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Revue Karapa 4

Articles d'archéologie précolombienne et coloniale de Guyane française

KARAPA 4 Revue d’AnthRoPologie des sociétés AméRindiennes Anciennes, d’histoiRe et d’ARchéologie coloniAle du bAssin AmAzonien et du PlAteAu des guyAnes décembRe 2015 KARAPA 4 Revue d’AnthRoPologie des sociétés AméRindiennes Anciennes, d’histoiRe et d’ARchéologie coloniAle du bAssin AmAzonien et du PlAteAu des guyAnes 2 Éditrice du numéro: Catherine Losier Conception de la couverture: Catherine Losier Relecture: Nicolas Payraud, Catherine Losier Infographie: Catherine Losier Coordination: Nicolas Payraud, Catherine Losier Responsabilité des auteurs: Les auteurs sont responsables de leurs contributions, en particulier de leurs citations et références. L’origine des igures, tableaux, etc. doit être indiquée dans le manuscrit. Un manuscrit proposé à la revue ne doit pas être soumis en même temps à une autre revue, ni avoir été publié précédemment. Les avis exprimés n’engagent que la responsabilité des auteurs des textes. Publié avec le soutien inancier de la Direction des afaires culturelles de Guyane © 2015 Association AIMARA Rémire-Montjoly, Siret: 43189562200022 www.archeoaimara.net ISBN 1249-3422 © 2014 KARAPA 4 Revue d’AnthRoPologie des sociétés AméRindiennes Anciennes, d’histoiRe et d’ARchéologie coloniAle du bAssin AmAzonien et du PlAteAu des guyAnes 3 Table des maTières Bilan de la recherche archéologique en guyane en 2014 4 rites funéraires précolomBiens de l’île de cayenne : l’exemple du site de momBin ii, rémire-montjoly 8 le centre d’archéologie amérindienne de Kourou, la question de la valorication d’un site archéologique précolomBien 20 la tradition arauquinoïde en guyane française : les cultures BarBaKoeBa et thémire 25 « cayenne hollandaise », claes jan langedijcK et quirijn spranger 27 archéologie funéraire en guyane française : le cimetière de l’haBitation jésuite loyola. fouille programmée de 2014 39 la poterie des jésuites : croissance et déclin d’un atelier du xviiie siècle 43 l’haBitation Beauregard, 1665-1890 50 la « résidence » du gouverneur montravel à montjoly 58 les techniques de l’orpaillage artisanal à impacts dans le paysage saül (guyane française), vestiges et 73 mise en place d’un système d’information géographique dans le domaine culturel 89 bilan de la recherche archéologique en guyane en 2014 nicolas payraud, conservateur de l’archéologie de guyane 4 L 'année 2014 a été plutôt contrastée pour l'archéologie guyanaise, qui a tourné au ralenti au premier semestre – seulement deux diagnostics archéologiques pendant les six premiers mois de l'année ! – avant de retrouver un rythme plus habituel au second semestre, pendant lequel se sont déroulés 12 chantiers. La faute en incombe à une longue saison des pluies, toujours peu propice à l'organisation de chantiers, mais aussi à une conjoncture économique diicile, qui a poussé de nombreux aménageurs à reporter leurs projets à la in de l'année, voire à 2015 et donc à limiter le nombre d'opérations d'archéologie préventive. En témoigne le fait que, sur 73 dossiers d'urbanisme reçus au service de l'archéologie dans l'année – un nombre en chute libre en comparaison avec les 105 de l'année précédente – 30 ont été traités après le 1er septembre. Cette légère reprise laisse augurer d'une année 2015 plus active dans le domaine de l'archéologie préventive, sans pour autant avoir des conséquences trop lourdes pour le patrimoine guyanais. C'est un paradoxe qu'il convient de toujours rappeler : la plupart des découvertes archéologiques sont aujourd'hui réalisées en amont de travaux de construction, lors d'opérations dont le but principal est de préserver, par l'étude, la connaissance de sites destinés à disparaître. Cependant, la recherche archéologique en Guyane ne se limite pas aux seules opérations préventives et demeure très diverses quant à ses méthodes, ses acteurs et ses objets d'étude, ce qui a justiié de relancer, en in d'année, une journée régionale de l'archéologie, tenue le 6 décembre à Rémire-Montjoly. des recherches essenTiellemenT concenTrées dans l'île de cayenne L'activité archéologique en Guyane est traditionnellement concentrée dans la bande littorale et l'année 2014 n'aura pas dérogé à la règle, puisqu'une seule opération – une prospection pédestre menée par Karapa, vol. 4, décembre 2015 Pierre Rostan (IDM Tethys) dans le secteur de la Montagne d'Or, dans la commune de Saint-Laurentdu-Maroni – a été menée loin du littoral. Il faut même aller plus loin et souligner la place centrale occupée par l'île de Cayenne, où se sont déroulés cette année 9 chantiers : 2 à Cayenne et 7 à Rémire-Montjoly. Seuls trois diagnostics (à Kourou, Macouria et Mana) et deux prospections (à Régina et, donc, Saint-Laurent-du-Maroni) ont été réalisés hors de l'agglomération cayennaise. Le simple énoncé de ces communes rappelle à quel point la carte des opérations archéologiques est intimement liée à celle des projets d'aménagements. Ainsi, sur quatorze opérations, on compte neuf diagnostics et deux prospections liées à des projets d'aménagement : celle de Pierre Rostan, déjà évoquée, réalisée dans le cadre d'une étude d'impact et celle de Nathalie Cazelles (AIMARA) sur le site de l'habitation Beauregard, à Rémire-Montjoly, destinée à apporter au service de l'archéologie et à la commune des éléments pour faire face à l'urbanisation croissante du secteur. D'ailleurs seules trois des quatorze opérations menées en Guyane en 2014 ont été motivés exclusivement par des projets de recherche : ce sont les nouvelles campagnes de fouilles menées à RémireMontjoly sur les sites du cimetière de Loyola par Zocha Houle-Wierzbicki (université Laval) et de la Poterie des jésuites par Catherine Losier (université des Antilles) et une prospection autour d'un bateau échoué sur la rive de l'Approuague à Régina, sous la conduite de Michelle Hamblin (service de l'archéologie). La poursuite de la fouille de la montagne couronnée de Fortunat-Kapiri, dirigée par Mickaël Mestre (INRAP) a été reportée à 2015. Dans les zones moins soumises à la pression des aménageurs, les projets sont plus rares, surtout en raison des diicultés matérielles qu'implique l'organisation de chantiers. Le service de l'archéologie a cependant accompagné le démarrage d'une étude des traces matérielles de l'orpaillage ancien à Saül, réalisée par Pierre Rostan en partenariat avec le parc amazonien de Guyane et l'association AÏMARA, inancée par le programme européen LEADER et poursuivie en 2015. archéologie amérindienne : des connaissances en plein renouvellemenT En archéologie amérindienne, l'année 2014 aura d'abord été l'occasion de revenir dans des secteurs déjà explorés dans le passé et d'avancer dans l'étude de données anciennes. A l'occasion d'un diagnostic archéologique lié au projet de réaménagement de la colline de Montravel, porté par le Conseil général, dont il sera de nouveau question plus loin, Mickaël Mestre a ainsi eu l'occasion de procéder à des sondages sur un site précolombien découvert par Stéphen Rostain (CNRS) il y a près de 30 ans. Ce type d'intervention, à défaut de livrer beaucoup d'informations complémentaires, permet de vériier l'état de sites potentiellement menacés par l'érosion ou la montée des eaux. De son côté, Sandrine Delpech (INRAP) a pu avancer dans l'étude d'ensembles de céramique découverts en 2012 sur le site de Mombin 2, interprétés comme des structures funéraires amérindiennes, probablement précolombiennes. Le corpus de sites demeurant restreint et presque exclusivement limité à l'île de Cayenne (sites de Chennebras et Kreola Park), le service de l'archéologie a mis en place une stratégie de prescription de diagnostic systématique dans les secteurs pouvant abriter ce type de vestiges, notamment le lanc occidental du massif du Mahury ; de nouvelles fouilles préventives, attendues en 2015, devraient permettre de mieux comprendre la nature et la chronologie de ces sites. A Mana et à Kourou, deux diagnostics portant sur des secteurs de cordons littoraux ont rappelé le potentiel extrêmement important de ces formations sur le plan archéologique. Jérôme Briand (INRAP) a ainsi mis au jour une petite occupation amérindienne à proximité du site déjà connu de Crique Jacques, qu'il a été possible de préserver en accord avec l'aménageur. C'est d'autant plus intéressant que ce Karapa, vol. 4, décembre 2015 diagnostic a aussi permis de constater, une nouvelle fois, l'impact considérable sur le sous-sol des travaux de déforestage. Dans le même ordre d'idée, une prospection réalisée par le service de l'archéologie à Macouria, dans le cadre de l'instruction d'un permis de construire, a entraîné la découverte de mobilier témoignant de l'existence d'une occupation amérindienne sur un terrain où des terrassements avaient pourtant déjà eu lieu. Ces deux exemples démontrent que ce type de travaux n'eface pas toujours toute trace des occupations anciennes et justiient ainsi largement la réalisation d'opérations d'archéologie préventive. A Kourou, le premier diagnostic réalisé dans le cadre du projet Ariane 6, sous la conduite de Sandrine Delpech, a permis la découverte d'un site spectaculaire, où des amas de galets rappelant ceux d'Eva 2 (2000 av. J.-C.), sont recouverts de dépôts sableux au sein desquels se succèdent deux occupations attribuées au groupes Koriabo (XIe-XVe siècles) et Eva-Galibi (XVIIIe-XXe siècles). Il pourrait s'agir, pour les périodes récentes, d'un exemple exceptionnel de réoccupation de site avec glissement du centre de l'occupation d’un emplacement à l'autre. Le CNES ayant renoncé à exploiter la carrière concernée, ce site est, pour l'heure, préservé dans l'enceinte du centre spatial guyanais. Enin, des indices de sites amérindiens ont été découverts lors des prospections réalisées par Pierre Rostan sur la Montagne d'Or et Jérôme Briand à RémireMontjoly, sur la route des plages, deux secteurs déjà partiellement explorés dans le passé, mais où chaque nouvelle opération révèle des informations inédites. archéologie coloniale : une période de TransiTion Deux programmes de recherche concernant la période coloniale se sont poursuivis en 2014. L'étude du cimetière de l'habitation Loyola (XVIIIe siècle) a ainsi été achevée par Zocha Houle-Wierzbicki, tandis qu'une nouvelle campagne de fouille a été réalisée par Catherine Losier sur le site de la Poterie des Jésuites, dans le cadre du programme de recherche sur les céramiques métissées en Guyane. Dans les deux cas, les résultats de ces fouilles doivent être interprétés à plusieurs niveaux. Celle du cimetière est ainsi venue avant tout préciser l'organisation et les limites de 5 6 ce dernier, n'apportant pas forcément un éclairage nouveau sur l'histoire de Loyola, mais permettant la constitution d'un corpus de données qui pourrait s'avérer extrêmement utile en cas de fouille future d'un autre cimetière. La fouille de la Poterie des Jésuites a, inversement, soulevé plus de questions qu'elle n'a apporté de réponses : la découverte d'un four a conirmé qu'il s'agissait bel et bien du site d'un atelier de potiers, qui reste encore largement à étudier en lui-même, mais elle a aussi conduit à prolonger d'un an l'étude des céramiques métissées, ain de permettre le traitement du corpus mobilier considérable rassemblé en trois ans. Deux probables sites d'habitations jusque-là inconnus ont été partiellement prospectés au cours de cette année, l'une sur la rive gauche de l'Approuague par Michelle Hamblin et l'autre sur la route des plages par Jérôme Briand. Dans ce dernier cas, la cartographie ancienne permet de l'assimiler à l'habitation Métifeu, potentiellement occupée dès la in du XVIIIe siècle, tandis que l'autre devra sans doute faire l'objet de recherches complémentaires. Deux diagnostics réalisés par Sandrine Delpech à Cayenne ont pris la suite des opérations qu'elle avait auparavant menés place Léopold Héder et sur le site de l'ancien hôpital Jean Martial. Si les découvertes efectuées dans le cadre de ces derniers chantiers sont modestes, elles témoignent néanmoins de diférentes périodes de l'histoire de la ville depuis le XVIIIe siècle. L'accumulation de ce type de données ponctuelles pourrait permettre de renouveler, à terme, nos connaissances sur la formation et l'évolution du tissu urbain cayennais. La campagne de prospection conduite par Nathalie Cazelles dans le secteur de Beauregard, à l'initiative du service de l'archéologie, est la première opération archéologique jamais menée sur cette habitation, dont l'histoire remonte au XVIIIe siècle, mais qui prit son essor surtout après le démantèlement du domaine de Loyola, au point de devenir le noyau du bourg de Rémire. La question du devenir de ces vestiges, dont un spectaculaire barrage hydraulique, se posera sans doute très rapidement, tant la pression immobilière est forte sur les lancs du Mahury. Lors d'un diagnostic sur le mont Attila Cabassou, Mickaël Mestre a eu l'occasion d'étudier les vestiges d'une case construite dans les années qui suivent Karapa, vol. 4, décembre 2015 l'abolition de l'esclavage, dans une zone lotie entre les anciens esclaves. C'est un témoignage précieux pour mieux comprendre ce moment crucial de l'histoire guyanaise, dont les aspects pratiques ont encore peu été étudiés par les historiens. Enin, toujours à Rémire-Montjoly, le même Mickaël Mestre a mené, dans le cadre d'un diagnostic déjà évoqué, une étude déjà très riche sur l'habitation du gouverneur Tardy de Montravel, à travers la confrontation des archives et d'observations sur le terrain. Après l'hôpital Jean Martial et le camp de la Transportation de Saint-Laurent-du-Maroni, c'est la troisième fois en peu de temps que l'archéologie préventive permet d'aborder sous un angle nouveau ces grands projets du XIXe siècle. On peut ainsi considérer que l'archéologie de la période coloniale en Guyane connaît une période de transition, entre des recherches au long cours portant principalement sur les habitations des XVIIIe-XIXe siècles, dont les travaux menés depuis une vingtaine d'années sur l'habitation Loyola sont l'exemple le plus évident et l'apparition de nouvelles problématiques, comme celle de la formation des centres urbains. L'expansion continue de ces derniers risque en efet de faire progressivement disparaître toute trace d'un passé qui peut encore sembler récent, d'où la mise en place par le service de l'archéologie d'une stratégie d'étude systématique dans les secteurs les plus menacés. quelles perspecTives ? Le bilan de la recherche archéologique en Guyane en 2014 est inalement assez contrasté. Si le ralentissement de l'activité économique a eu un efet très net sur l'archéologie préventive, les opérations réalisées ont tout de même permis d'aborder une multitude de contextes diférents et de mettre au jour des vestiges de toutes périodes. Inversement, les recherches programmées n'ont porté que sur des sites de l'époque coloniale, limitant le dialogue pourtant nécessaire entre ces deux branches complémentaires de la recherche archéologique. Les années à venir pourraient sensiblement changer ce rapport, tout d'abord en raison de l'apparition ou du redémarrage de grands projets d'aménagement (Ariane 6, barrage de Maripasoula, zones d'activités, etc.) qui devraient mobiliser une grande partie des moyens de l'INRAP. Le service de l'archéologie a ainsi un rôle essentiel à jouer, pour que ces grands projets n'empêchent pas de maintenir une politique volontariste en matière d'archéologie préventive, notamment à travers l'étude systématique des zones soumises à la pression urbaine (centres historiques, périphérie des grandes agglomérations). Cela passe aussi par un investissement direct du service, à travers des prospections préalables, le suivi de travaux ou encore la commande de relevés au LIDAR pour disposer de données détaillées concernant les zones les plus sensibles. Cela conduit également à mette en place une programmation de la recherche susceptible de mieux compléter l'activité préventive, à travers une diversiication des thématiques et des lieux d'étude. L'année 2015 devrait ainsi voir la réalisation d'opérations plus nombreuses hors de l'île de Cayenne, certaines portant sur des sites amérindiens. Il convient aussi de rappeler que l'archéologie n'a pas de sens si elle reste coupée du monde. Il convient de présenter les résultats de toutes ces recherches au grand public : c'est le sens de la renaissance de la journée régionale de l'archéologie en 2014, mais aussi celui du soutien apporté par le service de l'archéologie aux musées de Guyane et au centre d'archéologie amérindienne de Kourou, seul lieu entièrement consacré à l'archéologie dans la région, dont l'histoire récente été rappelée lors de la journée en question par Bérénice Valot. Cela passe aussi par une inscription de l'action du service dans celle de la DAC, à travers notamment une collaboration permanente avec la conservation des monuments historiques, dont témoigne la mise en place d'un système d'information géographique à vocation patrimoniale élaboré par Juliette Berger, lui aussi présenté lors de la journée régionale. Le service de l'archéologie accueille aussi régulièrement des stagiaires de tous niveaux, ce qui ne peut malheureusement pas pallier à l'absence – provisoire, espérons-le – de formation consacrée à l'archéologie dans l'enseignement supérieur en Guyane. Enin, comment évoquer l'avenir sans rappeler que l'archéologie a une place importante dans le projet de maison des cultures et de mémoire de la Guyane, entre autres, mais pas seulement, parce que le site de la MCMG à Rémire-Montjoly abritera un centre de conservation et d'étude, outil destiné à faciliter le travail des chercheurs et la conservation des archives Karapa, vol. 4, décembre 2015 du sol. Il reste donc aux chercheurs de Guyane et d'ailleurs à lui donner encore plus de sens en continuant à s'investir dans l'étude du patrimoine archéologique guyanais. 7 riTes funéraires précolombiens de l’île de cayenne : l’exemple du siTe de mombin ii, rémire-monTjoly sandrine delpech, inrap 8 S ituée en bordure nord-est de l’Amérique méridionale dans le département français ultramarin de la Guyane, la presqu'île de Cayenne est ceinturée par l'océan Atlantique au nord, la rivière Cayenne à l'ouest, l'estuaire du Mahury à l'est et par la rivière du Tour de l'Île au sud. Le Bouclier Précambrien y aleure le long du rivage atlantique, sous la forme d’îlots rocheux couverts de végétation au large des communes de Cayenne et Rémire-Montjoly. Le site de Mombin II est localisé sur cette dernière, au pied du lanc ouest d’une colline nommée montagne à Colin, et au bord de la route départementale 2 reliant le vieux bourg de Rémire à celui de Montjoly. La parcelle est constituée d’un terrain en pente douce entre 8 et 12 m d’altitude vers l’est redescendant vers une dépression ennoyée, et se situe sur des terrains sédimentaires moyens de type Coswine composés de sols argilo-sableux comprenant de nombreux blocs de dolérite issus du massif voisin. opéraTions archéologiques eT premiers résulTaTs En 2011 une première campagne de sondages mécaniques, a été prescrite par le Service de l’Archéologie de la DAC Guyane en amont de la construction de logements en zone périurbaine. Les ouvertures réalisées à l’aide d’une pelle mécanique de 20 tonnes avaient alors décelé la présence de structures fossoyées anciennes contenant des niveaux de tessons de céramiques (igure 1), enfouies à environ 50 cm de profondeur (Delpech 2011b). Étant donné le caractère innovant de ces découvertes, évoquant des fosses à vocation funéraire peu étudiées jusqu’alors en Guyane et plus précisément sur l’Île de Cayenne, une fouille extensive menée sous la responsabilité de l’Inrap a été réalisée l’année suivante sur une surface totale de 1175 m². Le décapage mécanique des couches supérieures n’ayant mis au jour aucun Figure 1 Dépôts fossoyés de céramiques © S. Delpech-Inrap 2015. Karapa, vol. 4, décembre 2015 9 Figure 2 : Site de Mombin II © S. Delpech-Inrap 2015 Karapa, vol. 4, décembre 2015 10 niveau de sol, les vestiges se limitent donc à des fosses majoritairement oblongues creusées dans le substrat. Il faut souligner que les creusements n’étaient pas visibles dans les niveaux supérieurs et que dans la plupart des cas seule la présence de tessons a permis de détecter les structures avant le niveau latéritique induré. organisaTion de la nécropole Outre les huit structures détectées lors de la première opération archéologique, la fouille a permis la mise au jour de dix-huit fosses supplémentaires regroupées en cinq îlots de deux à dix fosses chacun. Une typologie des structures a pu être mise en place selon les modes opératoires de dépôts, déinissant huit modèles diférents : à lits de tessons, à dépôts de céramique entières, fosses perturbées, à blocs et dépôts de vases, à platines, à grands tessons, vides, et indéterminées. Parmi ces structures il a été possible d’identiier sept recoupements impliquant onze fosses, dont une majorité dans le secteur 2 (igure 2). Ces perturbations post-dépositionnelles successives peuvent s’expliquer par un marquage éphémère ou inexistant des fosses lors des dépôts, ainsi que par des occupations diachroniques du site sur une longue période : des fragments de charbons découverts dans les fosses ont été datés par radiocarbone et les résultats calibrés indiquent une occupation comprise dans une fourchette chronologique de près de 250 ans, allant du Xe au XIIIe siècle de notre ère (1097 ± 28BP / 854 ± 27BP) . ainsi que plusieurs vases partiels déposés renversés ou accolés à d’autres (igure 4). Certains dépôts renfermaient des fragments de plaques en céramique (platines à manioc), habituellement destinées à la cuisson de galettes de manioc et réemployées ici sans doute en cofrage. Certaines plaques semblent avoir basculé vers l’intérieur de la structure, ce qui corrobore l’hypothèse de la disparition d’un élément sous-jacent. Une autre fosse se diférenciait de l’ensemble car remplie dans sa partie supérieure de nombreux blocs de dolérite (igure 5), lesquels ont été déposés au-dessus de trois céramiques entières dont deux accolées l’une à l’autre et placées à l’envers. Typologie des dépôTs Les fosses à lits de tessons correspondent à des creusements de forme allongée ou ovoïde et en cuvette. Leur fouille a mis au jour un voire deux niveaux de tessons disposés en grande partie à plat, et répartis de manière homogène. Les tessons trouvés sur les bords et contre les parois avaient une inclinaison très prononcée, voire même verticale, indiquant un afaissement homogène de l’ensemble (igure 3). Sous ces lits de tessons, des poteries entières ou partielles ont été parfois découvertes, disposées retournées à l’une des extrémités des fosses. Deux structures comportaient des dépôts de céramiques entières retournées, parfois empilées les unes dans les autres. L’une de ces fosses, de dimensions plus restreintes, contenait quant à elle deux grandes jattes retournées à ses extrémités, Karapa, vol. 4, décembre 2015 Figure 3 Fosse à lits de tessons © S. Delpech-Inrap 2015 inTerpréTaTion Ces structures anthropiques témoignent donc de rites nécessitant l’enfouissement de poteries entières et retournées vraisemblablement par-dessus un élément à protéger. Les lits de tessons surmontant certains de ces dépôts présentent un afaissement général homogène ainsi qu’un basculement vertical des fragments situés vers les bords, ce qui peut être interprété par la disparition lente d’un élément sous-jacent présent tel qu’un corps allongé. On peut donc supposer que ces vestiges ont une vocation funéraire et ont été disposés sur le défunt ain de le 11 Figure 4 : Vases retournés © S. Delpech-Inrap 2015 Figure 5 : Blocs recouvrant des poteries © S. Delpech-Inrap 2015 protéger. Cependant, en l’absence de vestige osseux dans les structures, des prélèvements méthodiques de sédiments ont été réalisés au cours de la fouille en privilégiant notamment les zones susceptibles de contenir des traces de marqueurs parasitaires résultant de la décomposition de corps. Une sélection d’échantillons a été envoyée au laboratoire de l’Université de Franche-Comté pour des analyses de paléoparasitologie : les premiers résultats n’étant pas concluants, il faudra certainement reconduire ces études avec de nouveaux échantillons, voire opter pour des analyses de taux de phosphate présents dans Karapa, vol. 4, décembre 2015 ces fosses, élément déterminant notamment de la présence d’ossements. sources hisToriques eT eThnologiques Les rites funéraires amérindiens sont mentionnés dès le XVIe siècle dans les récits de voyage des colons européens et apparaissent très diversiiés : crémation, momiication, endocannibalisme, immersion, dépôt à l’air libre, dépôt en urne, inhumation... Plusieurs études comparatives plus récentes (Roth 1924, Métraux 1947, Chaumeil 1997) ont permis d’établir un inventaire exhaustif des pratiques inhérentes aux 12 diférentes nations amérindiennes depuis l’Orénoque jusqu’au Brésil dont les principales sont rappelées ici. sanctuarisés comme des grottes ou enterrées dans des cimetières (Métraux 1947). En premier lieu, la crémation du défunt ainsi que tous ses objets personnels : par exemple, chez les Waiwais du Guyana les cendres et les fragments d’os étaient placés dans une poterie, couvert d’un deuxième pot et laissé sur place, ou bien un trou était creusé pour y jeter les quelques os restants recouverts ensuite d’un pot retourné (Farabee 1924). Chez les Indiens Guayaki du Paraguay et du Brésil cette crémation était suivie d’endocannibalisme avec l’ingestion des cendres et des fragments d’os dans une boisson (Clastres 1968). Autre mode funéraire, le dépôt à l’air libre (igure 6) consistait à enfermer le corps dans un contenant végétal - tronc d’arbre creusé, canoë, ballot de feuilles de palmier - puis à le disposer sur des tréteaux à l’air libre ou sous un carbet comme les Guaraounos de l’Orénoque (Crevaux 1883). Certains groupes amérindiens conservaient les os : il s’agissait alors de décharner le corps soit en le laissant pourrir à l’air libre soit dans son hamac à l’intérieur du carbet familial voire dans un endroit isolé, soit en l’enterrant jusqu’à la disparition complète des parties molles comme chez les Mbyá-Guarani du Paraguay (Allard 2000) ; les Indiens Guaraunos sur l’Orénoque immergeaient quant à eux le corps dans une crique pour que les poissons mangent les chairs (Bellin 1763). Les os étaient ensuite récupérés pour être conservés soit dans des poteries, des vanneries ou même des calebasses, voire exposés à la vue de tous dans les carbets (Raleigh 1722). Les reliques pouvaient aussi être placées en urne et conservées dans des espaces enTerremenT du corps Les inhumations avaient le plus souvent lieu dans le carbet où était survenu le décès, voire dans un autre à vocation funéraire : le corps était quasiment systématiquement enveloppé dans son hamac, ou dans une natte, puis déposé dans une fosse, en position assise, fœtale ou allongée. Certaines pratiques indiquent clairement une volonté de protéger le corps d’un contact direct avec la terre : un tapis de végétaux pouvait être préalablement placé au fond du trou, ou bien le corps était déposé sur un élément en bois comme un siège ; il pouvait même être suspendu par son hamac à quelques centimètres du fond de la fosse à l’aide de poteaux (igure 7). Les objets ayant appartenu au défunt étaient alors soit déposés à ses côtés soit complètement détruits. Il pouvait arriver qu’un animal familier soit enterré avec lui, parfois même un ou plusieurs esclaves. Dans le cas d’un Figure 6 Dépôt à l’air libre © Cercueil des Guaraounos, Morin 1881 Karapa, vol. 4, décembre 2015 13 Figure 7 Sépulture d’un piay, suspendu dans la fosse © gravure de Riou, Crevaux 1883 homme, il arrivait aussi que l’une de ses femmes soit ensevelie vivante avec lui (Roth 1924). Lors de la fermeture de la tombe, le corps pouvait être recouvert par des végétaux, parfois associés à de la terre glaise pour rendre la fosse hermétique aux insectes (Bellin 1763). Des dépôts de nourriture placés dans ou sur la sépulture devaient apaiser l’esprit du mort – ce qui peut expliquer certains dépôts de vases non retournés dans les fosses de Mombin II - et un feu était souvent allumé et maintenu pendant plusieurs jours sur la tombe, plus vraisemblablement par souci d’hygiène. Enin, si le lieu de l’inhumation était extérieur au carbet, il pouvait être marqué dans le paysage soit par de simples végétaux, par la construction d’un abri ou le dépôt d’un canoë retourné (Roth 1924). Dans le cas d’une nécropole à l’air libre, la disparition de ces marqueurs périssables pourrait expliquer que certaines fosses aient été perturbées par le creusement de nouvelles, comme les recoupements mis au jour à Mombin II. Quelques exemples de regroupements d’inhumations dans des zones dédiées sont connus, soit sous la forme de villages abandonnés (Pétesch 1992), soit comme chez les Indiens du Rio Uaupès sur l’Amazone avec la concentration de plus de cent sépultures dans un grand carbet (Roth 1924), ou encore dans des zones à l’écart du village parfois réservées aux « piayes » (Im Thurn 1883). Karapa, vol. 4, décembre 2015 inhumaTions avec dépôTs de céramiques De même, les pratiques funéraires relatées pour la Guyane depuis la colonisation jusqu’aux travaux ethnologiques du XXe siècle sont très diversiiées (crémation, endocannibalisme, conservation des os, dépôt en urne ou à l’air libre). Cependant, peu d’exemples d’inhumations en fosses associées à des dépôts de céramique sont observés : ainsi lors du passage du Sieur de la Ravardière sur les côtes de Guyane en 1604, Jean Mocquet témoigne indirectement d’inhumations parmi les Caribes de l’Ile de Cayenne : « (…) ils se levoient pour faire bonne chère (…) et faisoient le festin sur la fosse de leurs maris et amis morts, estimans l’avoir ainsi bien obligé : car ils croient l’immortalité des âmes » (Mocquet 1617). En 1744 le médecin du Roy Artur décrit quant à lui, lors d’une expédition en compagnie de La Condamine et d’Orvilliers dans l’Ile de Cayenne (vers Roura), une inhumation avec au moins un vase retourné : « Il en avait enterré depuis peu de jours un autre dont nous reconnûmes aisément la fosse à la puanteur qui en sortait quoy qu’elle fut recouverte par une grande jarre renversée sur elle. (…) ils se contentent de creuser un trou peu profond dans lequel ils ne peuvent placer leurs morts qu’accroupis, la tête presque à leur de terre (…) quoyqu’ils recouvrent cette espèce de fosse de quelque grand vaisseau de terre cuitte » (Artur 2002). 