Mésolithique final et Néolithique ancien autour du détroit:
une perspective septentrionale (Atlantique / Méditerranée)
Grégor Marchand *, Claire Manen **
* CNRS – Université de Rennes 1 (France).
** CNRS – CRPPM (France).
ABSTRACT
Several recent excavations allow us to identify, within the first components of the Portuguese Neolithic, some
particularities that seem to represent a rupture with the “franco-iberian” Cardial. We can cite, for example, the abundance of
arrowheads of segment type, the heat treatment of flint or even some pottery shapes and decorations which diversify
dramatically on the transition from the 6th to 5th millennium BC (“bag-like shapes”, the use of la almagra, varieties of
impressed and incised techniques). In order to explain this recomposition of the Neolithic package in Southern Iberia, it
seemed to us interesting to explore various African lines of evidence. It seems therefore that the recomposition of the
Neolithic technological system is done both by the conjunction of elements of diverse origins and by local mutations, which is
not in full accord with the rapid pioneer displacement often used to model the Mediterranean Neolithic.
1. INTRODUCTION
Lorsque dans la seconde moitié du 20e siècle, les
hypothèses d’influences africaines dans le sud de la
péninsule Ibérique ont commencé à être négligées, les
archéologues se sont tout naturellement tournés vers les
modèles établis en France et en Italie pour définir les
liens culturels et chronologiques de la néolithisation. A la
faveur de travaux récents, il apparaît pourtant que
certaines innovations techniques du Mésolithique final et
du Néolithique ancien du sud de la péninsule Ibérique
n’ont rien à voir avec celles des cultures contemporaines
ou antérieures qui se sont développées en France ou
dans le Levante espagnol. Il serait évidemment
caricatural de chercher une origine directe de ces
nouveautés techniques en Afrique du Nord. Nous
souhaitons simplement poser quelques jalons
susceptibles d’éclairer les dynamiques culturelles
complexes à l’œuvre dans le courant du 6e millénaire
avant notre ère.
En Méditerranée occidentale, les données sur la fin
du Mésolithique sont encore rares (Perrin et al., 2009) et
il est donc très délicat de cerner précisément les
éventuels processus d’interactions entre les populations
autochtones mésolithiques et les sociétés porteuses de
l’économie néolithique. Dans ce contexte, la
néolithisation de la Méditerranée occidentale débute dès
6000 avant notre ère en Italie du Sud par l’établissement
de populations appartenant au complexe de la
“Ceramica impressa”. Durant cette même période
chronologique, il est possible d’observer l’implantation
sporadique en Ligurie, Provence et Languedoc de petits
groupes pionniers porteurs de l’économie néolithique
(Guilaine et al., dir. 2007). C’est en effet l’un des
enseignements des recherches des deux dernières
décennies dans le sud de la France que d’avoir
démontré que le développement du Néolithique cardial
avait été précédé dans le temps par de petites
implantations de populations de souche clairement
italienne. Cette antériorité est confirmée par les
datations 14C de ces sites qui convergent vers 58005600 avant notre ère. Dernièrement, la découverte du
gisement d’El Barranquet en Pays valencien pourrait
être associée à ce processus (Bernabeu et al., 2009).
Dans un deuxième temps, la culture cardiale se
développe dans l’aire tyrrhénienne, en France et en
Espagne selon des modalités que nous discuterons plus
loin. La néolithisation de la Méditerranée occidentale fait
donc appel à des processus variés et complexes
aboutissant à la fin du 6e millénaire avant notre ère à la
constitution d’un paysage culturel multiforme (Guilaine et
Manen 2007). Ainsi, bien qu’ils soient génétiquement
liés, il est parfois difficile d’identifier quels sont les
termes de passage entre les différents faciès du premier
Néolithique de la Méditerranée.
D’une manière générale, on doit donc retenir:
§ que la culture cardiale n’est plus le seul vecteur
de la néolithisation dans le sud de la France;
§ que localement les interactions entre chasseurscueilleurs et agro-pasteurs ont pu participer à
l’émergence de nouvelles identités;
§ que la perméabilité des frontières géographiques
et culturelles et l’évolution rapide des styles
céramiques entraînent des mixités au sein des
composantes matérielles que l’archéologue a
parfois du mal à ordonner.
