ces éléments permettant,
par suite d'une préservation relative, une approche
globale de la richesse et la variété des techniques
de l'orpaillage artisanal et l’intérêt du site vient de
son absence de mécanisation contrairement à de
nombreux autres secteurs, sinon la plupart, des zones
orpaillées du territoire guyanais. Il s'agit là en efet
d'une situation que nous n’avons jamais retrouvée sur
les autres sites miniers de Guyane.
Il s'agit de plus de techniques communes à toute
l’Amazonie et c'est donc ici un patrimoine technique
commun pour lequel nous avons souvent fait appel
aux sources écrites ou iconographiques de ces
Guyanes voisines en particulier devant la pauvreté
des données relatives à l'orpaillage artisanal local. En
efet, la plupart des éléments disponibles se référant
habituellement aux travaux artisanaux (au sens de
non mécanisés) entrepris à plus grande échelle par les
sociétés organisées de l'époque.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
Ce travail a été réalisé avec le concours de l'association Aïmara et du Parc Amazonien Guyanais.
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2014 Le patrimoine minier de la Guyane française, revue
Karapa n°2 pp 44-56.
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294 p.
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1983 Gran Man Baka. Ed. DAVOL, 284 p.
Karapa, vol. 4, décembre 2015
mise en place d’un sysTème d’informaTion
géographique dans le domaine culTurel
(direcTion des affaires culTurelles de guyane)
juliette Berger, chargée de mission patrimoines
et architecture dac guyane
L
e pôle patrimoines et architecture de la Direction
des afaires culturelles de Guyane s’est lancé en
2014 dans la mise en place d’un système d’information géographique (SIG). Cet article vise à exposer
l’utilisation de l’outil dans le domaine culturel en
Guyane et pose la question de l’utilisation d’un SIG
en archéologie.
qu’esT ce qu’un sig ?
Un système d’information géographique est une
modélisation numérique et géo-localisée du territoire.
La superposition de couches géo-référencées permet
un recoupement de données spatiales et en facilite
l’analyse. Mettre en place un SIG revient à recueillir,
stocker, traiter, analyser, gérer et présenter l’ensemble
de ces données spatiales et géographiques.
déTails de la mission de mise en place d’un
sig à la dac
La DAC s’est doté d’un SIG partagé entre ses diférents
services avec pour objectif principal de numériser les
servitudes d’utilité publique (monuments historiques
et périmètres des aires de mise en valeur du patrimoine et de l’architecture) dont elle est gestionnaire.
La majeure partie des données référentielles disponibles en Guyane (cadastre, base de données
topographique du bâti, ortho-photoplans, etc.) sont
accessibles en ligne via les plateformes d’échanges
des données SIG : GéoGuyane (administrée par la
DEAL et l’AUDEG) et Guyane SIG (administrée par
le Conseil Régional) (igure 1).
Figure 1 Exemple de référentiel disponible en Guyane: BD ortho historique, vue de Mana (1950)
Karapa, vol. 3, juin 2014
89
90
Figure 2 : numérisation de l’emprise des Monuments Historiques (ici centre historique de Cayenne)
À partir de ces données référentielles, il a été possible
de numériser l’emprise des 81 monuments historiques de Guyane et de renseigner l’ensemble des
informations des arrêtés de classement ou d’inscription dans la table attributaire (igure 2). L’emprise
des sites archéologiques classés ou inscrits n’a pu être
renseignée du fait de l’absence de données sur leur
localisation précise.
Un périmètre de 500 mètres a ensuite été généré
à partir de chaque Monument Historique ain de
visualiser les périmètres de protection en Guyane.
Une base regroupant l’ensemble de ces données a
ensuite été créée sur le serveur commun, rendant ces
informations accessibles aux agents de la DAC.
quelles uTilisaTions du sig pour l’archéologie en guyane ?
Les données géo-localisées en archéologie à la DAC
sont aujourd’hui limitées à des points de localisation de sites ou indices de sites archéologiques. Une
Karapa, vol. 4, décembre 2015
analyse plus poussée des données territoriales (nature
et occupations des sols, analyse de cartes anciennes,
résultats de prospections et fouilles, etc.) permettrait
la mise en évidence de zones de présomption de
prescription ou de sensibilité archéologique.
Au cours de cette mission de mise en place d’un SIG
partagé, aucune donnée archéologique n’a été créée.
Seul un état des lieux sur les attentes et besoin a été
dressé.
conclusion : vers une démocraTisaTion de
l’ouTil en guyane
Plus qu’un outil informatique, le SIG est une gestion
raisonnée de l’information. Une fois ces données
vériiées et standardisées, le SIG devient un outil
d’analyse et d’aide à la décision. En Guyane, les
initiatives dans le domaine culturel restent à être
coordonnées ain de créer une base de données
opérationnelle.
KARAPA 4
conTenu
Bilan de la recherche archéologique en guyane en 2014
rites funéraires précolomBiens de l’île de cayenne : l’exemple du site de momBin ii,
rémire-montjoly
le centre d’archéologie amérindienne de Kourou, la question de la valorication d’un site
archéologique précolomBien
la tradition arauquinoïde en guyane française : les cultures BarBaKoeBa et thémire
« cayenne hollandaise », claes jan langedijcK et quirijn spranger
archéologie funéraire en guyane française : le cimetière de l’haBitation jésuite loyola.
fouille programmée de 2014
la poterie des jésuites : croissance et déclin d’un atelier du xviiie siècle
l’haBitation Beauregard, 1665-1890
la « résidence » du gouverneur montravel à montjoly
les techniques de l’orpaillage artisanal à
dans le paysage
saül (guyane française), vestiges et impacts
mise en place d’un système d’information géographique dans le domaine culturel
Publié avec le soutien inancier de la
Direction des afaires culturelles de Guyane
© 2015 Association AIMARA
Rémire-Montjoly, Siret: 43189562200022
www.archeoaimara.net
ISBN 1249-3422 © 2014