14 Autre exemple plus récent rapporté par l’ethnologue P. Grenand en 1982 : chez les Wayãpis de Guyane « les morts dont l’âme risque d’être dangereuse pour les vivants, en particulier celle des chamanes » sont enterrés en position fœtale avec une urne retournée sur la tête (Grenand 1982). On peut aussi citer le cas plus éloigné (Nord-Ouest de l’Amazone) de groupes amérindiens qui enterrent les femmes avec leurs poteries, lesquelles sont brisées lors de la cérémonie funéraire et placées dans la tombe : Figure 8 : Inhumation avec poterie retournée sur la tête © Thevet 1558 « Among the Kuretu-language group, when a woman dies, her pots are broken before they are placed in the grave (…) » (Whifen 1915). De même des dépôts de poteries dans les tombes sont attestés chez certains Indiens Caraïbes des Petites Antilles : ainsi vers 1618-1620 un récit de voyage de l’« anonyme de Carpentras » rapporte que « lorsque quelqu’un meurt l’on tue tous ses esclaves (…) et on les enterre en même fosse au-dessous de lui ; avec une terrine sur la tête pour lui faire cuire son poisson même » (Verrand 2001). Laborde témoigne à son tour que lors de l’enterrement « ils font la fosse dans la case (…) ils le posent dedans assis sur ses talons (…), la face en haut ayant deux petits Canaris [poteries] posés sur ses yeux, ain qu’il ne voye ses parens, et ne les rende malades. (…) Ils y jettent encore quelques Canaris et ustansiles (…) » (Laborde 1674). Karapa, vol. 4, décembre 2015 sources archéologiques Entre 2004 et 2015, des opérations archéologiques préventives menées par l’Inrap en amont de travaux d’aménagement du territoire dans l’Île de Cayenne, ainsi qu’une prospection-inventaire réalisée par la DAC Guyane autour du Mahury, ont permis de repérer plusieurs sites contenant des fosses à dépôts similaires à ceux de Mombin II (igure 9), majoritairement concentrés sur la commune de RémireMontjoly. En premier lieu, le site de Katoury (Mestre 2005), aujourd’hui remplacé par le lotissement du même nom à Cayenne, dont la fouille en 2004 avait livré un site d’habitat précolombien du Néoindien récent (800-1400 AD) avec des puits d’eau douce, d’extraction d’argile, et des zones dépotoirs. À la périphérie de cette occupation, une fosse contenant de grandes jattes retournées aux extrémités et considérée à l’époque comme une fosse dépotoir, pourrait aujourd’hui, à la lumière des dernières découvertes, être revue comme une possible inhumation (igure10). Ce modèle se retrouve aussi sur le site de l’Ecolodge-Stoupan, découvert en 2010 lors d’une prospection mécanique précédant un projet d’aménagement touristique sur la commune de Roura (Delpech 2010a). Plusieurs tranchées avaient alors mis au jour de nombreuses fosses à dépôts céramiques (igure 11), soit remplies de tessons, soit de vases entiers retournés dont l’une d’entre elles contenait des fragments d’os brûlés. À Rémire-Montjoly, plusieurs sites présentant les mêmes types de vestiges ont été répertoriés : tout d’abord celui de Chennebras, fouillé en 2010 et 2012, qui a permis de mettre au jour de nombreux dépôts céramiques du Néoindien récent (1000-1400 AD) dans des fosses allongées (igure12), avec toujours ces grandes jattes retournées aux extrémités, et de larges tessons disposés à plat (Delpech 2010b). Le diagnostic de Kreola Park attenant au site précédent a détecté plusieurs fosses contenant des dépôts de vases entiers retournés ou des niveaux de tessons (Delpech 2011a) qui sont aujourd’hui dans l’attente d’une fouille extensive prochaine. Le site des Anses du Mahury quant à lui correspond à une découverte fortuite provoquée par des travaux de terrassement d’un projet immobilier situé sur la Route des Plages : les engins mécaniques ont mis au jour deux fosses allongées sous les niveaux archéologiques 15 Figure 9 © BD ORTHO ® S. Delpech Inrap 2015 arasés (igure13), dont la fouille sommaire a dégagé de grands tessons disposés à plat ainsi que des vases entiers (Samuelian 2007). De plus la fouille préventive du Cimetière Paysager Poncel (van den Bel 2013), réalisée en 2010 à proximité du Quartier Arc-en-ciel à Rémire-Montjoly, a révélé un site d’occupation précolombien daté du Néoindien récent (900-1400 AD) dans lequel plusieurs fosses à possible vocation funéraire ont été relevées, dont certaines similaires aux dépôts évoqués précédemment. Enin le site de Mombins III repéré récemment lors d’une nouvelle campagne préventive de sondages mécaniques (Mestre 2015) : localisé à quelques Karapa, vol. 4, décembre 2015 centaines de mètres du site de Mombin II et fouillé très récemment, il présente les mêmes types de structures fossoyées en cours d’étude au moment de la rédaction de cet article. synThèse Les découvertes, efectuées au cours des dix dernières années, d’un échantillonnage minimum de 76 dépôts fossoyés répartis sur 8 sites ont permis de mettre en place une première étude typologique de ces structures révélant un mode de dépôt attribué à la culture matérielle dite de l’Île de Cayenne déinie sur les sites de Thémire en 1991 (Rostain 1994 ) et Katoury en (Mombin II, Anses du Mahury), amène de nouveaux questionnements quant à l’appartenance exclusive de ces types de dépôts à un seul groupe précolombien. 16 Figure 10 Dépôt de vases retournés, site de Katoury © S. Jérémie-Inrap 2005 2004 (Mestre 2005). En efet, les séries céramiques mises au jour dans ces fosses présentent des caractères morphologiques et stylistiques inhérents aux groupes précolombiens identiiés autour de Cayenne, tels que des jattes et des bouteilles à incisions obliques enchevêtrées et/ou bandeau rouge sublabial. Les datations obtenues lors des diférentes opérations archéologiques ont établi une fourchette chronologique correspondant au Néoindien récent (900-1400 AD) et viennent corroborer l’attribution culturelle. Toutefois, alors que ces types de dépôts semblent récurrents sur l’île de Cayenne, il faut rappeler que leur répartition actuelle est induite par le nombre important d’opérations d’archéologie préventive liées à la croissance exponentielle des zones urbaines et périurbaines entre Cayenne et Matoury. La mise au jour de deux fosses similaires sur le site de Tukuwali à Awala Yalimapo (Coutet 2010), dont les dépôts de grands tessons à plat – datés entre 1050 et 1300 AD - rappellent certaines fosses de l’île de Cayenne Karapa, vol. 4, décembre 2015 En ce qui concerne l’interprétation de ces structures fossoyées comme modes funéraires, l’absence d’os dans celles-ci peut évidemment être sujet à caution. On peut ainsi s’interroger sur le fait que des fragments osseux sont parfois conservés dans les urnes alors que ces inhumations supposées en pleine terre ne laissent aucun vestige organique. Les études en cours et les fouilles à venir permettront peut-être de conirmer cette hypothèse par le biais d’analyses complémentaires (paléoparasitologie, phosphates, amidons…). Toutefois, en partant du postulat que ces fosses sont des tombes – hypothèse confortée par la disparition d’un élément sous-jacent induisant le mouvement vertical homogène des dépôts céramiques – de nombreuses questions restent encore à ce jour en suspens : l’absence de vestige d’habitat autour des fosses indiquerait un mode d’enterrement dans un lieu isolé à l’écart du village dont l’emplacement reste à l’heure actuelle indéterminé. On peut néanmoins avancer l’hypothèse d’un lien avec le site précolombien de plein air - nommé « Montagne à Colin » surplombant le site de Mombin II sur la montagne de Rémire, et repéré sous la forme d’épandages de tessons dans un abattis lors d’une prospection-inventaire de l’AGAE dans les années 80 (Briand 1998). De plus, dans le cas d’une nécropole organisée et en l’état actuel des données récoltées, il n’est pas possible Figure 11 Tessons et vases retournés, Ecolodge-Stoupan © S. Delpech-Inrap 2010 17 Figure 12 Diagnostic de Chennebras © S. Delpech-Inrap 2010 Figure 13 Vase dégagé par les engins mécaniques, Anse du Mahury © C. Samuelian 2008, DAC 2008 d’identiier une répartition par genre ou par rang des individus enterrés ni aucune iliation ; ni de déterminer le traitement du ou des corps (décharnement, réduction, hamac) et les éventuels dépôts d’aliments ou d’objet en matière organique. Enin, si les premiers résultats des études céramiques semblent indiquer que les tessons déposés dans les fosses sont plus vraisemblablement issus du réemploi de contenants à usage domestique, les analyses en cours pourront peut-être démontrer à terme une sélection intentionnelle voire une production de certaines formes de poteries pour les rites funéraires. Karapa, vol. 4, décembre 2015 bibliographie Allard 2000 Passé-Présent des rites funéraires Guarani. Mémoire de maîtrise, Université de Paris X Nanterre, 2000 : 43. Artur 2002 Histoire des colonies françoises de la Guianne. 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Karapa, vol. 4, décembre 2015 19 le cenTre d’archéologie amérindienne de Kourou, la quesTion de la valoricaTion d’un siTe archéologique précolombien Bérénice valot, assistante de conservation du patrimoine, mairie de Kourou 20 E n 1992, le Service Régional d’Archéologie dirigé par Guy Mazière, Conservateur en chef du patrimoine à la DRAC de Guyane, met au jour, ou plutôt remet au jour le site des roches gravées de la Carapa sur la commune de Kourou. Cette découverte est issue d’un travail de prospection mené à partir de documents tels qu'un relevé cadastral de 1904 ou l'ouvrage d'un entomologiste, Eugène Le Moult, édité en 1955 (ces archives mentionnent les gravures de la zone Pariacabo à Kourou). Le site se trouvait alors enfoui dans un îlot de végétation ayant échappé à l'extension de la zone industrielle. Suite à cette mise au jour, la parcelle fut classée non constructible au Plan Local d'Urbanisme et un carbet fut édiié au-dessus des principaux bancs rocheux gravés ain de les protéger des intempéries. Le site archéologique fut également classé au titre des Monuments Historiques en 1993. C'est actuellement l'un des plus importants sites d'art rupestre connus sur le territoire guyanais, il compte plus de 240 entités graphiques (igure 1). Pour compléter cette découverte, un diagnostic archéologique fut également efectué in 2011. Seuls quelques tessons et petites haches lithiques furent mis au jour. La faible quantité de tessons ne permettant pas de les attribuer de façon pertinente à un complexe archéologique connu, une tentative d'attribution les place à l’époque néo-indienne récente (900 – 1500 apr. J.-C.). Néanmoins, la contemporanéité entre les roches gravées et le mobilier enfoui dans l'environnement immédiat reste toujours diicile à démontrer. Il est à noter que l’absence de vestiges en abondance près de ce type de site est plutôt habituelle. N'étant vraisembablement pas des sites d’habitat, ils devaient bénéicier d'un statut spéciique, peut-être comme lieu lié à des rites ou cérémonies. Figure 1 Photographie prise en 1992 lors du relevé photogrammétrique Karapa, vol. 4, décembre 2015 les premiers élémenTs de valorisaTion l'aproca Une fois ce site mis au jour, s'est posée la question de la valorisation et de la mise en accessibilité au public. L'APROCA (association de protection des roches gravées de la Carapa) fut donc créée immédiatement après la découverte. Elle était essentiellement composée de l'équipe ayant participé à la découverte des roches (on peut citer Ms François Colin, Yves Dejean, Henri Sec, Didier Bironneau, Jean-Pierre Joseph). Ces membres s’engagèrent à exercer une surveillance permanente du site et à organiser des visites guidées toute l'année sur demande. Cette association mis également en place, avec l'aide de la DAC, un travail de moulage des roches et leur étude complète (soit 104 m2) mené par M. Aujoulat, directeur du Centre National de Préhistoire de Périgueux. Ces moulages sont actuellement conservés dans les anciens quartiers du Service Régional Archéologique à Cayenne ainsi qu'au Centre d'Archéologie Amérindienne de Kourou. Néanmoins, cette gestion associative avait ses limites : les visites étaient assurées par des bénévoles, le budget était réduit, etc. Le site nécessitait une réelle prise en charge ain d'assurer sa conservation et un travail de valorisation de plus grande ampleur. En efet, malgré l'implication de l'APROCA, le site était menacé par une pression urbaine de plus en plus évidente et commençait à subir des dégradations inligées par des visiteurs clandestins peu scrupuleux (graiti, vie nocturne, vélo sur les roches) (igure 2). Figure 2 Graiti sur les roches gravées de la Carapa en 2008 Karapa, vol. 4, décembre 2015 un projeT muséal pour proTéger les gravures Dès mai 1993, M. Guy Maziere proposa un « projet d’étude et de mise en valeur des roches gravées de la Carapa ». Cette étude fut suivie en 1999, par un rapport de Madame Danielle Heude, Conservateur général du patrimoine de la Direction des Musées de France, concernant la création d'un musée d’archéologie amérindienne sur le site de la Carapa. Ce type d'établissement permettrait de protéger de manière durable ces vestiges précolombiens en limitant les agents de dégradation (climat, public, animaux) grâce à une prise en charge du site et une surveillance quotidienne. la créaTion du cenTre d’inTerpréTaTion archéologique de la carapa : l’esquisse d’un espace paTrimonial relance du projeT Ce projet va rester dans les tiroirs jusqu’à la in 2006. À cette date, l'opérateur de l’État pour le développement du tourisme, Atout-France, à travers son délégué régional, Didier Bironneau, relança l'idée de la création d'un musée suite à la possible attribution d'un budget exceptionnel d’investissement octroyé par le ministère du tourisme. En 2007, le projet de construction d’un centre d’interprétation archéologique sur le site des roches gravées de la Carapa fut donc inalement inscrit au « plan exceptionnel pour la Guyane » dans son volet tourisme. La maîtrise d’ouvrage des bâtiments de ce CIAC (centre d’interprétation archéologique de la Carapa) fut coniée à la ville de Kourou, assistée par Atout-France. Cette assistance méthodologique comprenait les recherches et la documentation dans les archives historiques, la conception d’un programme muséographique sous le contrôle d’un comité scientiique, l’aménagement d’un parcours de découverte des roches gravées, la déinition des mobiliers et supports matériels de présentation de la muséographie et la rédaction des textes de la muséographie ainsi que la conception des visuels. Ces études furent notamment menées par Guy Mazière pour le compte d’Atout-France. Le 30 octobre 2008, la convention de subvention du « plan exceptionnel pour la Guyane » fut signée par 21 22 le préfet de Guyane. Le CIAC pouvait donc voir le jour. Un comité scientiique fut nommé comprenant des représentants des organismes compétents tels que la Ville de Kourou, la Fédération des Organisations Autochtones de Guyane, l'association Kalawachi, la DAC, le SRA et l'INRAP. D'autres personnalités furent invitées à y siéger : Messieurs Norbert Aujoulat, Jean Clottes, André Delpuech, Denis Vialou, Alexis Tiouka, Stephen Rostain, André Prous, Pierre Grenand, Guy Mazière et Mesdames Edithe Péreira et Marlène Mazière. le choix d'un cenTre d'inTerpréTaTion archéologique L'idée d'un musée labellisé, comme il en était question dans les premières études, fut rapidement abandonnée au proit d'un centre d'interprétation archéologique. Le point de départ de ce centre était l'art rupestre en Guyane (et plus particulièrement les roches gravées de la Carapa). Or l’ensemble des gravures et peintures des sites actuellement connus étant dispersé sur tout le territoire de la Guyane et généralement inaccessible au grand public, il ne pouvait donc pas être sujet à conservation dans un musée. Néanmoins, ce patrimoine se prêtait parfaitement à une interprétation muséographique à partir des relevés et études existants, notamment ceux réalisés sous l’égide de la DAC. le programme archiTecTural Le CIAC devait répondre à diférents critères. - Tout d'abord il devait permettre la valorisation et la conservation d'un site précolombien classé Monument Historique situé paradoxalement dans une zone industrielle ; - Il devait réunir dans un lieu dédié, les collections archéologiques notamment celles qui portent sur l’art des civilisations anciennes de Guyane ; - L'idée était également de créer un lieu de tourisme culturel, d’intérêt général pour la Guyane, sur le territoire de la ville de Kourou ; - Enin ce lieu devait s'inscrire dans le circuit des musées de Guyane. Karapa, vol. 4, décembre 2015 Dans cette optique, il fut décidé que le Centre d’Interprétation Archéologique de la Carapa comprendrait six espaces aménagés : un accueil avec billetterie, une exposition permanente sur l’art des civilisations anciennes de Guyane, une salle d'exposition temporaire présentant « l’actualité archéologique » de la Guyane, une salle de projection et conférence, un parcours pédestre de l’espace d’exposition des roches gravées et un autre reliant ce même espace au bâtiment d'accueil comprenant bar et boutique. En 2010, la maîtrise d’œuvre fut coniée à Jungle Architecture Group. Leur projet consistait alors à créer 3 espaces névralgiques. Le premier bâtiment d'accueil contiendrait bureaux, boutique et espace de restauration avec façade extérieure végétalisée donnant sur le stationnement. Le visiteur, via une rampe, aurait ensuite accès à une salle vidéo. Enin, un dernier bâtiment accueillerait les salles d'expositions permanentes et temporaires avant d’accéder au site des roches gravées de la Carapa. Cependant, la construction de la salle dédiée aux conférences et vidéoprojections est reportée, le projet ayant trop largement dépassé le budget initialement prévu. le choix du mode de gesTion Le CIAC fut conçu comme un établissement touristique à caractère commercial, fondé sur une activité de service culturel. Il fut ainsi décidé de séparer le fonctionnement du CIAC de celui de la commune en lui conférant une autonomie de gestion. Ses ressources de fonctionnement seront principalement issues de recettes propres (billetterie et boutique) et exceptionnellement de subventions. Dans ce cadre, le centre apparaît comme un service public industriel et commercial (un SPIC) qui sera exploité par l'Oice de tourisme de Kourou qui a le statut d’un établissement public industriel et commercial (EPIC). le projeT acTuel : le cenTre d’archéologie amérindienne de Kourou un siTe ouverT au public En 2013, le Centre d’Interprétation Archéologique de la Carapa prend le nom de Centre d'Archéologie Amérindienne de Kourou et se voit doter d'un logo. Le site est inauguré en janvier 2014, mais reste néanmoins encore en travaux. Il est toutefois ouvert au public de manière ponctuelle via des visites guidées des roches gravées et l'installation de l'exposition permanente (igure 3). Cette exposition, conçue avec le concours scientiique de la DAC, de Guy Mazière maintenant retraité, et de sa femme Marlène Mazière, archéologue ayant participé aux campagnes de prospection des années 90, est découpée selon quatre grandes thématiques : Une recontextualisation géographique et historique des civilisations précolombiennes ; une présentation des sites d'art rupestre de Guyane (la liste n'étant pas exhaustive) ; un rappel des diférentes phases d'exploration des Européens en Amérique du Sud ; et enin une description des méthodes de recherche archéologique (igure 4). Le centre n'ayant pas vocation a détenir de mobilier archéologique, des moulages d'objets issus de fouilles sont présentés au public (des haches, poteries, amulettes, pagaies, etc.). Le public peut ainsi se familiariser avec le mobilier amérindien, ce mobilier ayant très bien pu avoir été contemporain des gravures. Si la visite de l'exposition est libre, celle des roches gravées est strictement encadrée par un guide. Ce caractère obligatoire, au vu des récents rapports des géologues (les principales dégradations des roches sont anthropiques), permet également une meilleure approche des roches gravées. Le guide est, en efet, un médiateur indispensable ain de valoriser ce patrimoine et de sensibiliser le public. Le relais de l'APROCA est désormais assuré par un assistant de conservation du patrimoine. Depuis l'inauguration, plus de 1000 personnes ont visité le site. Si le public est en grande majorité kouroucien, cela tient des nombreuses visites organisées avec les centres aérés, le Centre Urbain de Cohésion Sociale (nous avons accueilli près de 200 enfants des quartiers de Kourou durant le seul été 2014) et quelques établissements scolaires. Le type de visiteurs suivant est lié au tourisme (métropolitains, antillais, américains, etc.) (igure 5). la conservaTion des roches gravées de la carapa Figure 3 Logo du Centre d’archéologie Amérindienne de Kourou conçu par Atout-France Figure 4 Les bâtiments d’exposition du CAAK Karapa, vol. 4, décembre 2015 Si le CAAK est pensé pour valoriser les roches gravées, sa seconde mission directement liée est de permettre une meilleure conservation du site archéologique. En ce sens, une étude fut menée en 2013 par une équipe de géomorphologues et géologues de l'université de Clermont-Ferrand ain de rendre un diagnostic général sur l'état des gravures et les causes de leur détérioration. Leur verdict fut sans appel, les principales détériorations sont liées à la fréquentation humaine. Cette conclusion nous incite à renforcer les mesures de sécurité autour des roches à l'aide de barrières et en n'autorisant que les visites accompagnées. Par ailleurs, une restauratrice, missionnée également par la DAC en 2013 et 2014 a efectué un constat d'état et entamé, en conséquence, un traitement des roches. Sa mission continuera en 2015 (igure 6). 23 une poliTique d'accueil des publics en élaboraTion Les principaux axes de l'accueil des publics sont : - l'appropriation de ce patrimoine par la population locale ; 24 - le développement de partenariats avec les établissements scolaires ; - la création de partenariats avec les structures culturelles régionales, voire nationales ; - le développement du tourisme patrimonial à Kourou. Figure 5 Visite à la lampe de poche lors de la Nuit des Musées 2014 Dans cette idée, la construction de carbets destinés aux activités pédagogiques est prévue. Ces lieux d'accueil permettront l'animation d'ateliers pour enfants et adultes tournés vers l'archéologie (fac-similé de fouille, industrie lithique), mais aussi vers l'artisanat amérindien (céramique, vannerie). Ces animations doivent permettre aux visiteurs de se familiariser avec ces techniques scientiiques et artisanales, et ainsi mieux appréhender la question du patrimoine. Par ailleurs, si le CAAK n'est actuellement pas déini oiciellement comme un « centre de ressources », il possède d'ores et déjà un important fonds photographique sur l'art rupestre et sur les missions de prospection lancées dans les années 90. Le CAAK, en efet, réuni des clichés issus de la DAC ainsi que des autres intervenants lors de ces missions (les géomètres-experts de l’entreprise SATTAS par exemple). conclusion Figure 6 Pose de mortier par la restauratrice ain de consolider la roche – novembre 2014 Ces mesures ne seront que peu utiles, si aucun travail de sensibilisation des publics et de la population locale n'est fait. En efet, malgré le travail de prévention, certains publics continuent à piétiner les roches et des animaux appartenant à des habitations voisines ont élu domicile sur le site. Malgré des relances aux propriétaires, rien n'a été fait pour les empêcher d’y accéder. Karapa, vol. 4, décembre 2015 La valorisation de ce site archéologique est un travail de longue haleine. Le système associatif ayant montré ses limites face à un site d'une telle ampleur, la mise en place d'une vraie structure patrimoniale avec un encadrement quotidien pourrait être la réponse. Le potentiel et la valeur touristique ne sont plus à démontrer, au vu du nombre de visiteurs s'étant présentés juste par le bouche à oreille. Aujourd'hui le CAAK nécessite le maintien de l'implication de tous les intervenants ain de répondre à sa mission de valorisation, de sensibilisation et de conservation des roches gravées. la TradiTion arauquinoïde en guyane française : les culTures barbaKoeba eT Thémire claude coutet, association aïmara L a céramique représente l’un des matériaux les mieux préservés dans le bassin amazonien. De fait, il est important d’en extraire le maximum d’informations. En Guyane française, la recherche concernant la variabilité de la céramique arauquinoïde (et spéciiquement de deux des cultures associées à cette tradition : Barbakoeba et Thémire) répond à la question de l’existence d’une entité socio-culturelle sous-jacente à la tradition Arauquoinoïde. La méthode mise en œuvre – une analyse technologique associée à une approche ethno-archéologique – constitue un procédé qui n’avait pas encore été appliqué dans la région. La première étape fut de constituer, avec l’aide de potières amérindiennes en activité, un référentiel des macro-traces diagnostiques des techniques et méthodes utilisées pour le façonnage et les initions des poteries (Coutet 2014). Ensuite, des assemblages céramiques issus de sites Barbakoeba et Thémire (côte occidentale de Guyane) ont été analysés selon une procédure permettant de reconstituer la ou les chaînes opératoires de la production (de la préparation de la pâte aux décorations post-cuisson) (Coutet 2010). Ce type d’analyse a permis d’appréhender les critères les plus pertinents pour l’identiication de cultures céramiques et a conirmé l’attribution des cultures Barbakoeba et Thémire à la tradition Arauquinoïde (Coutet 2010 ; 2014). 25 sphère d’interaction. À l’intérieur de cette sphère, les cultures Barbakoeba (igure 1) et Thémire (igure 2) témoignent chacune d’une uniformité techno-stylistique propre. Nous pouvons imaginer qu’à l’instar des populations post-coloniales, elles pouvaient entretenir des échanges économiques, établir des alliances, partager une idéologie commune tout en relétant une ou des identités sociales et linguistiques propres. Au sein de ces unités culturelles, les communautés villageoises et familiales gardent une liberté certaine dans leurs choix de pâte, de formes et d’ornementations tout en respectant une tradition technologique et stylistique commune à l’ensemble du groupe. Figure 1 Barbakoeba L’uniformité technologique et la récurrence de certains modes décoratifs de l’Arauquinoïde pourraient être le résultat d’une origine commune à ces populations, mais aussi de la mobilité des personnes (et, notamment des femmes par l’intermédiaire de mariages inter-ethniques ou de rapts), les techniques de façonnage, de inition et de décors circulant avec elles. La tradition Arauquinoïde est considérée comme une entité macro-régionale supra-culturelle ; une Karapa, vol. 3, juin 2014 Figure 2 Thémire 26 Ainsi, les divers degrés d’organisation socio-culturelle dont témoigne l’analyse technologique de la céramique de la tradition Arauquinoïde pourraient s’intégrer dans un modèle où les sociétés interagissent au cœur d’un réseau d’échanges complexes auquel se superpose un fond supra-culturel commun. bibliographie Coutet, Claude 2010 Archéologie du littoral de Guyane. Une approche technologique des techniques céramiques amérindiennes. Editions Universitaires Européennes, Sarrebruck. 2014 « La caractérisation techno-stylistique de la céramique de tradition Arauquinoïde en Guyane : une approche ethno-archéologique de la céramique amérindienne ». Karapa, n°3, Association AIMARA. Karapa, vol. 4, décembre 2015 « cayenne hollandaise » jan claes langedijcK eT quirijn spranger (1654-1664) lodewijK hulsman, université fédéral de roraima martijn van den Bel, inrap nathalie cazelles, aïmara L a présence néerlandaise sur l’île de Cayenne de 1654 à 1664 représente un moment clé dans l’histoire de la Guyane. En 1654, après une première période de tentatives anglaises, françaises et néerlandaises, les marchands « hollandais1 » sont chassés par les Portugais de la colonie néerlandaise de Pernambouc au Brésil et s’installent le long les côtes des Guyanes et des petites Antilles. Ils y transmettent leur savoirfaire (acquis des Juifs portugais au Brésil) en matière de production de sucre et y implantent leur réseau économique : l’importation d’une main-d’œuvre servile africaine et un réseau de vente des produits en Europe. Avant l’arrivée des Français en Guyane, en 1652, un certain Jan Claes Langedijck d’Amsterdam noue des liens commerciaux avec les amérindiens de Cayenne2. En 1655, la Chambre d’Amsterdam de la Compagnie des Indes occidentales (WIC) lui donne le patronage de la colonie de Cayenne. En 1659, la Chambre d’Amsterdam de la WIC avait aussi donné la permission au consortium de David Nassy, marchand juif d’Amsterdam, de s’installer à Cayenne3. Cependant, suite aux embrouilles avec Langedijck, ce consortium s’installe à Aremire, 1 Un Hollandais est un habitant de la province de la Hollande des Provinces Unis, et plus tard Les Pays-Bas ou Nederland. 2 En 1653, l’Île de Cayenne avait été abandonnée par les Français suite aux guerres avec les Galibi (A. Biet, Voyage de la France Eqvinoxiale en l’Isle de Cayenne, entrepis par les françois en l’année MDCLII, François Clouzier, Paris, 1664, chapitre 29). 3 La WIC pouvait donner des concessions à un patron pour fonder et développer une colonie. Les patronages émis par les Chambres d’Amsterdam et de Zélande avaient des formes diférentes mais la plupart entre eux obligeait le patron à emporter un certain nombre de colons sur place et à structurer la colonie selon le règlement de la WIC. Le patron était récompensé par ses eforts avec le droit héréditaire (G. J. van Grol, De Grondpolitiek in het West–Indische Domein der Generaliteit: De rechtstoestand van het Grondbezit, Vol. 2, Algemene Landsdrukkerij, Den Haag 1942, pp. 24-56). Finalement, le patronage était une forme de colonisation « bon marché » pour les chambres de commerce de la WIC qui se voyaient pratiquement en faillite après l’aventure au Brésil. Karapa, vol. 3, juin 2014 fondant ainsi une deuxième colonie néerlandaise sur l’île de Cayenne. Une troisième colonie néerlandaise est implantée au même moment sur l’Approuague : il s’agit de la colonie de Balthasar Gerbier. Arrivé en 1660 sur la côte de Guyane, il construit un fort sur la rive droite de l’Approuague et tente de trouver des mines d’argent dans la région. Des querelles avec les autres membres de sa compagnie l’obligent à abandonner son projet et à se réfugier dans la maison de Langedijck à Cayenne. Gerbier est attaqué ensuite par ses collaborateurs, sa ille est assassinée, il rentre en Hollande. La colonie de l’Approuague, quant à elle, continue de fonctionner pendant encore 25 ans4. Ainsi l’occupation néerlandaise de l’île de Cayenne s’est poursuivie jusqu’à 1664 quand Antoine Lefebvre, seigneur de la Barre, occupe et achète les plantations de cette colonie à Quirijn Spranger, le successeur de Langedijck. Nous allons présenter dans cet article les igures de Langedijck et Spranger, qui ont dirigé la colonie néerlandaise de Cayenne. inTroducTion Les marins néerlandais ont commencé à fréquenter l’île de Cayenne depuis la in du XVIe siècle (igure 1). En 1599, le premier rapport néerlandais a été déposé par Abraham Cabeliau qui décrit l’île de Cayenne comme un lieu de rendez-vous pour les navires français, anglais et hollandais, pour faire le plein de vivres après la traversée de l’Atlantique avant de continuer vers les Antilles. L’expédition de Cabeliau passait quelques semaines à Cayenne, en explorant la côte guyanaise avec sa chaloupe. 4 Artur remarque la présence d’une colonie néerlandaise sur l’Approuague en 1664 (J.F. Artur, Histoire des colonies françoises de la Guianne. Transcription établie, présentée et annotée par Marie Polderman. Matoury, Ibis Rouge, 2002, p. 195). Même après la deuxième prise de Cayenne par le chevalier de Lézy en 1676 (M. van den Bel, L. Hulsman, Une colonie néerlandaise sur l’Approuague au début de la deuxième moitié du XVIIe siècle, Bulletin de la société d’histoire de la Guadeloupe 164:5–15, 2013). 27 28 Figure 1 Les fortiications néerlandaises au XVIIe siècle en Guyane. Les Néerlandais ont établi des postes de commerce sur place, ainsi que le long toute la côte des Guyanes entre l’embouchure de l’Amazone et de l’Orénoque. Les Hollandais appelaient cette région De Wilde Kust ou « la Côte Sauvage » suite à la présence des Wilden ou « sauvages ». En 1609, la guerre entre la République néerlandaise et l’Espagne prend in avec la signature de l’Armistice (trève) de Douze Ans entre les deux pays : la partie sud devient les Pays-Bas autrichiens et la partie nord La République des Sept Provinces-Unies des Pays-Bas. Parmi diférentes conditions lors de la signature de cet armistice de 1609, la République s’engageait à ne plus faire d’incursions sur le territoire espagnol, donc plus dans la région des Guyanes5. Malgré cette stipulation, les 5 Pour rappel, l’île de Cayenne est considérée comme faisant partie du territoire espagnol à partir du traité de Tordesillas de Karapa, vol. 4, décembre 2015 activités commerciales des Néerlandais sur la Côte sauvage ont continué sous forme de comptoirs6. On peut citer le projet d’implantation néerlandaise sur Cayenne de Claessen en 16157. 