Os últimos caçadores-recolectores e as primeiras comunidades produtoras do sul da Península Ibérica e do norte de Marrocos
2. SPÉCIFICITÉS DU NÉOLITHIQUE ANCIEN
PORTUGAIS ET COMPARAISONS
indirecte. Les armatures caractéristiques sont les
armatures à retouches rasantes, dites flèches de
Montclus. Elles ne font pas appel à la technique du
microburin. Il y a aussi des grattoirs et beaucoup d’outils
à encoche clactonienne et de pièces esquillées, ainsi
que des perçoirs fusiformes. Il faut signaler ici que ni le
traitement thermique, ni le débitage par pression, ne
sont connus dans le Cardial de France et que ce sont
des développements qui interviennent en péninsule
Ibérique uniquement. Les armatures géométriques sont
pour l’essentiel à retouches abruptes. C’est dans une
phase plus avancée que les segments à retouches
bifaciales – dites en doble bisel – font leur apparition.
Qu’en est-il en péninsule ibérique? Ces dernières
années, quelques rares armatures géométriques
trapézoïdales à retouches inverses rasantes, analogues
aux flèches de Montclus, ont été découvertes au
Portugal, par exemple par M. Diniz (2007) à Valada do
Mato (Évora) ou à Vale Santo (Vila do Bispo) selon
l’étude de A.F. Carvalho (2008), tous les deux dans un
Néolithique ancien évolué. Mais la forme essentielle,
largement majoritaire, des armatures du Néolithique
ancien au Portugal est le segment. Ce n’est pas une
forme inconnue en Espagne dans le Mésolithique ancien
et moyen, mais la filiation avec le Mésolithique final
s’interrompt avec le développement des industries à
trapèzes et à triangles (Fortea Pérez, 1973). Leur
réapparition au milieu du 6e millénaire en contexte
mésolithique, a été interprétée par J. Fortea Perez
comme une transformation graduelle à partir des
trapèzes, mais la démonstration laisse un peu dubitatif.
En France, ce type d’armature est rigoureusement
absent de l’Impressa et du Cardial. Dans le Cardial
ibérique, il est également des plus rares, au profit des
trapèzes à retouches abruptes, asymétriques plutôt que
symétriques. Il se développera seulement dans une
phase avancée du Néolithique ancien. Il est donc tentant
d’en chercher l’origine vers le sud et le continent
africain.
En Afrique du Nord, les segments sont des
armatures
particulièrement
nombreuses
dans
l’Ibéromaurusien, où ils sont liés aux lamelles à dos.
Mais il s’agit d’un techno-complexe nettement antérieur
à la période qui nous intéresse ici. Par ailleurs, dans le
Capsien supérieur en Algérie, les segments
disparaissent au début du 7e millénaire cal. BC, alors
qu’ils n’apparaissent au Portugal qu’au milieu du 6e
millénaire, soit un décalage de plus de mille ans. Les
regards se tournent alors vers le nord du Maroc, même
si la définition des groupes prénéolithiques y est à peine
esquissée. Selon A. Gilman (1975), Mugharet el Khail
(ou Khril-A – couche H) et Mugharet Es Saifiya (couches
C et D) laissent voir une industrie à lamelles à dos. Pour
les autres sites du Cardial de la péninsule Tingitane, les
industries lithiques sont décrites comme médiocres, en
tous les cas fort différentes du débitage laminaire bien
documenté dans l’est de l’Espagne ou du débitage
lamellaire du Portugal. Mais s’agit-il d’un mélange avec
Dans ce cadre de réflexion, et prenant pour point de
départ la discussion initiée entre A.F. Carvalho (2003) et
J. Bernabeu Aubán (2003), nous avons identifié parmi
les composantes du Néolithique ancien portugais celles
qui nous semblaient particulièrement originales par
rapport à la côte orientale de l’Espagne. Ces différences
nous ont incités à reconsidérer les mécanismes de
néolithisation dans cette zone charnière, entre mondes
méditerranéen et atlantique, entre mondes africains et
européens (Manen et al., 2007).
2.1. Spécificités du
Néolithique ancien portugais
Les productions lithiques du Néolithique ancien
portugais présentent des analogies avec celles du
Cardial “franco-ibérique”: elles sont basées sur une
production laminaire et lamellaire, les grattoirs sont rares
au contraire des perçoirs. Cependant, il existe de très
importantes différences que l’on doit souligner:
§ les segments sont des armatures largement
dominantes,
§ les lamelles sont débitées à la percussion
indirecte et à la pression,
§ les nucleus sont souvent préparés par chauffe
(30% au maximum).