1494 et jusqu’à la in du XVIe siècle. Après 1609, la République des Sept Provinces n’avait plus le droit de faire des incursions sur le territoire espagnol, incluant donc les Guyanes. 6 Une compagnie d’Amsterdam, appelée Guiaansche Compagnie, avait des facteurs sur la côte entre l’embouchure de l’Amazone et la Corantine. Une autre compagnie d’Amsterdam possédait également des plantations de tabac sur les mêmes rivières. Voir L. A H. C. Hulsman, De Guiaansche Compagnie; Nederlanders in Suriname in de periode 1604–1617, OSO Tijdschrift voor Surinamistiek en het Caraïbisch gebied, 29 (2), 2010. 7 British Guiana Boundary Commission, Arbitration with the United States of Venezuela, Appendix to the case on behalf of the Government of Her Britannic Majesty, t. I (1593-1723). Foreign Oice, London, 1898, No. 15, p. 39. C. Goslinga, The Dutch in the Caribbean and 29 Figure 2 Carte de l’île de Cayenne avec les installations hollandaises lors de la prise de Cayenne par les Français en 1664 L’île de Cayenne connaît une position stratégique sur la côte, protégée par les courants maritimes contre les attaques portugaises et / ou espagnoles, située à la limite de leurs territoires respectifs8. En même temps, il s’agissait d’une base maritime qui donnait accès à la mer des Caraïbes et au delta amazonien. Les relations diplomatiques entre l’Espagne et la République néerlandaise ne permettaient pas aux Néerlandais de réclamer oiciellement le droit territorial de Cayenne durant l’armistice. La reprise de la guerre en 1621 bouleverse cette situation politique. La fondation de la Compagnie des Indes occidentale, appelée en néerlandais Generale Geoctroyeerde West Indische Compagnie (WIC), a alors pour but de déclencher une guerre maritime dans l’océan Atlantique, mais aussi de conquérir de la terre aux Amériques. Cette compagnie est fondée grosso modo sur le modèle de la VOC (Geoctroyeerde Oost Indische Compagnie ou Compagnie des Indes orientales) établie en 1602. La WIC était divisée en cinq Chambres (de Commerce) dont les plus importantes étaient celles d’Amsterdam et de la Zélande. Ces on the Wild-Coast (1580-1680). Van Gorcum, Groningen, 1971, p. 79. 8 Voir M. O. Sousa Cruz, L. A. H. C. Hulsman & R. Gomes de Oliveira, A Brief Political History of the Guianas; from Tordesillas to Vienna. Editora UFRR, Boa Vista, 2014, pp. 59-75. Karapa, vol. 4, décembre 2015 Chambres sont des entreprises indépendantes gérées par une assemblée d’élus (conseil de députés) appelés les Heren XIX, les « Seigneurs dix-neuf »9. Selon ce modèle, la WIC distribuait des privilèges (patente ou brevet) ain de fonder des colonies, mais les colons restaient sujets du Staten Generaal, du gouvernement des Pays-Bas. L’île de Cayenne était localisée dans la région assujettie à la patente de la WIC. On note que les Chambres de Zélande et d’Amsterdam sont des rivales. La Chambre de Zélande veut faire de Cayenne son centre administratif pour gérer les (futures) colonies de la WIC de cette côte (Essequibo, Amazone, Xingu, Oyapock). Envoyé par la Chambre d’Amsterdam en 1634, David Pietersz de Vries dépose une trentaine d’hommes sur Cayenne pour planter du tabac, du coton et du roucou. Il raconte qu’il y a déjà une implantation zélandaise sur place pour le compte de Jan de Moor, qui était un des Directeurs de la Chambre de Zélande10 (igures 2). 9 H. den Heijer, De geschiedenis van de WIC. Walburg Pers, Zutphen, 2002. 10 D. Pietersz de Vries, Korte Historiael ende Journaels Aenteykeninge van verscheyden Voyagiens in de Vier Deeles des Werelds-ronde, als Europa, Africa, Asia, ende Amerika gedaen […]. Symon Cornelisz, Brekegeest, 1655 ; M. van den Bel, E. Gassies, Le passage de David Pietersz de Vries sur la côte des Guyanes en 1634. Avec une brève introduction à ce récit de la présence néerlandaise en Guyane 30 La conquête d’Olinda dans la Capitania brésilienne de Pernambouc par la WIC en 1630, fait des Guyanes une région périphérique pour le commerce néerlandais et les Français commencent à s’intéresser à Cayenne11. Après l’échec des tentatives françaises en 1652 et la perte du Brésil « hollandais », on remarque un renouvellement d’intérêt néerlandais pour la côte sauvage et notamment pour Cayenne, où vient d'arriver Jan Claes Langedijck. Ici sont présentées les données concernant Langedijck et Spranger, patrons de la Colonie de Cayenne, situées autour l’ancien fort français de Cépérou, rebaptisé Nassau. langedijcK (1650-1655) Les données historiques sur le personnage de Jan Claes Langedijck ou Langendijck sont encore limitées. Il est le ils de Claes Jansz Langedijck et Pietertje Sijbrants et il a trois frères et une sœur : Willem Claesen Langedijck, Adriaen Claesz Langedijck, Claes Claesz Langedijck et Trijntje Claesz Langedijck12. En plus, le nom Langedijck (« Digue longue ») est très caractéristique de la Province de Noord-Holland, située au nord d’Amsterdam. Les frères Langedijck sont des commerçants. Adriaen Langedijck tient un magasin dans la rue Warmoesstraat, qui se trouve dans le centre commercial d’Amsterdam de l’époque. Il décède en 165713. Il n’y a pas d'indices sur un éventuel lien de Langedijck avec le Brésil. En 1667, Langedijck déclare qu’il a environ 49 ans ; il serait donc né aux environs de 161814. Certains actes des archives notariales d’Amsterdam indiquent qu’il a fait des afaires commerciales au début des années 1640 à Nieuw Nederland (le futur New York). Deux actes, datés de 1651 et de 1652, impliquent Langedijck dans un commerce française entre 1598-1677, La Guyane au temps de l’esclavage. Discours, Pratiques et Représentations, Actes du colloque 16 au 18 novembre 2010 à Cayenne, J.-P. Bacot, J. Zonzon (eds.), Ibis Rouge Edition, Matoury, 2010, pp. 67-104. 11 J.-F. Artur, Mémoires pour servir à l’histoire générale des découvertes et des établissements des diférentes nations de l’Europe. Dans la Guyane par M. Artur (1498- 1680), Bibliothèque Nationale de Paris, Nouvelles Acquisitions Françaises 2579, microilm 7959. 12 Claes Claesz était probablement la même personne qui se présente plus tard comme Nicolaes, frère de Jan Claesz. 13 Stadsarchief, Amsterdam (AmSAA) 5075_1120_76v_16570118. 14 NL-AmSAA_5075_3163_387_16670106. Karapa, vol. 4, décembre 2015 à Cayenne. Il a également un facteur sur l’île de la Barbade en 165315. Les activités de Langedijck font partie du développement d’une nouvelle économie dans la mer des Caraïbes, où de nouvelles colonies françaises, anglaises et néerlandaises sont servies par la lotte mercantile zélandaise et hollandaise. La côte sauvage et notamment Cayenne, par sa position géographique, sont visitées par un nombre croissant de navires dans cette période. Dans la littérature disponible, on apprend que la Chambre d’Amsterdam donne à Langedijck le patronage de Cayenne en 165516. Le Nationaal Archief (NA) conserve les copies de ses patentes17. Dans des actes datées du 2 avril 1659, qui se trouvent aux archives municipales d’Amsterdam (SAA), est mentionné que Langedijck transfère son droit de patronage à la Chambre d’Amsterdam de la WIC. Il déclare avoir reçu le droit du patronage le 30 août 1655 de la Chambre d’Amsterdam, ainsi qu’une commission de la même chambre le 27 avril 165618. langedijcK (1655-1659) C’est en 1656 que Langedijck prend les voiles pour l’île de Cayenne dans le Witte Fortuin avec son maître Pieter Visscher Sijbrandtsz d’Enkhuizen. En efet, on a retrouvé un acte de 1657 dans lequel Nicolaes Langedijck, le frère de Jan Claes, dépose une plainte contre Visscher après son retour dans le Witte Fortuin aux Pays-Bas, car il n’a pas respecté le contrat signé avec Jan Claes Langedijck qui a dû rester à Cayenne19. Pour sa défense, Visscher enregistre plusieurs déclarations de ses marins qui disent : « […] que le maître mentionné Pieter Sijbrantsz [Visscher] avait fait son ultime devoir pour tout intérêt commun. En arrivant à Cayenne il a passé trois semaines en chargeant son navire avec du bois qu’il avait échangé, malgré le fait qu’il s’agissait d’un pays sauvage avec peu d’établissements. Arrivé dans la rivière de Cayenne et une fois que le pilote [Visscher] avait mis pied à terre avec son bateau 15 NL-ASAA_5075_1067_189190v_16430720; 2420c_87_16510708; 1099_208_16520224. 16 Van Grol 1942, pp. 90-91 17 Nationaal Archief, Den Haag (HaNA) 1.01.02_5767. 18 NL-AmSAA_5075_:1309_22-23_16590402;1309_2425_16590402. 19 NL-ASAA_5075_2548_265-66_16570502; 2548_275_16570508; 2548_277_16570509. [chaloupe] alors les Indiens sont venus à bord, car ils le connaissaient bien. Ils se sont mis d’accord, grâce aux connaissances du pilote, pour que notre peuple puisse vivre sur l’île de Cayenne et que les Indiens construiront [en marge : pour le marchand et son équipe] une maison et couperont les arbres et défricheront le tout ain que notre peuple puisse semer ensuite sur cette terre et planter. Après huit ou neuf jours de travail, les Indiens sont venus à bord ain d’être payés pour leurs travaux, de sorte que le pilote a donc payé pour la dite maison et les défrichements un grand nombre d’Indiens à chacun deux couteaux, à savoir un grand et un petit, et aux garçons un couteau, et aux dignitaires un sabre ou une hache. Une fois le bateau chargé, il a aussi déclaré que ‘le dit marchand Langedijck voulait garder une partie des dites ferrailles [hâches et couteaux] du pilote ce qui a provoqué un malentendu [baston]20 ». En 1658, Langedijck retourne à Amsterdam. Les Seigneurs XIX lui accordent le patronage de Cayenne le 26 septembre 1658 et les Staten Generaal lui conirment également la commission le 1er novembre 165821. Ensuite il arme un autre bateau, le Vergulde Vos du maître Hendrick Andriesz Backer, 20 […] dat de gemelde schipper Pieter Sijbrantsz sijn uijtterste devoir voor ’t gemene beste [boven de regel< in alles>] heeft aengewent/ ende aen Caijanen gekomen sijnde sijn schip in de tijt van ontrent drie weken met geruijlde hout waren aldaer heeft afgeladen niet tegenstaende dattet aldaer tot Caijanen doe sij aldaer eerst quamen seer ongedaen was of het een wildernisse ware/ Ende op de Rivier van Caijanen gecomen sijnde ende als de schipper daer met de boot aen Landt was geweest doe sijn de Indianen goede kennisse aende schipper hebbende daer op aen haer boordt gecomen/ ende met malcanderen veraccordeert door des schippers goede kennisse dat ons volck aldaer op dat Eijlandt van Caijanen mochte wonen ende dat de Indianen [# in margine # voor den coopman ende sijn bij hebbend volck] een huijs soude maken ende de boomen om hacken ende alles beslechten om op dat onse volck daer op [boven de regel<dat lant>] soude mogen saeijen [boven regel< en planten>] / Ende de Indianen alsoo met dat wercken acht oft negen dagen doende geweest hebbende/ sijn aen onse Boort gecomen om voor dat gedane werck betaelt te werden/ sulcks dat den schipper voor het maken van het voors huijs ende de beslechtinge / aen een groot getal Indianen heeft betaelt ijeder man twee messen een groot met een kleijn ende aen de jongens elck een mes/ ende aende pouenarisen ijeder een hackmes ofte een bijl. Ende verclaerden noch weijders dat als sij tot Caijanen afgeladen waren de voors coopman Langedijck eenige vande schippers gemeld ijserwerck aldaer op Caijanen willende houden sij beijde daer door in verschil sijn geraeckt/ (L. A. H.C. Hulsman, Nederlands Amazonia. Handel met indianen tussen 1580 en 1680, Thèse de Doctorat Université d’Amsterdam, 2009, pp. 298-299). 21 NL-HaNA_1.01.02_ 4846 : 273 ; 5767 ; 5769. Karapa, vol. 4, décembre 2015 à la suite d’un contrat signé le 31 mars 1659 avec le commerçant Jean Vignon ain de transporter 40 colons22. Deux jours après, la Chambre d’Amsterdam établit encore deux contrats : (a) Celui de Jan Claes Langedijck dans lequel Langedijck transfert son droit de patron à la Chambre d’Amsterdam de la WIC. Vignon est responsable des coûts de l’expédition23. (b) Le deuxième acte établit une énumération des titres obtenus par Langedijck et des droits de propriété privée24. Ceci est conirmé par une référence dans les résolutions des Staten Generaal qui airment que la commission de Langedijck du 1er novembre 1658 ainsi que les lettres de la WIC d’Amsterdam portant des copies des patents. Ce deuxième acte reconnaît les droits de propriété privée de Langedijck ainsi que ceux des colons qui ont construit les maisons au pied du vieux fort français Cépérou. Les biens des colons situés autour du vieux fort sont transférés à la possession de la WIC sur Cayenne25. L’historien van Grol a émis l’hypothèse que le transfert du titre de Langedijck à la WIC d’Amsterdam est du au fait que Langedijck n’a pas réussi à trouver des inanceurs pour sa colonie26. Cela semble possible, car le contrat de Langedijck avec Vignon du 31 mars 1659 oblige le premier à fournir des colons, mais aussi à payer leur passage en avance au deuxième. Langedijck a donc des diicultés pour rassembler des colons et à attirer des inanceurs pour son projet. Ceci est conirmé par une lettre de la WIC d’Amsterdam27. Le contrat avec la WIC garantit le paiement des frais de voyage de l’expédition de Langedijck et il est fort probable que les Directeurs de la WIC aient aidé à mobiliser des orphelinats pour céder des garçons à Langedijck qui les emporte à Cayenne. Dans tous les cas, Langedijck poursuit son projet d’une colonie à Cayenne, mais cette fois au service des directeurs de la WIC d’Amsterdam. Malgré le fait que les conditions du service ne soient pas spéciiées dans les contrats, il obtient le droit de sa propriété sur l’île de Cayenne. 22 NL-AmSAA_5075 : 2206_510_16590331. Jean Vignon et son frère Daniel avaient aussi du commerce avec St Kitts. 23 NL-AmSAA_5075_1309_22-23_16590402. 24 NL-HaNA_1.01.02_5767. 25 NL-AmSAA_5075_1309_24-25_16590402. 26 Van Grol 1942, pp. 90-91. 27 NL-HaNA_1.01.02_5767 (incomplet) 16640221. 31 langedijcK (1659-1663) 32 Des trois expéditions à destination de Cayenne en 1659, Langedijck est le premier arrivé et accompagné de ses colons dans le navire Vos28. Malheureusement, les sources concernant ce voyage sont absentes, mais des informations ont été retrouvées dans quelques déclarations ultérieures, car la situation à Cayenne s’avère problématique. Le navire St Jean Evangelist, armé par Balthasar Gerbier, arrive en janvier 1660 (igure 3). Ce navire compte des colons ainsi que des mineurs pour la Nieuwe Guiaansche Colonie ou la Nieuwe Guiaansche Compagnie d’Amsterdam (« Nouvelle Compagnie de Guyane », NGC). Gerbier et la NGC ont signé un accord avec la WIC d’Amsterdam pour matérialiser cette entreprise. L’expédition de Gerbier connaît une traversée avec des conlits constants concernant l’objectif de l’expédition : d’une part un certain nombre de colons veut fonder une colonie ayant des plantations (de canne à sucre) alors que Gerbier veut faire une mine d’argent. Une partie des colons préfère alors rester sur l’île de Cayenne et refuse de s’installer sur l’Approuague. David Nassy, accompagné de ses colons, est le dernier arrivé avec les navires Land van Belofte et Abrahams Oferande29. Ce groupe composé de Juifs portugais et de Hollandais a obtenu un patent de la WIC d’Amsterdam. Deux autres navires, le Stad Hamburg et la frégate Abrahams Oferande arrivent un peu plus tard avec le reste des colons de Nassy30. L’arrivée de ces navires provoque des conlits avec Langedijck qui refuse aux Juifs l’accès à l’île de Cayenne. Le 10 mai 1660, Cornelis Fransen, le maître de l’Abrahams Oferande, déclare à son retour à Amsterdam que Langedijck a refusé la permission de débarquer aux passagers de son navire 28 NL-AmSAA_5075_2423_15v_16590814. Il s’agit d’une source curieuse. Les curateurs de Manuel Spranger, qui était un commerçant faillite en Amsterdam, demandent à Vignon s’il savait si Langedijck était prêt à partir pour Cayenne. En efet, il s’agit de la seule source mentionnant le nom Spranger en relation avec Cayenne pour cette période et demeure diicile à expliquer pour l’instant. 29 NL-AmSAA_5075_2889/352_166001. Voir également J. Zwarts, Een episode uit de Joodsche kolonisatie van Guyana, West Indische Gids 9, 1927, pp. 519-530. 30 NL-AmSAA_5075: 2207_279-282_16590815; 2207_503_16590922; 1309_40-43_16590925. Karapa, vol. 4, décembre 2015 Figure 3 Gravure de Baltasar Gerbier (Collectie Zelandia Illustrata ZI-IV-0393). Avec les remerciements aux Koninklijk Zeeuwsch Genootschap der Wetenschappen (KZGW) à Middelburg sur l’île de Cayenne. Il déclare également que c’est l’expédition de Gerbier qui a endommagé la canne à sucre de Langedijck et non les Juifs que ce dernier tient pour responsable. Langedijck impose que toute personne voulant quitter Cayenne avant d’en avoir reçu l’ordre des directeurs de la WIC devra payer la somme de 2000 lorins. Langedijck donne également l’ordre de décharger la cargaison d’un navire juif qui venait d’être chargé pour son retour aux Pays-Bas31. Les témoignages de Francisco van Dalen du 4 mai 1660 sont plus précis : il déclare que Langedijck a demandé 2000 lorins à Gerbier pour les dégâts de la canne à sucre32. Langedijck refuse l’installation des 31 Zwarts 1927, p. 521 : NL-AmSAA_5075 : 2889_344345_16600510 (Zwarts 1927, p. 522) ; 1761_475_16600622 32 En efet, van Dalen déclare qu’il arrivait au début du mois de janvier 1660 avec le navire Het landt van Beloften et l’Abrahams Oferande. La frégate Abrahams Oferande et le navire De Stadt Hamburgh arrivent peu après avec les autres colons de Nassy. Parmi eux, il y avait beaucoup d’Hollandais, des Juifs portugais mais aussi quelques actionnaires de la colonie. Les colons de Juifs sur l’île de Cayenne parce que ces terres sont dans l’intérêt de ses colons. Les colons de Nassy se replient sur la terre ferme, mais trouvent la terre mauvaise (Macouria ?). Van Dalen déclare que l’île de Cayenne mesure six lieues et que Langedijck dirige 30 ou 35 personnes sur place ; pour la plupart des garçons et à peine douze artisans. Il n’a presque rien planté : seulement un quart du lieu près du fort pour leurs propres victuailles33. L’arrivée du navire l’Eendracht le 17 février 1660 provoque de nouvelles complications, car ce navire amène des mineurs pour Balthasar Gerbier. Le navire les dépose à la Montagne Commaribo [d’Argent] pour creuser leur mine34. Le navire jette l’ancre devant la montagne et la chaloupe prend la voile vers l’île de Cayenne et dépose les autres colons sur l’Approuague. Le capitaine du navire raconte que Gerbier est fait prisonnier dans son campement sur cette rivière. Gerbier s’enfuit avec sa famille et se réfugie dans la maison de Langedijck au bourg de Cayenne. Langedijck se rend sur l’Approuague ain d’essayer de résoudre les problèmes sur place. Cependant, Otto Keye, Adolphus Rhenanus et plusieurs autres subversifs proitent de l’absence de Langedijck pour attaquer sa maison. Une des illes de Gerbier est tuée (igure 4)35. À son retour, Langedijck appréhende Keye c.s. et les renvoie aux Pays-Bas. Gerbier rentre à son tour en août 1660 et réclame ses droits sur la colonie de l’Approuague à la NGC36. Un pamphlet, publié par Gerbier lui-même avec le but Nassy ont lui montré le contrat dans lequel les Directeurs de la WIC ont spéciié les terres sur l’Île de Cayenne pour sa colonie. 33 Van Dalen fait plusieurs remarques intéressantes dans sa déclaration. Il a entendu aussi que les colons de Langedijck ont menacé et même de tuer le dernier ain de refuser les Juifs sur Cayenne l’Île et qu’ils les avaient menacés de l’abandonner et même de les tuer. Il déclare aussi que les Indiens aiment les Juifs. Ensuite, il déclare que Langedijck avait envoyé quatre ou cinq Indiens dans les environs du fort pour défricher plusieurs lieux ain de réclamer qu’il avait préparé toute l’Île de Cayenne (NL-AmSAA_5075_2889_352_16600511 ; Zwarts 1927, p. 522). Voir aussi W. Jennings, Les premières générations d’une société créole : Cayenne 1660 – 1700, Amerindia 26/27, 2001/2002, pp. 251-252 : Capitaine Langouillon était sur l’Île de Cayenne, occupée par 30 à 40 hommes et femmes hollandais, en 1660 et 1661 pour livrer des esclaves. 34 NL-AmSAA_5075_1714_131_16600217. 35 NL-AmSAA_5075_3068_43-73_16600903. 36 NL-AmSAA_5075_2990_289_16600823; 1714_223_16600826. Karapa, vol. 4, décembre 2015 de dénoncer Keye c.s., contient vraisemblablement la première image du bourg de Cayenne (cf. igure 4)37. En juillet 1660, le navire St Mattheus arrive à Cayenne avec de nouveaux ordres provenant des directeurs de la WIC suite aux plaintes des Juifs38. Langedijck est vraisemblablement forcé par la WIC de donner de la terre aux colons de Nassy à Aremire, situé dans l’actuelle anse de Rémire. Il n’y a que très peu de données sur la période suivante allant de 1660 à 166339. En 1663, le navire Vos fait encore un voyage aux Pays-Bas avec Langedijck à bord. Entre-temps, les directeurs de la WIC d’Amsterdam décident de remplacer Langedijck par Quirijn Spranger40. Finalement, Langedijck retourne à Amsterdam et la dernière trace d'archive le concernant se trouve dans un acte de 1667 à Amsterdam41. spranger (1663-1664) La littérature française concernant la colonie néerlandaise de Cayenne n’évoque guère le personnage de Langedijck, mais elle mentionne plutôt ceux de Quirijn ou Guérin Spranger, qu'elle présente comme fondateur : ceci est faux, comme nous avons pu le démontrer42. En fait, c’est Spranger qui met un terme à la colonie néerlandaise de Cayenne ainsi qu'à la deuxième colonie néerlandaise, face au chevalier de Lézy, en 167643. 37 NL-KB_pamphlet_08349_1660, Sommier verhaal van sekere Amerikaensche voyagie gedaen door den Ridder Bathazar Gerbier Baron Douvily. 38 NL-AmSAA_5075_2770_1040_16640915. 39 Un autre voyage : NL-AmSAA_5075_1138_231. 40 NL-AmSAA_5075_2771_nn_16641127 et 16641210. 41 NL-AmSAA_5075_3163_387. 42 Voir Polderman dans Artur 2002, p. 194, note 58; H. Ternaux-Compans, Notice historique sur la Guyane française, Chez Firmin Didot, Paris, 1843, p. 65. 43 Les références de l’historien néerlandais J. J. Hartsinck (Beschrijving van Guiana, of de Wilde Kust, in Zuid-America […]. Gerrit Tieleburg, Amsterdam, 1770, p. 161, 163) et du Père Labat (Voyage du Chevalier Des Marchais en Guinée, t. III, 1722, p. 89) se répètent dans la plupart des publications postérieures comme, par exemple, dans l’article de L. C. van Panhuys sur Quirijn Spranger (West Indische Gids 12, pp. 535-540, 1930). Les sources historiques démontrent comment Quirijn Spranger arrivait à Cayenne en 1663 pour remplacer Langedijck comme gouverneur de la WIC d’Amsterdam, mais il faudra réviser ce passage dans l’histoire « traditionnelle » sur Cayenne. 33 34 Figure 4 Gravure de l’attaque de la maison du Commandeur Langendyck, probablement dessinée par Gerbier lui-même. (A) « La maison du Commandeur Langendyck » ; (B) « Otto pénètre la maison » ; (C) « Debora Gerbier qui jette Adolphus Rhenanus par terre, et s’empare du rapier ». Débora est probablement la femme de Gerbier. Si la gravure est basée sur la réalité, comme le suggère la description des biens appropriés par Spranger en 1664, il s’agit de la première image du bourg de Cayenne (page d’ouverture B. Gerbier, Sommier verhael, van sekere Amerikaensche voyagie, gedaen door den Ridder Balthasar Gerbier, Baron Douvily […], 1660). Avec les remerciements à la Bibliothèque universitaire de Leiden. Karapa, vol. 4, décembre 2015 Quirijn Spranger est le ils de Michiel et Élisabeth Spranger44. La famille Spranger, demeurant à Amsterdam, a des relations avec les villes d’Anvers et Prague et possède une solide base inancière. Spranger a servi comme secrétaire du comte Johan Maurits van Nassau au Brésil hollandais. Après le retour de Maurits en 1644 aux Pays-Bas, Spranger continue sa vie comme marchand45. Il reste jusqu’à la reddition de Recife aux Portugais46. En 1656, Quirijn est inalement de retour à Amsterdam47. Il y fait du commerce avec les frères Sweerts qu’il connaît du Brésil48. Spranger a également fait du commerce avec Abraham Cohen, l’investisseur de David Nassy.49 Malheureusement, les actes de la réunion générale des directeurs de la Chambre d’Amsterdam de la WIC sont absents des archives pour cette période et nous n’avons trouvé aucune information sur les délibérations concernant le remplacement de Langedijck par Spranger. On peut imaginer que l’afaire entre Langedijck et la colonie de Nassy a joué un rôle important dans la décision des directeurs. Spranger présente l’avantage d’avoir déjà servi la WIC au Brésil et il semble avoir une bonne relation avec Abraham Cohen. En 1663, les directeurs de la WIC exemptent les colons de l’impôt du « dixième » pour les premiers dix ans ain de faire prospérer la colonie50. En 1663, Spranger se trouve alors à bord du Vos à destination de Cayenne où il arrive en juin ou juillet de la même année51. Il est accompagné par Goossen van Vreeswijck, un spécialiste des mines52. Le navire Vos compte environ 190 personnes à son bord, principalement des colons et des marins. Après le 44 NL-AmSAA_5075_ 1070_16_16440507. 45 NL-AmSAA_5075_1082_172_16470815. Peter Blauwenhaen (notaire Ven), proteste contre une lettre de échange de Quirijn Spranger datée le premier mai 1647 au Recife pour Elisabeth Spranger. 46 NL-AmSAA_5075_1121_230_16570605. 47 NL-AmSAA_5075_1118_38_16560712. 48 NL-AmSAA_5075_1121_230_16570605. Pour la famille Sweerts voir L.A.H.C. Hulsman, M. van den Bel, Recherches en archives sur la famille Sweerts, Bulletin de la société d’histoire de la Guadeloupe 163, pp. 45-58, 2012. 49 NL-AmSAA_5075_1113_259_16550614. 50 Hollantsche Mercurius 1663, pp. 14-16. 51 NL-AmSAA_5075_2771_16641127. 52 Le mineur Vreeswijck arrive avec sa famille et perd son épouse et trois ils à Cayenne, G. Vreeswijck, Het licht der Mane, of glans der Sonne […]. Barent van Santbergen, Rotterdam, 1678, p. 171. Dans son livre, il donne aussi une brève description de la Guyane et ses habitants. Karapa, vol. 4, décembre 2015 débarquement des passagers à Cayenne et l’embarquement de Langedijck, le navire part ensuite pour les Caraïbes et Nieuw Nederland avant de rentrer aux Pays-Bas53. Les données du gouvernement de Spranger à Cayenne depuis juin 1663 jusqu’à la reddition aux Français en 1664 sont très limitées. On trouve la mention d’un navire hollandais ayant des esclaves angolais à bord en avril 166454. Carlof, le capitaine du navire, a vendu des esclaves à Nassy en échange d’un terrain à Cayenne. Le sieur De La Barre achète ces esclaves à Jean Prignon pour 5000 lorins par l’intermédiaire de Carlof. Le gouvernement de Spranger s’arrête en mai 1664 quand Lefebvre de la Barre prend l’île de Cayenne. Le journal Hollantsche Mercurius parle d’une simple prise de Cayenne par les Français ainsi que de la déportation des Hollandais et Juifs aux Pays-Bas en passant par le port de La Rochelle55. Cependant, les sources les plus complètes sur ce sujet présentent des réclamations de Langedijck faites à Spranger. Langedijck fait appel à trois témoins, qui déclarent que Spranger s’est approprié du terrain et des esclaves lui appartenant. La déclaration d’un certain Bastiaen Miljou de Paris, interprète pendant les négociations entre Spranger et De La Barre, raconte qu’il est arrivé à Cayenne en juin 1663 à bord du Vos du capitaine Jacob Huijs avec Spranger (nouveau directeur de la colonie de Cayenne), navire qui ramène Langedijck aux Pays-Bas(!). Spranger utilise son témoin (Miljou) comme interprète lors de ces négociations, car il ne parle pas le français56. Spranger s’approprie alors sur Cayenne : ‘(a) une maison double construite au pied du fort, (b) quelques habitations dans les environs du même fort, (c) une habitation à Matterij [Matoury] située á l’accès à la crique [dite] de la Roche verte, (d) touts les outils [les biens des habitations].’ Spranger emploie les esclaves africains pour lui-même jusqu’à l’arrivée des Français en mai 1664 et la reddition du fort. Finalement, Spranger vend la maison et les habitations avec 32 esclaves au général français de la Barre pour 14 000 53 NL-AmSAA_5075_2776_215-216_16660211. 54 NL-AmSAA_5075_3188_386_16641223; 3188_387_16641224. 55 Hollantse Mercurius 1664, p. 127. 56 Ceci nous semble curieux pour un personnage notable comme Spranger. 35 lorins57. Efectivement, Artur mentionne l’acquisition de l’habitation à Matoury par De La Barre, associé à son frère le commandeur de Saint-Lazare et à M. de Thiennes et « un Hollandais Bessy que Spranger y avait laissé en qualité d’économe58 ». 36 Apparemment, Langedijck n’a pas réussi à incriminer Spranger par rapport à sa nomination comme directeur de la colonie hollandaise de Cayenne dix ans plus tard en 1676, suite à la brève reconquête de Cayenne par les Hollandais sous le commandement de Jacob Binckes. la venTe de cayenne ? La prise de Cayenne par Antoine Lefebvre, seigneur De La Barre et Alexandre Prouville de Tracy, au début de mai 1664, se passe en accord avec les Hollandais. Ni La Barre, ni Spranger, ni les journaux néerlandais ne parlent d’une prise ou d'une attaque violente. Le fort Nassau est rebaptisé Saint-Michel de Cépérou et les dits « biens » de Spranger sont rachetés par De La Barre, laissant ainsi Langedijck comme grand perdant de son entreprise à Cayenne. Selon Artur, les Hollandais capitulent efectivement sans combat 57 NL-AmSAA_5075_2770_1040_16640915; 771_16641127; 2771_16641210. Le Roux a publié la transcrit partiellement dans sa thèse le texte de la concession du Spranger à Lefebvre de la Barre, avec des détails (Y. Le Roux, Habitation guyanaise sous l’Ancien Régime, Etude de la culture matérielle, 3 Tomes, Thèse de Doctorat de l’Ecole des Hautes Etudes et Sciences Sociales, Paris, t. I, 1994, p. 78, note 172). La transaction de l’habitation Matoury à De La Barre (C14/Registre 1, Folio 78, 1664): « Une très belle et très bonne plantation avec dix maisons édiiées, avec quelques cannes à sucres prêtes à mettre au moulin et quelques autres cannes qui ne sont plantées que depuis dix mois, avec une grande quantité de manioc prête à être cueillie dont une grande partie qui n’est pas dans sa maturité, avec aussi une très grande et très belle terre avec des ignames et des patates, et deux mille arbres d’acajou, avec des bananiers et vaikouans [ ?] tous plantés. Toutes ces choses qui sont ci-dessus écrites seront trouvées par vous très nobles et très excellents seigneurs comme nous avons dit et pour toutes les choses susdites je demande la somme de £ 8000 […]. Plus une certaine belle terre sise vers la marine, plantée de cannes à sucre prêtes à être placées dans notre moulin et d’autres qui ne sont pas dans leur maturité, avec un autre terrain chargé de cassave prête à être recueillie, et une autre portion qui n’est plantée que depuis six mois. Toutes ces choses sus nommées sont comme je dis et je demande icelles la somme de £ 6000. Pour vingt six habiles nègres avec six enfants comme il appert par le certiicat ci-attaché : £ 6850. Pour une maison avec une cuisine qui est construite : £ 1000. Total : £ 21.850 ». 58 Artur 2002, p. 203. Le personage de Bessy demeure inconnu, s’agit-t-il peut-être de Nassy ? Karapa, vol. 4, décembre 2015 et livrent Cayenne aux Français, après cinq jours de discussions. Ils signent un accord le 15 mai 1664 constitué de plusieurs articles et conditions importants concernant les Hollandais et Juifs présents59. Le premier article stipule « que messieurs les états généraux et l’octroyée compagnie des Indes occidentales retiendront et demeureront en leur pleine vigueur toutes les actions, prétentions et intérêts faits en l’isle de Cayenne et lieux circonvoisins ». Le deuxième article précise « que tous [les] biens appartenant à la compagnie […] seront menés et conduits francs et libres au lieu qu’il appartiendra ». Le cinquième article stipule « que la nation judaïque demande aussi libre exercice de la religion comme dans le chapitre précédent [Article 4] ». Le septième article stipule « que tous les habitants s’arrêtant icy, auront en pleine possession leurs biens, terres et esclaves, et leur sera permis de les aliéner et vendre. Quant ils voudront partir, leur sera loisible d’emmener leurs biens meubles et esclaves où il leur plaira sans aucun empêchement à quoy leur sera toujours prestée la marine auxiliaire des messieurs les gouverneurs. Semblablement les habitants de leur franchise de dix ans, et puis ne seront en aucune sorte plus durement traittés que les sujets de Sa Majesté60 ». Lefebvre de la Barre note alors un certain mépris pour la colonie hollandaise qu’il vient de prendre : « À ma descente en cet Isle, d’autres gens moins résolus eussent esté épouvantez par le nombre de nos malades, par les restes languissans de la Colonie Holandoise que nous trouvâmes en ce lieu, & par les malédictions que ces pauvres gens donnoient a une Terre qu’ils n’avoient daigné cultiver ; comme si elle eust dû sans travail de leur part, & sans assistance de l’Europe, leur fournir toutes les choses necessaires à la vie. Leurs visages parloient autant que leurs langues ; & ces vifs tableaux de leurs miseres, quoy qu’ils ne issent point d’impression sur les esprits de mes Oiciers, en irent neantmoins sur ceux de quelquesuns de mes Volontaires & Soldats ; desquels la crainte & le dégoust m’ayant paru, je crûs qu’il estoit meilleur de les renvoyer d’abord en France, que de les garder à 59 Artur 2002, pp. 199-200. 60 Plus loin, Artur (2002, p. 204) conirme que les Hollandais « qui ne voulurent point rester à Cayenne, furent transportés aux Antilles. Ceux qui se déterminèrent à vivre avec les Français furent acceuillis, et il paraît qu’il en resta un bon nombre qui conservèrent leurs habitations et leurs Nègres. On laisse mesme aux Juifs leurs établissements à Rémire». contrecœur, dans un Païs où il ne faut aucune prévention d’esprit pour y posseder une santé parfaite, & où leur chagrin nous auroit fait plus de mal en un jour, qu’ils ne pouvoient rendre de service en un mois. Et c’est à ces foibles Esprits qui n’ont eu de la Nature que la crainte & la legereté en partage, que Cayennc est redevable du décry où ils avoient mis le Païs dans toute m’année 1664. & jusques en May 1665 par les faussetez qu’ils en ont debitées, & desquelles ils ont voulu couvrir leur lâcheté, & ensevelir leur honte61 ». Cependant, la présence sur place de moulins à bœufs, de main d’œuvre et de savoir-faire pour la transformation de la canne à sucre les a incités à conserver la colonie hollandaise en état. En établissant un accord avec Spranger, De La Barre pouvait récupérer les plantations sans que les Néerlandais ne les brûlent lors d’une attaque. Les Français étaient même prêts à accepter une présence hollandaise sous leur gouvernement ainsi que la religion des Juifs. Les Juifs de Aremire avaient alors le droit d’y rester, et la vente en 1668 aux jésuites de la plantation de Sr. Abraham Drago, gérée par Gabriel Lavella Drago, semble s’inscrire dans la lignée de la politique de Spranger et De La Barre pour sauvegarder la colonie de Cayenne et du contrat signé en 166462. La vente des plantations néerlandaises aux Français montre clairement l’intérêt économique ou même la réussite de cette première colonie sucrière de la Guyane63. On peut signaler la brève description de la colonie néerlandaise sur l’île de Cayenne faite par Artur qui, quant à lui, avait bien fait la distinction entre les deux colonies néerlandaises : « On comptait avec les Holandois qui occupèrent Cayenne environ soixante Juifs qui avaient à eux quatre-vingts esclaves nègres. Ils formèrent un bourg à l’embouchure du ruisseau de Rémire, à l’endroit où l’on a depuis bâti l’église paroissiale du quartier ; en l’on voit encore à peu de distance sur l’autre bord du ruisseau, sur une roche au bord de l’anse, les restes 61 F. Lefebvre De La Barre, Description de la France Equinoctiale, cy-devant appellee Gvyanne, et par les Espagnols El Dorado […]. Jean Ribov, Paris, 1666, p. 5. 62 Le Roux et al. 2009, p. 49. 63 L’arrivé des Hollandais de Brésil en Guadeloupe a initié les Français à la production du sucre (G. Laleur, Familles hollandaises en Guadeloupe aux XVIIIe et XVIIIe siècles, Bulletin de la société d’histoire de la Guadeloupe 163:59–75, 2012. La prise de Cayenne présentait alors un vrai trésor économique pour la nouvelle colonie française. Karapa, vol. 4, décembre 2015 37 Figure 5 Détail de la carte de l’île de Cayenne dressée par M. Mel en 1666 (Bibliothèque nationale de France (BNF), département Cartes et plans, GE C-5175) d’une batterie de deux ou trois pièces qui continue toujours de s’appeler le fort des Juifs. Ils irent leurs plantations dans le vallon et le long de la coste jusqu’à Mahury. Ils s’attachèrent principalement à la culture des cannes à sucre et ils construisirent en commun dans le fond du vallon sur le ruisseau un moulin à eau pour leur usage. Les Holandois s’établirent dans le voisinage du fort où ils eurent bientôt à peu de distance, au lieu appelé maintenant le Jambon [à deux portées de fusil du fort, p. 203], une autre sucrerie avec un moulin à bœufs. C’est là que le nommé Vermejo, juif, fabriqua le premier sucre qu’on ait fait à Cayenne, soit qu’il fut propriétaire de cette sucrerie, ou plutôt qu’il en eut seulement la direction. Les Holandois formèrent d’autres habitations dans le quartier de Matoury, Spranger, entre autres, y avait la sienne. Déjà même, ils commençaient à s’étendre et à faire d’autres établissements dans la rivière d’Approuague où ils avaient une centaine d’hommes avec un fort commencé quand ils furent chassés par messieurs de Tracy et de La Barre64 ». Après le départ des Hollandais du fort « il resta au fort et dans la bourg de Cayenne, composée alors d’environ 64 Artur 2002, pp. 194-195. 38 deux cents cases, troys cent cinquante François avec cinquante nègres achetés des Holandois qui s’étaient retirés65 ». Cette image du bourg se retrouve dans l’encart de l’île de Cayenne sur la « Carte Nouvelle de la France Equinoctiale » dressée par le géographe Mel en 1666 et reproduite par De La Barre dans son livre, et relète parfaitement le bourg de Cayenne construit par Langedijck (et puis Spranger) lors de la prise des Français (igure 5)66. Finalement, n’oublions pas que la guerre entre les Pays-Bas et l’Angleterre, lors de laquelle les Français choisissent le camp hollandais, se déclenche en 1665. En 1666, la colonie française de Cayenne (ainsi que celle de Sinnamary) est visitée par les Anglais, sous le commandement de Peter Wroth, qui laissent le Gouverneur de Lézy en paix67. remerciemenTs Ces données sont le fruit d’un premier dépouillement des archives nationales et communales des Pays-Bas, en collaboration avec l’Association Aimara et la DAC de Guyane. Une deuxième campagne de dépouillement est prévue ain d’étofer notre base de données concernant la colonie juive à Rémire. Les auteurs voudraient remercier Thomas Mouzard pour la relecture. 65 Ibid., p. 204. 66 Bibliothèque nationale de France (BNF), département Cartes et plans, GE C-5175 : Carte Nouvelle de la France Equinoctiale Faite et presentée à Sa Majesté / Par le Sieur le Febvre de la Barre son Lieutenant General en ces Pays au mois de Septembre 1665. Dressée sur les memoires du dit Sieur de la Barre / Par le Sr Mel, Geographe. 1666. 67 V. T. Harlow, Colonising expeditions to the West-Indies and Guiana, 1623-1667. In: Works issued by The Hakluyt Society, Second Series 56. The Hakluyt Society, London, 1925, p. 200. En 1666, Joseph Antoine Lefebvre, seigneur de la Barre, fut crée lieutenant général et envoyé aux Antilles en laissant Cayenne à son frère Cyprien Lefebvre, chevalier de Lézy. Cayenne a été pillé par les Anglais sous le commandement de John Harman en aout 1667 (Harlow 1925, pp. 222-242 ; J. B. du Tertre, Histoire generale des antisles habités par les François […]. Thomas Jolly, Paris, 1671, t. 3, pp. 309-316). Karapa, vol. 4, décembre 2015 archéologie funéraire en guyane française : le cimeTière de l’habiTaTion jésuiTe loyola. fouille programmée de 2014 zocha houle-wierzBicKi, msc, université de montréal yannicK le roux, appaag S ituée dans la commune de Rémire-Montjoly en Guyane Française, l’habitation de Loyola s’étend sur plus de mille hectares. Cet établissement a été administré par des jésuites français entre 1668 et 1764, dans le but de inancer leurs missions d’évangélisation auprès des populations amérindiennes de la Guyane. Selon les époques, la canne à sucre, le café, le cacao, l’indigo, le coton y ont été produits, souvent à grande échelle. Sous l’Ancien Régime, la force d’une habitation était évaluée en fonction du nombre d’esclaves, l’inventaire, dressé par les liquidateurs au moment de son abandon, en dénombrait 500, ce qui était énorme en comparaison avec les établissements qui existaient alors dans toutes les colonies françaises. L’ampleur matérielle et l’importance économique de cette habitation témoignent avec éloquence du savoir-faire des religieux, missionnaires eicaces et gestionnaires redoutables. Aujourd’hui, les principaux terrains de Loyola appartiennent au Conservatoire du Littoral et un sentier pédestre y a été aménagé pour le public. Les vestiges archéologiques se présentent presque sans protection, exposés aux intempéries, aux actions de la végétation et au piétinement des visiteurs, il est donc essentiel de procéder à une étude de cet ensemble, la plus exhaustive possible, ain de préserver l’intégrité des ressources archéologiques, mais aussi, la sécurité des visiteurs. C’est dans cette optique que Loyola fait l’objet de campagnes de fouilles programmées tous les ans depuis 1994. Ces chantiers sont principalement menés par l’association guyanaise d’archéologie l’APPAAG, avec la collaboration d’équipes de chercheurs et d’étudiants de l'Université Laval à Québec. Divers secteurs ont ainsi été étudiés, tels que la maison des Jésuites, la cuisine, l’hôpital, la chapelle, le magasin, l’aqueduc, le moulin à vent la sucrerie, etc. Depuis 2012, outre le magasin, les recherches archéologiques ont porté sur l’étude du cimetière. Karapa, vol. 3, juin 2014 Les registres paroissiaux de Rémire, conservés aux Archives Nationales à Aix, attestent des pratiques funéraires à Loyola. Le bourg de Rémire disposait bien d’une église et d’un cimetière paroissiaux, mais la chapelle et le cimetière de Loyola, destinés à l’usage privé de l’habitation, ont servi assez souvent aux habitants de Rémire. Des baptêmes, des mariages et des enterrements y étaient régulièrement célébrés. Les jésuites qui géraient Loyola, étaient les mêmes qui desservaient la paroisse, ce qui explique cette double fonction. De l’aveu même du jésuite qui les a retranscrits, ces actes ne sont que les reliques de tout ce qui a été anéanti par les guerres, l’action du climat et des insectes, mais surtout par la négligence. Pour précieuses qu’elles soient, il faut donc considérer ces sources très lacunaires comme ayant, au mieux, valeur d’échantillon. Le premier acte conservé remonte à 1735, le dernier à 1768. On n’en dénombre que 27, pour une période de plus de trente années, ils ne concernent que des personnes « libres » : amérindiens, afranchis, européens. Les inhumations d’esclaves, étaient consignées dans des registres séparés et encore plus négligés, aucun n’étant parvenu jusqu’à nous. Cette absence de sources ne laisse aucun doute sur le fait que l’immense majorité des personnes enterrées à Loyola, étaient les esclaves employés au service des jésuites. Les esclaves ne sont mentionnés dans ces actes que comme témoins des enterrements : « 1741 L’an mil sept cent quarante un, Pierre Jacques Lacroix, natif de Saint Denis en France, âgé de vingthuit ans, ils de Pierre Jacques Lacroix, demeurant chez les pères à Loyola en qualité de maçon, après avoir reçu tous ses sacrements est mort le quatorze et a été enterré le quinze dans le cimetière de Rémire en présence de Raphaël, d’Antoine tonnelier, et de Rémy, nègre des pères. Signé Lacoste, jésuite ». On 39 peut noter, au passage, que contrairement à l’article 30 du Code Noir qui dénie aux esclaves la possibilité d’avoir qualité de témoins, ils sont ici nommément cités, bénéiciant là d’une sorte de reconnaissance juridique. 40 Le cartouche de 1730 (igure 1) mentionne également la présence d’un cimetière, attenant à la chapelle. Un calvaire y igure en son centre. À l’usage, cette image s’est révélée une source très iable pour tout ce qui concerne l’organisation générale du secteur résidentiel. On constate que l’emplacement du cimetière et son étendue correspondent bien avec ce que nos recherches archéologiques ont retrouvé. On peut estimer aussi que la pratique des inhumations dans ce terrain est antérieure à 1730, sans qu’une date puisse être avancée. l’université de Caen. Dans un sondage de 12 m2 environ, dix fosses d’inhumations avaient alors été identiiées à quelques mètres de la sacristie (Le Roux et al. 2009 : 217). La principale diiculté à préciser davantage le nombre de personnes inhumées est la conséquence de la forte acidité des sols guyanais qui empêche toute préservation de la matière organique. Seule une diférence de couleur et de texture du sol permet de repérer les vestiges organiques. Dans le cas présent, la forme anthropoïde des tâches de sol nous a permis d’associer ces éléments à des fosses d’inhumation. L’orientation des fosses respecte l’orientation générale de l’habitation et surtout de la chapelle, et respecte à peu près la pratique chrétienne qui privilégie une orientation ouest-est. les découverTes archéologiques En 2012, un second sondage exploratoire (igure 2) avait été efectué en vue de préparer une intervention importante prévue pour l’été suivant. La surface présumée du cimetière avait été désherbée faisant ainsi apparaître deux alignements de pierres parallèles d’environ onze mètres de long, parallèles à la chapelle. Le sondage avait alors été implanté au centre de ces deux structures dont la surface n’était pas complètement dégagée en raison de la pente naturelle du site. La proximité entre ces structures et la chapelle, ainsi que plusieurs caractéristiques communes d’un point de vue architectural, laissaient présager que ces deux espaces pouvaient être reliés entre eux. Notre hypothèse était qu’il devait exister des espaces séparés dans le cimetière, les registres paroissiaux portent ainsi la mention « cimetière pour enfants », on peut supposer également que comme à Cayenne, il existait un emplacement pour les esclaves et un autre pour les libres. Toutefois, cette hypothèse n’a pu être conirmée puisqu’aucune trace de fosses d’inhumation n’y a été retrouvée. Des observations ultérieures nous orientent vers une autre interprétation. Cette structure est sans doute postérieure à la période de l’occupation jésuite. Ceux qui ont repris l’habitation, les frères Prépaud, ont aménagé un bâtiment dans l’emprise du cimetière, abandonné et déconsacré. Lors de ces travaux, le terrassement du sol a provoqué de fortes perturbations ou l’efacement des fosses d’inhumation qui se trouvait peut être à cet emplacement. La présence de fosses d’inhumation à Loyola avait d’abord été conirmée lors d’un sondage exploratoire en 1997 par le professeur Claude Lorren de En 2013, des sondages archéologiques, sous forme de tranchées, ont été efectués dans l’objectif de retracer les limites du cimetière, de comprendre l’organisation Figure 1 Cartouche de la carte d’Hébert 1730, archives de Vincenne On sait que, en l’espace d’un siècle, l’habitation a été implantée à trois ou quatre endroits diférents. L’habitation précédente occupait le site de Quincy remontant au dernier quart du XVIIe siècle, les éléments de mobilier, recueillis sur ce dernier site, déinissent une période d’occupation qui n’est pas antérieure au XVIIIe siècle. Ces quelques sources conirmées par les recherches archéologiques, font de ce cimetière le premier exemple, identiié et documenté, remontant à l’époque esclavagiste en Guyane Française. Karapa, vol. 4, décembre 2015 41 Figure 2 Croquis de la fouille du cimetière spatiale et de documenter les pratiques funéraires des jésuites. Nous souhaitions aussi étudier davantage la relation entre le cimetière et le reste du secteur résidentiel de Loyola. La supericie fouillée pour répondre à l’ensemble de ces interrogations était si vaste pour une équipe de cinq fouilleurs que, malgré l’aide de nombreux bénévoles, une deuxième intervention majeure a été nécessaire. Au cours de cette troisième année, cinq semaines de fouilles ont été accordées pour inaliser l’étude de ce secteur, dont le principal objectif était de retracer les limites du cimetière ain d´en estimer sa supericie. L’ensemble de la supericie, fouillée au cours de ces deux campagnes importantes, a été divisé en trois sections : nord, centrale et sud. La section nord, celle qui contenait les deux murs de pierres parallèles, n’a pas permis de retrouver de fosses d’inhumation conservées. Toutefois, il n’est pas exclu qu’il y en ait eu à l’origine. En efet, la fouille a mis au jour des indices de réaménagement postérieur à l’occupation jésuite de cet espace, dont la construction de ces murets (Rapport 2014 : 69-70). Outre les fosses qui avaient été identiiées en 1997, la section centrale s’est révélée également perturbée par cet aménagement : aucune trace de fosses d’inhumation et seuls quelques petits fragments de poterie sucrière ont été retrouvés. C’est la section sud qui, contre toute attente, contenait les indices les plus lisibles de l’existence d’un cimetière à cet endroit. Karapa, vol. 4, décembre 2015 L’organisation spatiale du cimetière s’est révélée assez complexe. Tout d’abord, l’analyse des proils stratigraphiques a permis d’identiier deux niveaux superposés de fosses d’inhumations. Puis, la découverte de fosses d’enfants mélangées à celles d’adultes viendrait mettre en doute la présence d’un espace réservé aux enfants comme le sous-entendait les archives. Plus d’une quarantaine de fosses ont été identiiées dans les deux tranchées principales. De plus, en contradiction avec les pratiques funéraires chrétiennes, certaines fosses contenaient des ornements corporels (bijoux). En efet, des perles de verre noires, bleues et blanches et un anneau en argent ont été retrouvés lors du tamisage du sol des fosses. Les restes d’un Christ en alliage cuivreux d’une croix de chapelet, représentent un reste de mobilier funéraire plus attendu (igure 3). On a découvert une fosse dont la taille et la profondeur dépassaient largement les dimensions habituelles. Plusieurs clous encore en place ont été retrouvés pendant la fouille formant le dessin de ce qui pourrait être un cercueil en bois rectangulaire. C’est dans la fosse de son voisin que le Christ en cuivre a été retrouvé. Situés en amont du cimetière, parmi les plus éloignés par rapport à la chapelle, nous sommes en droit de nous questionner quant au statut de ces deux personnages. Enin, la découverte d’un alignement est-ouest d’au moins quatre taches circulaires dans le sol pourrait être associé aux négatifs d’anciens trous de poteaux 42 Figure 3 Artéfacts trouvés lors de la fouille de 2013 en bois (Rapport Loyola 2015 : 74-75). L’absence de traces supplémentaires s’explique par l’importante bioturbation qui caractérisait cette zone du cimetière lors de la fouille. Ces négatifs avaient tous un diamètre d’environ 22,0 cm et atteignaient une profondeur similaire. Grâce aux découvertes précédentes, ainsi qu’à l’organisation spatiale générale du secteur résidentiel de l’habitation, nous pouvons estimer la position de la limite perpendiculaire. En partant du principe que le cimetière était rectangulaire, comme les bâtiments de l’habitation, sa supericie serait d’environ 450 m2 (Rapport Loyola 2015 : 75). On ne peut malheureusement pas estimer le nombre d’individus inhumés puisque les fouilles antérieures ont montré que la densité d’occupation n’est pas uniformément répartie dans le cimetière. espoirs d’analyse En plus de documenter les découvertes archéologiques, il était aussi question de tester des méthodes dans le but de retracer la présence d’éléments organiques anciens, tels que des vestiges de maçonnerie et de restes humains. Pour ce faire, des échantillons de sol ont été recueillis sur le site : d’abord dans les couches naturelles et d’occupation ; puis, dans le fond des trous associés au poteau en bois et dans le fond des fosses d’inhumation. Ces échantillons ont été envoyés à l’Institut National de Recherches Scientiiques (INRS) de Québec ain d’être analysés au spectromètre de masse, ainsi que pour passer des tests physico-chimiques. Nous sommes toujours dans l’attente de ces résultats qui devraient être connus dans le courant de l’année 2015. conclusion L’habitation Loyola a été un centre religieux et économique de tout premier plan dans l’histoire de la Guyane Française. Bien que plusieurs secteurs restent encore à découvrir et à étudier, l’archéologie a déjà fourni un apport décisif d’informations sur cette période de l’histoire coloniale et plus particulièrement sur celle des habitations. C’est dans des lieux comme celui-ci qu’a commencé à se construire la société guyanaise d’aujourd’hui. Des religieux, des soldats, des habitants, des Amérindiens, des esclaves afranchis, mais, sans aucun doute, la grande majorité des esclaves de Loyola que l’on peut estimer à plusieurs centaines, ont été inhumés dans ce cimetière. Retrouvé et étudié, cet emplacement est un lieu de rencontre entre l’histoire et la mémoire. bibliographie Houle-Wierzbicki, Zocha et Le Roux, Yannick 2015 Loyola 2014, rapport de fouille programmée, secteur du cimetière et son projet de mise en valeur. Cayenne : Service régional d’archéologie de la Guyane. Houle-Wierzbicki, Zocha et Le Roux, Yannick 2014 Loyola 2013, rapport de fouille programmée, secteur du cimetière et son projet de mise en valeur. Cayenne : Service régional d’archéologie de la Guyane. Le Roux, Yannick, Auger, Réginald, et Cazelles, Nathalie 2009 Les jésuites et l’esclavage Loyola : l’habitation des jésuites de Rémire en Guyane française. Presses de l’Université du Québec, Québec. Letton, Colette 2000 Esclavages. Les cahiers du patrimoine Fonds Saint-Jacques, CERA, Martinique, Schoelcher. Karapa, vol. 4, décembre 2015 la poTerie des jésuiTes : croissance eT déclin d’un aTelier du xviii e siècle catherine losier, memorial university of newfoundland claude coutet, aïmara L a fouille de la poterie des Jésuites est l’un des volets du projet de recherche intitulé « À l’origine d’une société métissée : les interactions culturelles au début de la colonisation en Guyane (in du XVIIe siècle – début du XVIIIe siècle) ». Ce projet vise à documenter les interactions culturelles entre les membres des diférentes communautés établies en Guyane à une époque où la colonie et ses habitants devaient faire face à un isolement important, en l’absence d’un ravitaillement régulier provenant de France. De fait, des collaborations se sont développées entre les nouveaux arrivants (européens et africains) et les populations indigènes ain de produire les objets nécessaires à la vie en Guyane, notamment ain de ravitailler les habitations en céramiques essentielles à la production de sucre, formes à sucre et pots de raineurs. Peu abordée en Guyane, l’étude des interactions culturelles et de la créolisation des coutumes et des techniques peut être approchée sous diférents angles. La fouille de cet atelier de poterie a pour objectif de venir compléter les précédentes fouilles de l’habitation Quincy et de la poterie Bergrave (Losier et Coutet 2013a ; 2013b). En considérant les résultats d’analyse de la céramique des XVIIe et XVIIIe siècles trouvée à la poterie Bergrave et à l’habitation Quincy, nous nous sommes naturellement dirigées vers la poterie des Jésuites (en fonction au moins depuis 1690 et jusque dans les années 1760) ain de comparer l’organisation du site et son mobilier avec les assemblages des sites fouillés en 2012 (igure 1). Les fouilles réalisées en 2014 constituent la deuxième campagne que nous entreprenons sur ce site et se basent sur les découvertes faites au cours de l’été 2013, notamment l’identiication d’une structure maçonnée (Coutet et Losier 2014). Figure 1 Carte de localisation des sites archéologiques Karapa, vol. 3, juin 2014 43 44 Le site de la Poterie des Jésuites a été identiié en 1988 par Patrick Huard, près de la crique Cabassou, non loin de la mairie de Rémire. La première, et la seule, intervention archéologique qui a eu lieu sur ce site date de 2001. Nathalie Croteau, alors étudiante à l’Université Laval au Québec, avait réalisé des fouilles préliminaires en vue de vériier s’il s’agissait bien du site de la poterie des Jésuites et d’évaluer son potentiel (Croteau 2002). Lors de ces fouilles, des bonnettes de cuisson et des briques vitriiées ont été trouvées, de même qu’une quantité impressionnante de céramiques sucrières accumulée dans le but de drainer une aire de circulation. Ces découvertes constituent un faisceau d’indications permettant de penser que ce site est associé à un atelier de poterie. En outre, la découverte de tessons marqués avec l’étampe IHS, Jésus sauveur de l'humanité, a permis de proposer un lien avec l’habitation Loyola. Bien que ces travaux n’aient pas mené à l’identiication d’indices prouvant hors de tout doute que le site était bel et bien une poterie, un chemin d’accès menant vraisemblablement vers le cœur de l’atelier a été identiié, de même qu’un très grand nombre de tessons de céramique. Il est probable que ce chemin d’accès ait aussi servi pour amener les céramiques sucrières vers l’habitation Loyola comme le suggèrent les ponts et chemins illustrés sur la carte de Dessingy en 1771. Nathalie Croteau n’a pu continuer les fouilles et les recherches ont été interrompues. Le site de production n’a donc jamais été mis au jour (fours et tessonnières n’ayant pas été identiiés). Après plus de 10 ans de suspension des recherches, des fouilles ont été entreprises au cours de l’été 2013 dans un secteur situé au nord du secteur exploré par Nathalie Croteau. Au cours de cette campagne, plusieurs sondages ont été efectués et l’un d’eux a livré les vestiges d’une structure maçonnée (igure 2). Nous avons posé l’hypothèse que cette structure était peut-être associée à un des bâtiments de la poterie des Jésuites, tels qu’illustrés sur la carte de Dessingy dressée en 1771 (igure 3). L’objectif des fouilles entreprises en 2014 visait à explorer cette structure. La mise en place de la poterie des Jésuites peut être associée à l’habitation Loyola. Les Jésuites devaient avoir accès à une quantité importante de céramiques dans l’objectif de produire du sucre. Il est aussi possible qu’une certaine partie de la production de la poterie des Jésuites ait été destinée à la vente. Thibaudault (1995 : 175) rapporte que de Férolles, en 1696, a accordé aux Jésuites la propriété des terres où se situe « leur vieille poterie ». On peut donc estimer que cette poterie était utilisée dès l’installation des Jésuites, dans les années 1660 (acquisition des terres de Quincy en 1665 et de Drago en 1668). Elle est d’ailleurs très proche de ces deux terrains et du quartier des esclaves. Figure 2 Maçonnerie identiiée en 2013 Karapa, vol. 4, décembre 2015 45 Figure 3 Mention «la poterie » la carte de Dessingy en 1771 Lors de la campagne de 2014, l’aire de fouille de 2013, a été élargie vers le sud, l’est et l’ouest dans l’objectif de mieux documenter la structure maçonnée. Au nord de cette opération, nous avons ouvert un sondage exploratoire. La fouille a été réalisée à la main, sans l’apport de machinerie lourde. L’aire de fouille principale nommée couvre une surface de 6,30 m (axe nord-sud) sur 5,20m (axe est-ouest). Le sondage exploratoire situé au nord de l’aire de fouille principale couvre une supericie de 2,50 m sur 1,20 m. Les résultats de la campagne 2014 sont enthousiasmants. Ils répondent à plusieurs questions et en soulèvent d’autres. Les découvertes seront détaillées en suivant la chaîne opératoire de la fabrication de la céramique à la poterie des Jésuites, ce qui permettra dans la foulée de comprendre l’organisation du site. Dans le secteur sud-ouest de l’aire de fouille, une zone (igure 4) a été excavée, très probablement dans l’objectif d’y retirer l’argile nécessaire au fonctionnement de l’atelier. Toujours sur la même igure, une zone (encerclée) pourrait aussi avoir servi de carrière d’argile. Toutefois, si dans le premier cas, le creusement est très clair, ce n’est pas le cas pour la deuxième zone. Les aires ou ateliers de préparation et travail de l’argile n’ont pas été identiiés ni au cours des fouilles réalisées en 2013, ni au cours des fouilles 2014. Des travaux futurs devront être entrepris pour mieux comprendre ces aspects de la fabrication de la Figure 4 Zones d’extraction d’argile Karapa, vol. 4, décembre 2015 46 Figure 5 Emplacements possibles de l’atelier de production des céramiques céramique à la poterie des Jésuites. Le secteur nord et ouest de la plateforme sur laquelle est sis le four de potier pourrait abriter d’autres bâtiments (igure 5). Il est possible que les alignements de pierres identiiés dans la section est de la tranchée exploratoire soient associés à un bâtiment, ce secteur devra faire l’objet d’une attention particulière lors de prochaines fouilles. Le rapport de la fouille de 2013 a beaucoup insisté sur la production de céramique à la poterie Bergrave (Coutet et Losier 2014). Il a été mentionné dans ce rapport une technique mixte de production alliant le montage au colombin et le façonnage au tour. Cette technique est peu connue pour l’époque coloniale et des analyses supplémentaires seront nécessaires pour déterminer si cette technique est spéciique à la Guyane ou si elle était pratiquée à diférents endroits dans l’aire circum-caraïbe. Cette méthode de production est particulièrement intéressante car elle suggère une chaîne opératoire permettant la division des tâches selon plusieurs groupes de travailleurs. De plus amples recherches devront être réalisées pour mieux documenter cette chaîne opératoire. En ce qui concerne les objets importés, comme au cours de la saison 2013, ils ont été presque absents des assemblages de 2014, seuls deux fragments de faïence avec un décor bleu ont été trouvés à l’extérieur du four de potier. Pour les autres objets importés, ou diférents des productions de la poterie des Jésuites, il s’agit d’une bouteille de verre vert foncé et d’un contenant de verre opaque blanc, trouvés dans les couches postérieures à l’abandon de l’atelier à la in du XVIIIe siècle ou au XIXe siècle. Il est diicile Karapa, vol. 4, décembre 2015 d’ainer les dates d’occupation du site en l’absence d’artefacts diagnostiques. L’aspect le plus intéressant des fouilles de 2014 est sans contredit le fait qu’une structure de chaufe mesurant 2,72m (N-S) sur un minimum de 1,58m (E-O) et dont l’intérieur est chemisé en briques a été identiiée (igure 6). Les briques étaient certainement utilisées à cause de leurs qualités thermiques qui permettent de bien conserver la chaleur à l’intérieur du