En ce qui concerne les spécificités des productions
céramiques du Néolithique ancien portugais, on
retiendra les tendances générales suivantes:
§ l’abondance des formes en sac,
§ la grande variété des types d’impressions et
d’incisions mais la rareté des impressions
réalisées à la coquille de Cardium,
§ la structuration en bande simple non limitée,
§ la fréquence de la technique de “la almagra”.
Nous tenterons à présent d’identifier l’origine de
certaines de ces originalités techniques en menant la
discussion entre l’aire franco-ibérique, généralement
considérée comme à l’origine de la diffusion des
nouveautés techno-économiques néolithiques vers le
Portugal, et le nord de l’Afrique, possible vecteur
d’innovation.
2.2. Les industries lithiques:
éléments de comparaison
Dans le Cardial français, la production lithique est
principalement orientée vers la production de lames et
lamelles régulières, destinées aux armatures
géométriques mais aussi à l’obtention de couteaux
(Binder, 1987). Elles sont produites par percussion
174
Mésolithique final et Néolithique ancien autour du détroit: une perspective septentrionale (Atlantique / Méditerranée)
des industries antérieures ? Le Néolithique de style
cardial de Zafrín (îles Chafarinas) montre avec
davantage de crédibilité une industrie lithique associant
des segments, des lamelles à dos allongées et de
nombreux perçoirs réalisés sur des supports produits
après traitement thermique (Carvalho, 2010; M. Rojo et
R. Garrido, dans ce volume).
Dans le Néolithique de la région d’Oran, plus à l’est,
la couche I de la grotte de l’Oued Guettara, a livré à G.
Camps (1967) de nombreux segments et des lamelles à
dos, avec de la céramique imprimée. La couche II, sousjacente, contient en plus des segments, des trapèzes et
des triangles, avec de la céramique identique. Est-ce
une preuve de la contemporanéité des segments et du
Cardial? Dans l’abri de Hassi Ouenzga dans le Rif
Oriental, au Maroc, les segments et les lamelles à dos
très allongées gisaient dans les couches néolithiques,
associés cette fois à du matériel cardial et oranais
(couches 3-4-5), datés de 5600-4900 cal. BC
(Linstädter, 2003). Ces exemples pris sur la frange
septentrionale du Maroc et de l’Algérie, montrent que le
Néolithique ancien cardial ou le Néolithique ancien à
céramique incisée contiennent des segments et des
lamelles à dos. Si les lamelles à dos semblent rares
dans le Mésolithique final ibérique, le couple segment /
lamelle à dos est plus souvent rencontré dans le
Néolithique ancien ibérique, ce qui autorise de
prudentes analogies.
Abordons maintenant la question de la préparation
thermique et de sa diffusion très progressive. Au
Portugal, le traitement thermique du silex intéresse
d’emblée une bonne part des produits laminolamellaires, dont certains sont obtenus par pression
(Carvalho, 2008). Cette technique, de même que la
chauffe du silex, sont inconnus dans les industries
mésolithiques
antérieures
ou
contemporaines
(Marchand, 2001). M.-L. Inizan (1991) lie le traitement
thermique au débitage par pression. Écartant la
possibilité d’origine multiple de la technique “pression”,
elle souligne qu’il s’agit probablement d’un fait culturel,
avec un foyer d’invention dans une aire sibéro-sinomongole vers 20 000 cal. BC, puis une diffusion
progressive d’abord assurée par des populations de
chasseurs cueilleurs, puis après une arrivée au MoyenOrient assurée en Europe par les sociétés agropastorales. Pour cette enquête, force est de constater
que les mentions sont rares en Espagne. En Espagne
orientale (Pays valencien), il ne semble pas y avoir de
développement majeur de la chauffe préalable au
débitage (García, 2006). L’enquête reste à mener
Andalousie, où la néolithisation est un phénomène des
plus complexes: on notera cependant sa présence bien
affirmée associée au débitage lamellaire à la pression
sur le gisement de los Castillejos (Montefrío, Granada;
G. Martínez et al., dans ce colloque) ou dans la Cueva
de la Nerja (J.E. Aura et al. dans ce colloque). Dans les
travaux plus anciens concernant la “Cultura de las
cuevas”, ces techniques étaient déjà identifiées. D’où
175
viennent-elles? Puisqu’en en France, la chauffe
préalable du silex n’est attestée qu’à la fin du 5e
millénaire cal. BC dans le Chasséen du sud de la
France, il faut alors se tourner vers l’Afrique. J. Tixier
avait diagnostiqué l’usage de la pression dans le
Caspien supérieur de l’Aïn Dokkra et le traitement
thermique dans le Néolithique de tradition capsienne.