four. Les mesures mentionnées plus tôt sont celles Figure 6 Vue du four 47 Figure 7 Relevés des parois du four Karapa, vol. 4, décembre 2015 48 de l’intérieur du four, les dimensions extérieures ne sont pas connues, car les limites de la structure n’ont pas été atteintes (igure 7). Selon les données recueillies durant la fouille, le toit de cette structure était très certainement recouvert de tuiles en céramique, à crochet ou non. En efet, un très grand nombre de ces tuiles a été découvert dans le remblai qui comblait le four. L’orientation des tuiles, positionnées à l’oblique, concorde avec l’interprétation qui veut que le toit se soit écroulé à l’intérieur du four. Toutefois, il est impossible pour le moment de déterminer quelle portion du four était destinée à recevoir le bois pour la chaufe et à quelle hauteur se situait le laboratoire. Il est aussi nécessaire de mentionner que les pierres de gros calibre recouvrant le four proviendraient du nettoyage du canal (bordant l’ouest du site) et elles suggèrent que cette activité a endommagé le four de potier dans son extrémité ouest. En comparaison avec le four du site de Petite poterie situé près du Marin en Martinique, le four de la poterie des Jésuites semble petit. Même si les murs faisaient 1 m d’épaisseur (ce qui est une estimation) le four guyanais serait beaucoup plus petit que son acolyte martiniquais, qui mesure 8,40m sur 7,80m (Ollivier 2012). Le plan de Dessingy montrant quatre bâtiments, il est raisonnable de suggérer que la poterie des Jésuites ait été pourvue de plus d’un four, comme c’est le cas dans plusieurs autres poteries coloniales (au Marin, par exemple). Des excavations supplémentaires seront nécessaires ain d’élucider cette question. Les fouilles réalisées à l’extérieur du four donnent aussi des informations concernant un possible réaménagement du four ou encore sur les séquences d’occupation de la poterie. En efet, une première couche d’occupation couvre le sol naturel, elle est identiiée par des tessons posés à plat et le sol semble avoir été piétiné (igure 8). En association avec ce lot, des pierres bordant le four ont été trouvées. L’importante accumulation de sol entre le sommet de ces pierres et une autre série de pierres présente au moins 20 cm plus haut est diicile à expliquer. Il est possible que cette accumulation de sol ait été causée par une modiication ou réparation réalisée sur le four, car de grandes quantités de matériaux de construction, du charbon et de la chaux ont été trouvées en association avec cette couche d’accumulation. La gestion des déchets de cuisson est toujours un enjeu pour les travailleurs d’une poterie. En efet, des problèmes de température et de pression peuvent mener au bris des pièces dans le four. Lorsque des Figure 8 Première couche d’occupation Karapa, vol. 4, décembre 2015 fournées sont ratées et que la majorité des objets présents dans le four se fracturent, un très grand nombre de tessons est produit. Souvent les ratés de cuisson sont disposés en tas autour du four, ces tas sont appelés tessonnières. C’est ce type de traitement des ratés de cuisson qui a été observé à la poterie Bergrave (Losier et Coutet 2013b). Dans le cas de la poterie des Jésuites, le traitement des déchets se faisait d’une toute autre manière. Efectivement, plutôt que d’entasser les tessons dans des monticules, il est probable qu’ils aient été utilisés pour niveler la partie nord-est de la terrasse sur laquelle le four a été trouvé. En efet, les sondages réalisés dans ce secteur au cours de l’été 2013 et les fouilles de 2014, notamment la fouille de la tranchée, nous ont permis de comprendre que le sol d’occupation d’aujourd’hui a été nivelé. De plus, le sondage exploratoire fouillé au nord du four a livré des indices qui permettent de poser l’hypothèse que l’ouverture du four se situait peut-être de ce côté. En efet, le mélange de tessons et de charbon permet de croire qu’il est possible que ce secteur fût utilisé par les ouvriers pour vider les cendres du four. Cet atelier était très certainement en activité au cours du XVIIIe siècle et opéré par les Jésuites. Lorsque la production des poteries était terminée, les objets reprenaient les chemins vers Loyola, Rémire ou Cayenne où la production pouvait être écoulée, probablement par le chemin d’accès identiié par Nathalie Croteau. Grâce à la campagne de fouille de 2014, nos connaissances de la poterie des Jésuites ont été étofées. Six étapes menant à la production d’objets de céramique ont été identiiées : l’extraction de l’argile, la préparation de l’argile et le façonnage des objets, la cuisson des céramiques, la gestion des déchets de cuisson et l’acheminement de la production vers les lieux d’utilisation des poteries. Jusqu’à présent, les fouilles de la poterie des Jésuites nous ont permis d’identiier cinq des lieux destinés à la réalisation de ces étapes de production. Seul l’atelier de production n’a pas été identiié, toutefois des hypothèses quant à sa localisation ont été posées. Selon ces dernières avancées, les prochaines fouilles à la poterie des Jésuites devront se concentrer sur deux secteurs : - L’est du four de potier dans l’objectif de mieux documenter la tessonnière, mais surtout d’investiKarapa, vol. 4, décembre 2015 guer l’aménagement de pierres situé dans l’est de la tranchée. - Il serait aussi important de poursuivre les fouilles au nord du four ain de vériier la présence d’une ouverture qui servait à remplir et à alimenter le four et aussi, ain de mieux comprendre l’accumulation de charbon identiier dans ce secteur. La fouille de ce secteur nous permettrait de mieux comprendre le four en ayant accès à son extérieur et peut-être de mieux comprendre les réaménagements dont il a été l’objet. bibliographie Coutet, Claude et Losier, Catherine 2014 Poterie des Jésuites. Rapport de fouille. Soumis au Service régional d’archéologie, Cayenne, Guyane, 22p. Croteau, Nathatie 2002 La Poterie des Jésuites, rapport de fouilles. DRAC-SRA, Cayenne. Le Roux Yannick, Réginald Auger et Nathalie Cazelles 2009 Les Jésuites et l’esclavage. Loyola, l’habitation des Jésuites de Rémire en Guyane française. Presses de l’Université du Québec, Québec, p.232-235. Losier, C. et Coutet, C. 2013a Habitation Quincy. Rapport de fouille programmée. Soumis au Service régional d’archéologie, Cayenne, Guyane, 32 p. 2013b Poterie Bergrave. Rapport de fouille programmée. Soumis au Service régional d’archéologie, Cayenne, Guyane, 43 p. Ollivier, David 2012 Petite poterie. Fouille de la poterie Delançon. Programme Collectif de Recherche Interrégional Poteries des îles françaises de l’Amérique Productions locales et importées, XVIIe-XIXe siècles, Sous la direction d’Henri Amouric, 54 p. Thibaudault, Pierre 1995 Échec de la démesure en Guyane, Autour de l'expédition de Kourou. Imprimerie Pairault, Lezay. 49 l’habiTaTion beauregard 1665-1890 nathalie cazelles, aïmara 50 L ’étude des archives permet de ixer la date de fondation de l’habitation Beauregard entre 1665 et 1674 par les sieurs Bardet et Bibault1. Dans l’inventaire des habitations de Goupy des Marets en 1689 on peut lire : « au fond de Rémire, la sucrerie de cy devant les sieurs Bibaud et Bardet et aujoud’hui de M. Lepigny, Sieur de la Haye, et occupé par le sieur de Givry comme économe, greier et notaire de l’Ile2 ». Après la mort de Bardet, l’habitation est afermée en association avec le sieur Gaudais en 1683. En 1689, l’habitation est mise en liquidation3. Le 22 avril 1692, le sieur Gaudais vend sa part au sieur Saint-Cirice. L’inventaire de 1707, nous indique que « Saint-Cirice et sa femme ont deux illes (en France), 13 nègres, 13 négresses, 6 négrillons et 2 négrittes et 8 invalides, en outre, ils ont un indien et 2 indiennes à leur service, 8 chevaux et 30 bêtes à cornes, 4 fusils et 2 armes blanches, ils font du sucre ». En 1722, la veuve Saint-Cirice vend l’habitation aux jésuites qui plantent des caféiers et des cacaoyers. A la in des années 1730, l’habitation prend la dénomination de Mont-Louis. Le 2 janvier 1764 l’ordre des jésuites est dissous par décret royal. Dans l’inventaire de 1764 sont mentionnés : deux grands bâtiments polyvalents – hangars, ateliers, résidence et 25 cases d’esclaves. Il semblerait que les jésuites aient partagé les productions entre les habitations de Loyola et Mont-Louis, à l’une le sucre, à l’autre le café et le cacao4. Les biens meubles et immeubles des pères sont saisis à titre conservatoire et coniés aux Prépaud (père et ils), fondés de pouvoir du Syndic de l’union des créanciers des jésuites5. Jacques-Sébastien Prépaud délègue ensuite ses pouvoirs à ses 1 ANOM, C14,f° 188, 1699. 2 Goupy des Marets, F°72, Bibliothèque de Rouen, Fonds Montbret, 1689. 3 Goupy des Marets, op. cit. 4 Le Roux, Auger, Cazelles, Les jésuites et l’esclavage, Loyola, Presse de l’Université du Québec, 2009, p.66. 5 ANOM, C14, 27 F°174. Karapa, vol. 4, décembre 2015 deux ils, Gaëtan et Joseph-Jacques. L’évaluation des biens permet d’estimer les habitations Mont-Louis et Trois Rivières à 64 500 livres6. En 1766, un inventaire indique deux corps de bâtiments sur l’habitation Mont-Louis7. Cette même année, l’ensemble Loyola - Mont-Louis est vendu aux frères Prépaud8. Vers 1775 Gaëtan Prépaud installe une sucrerie à Mont Louis fonctionnant grâce à un moulin à eau utilisant le ruisseau Bardet. Une nouvelle maison de maître est édiiée, portant le nom de Beauregard, du nom du château que le père de Gaëtan et Joseph possédait en France9. A la même période, les frères font creuser le canal Beauregard (ou Lacroix) pour permettre de relier leur habitation à la crique Cabassou et au canal de la crique fouillée10. Cependant les dettes accumulées par les frères sont telles, qu’en 1777, à la demande d’Anne Grima de Monaco, procuratrice de son ils après le décès de Jacques Sébastien Prépaud, l’intendant Malouët missionne deux économes de Saint-Domingue pour restaurer le domaine. Ils témoignent de l’état de délabrement de l’habitation : « l’habitation de Beauregard, telle qu’elle est actuellement avec 45 carrés en cannes, ne donnera pas cette année 70 barriques de sucre. Le régisseur que j’y ai mis en a planté tout à l’heure 40 autres carreaux. On y a fait un très beau moulin à eau et qui coûte fort cher, mais il n’y a pas d’eau pendant tout l’été11 ». 6 Archives des jésuites de France, Vanves, Papiers Quincerot. 7 ANOM, C14, 34-1766. 8 Bigot, L’habitation Loyola après le départ des jésuites : une lecture de l’occupation du sol à partir des archives historiques (1764-1938), Mémoire de maîtrise, Paris I, Sorbonne, 2004. 9 Archives nationales de Paris, CARAN, MC, étude XCVI, liasse 468, minute Doillot, Paris, 12 décembre 1772. 10 ANOM, 3 mi. B31 : archives Quincerot, étude Andelle, Paris, 19 décembre 1787, « acte de société entre M. Bajon et M. Le Roy ». 11 ANOM, serie E 341 bis, pièce 79, lettre Malouët, 14 nov. 1777. En 1787, l’habitation Beauregard, à laquelle est réunie celle de Mont-Louis, est vendue à Bertrand Bajon, ancien chirurgien major de l’isle de Cayenne, pensionnaire du roi12. En 1789, il crée une société pour gérer l’habitation avec les sieurs Le Roy La Brière et Rouhette13. La propriété porte sur 990 carrés plantée en cannes, en coton et cacao, avec vivres ; elle comporte des « bâtiments, moulins à eau pour cannes, sucrerie, purgerie, étuves, cases à bagasse, vinaigrerie, cases à maîtres, hôpital, cases à nègres et autres bâtiments quelconques » ; elle possède des « bœufs et vaches, chevaux, mulets et moutons et autre » ; elle fait travailler un atelier de 420 esclaves14. En 1793, un inventaire de l’habitation est établi à la suite du décès de l’administrateur de l’habitation M. Charles Félix Hérissay15: elle compte alors 345 esclaves, une maison de maître en bardeau à réparer, un bâtiment servant de cuisine, écurie et forge, une cuisine, un ancien moulin servant d’hôpital, un bâtiment de 40 pieds de long servant de chambre pour l’économe et de magasin pour le café, le cacao et le coton, une sucrerie avec deux équipages en fer, un bac à vesou, un rafraîchissoir en cuivre, une sécherie avec 296 formes à sucre, une étuve, une case à bagasse, une vinaigrerie avec deux chaudières montées, une petite maison pour M. Bajon, une poterie avec un four avec galeries tournantes, un bâtiment de 90 pieds de long couvert à neuf, des plantages en cannes, cotons et cafés. A partir du XIXe siècle, les connaissances sur l’habitation sont plus lacunaires dues à un manque de dépouillement des archives. Ce travail devra être poursuivi ultérieurement. Le travail d’Eugène Epailly permet toutefois de savoir qu’en 1843, lors de la visite de l’habitation par l’inspecteur des douanes, M. Itier, sont mentionnés deux équipages de quatre marmites ; qu’en 1847, l’habitation fait travailler 205 esclaves, fabrique du sucre et du cacao et que de nombreux esclaves sont à talent : sucrier, charpentier, maçon, charron, forgeron, pêcheur, chasseur, vacher ; qu’en 12 ANOM, 3 mi B 31, minute Doillot, Paris, acte de vente du 20 septembre 1787. 13 ANOM, 3 mi B 31, op. cit. 14 Richard, « L’habitation Beauregard (1787-1866) », in Huyghes-Belrose, Deux siècles d’esclavage en Guyane française, Ceger l’Harmattan, Paris, 1986, p.124-129. 15 ANOM, DPPC, GUY 176, Etude Rondeau, acte du 1er juin 1793. Document transmis par K. Sarge, Service Langue et Patrimoine, Région Guyane. Karapa, vol. 4, décembre 2015 1890, est fait mention d’une vente de taia de l’habitation Beauregard. démarche scienTifique En septembre 2014, le Service de l’Archéologie a missionné l’association AIMARA pour le relevé des vestiges de l’habitation Beauregard ain d’établir un état sanitaire. En efet, le site se situe dans une zone qui pourrait bientôt être soumise à la pression des aménageurs, puisque situé au cœur de la ville de Rémire. Dans les années 1980, le bas de la colline avait été aménagé pour un bidonville, qui a été rasé aujourd’hui. Actuellement le bas et le sommet de la colline sont utilisés par des agriculteurs (serres et abattis). Il devenait donc nécessaire d’établir un état sanitaire ain d’inclure les vestiges dans le PLU de la commune de Rémire-Montjoly, ainsi que dans la carte archéologique. Les bénévoles de l’association ont donc procédé au nettoyage de surface du site, puis à un relevé photographique des vestiges ainsi remis au jour. Des observations sur les techniques de construction ont été faites. Dans un deuxième temps, l’association a missionné des topographes ain d’insérer les vestiges dans le cadastre de la commune. Le passage du LIDAR sur la commune a permis de compléter les observations faites au cours de la prospection pédestre. vesTiges repérés Des polissoirs amérindiens ont été repérés sur le site au niveau du chemin pavé et du barrage hydraulique du XXe siècle (igure 1). Ils n’ont pas été relevés par les topographes. Figure 1 Polissoirs amérindiens, cliché N. Cazelles 2014 51 52 Sur la carte ancienne datant de 1868 on peut voir l’emplacement de la retenue d’eau et un ensemble important de bâtiments (igure 2). Cependant la prospection n’a pas permis d’identiier autant de structures, seul le barrage poids et deux bâtiments ont été clairement identiiés. La carte ne permet pas d’y associer les données archéologiques car les illustrés de la carte ne sont pas assez précis. Par ailleurs, l’un des bâtiments se situe sur la berge droite du criquot où aucun iguré n’est représenté sur la carte. Il sera nécessaire de poursuivre la recherche de cartes anciennes pour ainer le croisement des archives et des données de terrain. Figure 3 Le barrage poids, cliché N. Cazelles 2014 2) Un mur en briques de 0.80 m de large sur 17 m de long conservé a ensuite été construit pour constituer un barrage à l’eau du marécage. 19 assises sont visibles pour un gabarit de briques de 4 cm × 23 cm × 11 cm. Les briques sont agencées par rang, l’un sur la longueur, l’autre sur la largeur de la brique. Figure 2 Carte de 1868, cliché K. Sarge Selon les archives le barrage hydraulique aurait été construit vers 1775 par les frères Prépaud. Les vestiges visibles sont constitués par (igure 3): - Un mur barrage de plan en U encadrant une retenue d’eau, aujourd’hui un marécage reconnaissable à la forêt de mocou-mocou qui y a poussé. - Le barrage a été construit en 3 temps : 1) Les murs de côté, d’environ 9 m de long pour 0.63 m de large, construits en moellons de grison montés à sec. Ils sont constitués de 2 parements accolés, dont le parement ouest s’appuie contre la berme naturelle de la retenue d’eau. Le mur Est est visible sur 1 m de large, il semble allier des moellons de grison et des briques. La barre du U s’appuie contre les murs de côté. Karapa, vol. 4, décembre 2015 3) Un glacis de moellons de grison et de cuirasse ferralitique permettant de faire contrepoids à la pression de l’eau contre le mur de briques a dans un dernier temps été construit. Il mesure près de 1.60 m de hauteur pour une épaisseur d’environ 3 m. On observe 3 étapes dans la construction du glacis, ainsi qu’un aménagement d’une fenêtre permettant de canaliser l’eau pour alimenter la roue à eau située à environ 100 m plus bas, au pied de la colline. Le mur de briques est enchâssé dans le glacis de moellons. A : Le glacis de moellons recouvre toute la structure jusqu’au niveau supérieur du mur de briques (Figure 4). B : Une partie du glacis présente un retrait sur 30 cm d’épaisseur à l’ouest de la structure. Il permet d’observer la technique de construction du barrage poids : le mur de briques est enchâssé dans le glacis de pierre (igure 5). On peut supposer que le glacis à l’origine était moins épais, et qu’à un moment la pression de l’eau a afaiblit le barrage poids et a nécessité le renforcement du glacis à l’ouest. C : Le glacis est construit en briques et il est aménagé d’une fenêtre pour canaliser l’eau vers la roue permettant le broyage de la canne à sucre (igure 6). On observe que la fenêtre a été bouchée, peut-être peu après l’abandon du site. 53 Figure 4 Glacis de moellons Figure 5 Mur de briques enchâssé dans le glacis Figure 6 Fenêtre permettant l’évacuation de l’excédent de la retenue d’eau Karapa, vol. 4, décembre 2015 54 Figure 7 Zone arrachée du barrage poids Figure 8 Bassin aménagé dans le ruisseau On observe également deux zones où le barrage a été en partie détruit (igure 7). À l’ouest, le mur de briques et le glacis ont disparu. Aucun jambage n’est observé, ce qui ne permet pas de conclure à une ouverture volontaire. Cependant, la connexion entre la retenue d’eau et le ruisseau est pavée. A l’est, un fromager a endommagé le barrage et en a détruit une partie. Il ne permet pas d’observer la connexion entre le mur nord et le mur est. On observe dans le ruisseau un petit bassin aménagé (igure 8) : un mur en briques et en blocs de cuirasse ferralitique et en grison, barre le ruisseau. Un des Karapa, vol. 4, décembre 2015 côtés est également consolidé par un mur. Il n’est pas possible, dans l’état actuel de la recherche, de déterminer au cours de quelle période de l’occupation de l’habitation ce bassin a été aménagé. Il se situe à proximité du bâtiment avec véranda. Au pied de la colline les berges du ruisseau sont consolidées par un mur en moellons de grison. On observe également deux avancés des murs réduisant l’espace du ruisseau. On observe dans le paysage, à proximité de cet aménagement, la présence d’une butte très importante qui ne semble pas naturelle. On émet l’hypothèse que ces avancés marquent l’empla- 55 Figure 9 Emplacement supposé de la roue à eau.JPG Figure 10 Butte pouvant recouvrir les fours cement de la roue à eau ayant servi au broyage des cannes à sucre. La butte pourrait révéler la présence des fours. A ce stade de la recherche, seuls des sondages permettraient de conirmer ou d’inirmer cette hypothèse (igure 9 et 10). bâtiments ont été identiiés. Il est consolidé par une assise de moellons de grison sur 1,70 m de large. Un pont a été installé pour passer par-dessus un dénivelé important de la colline. Le chemin n’a pas été observé sur sa totalité. On observe dans le paysage deux chemins pavés : une partie de la colline est pavée entre la zone de la roue à eau (au pied de la colline) et le barrage poids. On le suit en partie mais il est recouvert par une zone importante de bambous. Au niveau du barrage, barrant le lanc est de la colline un chemin pavé est aménagé pour rejoindre une zone où des vestiges de À lanc de colline, relié par le chemin pavé qui part du barrage, on peut observer un ensemble de bâtiments (Figure 11). Un mur de plus de 60 m de long sur 1,80 m de large suit le dénivelé de la colline jusqu’à son pied. Il n’a pas été observé dans ses extrémités. Il est constitué d’un double parement en moellons de grison montés à sec. Dans l’axe du chemin, accolé Karapa, vol. 4, décembre 2015 amas de blocs et de moellons correspondant à des murs démontés. 56 Figure 11 Bâtiment à lanc de colline au parement est de ce mur de soutènement, on peut observer un bâtiment de 18 m de long sur 7 m de large. Il est organisé en terrasse : un emmarchement d’une trentaine de centimètres sépare un espace de 11 m de large d’un espace de 7 m de large. Ce dernier possède un seuil en briques. Dans le mur de soutènement, au niveau du bâtiment accolé, on observe probablement une fenêtre. En efet, on observe une ouverture dans le mur avec un jambage en blocs de cuirasse ferralitique. On émet l’hypothèse d’une fenêtre car dans le parement est du mur de soutènement le bas de l’ouverture est largement au-dessus du niveau du sol. Au pied de la colline, près du ruisseau on observe un bâtiment de 14 m de long par 12 m de large environ. Sur la façade Est on peut observer un espace de 7,40 m de large qui pourrait correspondre à une véranda. Entre le ruisseau et la zone humide, au pied de la colline, on observe de nombreux vestiges qui ne sont plus dans leur état initial, déplacés soit lorsque la zone était occupée par le bidonville, soit par les agriculteurs au moment de l’installation des serres. Plusieurs marmites à sucre de diamètre compris entre 1,50 m et 2,10 m. Elles sont à tenons, ce qui permet de les associer à la in du XVIIIe siècle. À Beauregard, on peut supposer le système de cuisson du sucre est resté traditionnel et n’a pas connu la révolution du tunnel de chaufe à l’anglaise, ce système nécessitant des marmites à rebord. Des rouleaux de broyage des cannes sont éparpillés sur le site. Ils sont anciens car creux : au XVIIIe siècle les rolles étaient des tronçons de tronc d’arbre renforcés par une armature en fonte. Au XIXe siècle, les rolles sont en fonte pleine. On observe au niveau des serres et de l’abattis accolé des Au début du XXe siècle la commune de Rémire a procédé à plusieurs aménagements pour alimenter la ville en eau potable. La rue permettant d’accéder à l’entrée du site s’appelle la rue du château d’eau. On observe dans le ruisseau, à proximité des avancées marquant peut-être l’emplacement de la roue à eau, un aménagement en béton permettant le passage d’un tuyau en fonte. On peut suivre ce dernier le long du chemin pavé qui monte vers le barrage poids. Au niveau du barrage poids, quatre plots en béton ont été aménagés pour recevoir le tuyau en fonte. On l’observe ensuite le long de la retenue d’eau jusqu’au pied de la colline suivante. Des bassins de retenue d’eau avec des installations de pompes peuvent être observés. Ils ont la même architecture que les bassins de retenue d’eau du Rorota. Près des bassins de retenue d’eau du XXe siècle on peut observer un petit pont dont une poutre en bois est encore en place. Il n’est pas possible dans l’état actuel des recherches de déterminer à quelle période ce petit pont a été construit. À lanc de la colline traversé par le chemin pavé reliant le barrage poids au mur de soutènement, au-dessus du chemin pavé, on peut observer les vestiges d’un logement précaire, probablement de type carbet. On peut observer un petit four de potier et plusieurs poteries de création originale alliant terre cuite et calebasse. Un vase de fabrication industrielle est surmonté d’une collerette en terre cuite rajoutée probablement par l’artiste installé sur le site16. On observe aussi un chandelier fabriqué avec des fers à béton. Autour du four de potier contemporain, on peut observer divers objets de fabrication industrielle : avion en plastique, mallette de maquillage, boîte à pâtes, vélo, etc. éTaT saniTaire Les vestiges à lanc de colline : bâtiments, bassin, barrage poids, bassins de retenue d’eau du XXe siècle sont des éléments importants du patrimoine de la Guyane. À ce jour, seule les habitations Loyola et RN3 Poncel ont fait l’objet d’une investigation archéologique importante et sérieuse pour la connais16 Mes remerciements à Matthieu Hildebrand de l’Inrap pour son avis d’expert. Karapa, vol. 4, décembre 2015 sance des habitations de la 1ère période coloniale (XVIIe-XVIIIe siècle). Beauregard permettrait donc d’avoir un deuxième témoignage sur cette période. Cette habitation est d’autant plus importante qu’elle a récupéré l’atelier d’esclaves de Loyola après le départ des jésuites et qu’elle a fonctionné jusqu’à la in du XIXe siècle. Pour le moment, seules les habitations en terre basse pour la période du XIXe siècle ont été étudiées. L’étude approfondie de Beauregard permettrait donc d’avoir l’exemple d’une habitation qui a fonctionné après l’abolition de l’esclavage dans l’île de Cayenne. Le barrage poids est à ce jour l’unique vestige de ce type d’ouvrage en Guyane. Sa conservation et son étude sont donc indispensables. Pour le moment, la nature le protège mais la pousse des arbres le condamne à disparaître à long terme. Il mériterait d’être inscrit sur la liste du Patrimoine. Pour le moment les vestiges du début du XXe siècle ne font l’objet d’aucun intérêt scientiique, mais à long terme ils le seront d’autant plus que leur emplacement s’est efacé des mémoires. Il serait nécessaire de les topographier pour les protéger en cas de pression de la part des aménageurs. Toute la zone industrielle, située dans la partie basse du site a déjà été très largement détruite. En témoigne les nombreux amas de moellons de grison, de cuirasse ferralitique et de briques. Il serait indispensable de pratiquer des sondages dans la butte ain de déterminer si elle recèle les vestiges des fours de la sucrerie. Elle est actuellement mise en danger par l’extension de l’abattis et des serres. Une intervention rapide semble indispensable avant sa destruction à l’image des autres bâtiments de la zone. bibliographie Le Roux, Yannick, Auger, Réginald, Cazelles Nathalie 2009 Les jésuites et l’esclavage, Loyola, une habitation à Rémire, Presse de l’Université du Québec, 2009. Épailly Eugène 2009 Beauregard, une habitation sucrière et ses esclaves dans la colonie de Guyane (1775-1891), Cayenne. Richard 1986 « L’habitation Beauregard (1787-1866) », in Huyghes-Belrose (V.), Deux siècles d’esclavage en Guyane française, Ceger l’Harmattan, Paris, p.124-129. Bigot, Viviane Karapa, vol. 4, décembre 2015 2004 L’habitation Loyola après le départ des jésuites : une lecture de l’occupation du sol à partir des archives historiques (1764-1938), Mémoire de maîtrise, Paris I, Sorbonne, 2004. sources ANOM, C14, f° 188, 1699. Goupy des Marets, F°72, Bibliothèque de Rouen, Fonds Montbret, 1689. ANOM, C14, 27, f°174. Archives des jésuites de France, Vanves, Papiers Quincerot. ANOM, C14, 34-1766. Archives nationales de Paris, CARAN, MC, étude XCVI, liasse 468, minute Doillot, Paris, 12 décembre 1772. ANOM, 3 mi. B31 : archives Quincerot, étude Andelle, Paris, 19 décembre 1787, « acte de société entre M. Bajon et M. Le Roy ». ANOM, serie E 341 bis, pièce 79, lettre Malouët, 14 nov. 1777. ANOM, 3 mi B 31, minute Doillot, Paris, acte de vente du 20 septembre 1787. 57 la « résidence » du gouverneur monTravel à monTjoly michael mestre, inrap 58 L ’Inrap a réalisé en 2014 un diagnostic archéologique dans le cadre d’un projet d’aménagement de la colline de Montravel, à Rémire Montjoly. Il a permis, entre autres, d’évaluer l’état de conservation des vestiges de la résidence du gouverneur Tardy de Montravel et de réaliser la première étude approfondie de son histoire. Le présent article recense les principales informations et hypothèses tirées de cette étude, qu’une fouille d’une partie du site avec de nouvelles recherches documentaires pourraient prochainement enrichir. l’origine du projeT : le domaine de monTjoly sous l’adminisTraTion péniTenTiaire Au XVIIIe siècle, la colline de Montravel porte le nom de Mont-Joli comme en atteste la production cartographique de cette période (igure 1). Elle est située à l’intérieur d’un vaste domaine foncier qui appartient d’abord à M. de Chassy puis, à partir de 1773, au Baron de Bessner associé au marquis de Caulincourt. L’habitation coloniale de Mont-Joli est ensuite léguée à la colonie en 1826 sous le règne de Charles X. Le lieu est alors consacré à l’élevage et on y crée un haras, appelé « haras du roi ». Fig.ure 1 Vue générale de l’anse et de la colline de Montravel Karapa, vol. 4, décembre 2015 Le 17 mai 1855, la propriété domaniale de Montjoly est mise à la disposition du service pénitentiaire sous l’administration du gouverneur Bonard. Un détachement de travailleurs immigrants s’attelle au « savanage » des terrains pour recevoir du bétail. L’administration souhaite concentrer, sur les terres du domaine, les animaux de trait, de boucherie ou de reproduction. « Vingt hommes et un commandeur seront désignés, parmi les immigrants de Baduel, pour aller à Montjoly, s’occuper de faire des traces dans les bois, ain de faciliter la circulation des bestiaux attendus. Cet atelier devra, en outre, procéder à l’arrachement des broussailles et mauvaises herbes qui encombrent les pâturages de Montjoly. Ces hommes seront dirigés le plus tôt possible sur cet établissement et munis de tout ce qui est nécessaire pour leur couchage, leur nourriture et leur travail. Un homme spécial sera désigné pour diriger le travail » (Bulletin oiciel de la Guyane française 1856 : 565). Le 10 mars 1856, la transportation décide inalement de créer un dépôt d’internement à Montjoly (Bulletin oiciel de la Guyane française 1857 : 305). Le gouverneur Baudin souhaite y établir des ressources de travail pour les libérés non astreints à résider en Guyane, mais qui désireraient rester dans le pays. Les libérés admis à travailler sur le domaine de Montjoly doivent contracter un engagement de cinq années avec l’État. Le salaire est ixé par tâche ou journée de travail de huit heures à 0,80 centimes. Néanmoins, la discipline sur l’établissement reste très stricte et soumise à de nombreux impératifs pour les libérés, bien que le règlement intérieur de Montjoly soit très difèrent de celui d’un pénitencier classique. Quelques années plus tard, en 1859, Louis-Marie-François Tardy de Montravel est nommé 41ème gouverneur de la Guyane. Ce personnage entretient de longue date une relation privilégiée avec le pays. Entre 1842 et 1845, il est afecté à la station du Brésil en tant que commandant du brick-canonnière la Boulonnaise. Il efectue à son bord le relevé hydrographique de la côte nord du Brésil et de la Guyane. En 1843, il épouse à Cayenne une créole prénommée Herminie Albert, une petite ille de Victor Hugues un ancien gouverneur de la Guyane française. Sous son administration, Montravel cherche à son tour à développer le domaine de Montjoly grâce à la main d’œuvre de la transportation. Le gouverneur engage plusieurs actions : culture du tabac et du mûrier (vers à soie) ; assèchement des marais ; création et entretien d’infrastructures domestiques et routières. Le 28 juin 1861, il fait part au ministre de sa volonté de « construire une « maison de convalescence » au bord de la mer pour les fonctionnaires et le gouverneur lui-même ». « [...] L’insalubrité du territoire de Montjoli disparaît à mesure que les travaux de dessèchement se complètent et je ne doute pas qu’elle fasse place dans un avenir prochain à une salubrité satisfaisante. Aussi ai-je pensé que comme annexe à cet établissement une maison construite au bord de la mer avec les matériaux et bras de la transportation servirait utilement de lieu de repos et de convalescence pour les fonctionnaires et le gouverneur lui-même qui ne jouissent pas dans cette colonie comme dans les autres de l’avantage précieux d’un local où ils puissent au besoin se reposer de la grande pratique des afaires. La dépense du reste en sera inappréciable aussi bien que celle des cases et des hangars projetés » (Tardy de Montravel 1861 : n° 467). À cette date, le gouverneur entre dans son projet avec coniance. Il est persuadé de parvenir à résorber rapidement l’insalubrité du site de Montjoly en asséchant peu à peu les marécages. Par ailleurs, le coût global du projet paraît insigniiant. Les divers matériaux de construction (bois, pierre, remblai) doivent être pris en divers endroits du domaine et Montravel compte s’appuyer sur la force de travail des nombreux libérés ou des quelques transportés logés sur l’établissement dont l’efectif totalise 250 hommes en juin 1861. « J’ai l’honneur d’adresser à son Excellence le plan détaillé du dépôt d’internement de Montjoli avec indication des travaux terminés et de ceux à exécuter. Le besoin de concentrer à portée du Chef-lieu, les Karapa, vol. 4, décembre 2015 transportés de toute catégorie destinés à renter en France ou à être dirigés sur un point quelconque de la colonie m’a conduit à développer cet établissement dont le principal but était de recevoir à l’engrais le bétail d’exportation à l’époque où l’Administration tenait la boucherie en régie. J’ai donc dû en raison de l’accroissement rapide du nombre des libérés pour préparer à l’avance des logements capables de les recevoir et constituer sur ce lieu un établissement régulier qui ne fut pas à proprement parler un pénitencier et qui cependant, dût être soumis à un régime disciplinaire qui donnât aux habitants du quartier toutes garanties de sûreté. Son administration a été coniée à un oicier du commissariat, enfant de la colonie très au fait des cultures locales et de tous les travaux économiques d’une habitation. Sous son habile direction et sous la surveillance d’une brigade de gendarmerie, le dépôt de Montjoli renferme aujourd’hui 250 libérés logés dans six cases élevées de 2 mètres au-dessus du sol et rangées autour d’une église qui s’est élevée comme par enchantement ; les employés et leur famille y occupent des logements vastes et salubres dans des bâtiments construits avec des matériaux pris sur les lieux et par les libérés eux-mêmes. Aujourd’hui que les libérés de la 1ère section deviennent plus rares et qu’au contraire ceux de la 2ème section deviendront chaque jour plus nombreux, les seuls travaux à exécuter plus tard en vue du dépôt proprement dit se borneront à l’entretien de cases semblables à celles qui existent et au fur et à mesure de l’augmentation des libérés qui ne pourront trouver à s’employer dans un quartier. Le succès de nos essais de culture du tabac et du mûrier sur le terrain de Montjoli me fait espérer que nous emploierons utilement les libérés à ces exploitations et dans cette vue j’ai ordonné que des hangars fermés fussent élevés avec cette destination et cette appropriation » (Tardy de Montravel 1861 : n° 467). Le 9 août 1861, Montravel considère que l’importance de Montjoly augmente tous les jours, surtout par suite de la création de deux ateliers de transportés, l’un à Rémire, l’autre au Diamant. En conséquence, il décide de donner une plus grande ampleur à l’établissement en créant une pharmacie et une inirmerie de dix lits, dont la surveillance est coniée à un chirurgien résidant sur l’établissement, ainsi que cela se pratique dans tous les autres pénitenciers (Bulletin oiciel de la Guyane française 1862 : 307). Cependant, le rapport d’inspection du mois 59 60 d’août 1861 dresse la liste exhaustive de l’ensemble des travaux réalisés par l’efectif de Montjoly dans laquelle n’apparaît pas encore le projet de « maison de convalescence » du Gouverneur. « À Montjoly on s’occupe de la route qui conduit de l’établissement proprement dit à la maison de convalescence qui doit être établie en bord de mer » (Chaudière 1861 : n° 18). « À Montjoly on a fait diférents travaux d’installation aux bâtiments existants. On a refait la portion de route qui va rejoindre celle du Diamant. Cette portion a 85 mètres de long sur 6 mètres de large avec fossés de 0,60 de largeur sur 0,40 de profondeur. On a également nettoyé l’avenue qui mène de l’établissement à la grande route. Les travaux de culture ont consisté en abattage de 6 hectares de gros bois, en sarclage, labourage et semis de 50 ares de sorgho, en entretien des plantations de mûriers et de tabac, en récolte de 326 kg de patates et de 50 000 kg d’herbe pour la nourriture des animaux. On a également récolté 400 kg de légumes qui ont été distribués aux transportés en amélioration de leur nourriture » (Chaudière 1861 : n° 17). Les remblaiements de la route sont très activement poursuivis dans le courant du mois d’octobre 1861 à la faveur de la saison sèche. Il faut attendre le mois de septembre 1861 pour voir débuter les travaux concernant « la maison de convalescence ». Le rapport mensuel sur la situation des établissements pénitentiaires signale que l’on s’afaire autour de la route d’accès menant jusqu’au site choisi par Montravel. « À Montjoly on a continué les travaux de la route de maison de convalescence. Il en a été fait une étendue de 100 mètres de long sur 8 de large avec 1 m de remblai » (Chaudière 1861 : n° 19). Le procès verbal d’arpentage du 16 novembre 1861 exécuté par Louvrier Saint-Mary donne des informations plus précises sur l’état d’avancement du projet. À cette date, la voie d’accès n’est pas encore terminée, mais les tranchées de fondations de la maison de convalescence semblent aménagées, ce qui induit que le long mur de maintien de la plateforme est vraisemblablement déjà achevé. L’arpenteur évoque une fondation pour une maison de 21,40 mètres de longueur sur 11,40 mètres de largeur. La superposition du plan de bornage du XIXe siècle et des données géographiques actuelles, permet de relier l’emplacement de cette « fondation » avec le terrain où s’est déroulée l’intervention archéologique (igure 2). Figure 2 Extrait du plan d’arpentage réalisé par Louvrier Ste Mary en 1861 où l on voit le chemin neuf avec la fondation de la maison. Karapa, vol. 4, décembre 2015 « […] L’an mil huit cent soixante-un et le vingt-un du mois d’octobre, nous soussigné Louvrier Saint-Mary, arpenteur juré du gouvernement et du civil, avons été mis à la disposition de monsieur Chaudière, directeur par intérim des établissements pénitentiaires de la Guyane française, par une lettre de monsieur le directeur de l’Intérieur du 19 octobre courant mois et d’après les instructions données à monsieur Douillard, directeur du dépôt d’internement à Mont-Joli, qui nous les a communiquées, en conséquence, nous nous sommes transporté ce jour sur ce domaine colonial situé dans le quartier de l’île de Cayenne[…]. Le 16 [novembre], accompagné du directeur, nous nous sommes transportés à un point de la route qui conduit à la mer et au chemin neuf pratiqué sur le lanc de la montagne de Mont-Joli. […] Ce nouveau chemin va joindre au pied de la montagne celui en cours d’exécution sur le lanc de ladite montagne. Il mesure 170 m de longueur […]. De ce dernier point qui se trouve sur l’axe du chemin sur la montagne, nous avons levé géométriquement ce dit chemin et nos diverses opérations jusqu’à une fondation sur laquelle doit être édiiée une maison qui aura 21,40 m de longueur sur 11,40 m de largeur, ont donné le tracé iguré sur notre plan » (Louvrier St Mary 1861-62). Le rapport mensuel du mois de décembre 1861 mentionne pour Montjoly l’achèvement de la construction d’un aqueduc, et le début des maçonneries des fondations à la maison de convalescence. Le chantier progresse rapidement puisque l’on commence à assembler la charpente sur le bâtiment au mois de mars 1862. Celle-ci est déinitivement montée dans le courant du mois d’avril 1862. « Au dépôt d’internement de Montjoly, on a terminé de monter la charpente de la maison de convalescence et commencé la maçonnerie d’un bâtiment destiné à servir de prison » (Chaudière 1862 : n° 5). Le rapport mensuel du mois de juin 1862 témoigne encore de la poursuite efective du chantier à cette date. « Au dépôt d’internement de Montjoly, on a terminé le bâtiment destiné à servir de prison, et on a continué les travaux de la maison de convalescence » (Chaudière 1862 : n° 7). Karapa, vol. 4, décembre 2015 le projeT archiTecTural : les TerrassemenTs, la plaTeforme eT la voie d’accès Le modèle numérique de terrain obtenu par l’imagerie lidar permet de mieux juger de la somme des travaux engagés par l’administration pénitentiaire pour créer cette « maison ».Une voie d’accès et une plate-forme sont aménagées en déblai-remblai. La voie d’accès permet de relier le site au domaine de Montjoly dont les terres se trouvent au sud-ouest de la colline. La plate-forme se trouve placée à mi-pente sur le lanc sud-est du morne qui culmine à près de 50 mètres. Elle est idéalement exposée aux vents alizés de nord-est qui soulent durant la plus grande partie de l’année en Guyane. Le relief initial de la colline est modiié pour asseoir les constructions sur un plan parfaitement horizontal entre 25 m et 26 m NGG. Selon le rapport d’étude géotechnique, l’épaisseur des remblais est très variable, quasiment absent au pied du talus amont, leur épaisseur croît vers l’aval pour atteindre 5 à 7 m au droit de la voie d’accès (Rostan 2013 : 8). La supericie totale de la plate-forme est égale à environ 3000 m². Un mur de soutènement, en moellons de pierres sèches taillées, placé au nord-est et au sud-est, permet de retenir les milliers de mètres cubes de terres déplacées. Au nord-est, ce mur mesure entre 1,5 m et 2 m de hauteur pour environ 56 m de longueur. Au sud-est, il est encore visible sur une distance de 8 m, mais le recouvrement par la végétation et les sédiments semble encore occulter une grande partie de la muraille (igure 3). Le remblai supérieur est composé du matériau de construction de mauvaise qualité (brique fracturée ou surcuite) liée par une matrice limoneuse ocre provenant de l’encaissant naturel ain de faciliter le drainage supericiel des eaux pluviales autour des bâtiments. Selon l’étude géotechnique, un ouvrage très peu profond se trouve aussi aménagé sous la voie d’accès : « il s’agit d’une galerie étroite maçonnée en pierres sèches avec une voûte de belle apparence et dont les parois se trouvent enduites à l’intérieur, attribuables à un ouvrage de captage d’eau potable avec également sans doute un rôle de citerne. Cet ouvrage est très peu profond sous la surface de la voie et se trouve en partie afaissé à son extrémité nord (non maçonné ?) au-delà de la voie, cet afaissement se traduit par une petite dépression dans la topographie en pied de talus » (Rostan 2013 : 8). Il est probable que cet ouvrage corresponde au tracé de l’aqueduc mentionné en décembre 1861 (igure 4). Par ailleurs, l’imagerie lidar a permis de 61 les consTrucTions : la maison principale, les communs, une sTrucTure d’agrémenT ? 62 Fig.ure 3 Vue du mur de terrasse au sud-ouest La disposition des sondages archéologiques permet de mieux préciser le plan des vestiges conservés sur la plate-forme. Il s’agit de deux constructions distinctes : une maison principale et des communs. La maison principale occupe l’espace central de la terrasse artiicielle. Au contraire, les communs sont disposés à l’ouest, dans un léger redan de la colline taillé par l’homme, en retrait, de façon à occulter le bâtiment pour le visiteur qui arrive sur le site par le chemin d’accès principal. Les façades nord-est des deux bâtiments s’alignent parfaitement avec le long mur de terrasse. Un escalier ou une rampe permettait probablement d’accéder à la plage qui se trouve au pied de la colline en suivant le dénivelé naturel. Le cheminement était semble-t-il bordé par des constructions d’agréments (igure 6). Figure 4 Galerie voûtée traversant la voie d’accés (aqueduc?) repérer une anomalie située en bas de pente au sud de la plate-forme à une altitude légèrement inférieure à 10 m NGG. La prospection de terrain a permis de conirmer la présence d’une large excavation de forme carrée dans le substratum rocheux qui semble inachevée. La fosse mesure entre 4 à 5 m de diamètre pour environ 3 m de profondeur. Il pourrait s’agir d’une carrière d’extraction, d’une citerne, ou d’un puits. Cette structure qui se trouve en milieu boisé n’a pas pu être étudiée pour des raisons d’accessibilité et de sécurité. Le lidar permet également de visualiser deux carrières d’extraction de latérite qui se trouve un peu avant le sommet de la colline (communication personnelle: Rostan P.). Elles sont probablement contemporaines des travaux commandés par Montravel. Il n’est pas à exclure que d’autres aménagements inédits soient encore masqués par la végétation ou les sédiments (igure 5). Karapa, vol. 4, décembre 2015 Figure 5 Superposition de l’image lidar et des travaux archéologiques 63 Figure 6 Plan général des vestiges de la maison de convalescence la maison principale Le bâtiment mesure environ 21,68 m de longueur pour 11,81 m de largeur. Ces chifres correspondent approximativement aux dimensions données par Louvrier St-Mary en 1861. À cette époque, l’arpenteur décrivait une fondation de 21,4 m de longueur pour 11,4 m de largeur. D’après nos observations, la surface totale habitable au rez-de-chaussée est égale à environ 253 m². Il s’agit d’un projet de logement conçu par l’administration pénitentiaire destiné à des fonctionnaires comme l’a spéciié Montravel dans sa lettre au ministre daté du 28 juin 1861. Son plan relète donc les conceptions architecturales qui sont appliquées en Guyane à cette période, notamment Karapa, vol. 4, décembre 2015 avec la construction de la ville de Saint-Laurent-duMaroni qui débute au mois de février 1858. L’étude d’une maison destinée à un haut-fonctionnaire de l’administration pénitentiaire à la même période, permet donc de mieux comprendre le plan d’ensemble mis au jour lors du diagnostic archéologique. À ce titre, le logement du médecin major à SaintLaurent du Maroni, qui existe toujours place de la république, nous paraît être un exemple particulièrement signiicatif. Cette maison reste encore le dernier témoin du mode de construction des années 1860-1880 (Mallé 2009 : 54). Il semble que 64 le plan avait été dressé par le conducteur de travaux Dufournel. Celui-ci comprend une maison principale à étage et des servitudes indépendantes. Le rez-de-chaussée est composé par deux escaliers en façade, une galerie tournante « fermée » qui circonscrit deux pièces centrales de supericie équivalente (salle à manger et salon). L’étage s’organise sur le même principe et comprend deux chambres avec une galerie périphérique « fermée ». Les communs sont compartimentés en quatre espaces : les toilettes, la salle de bain, la maison du domestique et la cuisine. Au même titre, l’ensemble bâti découvert sur le site de Montravel, paraît être le relet des conceptions architecturales des années 1860-1880 qui privilégiaient les constructions en bois et pans de bois pour certains édiices (Mallé 2009 : 52). De plus, les bâtiments à un étage étaient rares au XIXe siècle et réservés aux fonctionnaires les plus gradés (Mallé 2009 : 49). L’état de conservation général des vestiges découverts à Montravel est bon. La lecture du plan apparaît claire. On y retrouve une large « galerie tournante » ou véranda destinée à abriter les murs du soleil et de la pluie (igure 7). Un mur de refend vient diviser la partie centrale du bâtiment en deux parties égales distinctes qui correspondent aux pièces à vivre (salon et salle à manger). Deux porches d’entrées sont disposés à l’avant des murs gouttereaux au nord-est et au sud-est en position centrale. Une ouverture semble avoir été aménagée sur le côté sud-est du bâtiment. L’étage devait comporter les pièces à dormir. Les sondages archéologiques réalisés au pied-droit des murs montrent une conservation des vestiges sur une hauteur maximale de 0,6 m, à l’exception de l’angle nord-ouest du bâtiment principal qui n’est plus matérialisé que par la base de la semelle de fondation. Tous les éléments de maçonnerie sont liés par du mortier de chaux blanchâtre (igure 8). Cependant, les angles du bâtiment principal ne sont pas chaînés. À chacune des extrémités, les murs viennent en appui contre des dés de construction d’environ 0,45 cm de côté, taillés dans la latérite et disposés en renfort. Il faut également noter que dans les années 1950, M. Masse a ramassé sur le site quatre chapiteaux monumentaux sculptés dans la latérite. Ces chapiteaux sont toujours exposés au musée Franconie de Cayenne. Ils sont lanqués de « volutes doriques » avec des igurations d’ancres marines placées dans leur centre. Ce dernier symbole est probablement une référence directe à la carrière de contre-amiral et d’explora- Karapa, vol. 4, décembre 2015 Figure 7 Vue d’une partie de l’angle sud-est de la maison de convalescence Figure 8 Vue du bâtiment principal sur la largeur teur du gouverneur Montravel. Il est vraisemblable que le projet initial prévoyait des porches d’entrées munis de colonnes surmontées par ces chapiteaux (igure 9). Cependant, aucun reste de fût, de tambour ou de base taillée n’a été découvert sur le site lors de cette opération. Nous constatons également l’absence notoire d’éléments architecturaux pour les élévations ou la couverture, mais le recours à des matériaux putrescibles aujourd’hui disparus peut expliquer cet état. Par ailleurs, l’absence de couche ou de mobilier archéologique semble traduire que le site n’a jamais été occupé ou bien que la parcelle a été extrêmement bien nettoyée lors de la phase d’abandon. La thèse du démontage du bâtiment et du réemploi des matériaux 65 Figure 10 Salle de bain et cabinets d’aisance Figure 9 Chapiteau sculpté découvert sur le site de Montravel sur un autre site par l’administration pénitentiaire semble aujourd’hui la thèse la plus probable. les communs La partie des communs (ou servitudes) est indépendante de la maison principale. Le bâtiment mesure environ 20 m de longueur pour 5 m de largeur. Il semble que cette construction découverte sur le site de Montravel soit organisée sur le même principe que les servitudes de la maison du médecin major à Saint-Laurent, avec plusieurs pièces en enilade qui se déclinent de la façon suivante : water-closets ; salle de bain ; chambres des domestiques ; cuisine. Un sondage réalisé à la base du mur nord-est montre une hauteur conservée de 0,7 m. La tranchée de fondation est nettement visible en coupe. Un élargissement en fenêtre réalisé à l’extrémité sud-ouest du bâtiment, a permis de découvrir deux cabinets d’aisance « placés sous le vent » de nord-est ain de ne pas incommoder (igure 10). La fouille exécutée dans ce secteur montre quelques briques non jointives posées au contact d’un sol limoneux. Le travail apparaît ici inachevé d’autant que les briques sont disposées parfois en quinconce ou en colonnes. Cette partie du bâtiment correspond probablement à la salle de bains. On peut également observer dès la surface du sol une zone pavée dans la partie médiane du bâtiment. Cet ensemble qui mesure environ 5 m, est circonscrit au sud-est par un alignement de briques inclinées sur la tranche. Nous n’avons pas réalisé de sondage dans cette zone ain de ne pas fragiliser la structure. Nous avons réalisé deux sondages supplémentaires pour retrouver les limites du bâtiment. La croissance des arbres a fortement fragilisé toute la partie nord-est de l’ensemble au niveau du mûr pignon. Il faut noter que nous n’avons pas retrouvé la façade sud-est du bâtiment dans la tranchée de diagnostic. une sTrucTure d’agrémenT ? D’autres vestiges à l’entour, plus inattendus, ont pu être mis en évidence. Ils témoignent vraisemblablement d’une rélexion paysagère par le concepteur du projet. Une structure en forme de coquillage renversée semble venir agrémenter le cheminement pour le promeneur entre la terrasse artiicielle et le site naturel. L’ensemble mesure 7,5 m de long pour 7 m de large. La structure évoque un projet de bassin Figure 11 Structure d’agrément Karapa, vol. 4, décembre 2015 ou de fontaine probablement inachevé surtout si l’on considère l’absence d’alimentation en eau et le mode de construction en pierres sèches (igure 11). 66 un projeT inachevé : le pari perdu de monTravel sur l’assainissemenT de monTjoly ? Au mois de novembre 1861, l’arpenteur Louvrier St-Mary témoigne déjà des grandes avancées du projet de Montravel. Par ailleurs, la charpente sur la « maison de convalescence » est déclarée montée dès le mois d’avril 1862 et les travaux sur le bâtiment continuent d’opérer pendant tout le mois de juin 1862. Cependant, il apparaît que la poursuite des travaux de dessèchement visant à assainir l’immense territoire du domaine, n’ont pas du tout l’efet escompté au cours de l’année 1862. L’administration de Montravel a pourtant nommé spéciiquement sur ce point un médecin comme directeur provisoire le 15 janvier 1862 (Bulletin oiciel de la Guyane française 1863 : 55). Il s’agit de Jacques-Thomas Livrand, chirurgien auxiliaire de 3e classe de la marine, déjà chargé du service de santé à Montjoly. Ainsi, Montravel rend compte d’une situation sanitaire très préoccupante au mois de septembre 1863 qui l’oblige à prendre des mesures radicales en faveur des libérés. Le gouverneur décrit même Montjoly, comme un lieu « insalubre et dangereux ». « C‘est ici le cas d’éclairer le Département sur la présence à Montjoly d’une aussi grande proportion de libérés de la 1ère section, c'est-à-dire astreints à résidence et je ne doute pas que votre Excellence en approuve les motifs. À sa création, cet établissement a été destiné à recevoir en attendant l’occasion de leur départ pour France, les libérés de la 2ème section et bientôt il reçut en même temps ceux de la 1ère. À chacune de mes visites, je soufrais de voir des hommes qui ayant atteint leur libération sur des pénitenciers salubres, étaient arrivés à Montjoly bien portants et se présentaient à moi valétudinaires et afaiblis par les ièvres qu’ils y avaient entachées. Leurs plaintes devenues plus vives dans le courant de l’année dernière qu’aucune occasion ne se présentent pendant les 6 derniers mois, me semblèrent assez fondées pour être prises en considération. Je pensai que si les circonstances prolongeaient si longtemps leur séjour à la Guyane, il était, du devoir de l’administration de ne pas en aggraver le poids en les Karapa, vol. 4, décembre 2015 maintenant dans un lieu insalubre et dangereux et je décidais qu’à l’avenir l’Île du Diable libre désormais de transportés politiques, servirait de dépôt aux libérés de la 2ème section qui ne peut pas rester dans la Colonie. Cette mesure d’humanité porte ses fruits, et nous ne voyons plus des hommes, jouissant naguère d’une bonne santé, s’embarquer valétudinaires par le seul fait d’un long séjour à Montjoly. Nous ne comptons donc plus à Montjoly que des libérés de la 1ère section et quelques-uns de la 2ème qui désirant rester dans la Colonie, attendent une occasion de se placer : le chifre de ce personnel est en moyenne de 200 à 250 hommes, nombre nécessaire aux travaux sur les routes en rectiication, la route stratégique d’un côté et celle de Montjoly au dégrad de Cannes de l’autre, et aux besoins de l’établissement. Dès que cette moyenne est atteinte, le trop-plein est dirigé sur le Maroni et réparti entre Saint-Pierre et Saint-Jean selon les aspirations de chacun. Que ces libérés soient ici ou là, les charges de l’état sont les mêmes puisqu’il ne leur est payé de salaires qu’en raison du travail qu’ils lui donnent » (Montravel 1863 : n° 551). Le 6 juin 1863, le père Jardinier témoigne de la grande précarité sanitaire des hommes de Montjoly qui sont alors déplacés en convalescence au centre des libérés à Saint-Jean du Maroni. « […] Il n’y en avait que 28 au chantier : les autres sont à l’hôpital ou à l’ambulance au nombre de presque 30. Ils s’y font conduire pour raison vraie ou fausse, excepté ceux qui sortent de Montjoli. Là je ne les ai vu qu’une fois. Leur esprit à l’hôpital, me dit le P. Viars est pire encore qu’au grand bois : ils sont une croix pour tout le monde pour les sœurs surtout. Voilà donc où aboutissent nos soins ! Des hommes qui sont pires en sortant de nos mains qu’en y entrant! » (Jardinier 1863 : lettre manuscrite). Le 16 octobre 1863, Montravel adresse au ministre un compte-rendu du rapport médical du troisième trimestre 1863 relatif aux établissements pénitentiaires. À cette période, si la situation sanitaire apparaît légèrement meilleure à Montjoly, elle n’a toujours pas atteint le seuil de salubrité satisfaisante escompté par Montravel. Un désaccord profond existe entre le gouverneur et le médecin général de la transportation. Pour sa part, le corps médical estime que l’éloignement des transportés du site de Montjoly a joué au bénéice de la santé des hommes. Au contraire, Montravel airme que les progrès sanitaires résultent seulement de la poursuite des grands travaux d’assainissement. « J’ai l’honneur d’adresser ci-inclus, à votre excellence, le rapport médical de M. le médecin en chef pour le 3ème trimestre de cette année en lui soumettant quelques observations légères qui m’ont été suggérées par la lecture de ce document. […] Il y a une très sensible amélioration dans l’état sanitaire de Montjoly pendant ce troisième trimestre comparé à celui de l’année dernière puisque pour un chifre à peu près égal d’internés 249 en 1863 au lieu de 245 en 1862 on ne compte que deux décès (abstraction faite des morts par accident) dans le trimestre de cette année, tandis que dans la même période de 1862, on en avait enregistré 13. La moyenne des malades traitée à l’hôpital n’a été dans ce trimestre que de 32, tandis qu’en 1862 elle était de 35. Il est donc évident qu’il y a amélioration et c’est par suite d’une erreur que M. le médecin en chef l’attribue en grande partie à ce que presque tout le personnel travailleur se trouve dans un chantier très heureusement situé sur le bord de la route du Diamant. En efet, le personnel de Montjoly qui était en moyenne de 249 hommes pendant le 3ème trimestre, est situé en trois parties : 1°) un atelier de 40 hommes travaillant sur la route du Diamant et y logeant ; 2°) Un atelier de 30 hommes travaillant à la route du Dégrad des Cannes et y logeant ; 3°) Enin, le reste séjourne et travaille sur l’établissement et les rapports particuliers ne signalent aucune diférence sensible entre les états sanitaires de ces divisions. J’attribue bien plutôt l’amélioration aux grands travaux d’assainissement qui ont été entrepris et poussés activement depuis le début de la belle saison. J’ai tout lieu d’espérer que continués jusqu’à complet achèvement, ils assureront à Montjoly une salubrité relative très satisfaisante. Nous sommes aujourd’hui édiiés sur la véritable cause du mal que nous avions combattu là où la cause n’était que secondaire et nous continuerons à la poursuivre dans la voie qui nous est indiquée par les résultats que nous avons obtenus récemment » (Montravel 1863 : n° 633). un chanTier volonTairemenT suspendu par monTravel? Il est probable que la dégradation de la situation sanitaire à Montjoly en 1862 engage le gouverneur à Karapa, vol. 4, décembre 2015 rester dans une certaine réserve ou prudence vis-à-vis du site de Montjoly. Par ailleurs, dès le mois de septembre 1863, l’établissement connaît une baisse de ses efectifs « ouvriers » avec l’évacuation de la 2ème section vers l’Île du Diable. À cette période, il semble que l’administration concentre le peu d’hommes valides dont elle dispose, sur d’autres objectifs jugés prioritaires pour le développement de la colonie. Du reste, ce projet de construction n’apparaît pas dans la liste des tâches assignée au personnel de Montjoly au mois d’octobre 1863, mais les gros travaux sur la « maison de convalescence » sont probablement déjà achevés à cette date. La correspondance de Montravel au sujet de Montjoly au cours des années 1862-63 démontre l’entêtement du gouverneur dans la poursuite des « dispendieux » travaux d’assèchement indispensables à l’assainissement du lieu. Le 16 octobre 1863, Montravel se plaint toujours des conditions malsaines qui frappent l’établissement. Dans une dernière phrase, le gouverneur glisse même une allusion très contrastée sur la beauté du site (igure 12). « Le grand nombre de malades fournis à l’hôpital de Cayenne par les Pontons, les quartiers et Montjoly a des causes dépendantes de leurs conditions. […] et enin ceux fournis par Montjoly, dans l’insalubrité persistante encore de cet établissement. Je ne désespère pas de faire disparaître [Montjoly], en persévérant dans les travaux entrepris les causes d’insalubrité de cette position que l’on à peine à croire aussi meurtrière, tant elle ofre des charmes à l’œil » (Montravel 1863 : n° 596). Dans son compte-rendu de tournée de in d’année daté du 15 décembre1863, Montravel juge que les travaux d’assainissement à Montjoly ne sont toujours pas achevés. « Dans ma lettre en date du 26 septembre dernier notée 551 j’ai eu l’honneur d’exposer à votre excellence les motifs de la présence sur cette île [Île du diable], des libérés non astreints à résidence qui ne voulaient pas rester dans la colonie après leur libération. Ils s’y trouvent relativement mieux qu’à Montjoly dont le climat agit plus violemment sur ces natures profondément ruinées par leur existence première et un long séjour à la Guyane. Ils y sont libres de tout travail autre que la propreté de leur logement et du jardinage pour l’amélioration de 67 68 Figure 12 Anse de Montravel leur nourriture. Ceux d’entre eux qui possèdent la connaissance d’un métier sont autorisés à s’y livrer pour leur compte ou pour le compte de l’État dans les ateliers des Îles, en attendant l’arrivée du bâtiment qui doit les emporter. Je pense que le choix que j’ai fait de cette localité produit d’excellents résultats au bénéice de ces hommes qui embarquent pour France, après une longue attente de leur départ, dans un état de santé beaucoup plus satisfaisant que lorsqu’ils attendaient à Montjoly où les occasions de faire des excès de boisson se joignaient à l’insalubrité du lieu pour détruire leur santé. Je crois qu’au moins jusqu’à ce que les travaux d’assainissement entrepris à Montjoly soient terminés, il sera bien de maintenir cet état de choses » (Montravel, 1863 : n° 588). Il semble donc que l’insalubrité qui tarde à se résorber à Montjoly soit à l’origine de la suspension provisoire ou de l’abandon déinitif du projet, car malheureusement le temps presse pour le gouverneur Montravel. Le 1er mars 1864, il tombe malade au retour d’un voyage d’inspection dans le Maroni « J’ai l’honneur d’informer votre excellence que Mr le Gouverneur au retour d’une pénible tournée dans le Maroni, a été sérieusement atteint par une crise de Karapa, vol. 4, décembre 2015 coliques sèches, pour me donner de vives inquiétudes. Il entre maintenant en convalescence et tout me fait espérer que sous peu de jours, il pourra reprendre les afaires » (Favre 1864 : n° 122). Le 25 avril 1864, Montravel décide de rentrer en France. Antoine Favre occupe le poste de gouverneur par intérim de la Guyane française du 1er mai 1864 jusqu’au 10 janvier 1865. « J’ai l’honneur d’informer votre excellence que suivant l’autorisation qu’elle a bien voulu m’en donner par la dépêche du 3 décembre dernier, je prends le passage sur le transport à batterie l’Amazone pour me rendre en France en congés. Je remettrai le 1er mai prochain, le gouvernement intérimaire de la colonie à Mr le commandant militaire, conformément en disposition du décret du 15 janvier 1853 » (Montravel, 1864 : n° 239). Dès sa prise de fonction au 1er mai 1864, Favre adresse au ministre un nouveau compte-rendu du rapport médical relatif aux établissements pénitentiaires pour le premier trimestre 1864. Le gouverneur par intérim adopte la même ligne de conduite que Montravel en désavouant l’avis du médecin général. La transportation apparaît encore et toujours divisée sur le cas de Montjoly. « J’ai l’honneur d’adresser à votre excellence le rapport médical de Mr le médecin en chef avec quelques observations qui m’ont été suggérées par son examen. Ainsi que l’a fait répartir mon prédécesseur dans la lettre d’envoi du rapport du 3 trimestre 1863 c’est par erreur que Mr le médecin en chef attribue à la dissémination des transportés en divers ateliers, l’amélioration qui continue à se remarquer dans l’état sanitaire de cet établissement. Cette amélioration est due tout entière aux grands travaux d’assainissement qui ont été entrepris à Montjoly et qui seront poussés avec activité de manière à être achevés dans la campagne aussitôt le retour de la saison sèche » (Favre 1864 : n° 296). le gouverneur hennique : l’évacuaTion du siTe de monTjoly eT la fin du projeT Montravel décède en France le 4 octobre 1864 à l’âge de 53 ans. Son successeur, le général Hennique arrive dans la colonie le 14 janvier 1865. Le 13 mars 1865, il débute une première inspection générale de tous les établissements pénitentiaires et décide de mettre en place une politique de réorganisation de toute la transportation. « À mon retour, j’aurai l’honneur d’adresser à votre excellence un rapport général sur la situation de ces établissements et sur les diverses mesures que j’aurai cru devoir prendre dans l’intérêt de l’œuvre de la transportation » (Hennique 1865 : n° 135). Le 12 avril 1865, Hennique tient des propos peu optimistes quant à l’avenir de Montjoly. Son administration, contrairement à celle de Montravel, ne semble pas disposée à engager les fonds nécessaires pour poursuivre l’assainissement du site. Une partie du cheptel de Montjoly est même évacué sur SaintLaurent. Cela ne présage rien de bon, puisque Hennique vient tout juste de procéder à l’identique avec l’abandon du site de Saint-Georges. « Ce point [Montjoly] qui a été choisi comme lieu de résidence des transportés libérés remplit le but qu’on s’est proposé. Il serait à désirer néanmoins que l’on pût assécher les marais qui avoisinent cet établissement ; c’est un travail que je n’hésiterais pas à entreprendre, s’il ne devait pas en résulter de grandes dépenses. J’ai Karapa, vol. 4, décembre 2015 donné des ordres au directeur des Ponts et Chaussées pour qu’il me soumette prochainement un projet à ce sujet. Je verrai, après un examen scrupuleux, s’il y a lieu de l’adopter. Quoi qu’il en soit, l’état sanitaire actuel est bon et tout porte à croire que les petits travaux d’assainissement que le commandant de cet établissement à exécutés, avec ses propres moyens, ont contribué à cette amélioration et qu’il y aura à l’avenir moins de maladies graves qu’autrefois.[…] J’ai proité de cette occasion pour diriger sur le Maroni les animaux excédant les besoins de Montjoly et qui sont destinés aux concessionnaires mariés, à charge par eux d’en rembourser le montant à l’état, dès que leurs ressources leur permettront. J’ai joint à cet envoi les bestiaux, provenant de Saint-Georges que j’ai fait évacuer déinitivement comme j’ai l’honneur d’en informer votre excellence par ma lettre du 14 mars dernier n° 166 » (Hennique 1865 : n° 193). Mais six mois plus tard, Hennique a déjà programmé la in du site de Montjoly comme le prouve le compte rendu de tournée qu’il adresse au ministre le 27 septembre 1865. Cet établissement n’entre absolument plus dans son schéma de réorganisation de la transportation. Il est hautement probable que l’avis médical du commandant de Montjoly n’ait pas non plus joué en faveur du maintien des hommes sur un site réputé malsain de longue date. « […]On le reconstruit en ce moment à SaintJean qui doit recevoir bientôt une augmentation de transportée par suite de l’abandon prochain de Montjoly. […]Mon intention est du reste de placer Mr Livrand à la tête de l’établissement de Saint-Jean sous la haute direction de Mr Mélinon bien entendu. Ce mouvement aura lieu aussitôt l’évacuation de Montjoly qui ne peut tarder beaucoup et aura l’avantage de ne pas nous obliger à envoyer un chirurgien à Saint-Jean. Mr Livrand remplira, comme à Montjoly, les doubles fonctions de commandant et de médecin » (Hennique 1865 : n° 607). Le 2 octobre 1865, le gouverneur Hennique décide oiciellement de l’évacuation du pénitencier de Montjoly pour cause d’insalubrité. « […] vu le rapport de M. le Directeur des pénitenciers ; considérant que cet établissement est reconnu insalubre et qu’un tel état de choses ne peut se prolonger plus longtemps ; sur la proposition du Directeur des pénitenciers, décide : Article 1er. L’éta- 69 blissement de Montjoly sera évacué, et le mouvement commencera dès que les circonstances le permettront. Art. 2. Le personnel de l’établissement sera dirigé sur Saint-Laurent du Maroni » (Bulletin oiciel de la Guyane française 1866 : n° 737). 70 Ainsi, un contemporain témoigne de la désertion totale du dépôt d’internement de Montjoly à la in de l’année 1865. « Les libérés de Montjoly sont tous déplacés au Maroni dans les établissements de Saint-Pierre et de Saint-Jean selon la catégorie à laquelle ils appartenaient » (Rivière 1865 : 188). Le 30 novembre 1865, Hennique prend la décision de ixer la destination à donner aux immeubles de Montjoly et aux matériaux provenant de cet établissement. Le patrimoine immobilier de Montjoly est soit détruit, vendu ou cédé sur la proposition du directeur des pénitenciers. Il est hautement probable que « la maison de convalescence » de Montravel soit à cette date entièrement démontée par l’administration pénitentiaire. « […] Article 1er. Les immeubles ci-après igurant sur l’inventaire établi au 1er janvier 1864 recevront les destinations ci-après : le côté A sera démoli et les matériaux susceptibles d’être employés seront abandonnés au service pénitentiaire. Art. 2. Les immeubles au nombre de trois, désignés sur l’inventaire établi à la même époque sous les lettres C, D et H, s’élevant ensemble à la somme de 10950 francs, existant déjà sur l’établissement au moment de l’occupation par le service pénitentiaire, sont rendus au service local sans que les agrandissements et réparations dont ils ont été l’objet, s’élevant à la somme de 4000 francs, donnent lieu à remboursement. Art. 3. L’immeuble désigné sur le même inventaire sous la lettre B, s’élevant à la somme de 1200 francs, est cédé au service local, qui versera au trésor, pour le compte du service pénitentiaire, la dite somme de 1200 francs. Art. 4. Les immeubles au nombre de trois, désignés sous les lettres E F K, construits avec des matériaux de démolition, seront démolis, et les bois susceptibles d’être employés seront abandonnés au service pénitentiaire. Les matériaux provenant du bâtiment K seront abandonnés à M. le supérieur des aumôniers, attachés au service pénitentiaire pour l’agrandissement de la chapelle actuelle située à Cayenne. Art. 5. le bâtiment désigné sous la lettre Karapa, vol. 4, décembre 2015 I, évalué à 1000 francs, est cédé à titre gratuit au service local. Art. 6. Le bâtiment désigné sous la lettre J, évalué à 1800 francs, reste la propriété du service pénitentiaire. Art 7. Les immeubles au nombre de six, désignés sous la lettre G, et portant les numéros 1, 2, 3, 4, 5 et 6, construits avec des matériaux en service, seront démolis et recevront les destinations ci-après : N° 1 et 2, cases en bois, dont les matériaux de démolition pourront être cédés à titre de remboursement au trésor. N° 3, cédé à titre gratuit au supérieur des aumôniers pour la chapelle. N° 4, la case en fer sera reprise par le service pénitentiaire. N° 5 et 6, cases en bois cédées au service local, à titre gratuit pour l’établissement des jeunes détenus » (Bulletin oiciel de la Guyane française, 1866, n° 838). Il est tout à fait extraordinaire de constater que la mémoire de « la maison de convalescence » de Montravel reste encore très prégnante dans l’inconscient collectif guyanais en 1874. Au passage, un auteur contemporain vient égratigner le souvenir du gouverneur Montravel et son projet de « maison au bord de la mer ». « […] ce pénitencier était assis tout près du morne Mont-Joly, nom que les colons ont rendu commun à ce vaste plateau, qui est spécialement afecté à l’élève du bétail. Ce domaine colonial est à sept km de Cayenne, sur un point d’où l’on domine la mer. Au vent est un pripri d’1 km de long, formé par les eaux pluviales et par les sources sortant des montagnes de Rémire. Avant l’émancipation de 1848, un canal conduisait ces eaux à l’océan. Aujourd’hui ce canal est bouché par les sables du rivage ; ce lieu est devenu un marécage. Par suite, Mont-Joly est malsain pendant l’été, quand soulent les brises de l’est. Il semble que la transportation aurait pu, au lieu de construire une maison d’agrément, qu’on a portée à Cayenne, sur les lancs de ce morne, rouvrir ce canal qui est dans les cent pas géométriques, et assainir le rivage » (Mourié,1874 : 299) En 1874, l’administration reprend l’idée d’un projet de construction d’une résidence des gouverneurs de Guyane. L’ancien site de Montjoly n’est pas retenu. On récupère des éléments de construction d’un bâtiment ruiné aux Hattes à l’embouchure du Maroni. Les éléments sont transportés par bateau à Cayenne pour servir à la construction d’un chalet à Bourda, ancienne résidence des gouverneurs et actuelle maison du préfet de la Guyane. Après la catastrophe de la montagne Pelée en 1902, plusieurs familles martiniquaises de Saint Pierre trouvent refuge sur le domaine de Montjoly. On construit un camp fermé destiné à recevoir de nouveau 150 transportés mis à disposition par l’Administration pénitentiaire pour le débroussaillage des terres et l’assèchement des marais. L’administration distribue à chaque famille martiniquaise un hectare de terrain et une maison d’habitation (Alexandre 2002 : 25 à 27). Un plan cadastral de 1909 montre que le souvenir de Montravel est toujours extrêmement présent à cette période. La légende qui est placée sur la carte fait référence par deux fois au nom de l’ancien gouverneur dont le toponyme reste encore aujourd’hui attaché à la colline. biblioThèque ALEXANDRE R. (2002) L’installation des sinistrés martiniquais sur le domaine colonial de Montjoly 1902-1903. Numérique impression. BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE FRANCAISE (1856). Année 1855. N° 242. Ordre concernant les travaux à exécuter à Montjoly pour recevoir le bétail attendu par l’administration. Bonard. Cayenne le 17 mai 1855. BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE FRANCAISE (1857). Année 1856. N° 399. Règlement pour les libérés non astreints à la résidence engagés sur le domaine de Mont-Joly. Baudin. Cayenne le 17 mars 1856. BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE FRANCAISE (1862). Année 1861. N° 485. Décision qui crée à Montjoly une pharmacie et une inirmerie de dix lits. Tardy de Montravel. Cayenne le 9 août 1861. BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE FRANCAISE (1863). Année 1862. N° 78. Décision du 15 janvier 1862, M. Livrand (Jean-Thomas), chirurgien auxiliaire de 3e classe de la marine, chargé du service de santé à Montjoly, a été appelé a y exercer provisoirement les fonctions de directeur. BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE FRANCAISE (1866). Année 1865. N° 737. Décision Karapa, vol. 4, décembre 2015 prescrivant l’évacuation du pénitencier de Montjoly. Hennique. Cayenne le 2 octobre 1865. BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE FRANCAISE (1866). Année 1865. N° 837. Décision qui supprime l’établissement de Montjoly. Hennique. Cayenne le 30 novembre 1865. BULLETIN OFFICIEL DE LA GUYANE FRANCAISE (1866). Année 1865. N° 838. Décision ixant la destination à donner aux immeubles de Montjoly et aux matériaux provenant de cet établissement. Hennique. Cayenne le 30 novembre 1865. CHAUDIERE (1861). Situation générale des établissements pénitentiaires au mois d’août 1861. N° 17, Cayenne le 14 septembre 1861. CHAUDIERE (1861). Situation générale des établissements pénitentiaires. Rapport mensuel du mois de septembre 1861. N° 18, Cayenne le 14 octobre 1861. CHAUDIERE (1861). Situation générale des établissements pénitentiaires. Rapport du mois d’octobre 1861. N° 19, Cayenne le 12 novembre 1861. CHAUDIERE (1861). Situation générale des établissements pénitentiaires. Rapport du mois de novembre. N° 22, Cayenne le 14 décembre 1861. CHAUDIERE (1862). Situation générale des pénitenciers. Rapport mensuel de mars 1862. N° 4, Cayenne le 15 avril 1862. CHAUDIERE (1862). Situation générale des pénitenciers. Rapport mensuel d’avril 1862. N° 5, Cayenne le 15 mai 1862. CHAUDIERE (1862). Situation générale des établissements pénitentiaires. Rapport du mois de juin 1862. N° 7, Cayenne le 14 octobre 1862. FAVRE (1864). Le gouverneur a été sérieusement malade, il entre en convalescence. Colonies 1er bureau, N°122. Cayenne le 1er mars 1864. 71 FAVRE (1864). Envoi du rapport médical du médecin en chef du 1er trimestre 1864. Observations. N° 296, 16 mai 1864. 72 HENNIQUE, A (1865). Arrivée du gouverneur à la Guyane. N° 14, le 14 janvier 1865. HENNIQUE, A (1865). Le gouverneur a commencé la tournée sur les établissements pénitentiaires. N° 135, le 13 mars 1865. HENNIQUE, A (1865). Compte rendu de la tournée du gouverneur sur les établissements pénitentiaires. N° 193, le 12 avril 1865. HENNIQUE, A (1865). Compte rendu de la tournée du gouverneur Hennique sur les établissements pénitentiaires. N°607, Cayenne le 27 septembre 1865. JARDINIER, P (1863). Lettre du père Jardinier au Révérend Père Supérieur, Saint-Louis le 6 juin 1863. LOUVRIER ST MARY. (1861-1862). Procès-verbal et plan de bornage de l’habitation domaniale de Montjoly. MALLE, M.P., HELLER M., ROUCAUTE G., (2009), Saint-Laurent du Maroni commune pénitentiaire. APPAAG, L’inventaire. MOURIE, J.F.H. (1874). La Guyane française ou notice géographique ou historique sur la partie de la Guyane habitée par les colons, au point de vue de l’aptitude de la race blanche à exploiter de ses mains les terres de cette colonie ; accompagnées des cartes de la Guyane, de la ville de Cayenne, des Îles du Salut et d’un aperçu sur la transportation. Paris, librairie Paul Dupond. ROSTAN, P. [IDM Thetys]. (2013). Rapport d’étude géotechnique : réaménagement du site de Montravel, juillet 2013. RIVIERE, L. (1865). La Guyane française en 1865 aperçu géographique, historique, législatif, agricole, industriel et commercial. Feuille oicielle de la Guyane, Cayenne, 1866. TARDY DE MONTRAVEL, L. (1861). Envoi du plan détaillé du dépôt d’internement de Montjoly. N° 467, 28 Juin 1861, Direction des Colonies, 3ème bureau. Karapa, vol. 4, décembre 2015 TARDY DE MONTRAVEL, L. (1863). Envoi d’un rapport du Directeur du pénitencier de Montjoly au sujet des graines de vers à soie. N° 182, 16 mars 1863, Colonies du Bureau. TARDY DE MONTRAVEL, L. (1863). Renseignements demandés sur les concessionnaires de toutes catégories. N° 551, 26 septembre 1863. TARDY DE MONTRAVEL, L. (1863). Envoi du rapport du médecin en chef pour le 3e trimestre 1863, observations. N° 633, 14 octobre 1863, colonies 4e bureau. TARDY DE MONTRAVEL, L. (1863). Rapport sur la situation des établissements pénitentaires. N° 596, 16 octobre 1863. TARDY DE MONTRAVEL, L. (1863). Rapport de la tournée de in d’année du gouverneur sur les établissements pénitentaires. N° 588, 16 octobre 1863. TARDY DE MONTRAVEL, L. (1864). Le gouverneur prend passage sur le transport l’Amazone pour se rendre en France en congés N° 239, 25 avril 1864. les Techniques de l'orpaillage arTisanal à saül (guyane française), vesTiges eT impacTs dans le paysage pierre rostan, Bureau d’études idm-tethys 97354 rémire-montjoly S ur une période de plus de 150 ans depuis la découverte des premiers indices aurifères en 1854, l'exploitation aurifère a mis en œuvre en Guyane française une gamme de techniques et de méthodes d'exploitation très variées. Depuis le travail des alluvions dans les criques à caractère artisanal jusqu'aux exploitations de gîtes primaires iloniens par galeries, elles sont accompagnées d'une étonnante diversité des moyens employés, entre autres le terrassement manuel avec récupération de l'or à la battée, ou encore le dragage des alluvions par des machines lottantes, les dragues, atteignant jusqu’à 40 m de longueur et pesant jusqu’à 300 tonnes. la problémaTique des vesTiges eT de leur effacemenT Un large éventail de techniques qui ont été employées et la forêt guyanaise a été le témoin d'une suite continue d'évolutions techniques. Si le patrimoine industriel minier a pu laisser quelques vestiges dont l’inventaire a débuté (Rostan 2013), le domaine de l'orpaillage artisanal, pourtant très connu et vulgarisé, n'a cependant jamais encore fait l'objet d'une approche archéologique quant à ses techniques, pour l'essentiel encore vivantes récemment. Au-delà du « folklore » des images d’Épinal de l'orpailleur avec sa battée et son coui, systématiquement reprises dans toute l'imagerie coloniale d'une époque, cette activité a laissé des traces d'une grande richesse à travers des vestiges variés qui traduisent une adaptation des techniques aux conditions géologiques et gîtologiques de l'or natif. Cependant, si toutes les zones aurifères de la Guyane ont été couvertes de travaux d'orpaillage depuis un siècle et demi, la pression permanente qui émane du milieu naturel (altération rapide, forêt, crues, érosion, etc.), mais aussi du milieu humain avec la poursuite des exploitations aurifères successives avec de multiples « repassages » de leurs alluvions, ont détruit Karapa, vol. 3, juin 2014 les traces des exploitations antérieures. De plus, l'activité minière clandestine gomme les traces des exploitations artisanales jusque dans de très petites criques. Cet efacement des traces du passé est même souvent poussé jusqu'à la destruction des sites ayant abrité d'anciens villages d'orpailleurs ain de récupérer l'or qui a pu être disséminé dans les fonds des carbets. Ainsi, dans de nombreux secteurs, tous les vestiges de cette activité artisanale ont d'ores et déjà disparu et on peut ainsi considérer que les traces de l'activité des premiers orpailleurs artisanaux et non mécanisés se trouvent intégralement gommées sur l’essentiel de la supericie pourtant importante du territoire où cette activité s’était développée. C'est dans ce contexte de disparition systématique des traces anciennes de cette activité à caractère éminemment patrimonial pour la Guyane que se situe tout l'intérêt du secteur de Saül. En efet, celui-ci a échappé aux travaux mécanisés ou de grandes ampleurs par les sociétés minières, sans doute par suite de son isolement et des diicultés d'accès, et ce même pour des époques plus récentes (hormis la région de Sophie - Saint-Léon très au nord de Saül où des travaux sur des gîtes iloniens ont été développés dans les années 1950 par la Société Nouvelle des Mines de SaintÉlie et Adieu-Vat). La région du Bourg de Saül se trouve ainsi caractérisée par une exploitation aurifère réalisée par un travail quasiment individuel ou avec de petites équipes et qui a perduré jusqu'à la in du XXe siècle, menés par une génération d'acteurs en train de disparaître. Ainsi, cette activité ne se trouve éteinte que depuis seulement très peu de temps. Les vestiges laissés par ce type d'exploitations artisanales, qui ont ainsi échappé aux reprises modernes des exploitations et couvrent des supericies encore importantes, ont toutefois été largement menacés par le développement de l'activité clandestine autour de Saül qui conduit à leur destruction systématique. 73 74 Ces travaux artisanaux d'exploitation de l'or et l'activité orpaillage artisanal ont été conduits de façon identique en Guyane, au Brésil, au Suriname, au Guyana et au Venezuela où l’activité d’orpaillage et les techniques employées se trouvaient tout à fait semblables à celles dont les vestiges subsistent à Saül et avec une situation d’efacement comparable à celle de la Guyane française. gisemenTs eT Techniques élémenTs généraux L'or natif recherché par l'activité artisanale est un or grossier, c’est-à-dire dont la granulométrie est supérieure à 1 à 2 mm environ, qui se rencontre dans la nature avec d'une part les gisements primaires correspondant à de l'or en place dans le substratum rocheux et d’autre part les gisements secondaires à caractère supericiel et qui résultent de la destruction du premier type par l'érosion. Dans le secteur du bourg de Saül, les gisements primaires consistent exclusivement en des ilons de quartz aurifères et ne concernent pratiquement ici que la montagne de Bœuf-Mort. Les gisements secondaires sont beaucoup plus nombreux et résultent de la désagrégation plus ou moins poussée des gisements primaires ; le climat tropical provoque une altération très profonde de la roche, souvent sur plusieurs dizaines de mètres avec érosion et libération de l'or puis transportée par les eaux de surface avec concentration de diférentes façons sur les versants et en fonds de thalwegs. La très forte densité de l'or lui confère une mobilité sous les efets de l'érosion beaucoup plus faible que celles des autres matériaux géologiques qui l'accompagnent et on distingue ainsi : - les éboulis et les éluvions, également nommées « terres de montagne » issus directement de la destruction des ilons et composés d'amas de gros blocs de quartz et de cailloutis, dispersés sur les versants en aval des gîtes primaires sources ; - les alluvions accumulées dans les criques par l’action des eaux pluviales et de ruissellement ; ces alluvions graveleuses, riches en galets de quartz et en sables, témoignent d'un régime hydraulique de plus forte énergie qu’actuellement et sont recouvertes par des Karapa, vol. 4, décembre 2015 dépôts de limons argileux plus ou moins développés mis en place lors de phases d'inondations et dont l'épaisseur va déterminer des variantes dans la technique d'exploitation. De plus, la topographie de ces criques, plus ou moins larges et plus ou moins pentues, va également déterminer des variantes dans les modes de travail de l’or. À la variété des occurrences de l'or, autant sur les plans gîtologiques que topographiques, correspond une variété de techniques mises en œuvre avec l'adaptation des modes d'exploitation à chaque type de gisement comme aux conditions locales, et ce toujours à partir de moyens artisanaux limités, mais en développant une ingéniosité des techniques qui n'a d'égale que leur simplicité et la frugalité des moyens mis en œuvre. Ces caractères ont permis aux techniques de demeurer adaptées à travers le temps, et certaines ont perduré depuis l’antiquité voire la préhistoire quasiment sans changer. L’orpaillage artisanal à Saül illustre ainsi, pour certaines de ces techniques, d’étonnantes survivances technologiques. Il convient par ailleurs d'introduire ici une distinction entre l’orpaillage non mécanisé et l'orpaillage artisanal, tous deux intervenant avec des techniques identiques, mais le premier avec un personnel nombreux appointé par des sociétés, souvent cotées en bourse malgré le caractère rustique des travaux et des méthodes employées, et qui a perduré jusqu’au début du XXe siècle. Celles-ci évolueront par la suite avec les premières tentatives de mécanisation des exploitations aurifères guyanaises, à l'inverse de l'activité individuelle créole qui demeurera intacte dans ses approches et ses techniques jusqu’à la in du XXe siècle. La principale nuance réside dans le matériel utilisé, avec pour l’orpailleur artisanal une substitution poussée à ses extrêmes limites des objets achetés, par du matériel essentiellement confectionné à partir des ressources de la forêt. L'ensemble de ces techniques a pour but de séparer l’or des matériaux dans lesquels il se trouve naturellement à l'état dispersé et elles reposent sur la très forte densité de l'or (d = 20 t/m3, avec à titre de comparaison pour du rocher d = 2,6 t/m3 et pour des limons et argiles d = 1,6 t/m3). Elles nécessitent de façon systématique deux facteurs avec d'une part la présence d'eau et d’autre part la pente topographique, de façon à obtenir un courant d'eau pour laver les terres et les sédiments qui renferment l'or avec une force suisante pour entraîner la boue et les sables et laisser les particules d’or. du temps notamment en fonction des moyens disponibles. Les alluvions que l'on souhaite tester sont alors extraites du trou et lavées à la battée. 75 Ce sont ainsi des trésors d'ingéniosité qui vont être développés dans l’activité artisanale avant l'apparition de motopompes, mais certains gisements seront longtemps délaissés en l’absence de possibilité d'y amener les eaux autrement qu'avec des moyens mécaniques qui faisaient défaut à l'orpailleur artisanal. L’analyse de ces techniques à travers les sources écrites a permis une interprétation des éléments du paysage minier subsistants sur le terrain, en général d’ordre topographique ou micro-topographique, avec restitution des gestes et des techniques qui ont conduit à leur création. Figure 2 Trou de prospection manuel, 1,5x0,5 m, crique Grand Fossé aval les chanTiers d'orpaillage alluvionnaire – le Travail au sluice Figure 1 Théodore Timane, orpailleur de Saül, avec sa battée et son coui les Trous de prospecTion La première étape de la recherche concerne la localisation des gisements avec le plus souvent la nécessité de réaliser des sondages terrassés manuels pour reconnaître le gisement avec sa profondeur, l'épaisseur de terre qui le recouvre et l’épaisseur de la couche de graviers aurifères que l’on se propose d’exploiter. Ces trous à rôle de sondage, réalisés manuellement, ne sont encore aujourd'hui observables que lorsque leurs résultats n'ont pas été jugés dignes d'intérêt par l'orpailleur, c’est-à-dire dans des secteurs non travaillés ou bien en périphérie des secteurs travaillés. La notion d'intérêt ayant varié sensiblement au cours Karapa, vol. 4, décembre 2015 Tout en demeurant de principes très simples, les méthodes d'exploitation des criques vont une nouvelle fois s’adapter aux conditions locales : plus ou moins grande largeur de la crique et plus ou moins forte épaisseur de recouvrement de limons stériles sur la couche aurifère. L'élément majeur de ce travail est le sluice, aussi dénommé « dalle », un outil passif composé d'un canal en bois confectionné sur place dans lequel l’alluvion aurifère dont les gros éléments se trouvent éliminés à l'aide d'un crible métallique ou en bois, est délayée dans un courant d'eau ; les éléments stériles sont évacués par l’eau pour les plus légers ou manuellement pour les cailloux et les blocs et les particules d'or se déposent dans des pièges disposés au fond du canal, les riles. Cette méthode, encore en usage à Saül jusqu'à la in du XXe siècle, était déjà qualiiée de « primitive » en 1909 par A. Dangoise. 76 Les sluices guyanais reposent sur des piquets verticaux et horizontaux dont la liaison efectue par une pièce métallique composée de deux crochets perpendiculaires, le « croché dal ». Si l'eau est l'élément nécessaire du travail de l'or, elle est aussi un élément gênant et perturbant, car elle noie les fosses d’extraction et empêche alors tout travail. Le mineur doit alors s'attacher à établir un équilibre subtil pour maîtriser cette eau avec d'une part la nécessité de l'amener sur le site et d'autre part celle de l'écarter du chantier, cette considération représentant une des clés de la compréhension de l'allure et de la morphologie des chantiers orpaillage artisanal. La première démarche va consister à écarter le cours d'eau, c’est-à-dire ici le lit mineur de la crique du chantier et la crique va se retrouver reportée contre une de ses berges dans un canal terrassé dans ce but. L’allure des criques aujourd’hui pourrait laisser Figure 3 Principe du travail au sluice (Brousseau 1901) noter les crochet-dalles de maintien du sluice Figure 4 Le travail au sluice (F. Hue 1892) Karapa, vol. 4, décembre 2015 les travaux lorsque les sites, en particulier les fosses d'extraction sont noyées, conduisant à la nécessité de s'adapter et de gérer les zones d’exploitation en fonction de ces facteurs. Figure 5 Crochet-dalles, Bourg de Saül penser à un écoulement naturel, mais la présence de levées de terre en bordure du lit ne laisse aucun doute quant à l'origine artiicielle de leur tracé, même si les eaux ont parfois réinvesti un lit plus central. A partir de la crique seront tracés successivement un ensemble de canaux de dérivation amenant les eaux de la crique vers les chantiers. Un barrage de palme est mis en place dans le canal principal pour en élever le niveau et alimenter ainsi le canal secondaire et le creusement de la fosse dans l'alluvion peut débuter avec simultanément le lavage de l'or dans le sluice. Ain de pouvoir laver le gravier aurifère, il convient ainsi de gérer deux aspects antagonistes, aggravés par la quasi-absence de pente dans le lit des grandes criques, avec d'une part la nécessité de s'afranchir des eaux dans la fosse creusée et d’autre part d'amener des eaux dans le canal en bois pour le lavage des graviers aurifères ; il est ainsi creusé un canal de dérivation des eaux de surface qui empêche l’ennoiement de la fosse. Le cas échéant celle-ci est dénoyée par des moyens artisanaux, en général de simples seaux. Sur des chantiers à caractère moins artisanal, des modes d'épuisement des eaux étaient employés avec les « pompes macaques », simples plateaux à balancier plongés dans la fosse, et évidemment des pompages mécanisés, méthodes qui ne semblent jamais avoir été employées par les orpailleurs de Saül, sauf peut-être sur les toutes dernières années d'activité. Ces contraintes vont souvent conférer un caractère saisonnier aux chantiers d’orpaillage, en raison du manque d’eau en saison sèche pour permettre le lavage du gravier aurifère ou bien en raison de l’abondance de l’eau en saison des pluies empêchant Karapa, vol. 4, décembre 2015 Lorsque l’horizon d'alluvions que l'on souhaite exploiter est masqué par une tranche importante de dépôts supericiels, limons et argiles déposés lors de débordements anciens de la crique (alluvions à fort recouvrement), il devient nécessaire de créer des fosses de quelques mètres de diamètre avec un ensemble de chantiers ponctuels plus ou moins juxtaposés. Lorsque la couche de graviers est peu profonde ou sub-aleurante (alluvions à faible recouvrement), les chantiers deviennent allongés et linéaires et s’efectuent systématiquement de l'aval vers l'amont. Le chantier, situé près d'un des canaux principaux, débute ainsi par le creusement d'un canal de dérivation des eaux de faible section destiné à alimenter le sluice le moment venu et à maintenir les eaux hors du chantier de façon à éviter de noyer la fosse. Puis, il s’en suit le creusement de la fosse dans l’alluvion stérile supericielle, composée de limons argileux sans graviers ni galets quartzeux. La fosse est élargie jusqu'à la bordure immédiate du canal de dérivation ain de ne pas trop perdre de volume de minerai. Lorsque le gravier aurifère est atteint, le sluice sera mis en place de façon à traverser la fosse et à rejeter ses eaux plus en aval, dans un canal de fuite sans autre possibilité de retour dans la fosse d’extraction ; le canal de dérivation des eaux en amont est alors mis en relation avec le sluice par un court canal. Les produits issus du creusement de la fosse sont jetés directement dans le sluice, dont il n’est pas question de s’éloigner plus que la portée d'un jet de pelle, limitant ainsi la taille de la fosse. E.D. Levat (1902) considère qu'il faut un piocheur dans la couche de graviers pour deux pelleteurs qui envoient le gravier dans le sluice. La gestion de l'espace de travail nécessite ainsi sur une faible surface de cumuler l'alimentation en eau, la dérivation des eaux, le creusement de la fosse, le transport du minerai jusqu’au sluice (à l'aide de la pelle) et le traitement de l'alluvion par le sluice. Il faut y ajouter les tâches annexes d'épuisement des eaux parasites de la fosse, d’évacuation des stériles et des gros cailloutis et blocs de quartz sur ses bordures, 77 78 Figure 6 Sluice enjambant une fosse d’extraction (ancienne carte postale, Suriname) de débourbage le long du sluice de façon à briser et délayer les mottes d’argiles, etc. À l'issue de la fosse, un canal de fuite est creusé ain que les eaux chargées de sédiments issus du sluice ne reviennent pas envahir la fosse et celles-ci retournent au canal principal puis à la crique où elles déposent une partie des matières issues du lavage, et on comprend dès lors l'impératif d’avoir des chantiers progressant de l'aval vers l’amont. Les criques orpaillées comportent un réseau de canaux et de fossés d’allure confuse et anastomosée, mais se trouve en fait structuré à petite échelle en fonction de l'implantation des fosses d'exploitation. Cette structuration, qui n'est pas perceptible par un observateur en raison du champ de vision très court lié au couvert forestier, est variable selon l'échelle et si elle semble anarchique à l'échelle de la crique, elle apparaît très organisée à l'échelle de la fosse. Les canaux seront de plus ou moins grande section en fonction des volumes d'eau à faire transiter et de section décroissante en se rapprochant de la fosse de travail. Parfois muraillés de blocs de quartz sur les cotés, ils sont d'allure voisine de celle des canaux antiques des exploitations aurifères romaines de l'Italie du Nord. Figure 7 Crible métallique en sortie d’un sluice (ancienne carte postale, Suriname) Une typologie des canaux peut-être établie avec : La crique - canal principal : Elle va présenter un écoulement permanent, au moins de façon saisonnière, et se trouve souvent déviée pour ne pas ennoyer les chantiers, et si possible repoussée sur l'une ou l'autre des berges en pied de versant ; elle devient Karapa, vol. 4, décembre 2015 Figure 8 Crible en bois installé dans le sluice (photographie ancienne) ainsi le canal principal du site alimentant les canaux primaires. Des criques d'allure aujourd’hui naturelle présentent ainsi souvent un bourrelet de terre sur une des berges, témoignant de leur caractère artiiciel. Les canaux primaires : leur écoulement est variable dans le temps en fonction des zones travaillées et de leur alimentation par la crique grâce le plus souvent à la mise en place d'un barrage végétal ; de grande section (environ 1 x 1 m), ils sont en général à peu près parallèles au sens général de la vallée et afectés de quelques ondulations de façon à éviter les fosses d'exploitation. La dérivation s'efectue au moyen d’un barrage temporaire, le plus souvent à l'aide d'un simple rideau de palmes pour l’orpailleur artisanal et, sur les sites les plus importants, par une véritable retenue avec un barrage en terre compactée entre deux rangées de parements en bois. Il ne subsiste habituellement pas de trace sur le terrain de tels ouvrages. Les canaux secondaires : de plus faible section (environ 40 x 40 cm), ils alimentent directement un chantier à partir du canal primaire dont ils constituent une série de dérivations successives ; une courte branche 79 Figure 10 Barrage de palmes sur une crique, travaux clandestins actuels alimentera le sluice de la fosse, alors que le canal secondaire, qui devient alors le canal de dérivation, se poursuivra sur la bordure de la fosse et recevra en aval les eaux du sluice. Le canal de fuite : situé à l’arrière du chantier, il représente la poursuite du canal de dérivation du chantier et reçoit les eaux qui ont traversé le sluice. Figure 9 Canal primaire de large section, distribuant les eaux aux canaux secondaires Karapa, vol. 4, décembre 2015 Les fosses d'exploitation : avec une emprise variable, de l'ordre de 4 x 4m environ soit 15 à 20 m2, leur profondeur est fonction de celle de la couche de graviers, mais n’excède rarement 2 à 3 m, profondeur au-delà laquelle l'épuisement des eaux devient diicile (fortes arrivées d'eau de la nappe aquifère d'accompagnement des criques, diicultés d'épuisement des eaux vu la hauteur d'exhaure) ainsi que l'évacuation des produits dans le sluice. Creusé manuellement à la pelle, le recouvrement de limons stériles est rejeté sur ses bordures, ce qui a pour efet de rehausser les bords de la fosse. La couche aurifère est creusée à la pelle et les graviers déversés dans le sluice sont évacués en aval par le courant d’eau, les galets et blocs sont triés à la main et rejetés un peu en aval en tas (cf. ci-dessus). 80 Figure 13 Canal de fuite à l’issue d’une fosse d’extraction avec aleurement de la couche de graviers minéralisés dans le talus de la fosse, crique Grand Fossé Figure 11 Canaux secondaires étroits amenant les eaux aux chantiers en fosse Figure 14 Chantier en fosse avec son bourrelet de remblais stériles périphériques Dans le même temps, les blocs de quartz dégagés de la fosse sont stockés en tas sur ses bordures, parfois en muraillements de ses parois, et les gros cailloutis lavés dans le sluice sont éliminés à la main et mis en tas en bordure du sluice, en général vers son extrémité aval. Figure 12 Canaux secondaires étroits amenant les eaux aux chantiers en fosse Karapa, vol. 4, décembre 2015 Les tas de quartz : répartis autour des fosses d'exploitation, ils consistent en des accumulations de gros galets et blocs triés à l’entrée du sluice, peut-être au droit 81 Figure 18 Chantier linéaire (ancienne carte postale,Guyana) Figure 15 Accumulation de petits blocs de quartz (refus du crible) en bordure de fosse, crique Grand Fossé Figure 16 Matériaux de refus du crible : tas de galets lavés, crique Bon Accord Figure 17 Chantier linéaire, crique Bon Accord Karapa, vol. 4, décembre 2015 d'un crible et quelques fois accumulés en parement des fosses et canaux, en des tas de granulométrie moins forte enlevés manuellement du sédiment dans le sluice après avoir été soigneusement débourbés et lavés, et enin en des tas de petits graviers et sables qui correspondent aux alluvions lavées et rejetées à l'issue du sluice, les fractions plus ines, sables et argiles ayant été emportées plus loin par le courant d'eau. Ces tas de graviers triés seront rencontrés de façon systématique lorsque les layons traversent une crique aurifère (layon de Bœuf Mort sur ses parties sud et ouest, layon de l'aérodrome, diférentes traversées de la crique Cochon par les layons des Monts La Fumée et Roche Bateau, etc). Lorsque les alluvions aurifères ne comportent qu'un faible recouvrement et sont donc supericielles, l'exploitation est plus aisée et se déroule alors non pas en fosses ponctuelles, mais de façon linéaire selon des canaux plus ou moins larges voire sur de grandes surfaces. De tels chantiers se rencontrent dans la partie aval de la crique Mulet Mort, au droit du layon joignant l’aérodrome à celui de Bœuf-Mort, mais aussi sur le layon des Cascades avant la crique Limonade. Si la crique ne comporte pas assez d’inclinaison et présente une allure marécageuse, le travail artisanal devient diicile par suite de l'impossibilité d’évacuer les eaux des chantiers, par de simples canaux et fossés. Les criques sont alors délaissées, car le travail artisanal rencontre un obstacle technologique qu'il ne lui est pas possible de franchir. La partie centrale de la crique Mulet Mort, entre le layon de l’aéroport et le layon joignant l’aérodrome à celui de Bœuf Mort, s'est ainsi trouvée grande partie délaissée malgré une probable ressource aurifère avérée plus en amont et plus en aval. 82 Les petites criques étroites sont le plus souvent localisées en têtes de versant avec des pentes et des proils en long prononcés et les techniques de travail y sont distinctes de celles des criques plus larges. En efet, il n'y a pas de possibilités de dériver ce type de crique ou d'y creuser des canaux. L'exploitation y sera nécessairement linéaire, en remontant le criquot et abandonnant des tas de matériaux, limons stériles et graviers lavés accumulés de chaque côté du ruisseau. Si les alluvions comportent de gros blocs de quartz ou de cuirasse latéritique comme cela est souvent le cas en têtes de criques, l’étroitesse du site va conduire à construire des édiices avec les blocs de quartz, des tas de quartz soutenus par des murets ou parements muraillés sur les bordures de la crique ain que le chantier ne soit pas envahi par ces matériaux. Le sluice est posé à même le ruisseau et alimenté à la pelle depuis l'amont et si la pente est insuisante, elle est créée par le creusement d'un étroit canal dans le « bed-rock » (la roche en place altérée sous les alluvions). criquots voisins jusqu’au chantier que l'on souhaite travailler avec dérivation des criques, parfois sur des distances considérables et avec des canaux étagés de façon à exploiter chaque fois une partie plus élevée du gisement. La limite amont des travaux correspond ainsi habituellement à la limite technique des possibilités d'amener de l'eau de façon gravitaire sur le site et les ressources des fonds en amont ont alors été abandonnées. Ces canaux, réalisés de manière complètement empirique et pourtant à la pente régulière, ont parfois reçu de petits confortements de leur talus aval par des blocs de quartz et se trouvent localement tapissés d'argile en fond pour assurer leur étanchéité. L'utilisation gravitaire de l'eau permet de plus d'aider au creusement du terrain en raison de la forte pente qui permet une évacuation spontanée et immédiate des produits creusés manuellement, voire un creusement spontané complémentaire. Les eaux s'écoulent ensuite dans un chenal amorcé artiiciellement et qui se développe et s'approfondit naturellement par Pour mémoire, on rencontre également parfois des travaux, non documentés à Saül sensu stricto pour l'instant, sur des têtes de criques ne comportant pas d'écoulement d'eau permanent ou qui se trouvent de toutes façon trop faibles ; il est alors créé dans le lit du criquot un ensemble de bassins creusés et qui se remplissent spontanément d'eau avec une disposition en cascades ; chaque bassin permet le lavage des alluvions à la battée grâce à la petite réserve d'eau ainsi constituée et les gros éléments sont rejetés en tas sur les cotés. le Travail des versanTs - les « Terres de monTagne » L’exploitation des éluvions et des éboulis présents sur les versants des reliefs collinaires se heurte à la question de la ressource en eau gravitaire nécessaire pour laver la terre et en séparer les particules d’or selon la même technique du sluice utilisée pour les alluvions de criques. Il devient alors nécessaire de réaliser des ouvrages hydrauliques pour amener les eaux sur le site avec la création de canaux amenant les eaux des criques et Karapa, vol. 4, décembre 2015 Figure 19 Parements muraillés en blocs de quartz sur le talus d’un chantier éluvionnaire, crique Grand Fossé amont l’action du courant d'eau amené sur le site ; la récupération de l’or s’efectue ici aussi par un sluice, souvent posé à même le lit du ruisseau artiiciel. Les autres aspects techniques du chantier sont sensiblement identiques à ceux du travail au sluice, avec notamment des tas de remblais observables sur les bordures du canal d’écoulement des eaux, mais les travaux sont en général encombrés de gros blocs de quartz issus du démantèlement des ilons par l'érosion. 83 De tels chantiers, dont le déroulement s’efectue ici aussi nécessairement de l'aval vers l'amont, sont observables sur le versant nord de la montagne de Bœuf-Mort en aval de la piste de Bélizon (rive gauche de la crique Bœuf-Mort) et dans la crique Grand Fossé au voisinage du captage d'eau potable où ces travaux, développés de façon spectaculaire, ont donné son nom à la crique. Ils ont certainement présenté un caractère saisonnier, car alimentés par des criquots au débit souvent très faible en saison sèche. Le travail des versants est accompagné le plus souvent de la technique du « sous-marin », forme la plus simple et la plus archaïque de l'exploitation de l'or ; en efet le canal en bois du sluice se trouve remplacé par un canal creusé directement dans la terre. Des replats et empochements piègent l'or, éventuellement avec du mercure déposé sur ces redans au fond du canal et il s'agit là d'une technique héritée des toutes premières époques de la métallurgie de l’or. Figure 20 Un « sous -marin », canal creusé dans le substratum et qui joue le rôle du sluice, crique Cajou La récupération de l'or s’efectue ensuite le même principe que celui de l'exploitation des criques, grâce à une topographie en forme de talweg créée de toute pièce qui se trouve évolutive avec l’avancement des chantiers vers l'amont ; le minerai, terres et cailloutis avec leurs particules d’or, lavé par l’apport des eaux des canaux, passe dans un sluice pour en récupérer les particules d'or. Avec l’évolution des techniques, les eaux issues des canaux se sont trouvées captées et acheminées par tuyaux sur les chantiers pour alimenter des lances équipées de réducteurs (les « monitors ») dont la pression permettait de déstructurer le terrain tout en assurant le lavage et le débourbage des matériaux. Plus tardivement, ces lances seront alimentées par des pompes thermiques. Un chantier éluvionnaire typique réalisé à l'aide d'une lance alimentée par une pompe thermique est obser- Karapa, vol. 4, décembre 2015 Figure 21 Chantier éluvionnaire avec attaque à la lance monitor (carte postale ancienne, Guyana) vable en contrebas de l’aérodrome dans les pentes qui dominent la rive droite de la crique Cochon. Une amorce de chantier de ce type existe sur la crique Grand Fossé un peu en aval de son intersection avec le layon de Bœuf-Mort. le Travail au feu 84 Il s'agit d'une technique parmi les plus anciennes qui se trouve parfois encore en usage et dont l’emploi dans les exploitations minières remonte au moins au Néolithique moyen dans les cristallières alpines (travaux pour l'extraction des cristaux de quartz destinés à être taillés) ou pour l’extraction des haches alpines en roches tenaces. Cette méthode se trouvait également en usage dans les petites Antilles pour briser des roches massives sans outillage. De même que pour l'élimination des roches dans les champs de cannes ou le terrassement de citernes enterrées dans les îles sèches, en particulier à Saint Barthélémy où le terrassement de l'usine électrique de Gustavia dans les années 1960 a été réalisé par cette méthode. Basée sur les propriétés de dilatation thermique des roches poussées jusqu’à la rupture du matériau sous l’action de la chaleur, elle fut la méthode de creusement des roches compactes employée dans les mines lorsque les outils métalliques devenaient inadaptés par suite de la dureté de la roche, et ce jusqu’à l'application de la poudre noire pour cet usage au XVIIe siècle. Elle est en pratique demeurée la méthode la mieux adaptée, autant sur les plans technique qu’économique, pour briser des blocs de roche dure en l’absence de moyens mécaniques. La méthode été employée plus au nord sur la commune à Sophie dans les années 50, et serait apparue à Saül lorsque les travaux du BMG, qui ont employé les orpailleurs artisanaux de la commune sur les chantiers de prospection ilonienne, ont révélé la présence d’or dans ces massifs de quartz. Diférents orpailleurs se sont alors détournés du travail des alluvions, au moins de façon saisonnière, pour s’afranchir des inondations en saison des pluies. Une enquête DRIRE de 1983 recense 4 orpailleurs exploitant le quartz de Bœuf-Mort par le feu sur les 13 travaillant encore à Saül à cette époque là. Les travaux que nous avons menés par ailleurs sur cette question par le passé et notamment à Saül ont montré qu'elle relevait d'un fond culturel général et patrimonial des populations et qu'elle se trouvait systématiquement réinventée en fonction des besoins par des opérateurs qui l’avaient vu pratiquer par ailleurs dans leur passé ou en avaient entendu parler, chacun l'adaptant à ses besoins. Karapa, vol. 4, décembre 2015 La technique consiste à chaufer les blocs de quartz massifs jusqu’à leur éclatement de façon à obtenir des éléments de plus faible module susceptibles d'être ensuite brisés à la masse, l’abatage étant complété à la masse et avec des coins. Les morceaux comportant des particules d'or étaient alors triés et ramenés dans un katouri-dos au village de Saül, puis broyés dans des « pilons » en mortier de ciment encastrés dans le sol à l'aide d'une barre métallique de récupération (cardan de camion, pilon de broyeur mécanique..) ; l’opération est terminée par un lavage à la battée du concentré de façon à séparer les sables de quartz broyé d'avec les particules d'or. Il ne semble pas que l'aspersion d’eau, pourtant relatée par J.Petot, était systématique pour provoquer l'éclatement de la roche qui intervient de toutes façon au cours du processus de chaufe, mais cette aspersion permettait de gagner du temps sur l'opération. En pratique, les orpailleurs allumaient un feu en première moitié de journée, puis le laissait brûler et refroidir, jusqu'au lendemain matin et proitaient de l'après-midi pour vaquer à d'autres occupations et notamment à l’abatis. Les produits obtenus par le creusement au feu présentent une morphologie typique et l’abatage thermique détache en surface des éclats de quartz très plats, puis des éclats décimétriques d’allure courbe et plus en profondeur des éclats de roche avec une section et triangle aigu isocèle qui permettent d’identiier immédiatement la mise en œuvre de cette méthode. Les moyens mis en œuvre dans ces opérations d'exploitation de l'or primaire ne se trouvent guère plus évolués que ceux disponibles dès avant l'Antiquité et représentent ici une véritable survivance technologique. Les chantiers à Saül se localisaient sur le versant nord de la montagne de Bœuf Mort sur des masses de quartz ilonien plus ou moins éboulées sur ellesmêmes. Les témoignages des orpailleurs ont montré que la méthode était mieux adaptée que l'explosif qui disperse les produits issus du tir et ne permet pas de récupérer les cailloux portant de l'or. Les blocs de quartz de ce secteur portent les stigmates caractéristiques de l'éclatement au feu, produits de ce type de travail, avec des éclats supericiels très plats 85 Figure 24 Produits caractéristiques de l’attaque au feu : éclats de quartz plats et éclats courbes Figure 22 Feu expérimental, montagne de Bœuf Mort Figure 25 Produits caractéristiques de l’attaque au feu : éclats de quartz avec une section de triangle aigu isocèle le quartz.L'aspersion d'eau attestée par Jean Petot ne présente pas ici une utilité fragrante autre que celle de gagner du temps, la fragmentation de la roche intervenant au cours de la durée du feu. Figure 23 Un pilon de broyage du quartz aurifère encastré dans le sol, Bourg de Saül et légèrement courbes, de diférentes tailles et des éclats plus profonds avec une section de triangle aigu isocèle. eu expérimental, montagne de Bœuf Mort Les expérimentations (P. Rostan 2006 et 2007) ont montré que les éclatements se produisaient très rapidement lors de la montée en température et se poursuivaient avec l'avancée du front de chaleur dans Karapa, vol. 4, décembre 2015 Il a été montré que les feux trop vifs dissipaient beaucoup de chaleur dans l'atmosphère et n’induisaient qu’un écaillage supericiel ; les feux lents et prolongés, sans lammes vives et spectaculaires, permettent une lente progression des fronts de chaleur dans le quartz massif et induisent un rendement de quartz brisé plus élevé. Ainsi l’utilisation de bois encore vert ou de couverture de feuilles sur le foyer, si elle donne au feu un aspect moins vif, permet de conserver la chaleur contre la roche et d'augmenter son eicacité et le bois sec est surtout nécessaire au démarrage du feu. méthode de l'emplombage pour les analyses des minerais aurifères. Le mercure permet ainsi une récupération aisée des particules d'or les plus ines dès lors que celles-ci se trouvent à son contact. 86 Figure 26 Front de taille d’une attaque au feu, avec une allure caractéristique en gradins renversés, montagne de Bœuf Mort D’une façon générale, la méthode fut employée en Guyane avec un caractère très empirique et à notre connaissance seul des carriers artisanaux de Cayenne au quartier de la Madeleine ont utilisé cette méthode de façon régulière pour fournir les travaux publics en éléments rocheux. la levée – l'amalgamaTion au mercure Cette technique ne s’accompagne pas de traces sur le terrain, mais représente l'ultime étape de la démarche minière et métallurgique de l'orpaillage artisanal. La récupération de l’or s'efectue avec une périodicité variable selon les auteurs, et surtout en fonction de l'importance du chantier et des volumes d’alluvions traités, de l'ordre de quelques heures à une semaine, mais sans doute pour l’orpailleur artisanal de façon quotidienne, avec un lavage du sluice et des riles qui ont retenu l’or, suivi d'une concentration des éléments lourds à la battée. « Cette opération ne présente aucune particularité remarquable et s'efectue en nettoyant, d’amont en aval, toutes les parties du sluice » (E.D. Levat 1905). Outre sa densité, une autre des particularités de l'or réside dans le fait qu'il s'agit d'un métal soluble à froid dans le mercure pour former un amalgame Au-Hg.D’autres métaux, et notamment l’argent, ont le même comportement en présence de mercure et l'or est de plus soluble à chaud dans le plomb, cette propriété étant utilisée de longue date avec la vieille Karapa, vol. 4, décembre 2015 Les propriétés d'amalgamation du mercure étaient connues dès l'Antiquité et il s’agit d'une méthode, commune ici aux diférentes techniques décrites ci-dessus, qui a été d’utilisation courante à partir du XVIe siècle pour l’extraction de l'or et de l’argent à l'échelon artisanal comme à celui industriel. Les techniques employées par les orpailleurs créoles sont demeurées dans la forme la plus simple de la méthode. La levée s’efectue en nettoyant les diférentes parties du sluice d'amont en aval et on lave aussi alors les mottes d’argile qui ont été mises de côté dans la journée. « Il ne reste plus qu'à nettoyer, avec la battée, l'amalgame du sable qu'il contient et à le débarrasser ensuite de l'excédent de mercure. Pour cela, on étend un carré de linge de coton mouillé sur la battée, de façon à former une poche sur laquelle on verse avec soin le contenu du seau en bois, puis on relève les bris du linge et serrant de plus en plus, en les tordant, les plis de cette poche de haut en bas, le mercure iltre au travers et seul l’or amalgamé reste en culot avec quelques grains de sable et quelques grenats que l’on enlève par un dernier lavage à la battée. On recommence la même opération de pression dans le linge à production (ndr = qui contient « la production ») en lavant et secouant cette fois fortement le culot dans le seau à mercure, à moitié plein d'eau, et, l'on emporte au chef-lieu du placer la production de la journée que l'on débarrasse du mercure par évaporation en chaufant dans une poêle en fer destinée uniquement à cette opération » (G.Brousseau 1901). Les techniques n’ont donc, ici non plus, pas connu d’évolution sensible et l'amalgame est serré dans un tissu de façon à laisser s'échapper le mercure qui est récupéré.L'amalgame d'or et de mercure, qui a perdu son caractère liquide, est ensuite passé à la poêle pour récupérer l’or et le mercure s’évapore. La récupération, très partielle, du mercure s’efectue avec des feuilles de balisier maintenues au-dessus du feu de distillation qui permettaient sa condensation. Il ne semble pas que des appareils de distillation pourtant simples, les retortes, aient été utilisés à Saül, ceux-ci étant en usage sur les chantiers des grandes sociétés d'orpaillage au siècle dernier ou ayant été difusés sur les petits chantiers à des époques plus récentes. Ces retortes ont cependant été réutilisées par les orpailleurs successifs et ne se retrouvent pas sur les sites. Les pertes de mercure proviennent du mercure échappé durant les opérations sur le site, mais aussi et surtout du mercure gazeux évaporé susceptible de se difuser aisément dans le milieu naturel ainsi que d'être inhalé par l’opérateur. conclusion Il apparaît ainsi, à travers la multiplicité des techniques employées, toute l'ingéniosité de l'orpailleur artisanal créole avec d’une part la nécessité d’une parfaite connaissance de son milieu et de sa géologie, même si elle se trouve acquise de manière empirique, et d’autre part celle de parvenir à s'adapter en permanence à tout un ensemble de facteurs comme la topographie du lieu, le mode de gisement de l’or, la saison de travail, etc.. Tous ces aspects viennent illustrer autant d'éléments pour la lecture d'un paysage profondément modelé par l'action humaine, mais où ces modiications ont été intégrées dans la topographie actuelle et passent ainsi aisément inaperçues. Saül concentre ainsi tous ces éléments permettant, par suite d'une préservation relative, une approche globale de la richesse et la variété des techniques de l'orpaillage artisanal et l’intérêt du site vient de son absence de mécanisation contrairement à de nombreux autres secteurs, sinon la plupart, des zones orpaillées du territoire guyanais. Il s'agit là en efet d'une situation que nous n’avons jamais retrouvée sur les autres sites miniers de Guyane. Il s'agit de plus de techniques communes à toute l’Amazonie et c'est donc ici un patrimoine technique commun pour lequel nous avons souvent fait appel aux sources écrites ou iconographiques de ces Guyanes voisines en particulier devant la pauvreté des données relatives à l'orpaillage artisanal local. En efet, la plupart des éléments disponibles se référant habituellement aux travaux artisanaux (au sens de non mécanisés) entrepris à plus grande échelle par les sociétés organisées de l'époque. Karapa, vol. 4, décembre 2015 Ce travail a été réalisé avec le concours de l'association Aïmara et du Parc Amazonien Guyanais. bibliographie BLANCANNEAUX P. 1981 Essai sur le milieu naturel de la Guyane française. Travaux et documents de l’ORSTOM n°137, 126 p. BORDEAUX A. 1914 La Guyane inconnue. Plon, 314 p. BROUSSEAU G. 1901 Les richesses de la Guyane française et le Contesté franco-brésilien. Société d’éditions scientiiques, 248 p. DANGOISE A., POTTEREAU 1909 Notes et essais sur la Guyane Française, et le développement de ses ressources variées et spécialement de ses richesses aurifères, iloniennes et alluvionnaires. 2ème édition, Hachette, 267 p. DENNISON L.R. 1954 Blancs, noirs et or au Venezuela. Hatier , Bovin, 270p. DRIRE 1983 Liste des orpailleurs présents à Saül au 01/10/1983. FAUGIER S. 1931 Sur la piste de l’or. A.Redier, 254 p. HUE F. 1892 La Guyane française. Lecéne Oudin, 238 p. LEVAT E.D. 1902 La Guyane française en 1902. Imprimerie Universelle, 124 p. 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Mettre en place un SIG revient à recueillir, stocker, traiter, analyser, gérer et présenter l’ensemble de ces données spatiales et géographiques. déTails de la mission de mise en place d’un sig à la dac La DAC s’est doté d’un SIG partagé entre ses diférents services avec pour objectif principal de numériser les servitudes d’utilité publique (monuments historiques et périmètres des aires de mise en valeur du patrimoine et de l’architecture) dont elle est gestionnaire. La majeure partie des données référentielles disponibles en Guyane (cadastre, base de données topographique du bâti, ortho-photoplans, etc.) sont accessibles en ligne via les plateformes d’échanges des données SIG : GéoGuyane (administrée par la DEAL et l’AUDEG) et Guyane SIG (administrée par le Conseil Régional) (igure 1). Figure 1 Exemple de référentiel disponible en Guyane: BD ortho historique, vue de Mana (1950) Karapa, vol. 3, juin 2014 89 90 Figure 2 : numérisation de l’emprise des Monuments Historiques (ici centre historique de Cayenne) À partir de ces données référentielles, il a été possible de numériser l’emprise des 81 monuments historiques de Guyane et de renseigner l’ensemble des informations des arrêtés de classement ou d’inscription dans la table attributaire (igure 2). L’emprise des sites archéologiques classés ou inscrits n’a pu être renseignée du fait de l’absence de données sur leur localisation précise. Un périmètre de 500 mètres a ensuite été généré à partir de chaque Monument Historique ain de visualiser les périmètres de protection en Guyane. Une base regroupant l’ensemble de ces données a ensuite été créée sur le serveur commun, rendant ces informations accessibles aux agents de la DAC. quelles uTilisaTions du sig pour l’archéologie en guyane ? Les données géo-localisées en archéologie à la DAC sont aujourd’hui limitées à des points de localisation de sites ou indices de sites archéologiques. Une Karapa, vol. 4, décembre 2015 analyse plus poussée des données territoriales (nature et occupations des sols, analyse de cartes anciennes, résultats de prospections et fouilles, etc.) permettrait la mise en évidence de zones de présomption de prescription ou de sensibilité archéologique. Au cours de cette mission de mise en place d’un SIG partagé, aucune donnée archéologique n’a été créée. Seul un état des lieux sur les attentes et besoin a été dressé. conclusion : vers une démocraTisaTion de l’ouTil en guyane Plus qu’un outil informatique, le SIG est une gestion raisonnée de l’information. Une fois ces données vériiées et standardisées, le SIG devient un outil d’analyse et d’aide à la décision. En Guyane, les initiatives dans le domaine culturel restent à être coordonnées ain de créer une base de données opérationnelle. KARAPA 4 conTenu Bilan de la recherche archéologique en guyane en 2014 rites funéraires précolomBiens de l’île de cayenne : l’exemple du site de momBin ii, rémire-montjoly le centre d’archéologie amérindienne de Kourou, la question de la valorication d’un site archéologique précolomBien la tradition arauquinoïde en guyane française : les cultures BarBaKoeBa et thémire « cayenne hollandaise », claes jan langedijcK et quirijn spranger archéologie funéraire en guyane française : le cimetière de l’haBitation jésuite loyola. fouille programmée de 2014 la poterie des jésuites : croissance et déclin d’un atelier du xviiie siècle l’haBitation Beauregard, 1665-1890 la « résidence » du gouverneur montravel à montjoly les techniques de l’orpaillage artisanal à dans le paysage saül (guyane française), vestiges et impacts mise en place d’un système d’information géographique dans le domaine culturel Publié avec le soutien inancier de la Direction des afaires culturelles de Guyane © 2015 Association AIMARA Rémire-Montjoly, Siret: 43189562200022 www.archeoaimara.net ISBN 1249-3422 © 2014