Sans prétendre avoir démontré que le couple pressiontraitement thermique vient d’Afrique à partir de quelques
points épars, il nous semble cependant qu’il y a un
phylum possible depuis ce continent, au milieu du 6e
millénaire cal. BC, un phylum introuvable de toutes les
façons en Europe.
2.2. Les productions céramiques:
éléments de comparaison
Dans le sud de la France, les productions
céramiques du Cardial ancien présentent les
caractéristiques générales suivantes (Manen et al. dir.
2010). Dans des terres majoritairement locales, les
potiers ajoutent fréquemment de la chamotte. La
structure générale du décor est zonée horizontale et le
vocabulaire décoratif est simple et/ou géométrique.
L’outil le plus fréquemment utilisé est le Cardium et il est
imprimé sur la pâte selon des inclinaisons diverses qui
peuvent dessiner les contours d’identités régionales. La
tendance évolutive est marquée par une simplification
des motifs décoratifs, de la structure des décors et la
genèse de nouveaux styles marqués par l’utilisation de
décors réalisés au poinçon, à l’aide de matrices diverses
ou de cordons lisses. Sur le versant méditerranéen de
l’Espagne, les analyses conduites à Can Sadurni (Clop
et al., à paraître) et à la Cova de l’Or (Néolithique IA –
McClure et al., 2006) montrent également l’emploi de la
chamotte ainsi qu’au début du Cardial, une structuration
complexe des décors principalement réalisés à la
coquille de Cardium et à l’aide d’éléments plastiques
(Cardial classique, Bernabeu Aubán et al., 2010). Cette
image bien que très générale (variété des types
d’impressions au Cardium, combinaison entre
techniques décoratives, …) est suffisante pour notre
propos.
Les caractères morphologiques, principalement
sphériques et hémisphériques, des céramiques du
Néolithique ancien portugais sont globalement similaires
à ce que l’on trouve en Pays valencien. On notera
cependant la plus forte représentation des formes “en
sac” parfois munies d’un léger col au Portugal. Ce type
de vase est souvent lié à des préhensions de type “anse
annulaire” disposées sous le bord. Ce développement
particulier pourrait représenter une spécificité portugaise
dont il faudrait déterminer la nature. Les éléments de
préhension sont extrêmement variés et très souvent
disposés près du bord ou même dépassent le bord. On
signalera plus particulièrement les boutons perforés ou
non (souvent superposés verticalement) et les petites
Os últimos caçadores-recolectores e as primeiras comunidades produtoras do sul da Península Ibérica e do norte de Marrocos
2.3. Le rôle non-négligeable des
communautés du Mésolithique
dans la néolithisation
anses annulaires rehaussées d’un bouton. Cette
exubérance des éléments de préhension semble avoir
ses racines en Espagne.
La construction des thèmes décoratifs des
céramiques du Néolithique ancien portugais ne
correspond pas à un schéma très complexe: position du
décor dans le tiers supérieur du vase, structure
majoritairement horizontale et motifs simples linéaires.
Au contraire, les premières productions cardiales de
l’ouest de l’Espagne sont caractérisées par une
décoration plus couvrante, composée de rubans et de
guirlandes dont la répétition sur la surface du vase fait
appel à divers axes de symétrie. En ce qui concerne les
techniques décoratives, nous avons signalé plus haut
que la première phase cardiale était caractérisée par
l’impression d’une coquille de Cardium selon diverses
modalités (impression du bord mais également Cardium
traîné – arrastre – natis, cordon imprimé à la coquille…).
Cette diversité dans l’emploi de la coquille ne semble
pas présente au Portugal de même que l’analyse
minutieuse des corpus (Carvalho, 2008, à paraître) tend
à montrer que la céramique non décorée est en
proportion importante (40%-50%).
Dans le Néolithique ancien de l’est marocain, le
développement de forme en sac parfois à léger col et
fond conique, la richesse des techniques décoratives
imprimées / incisées et la simplicité structurelles des
décors rejoignent les spécificités andalouses et
portugaises. D’après les récents travaux de J.-P.
Daugas et de son équipe (2008), la céramique cannelée
fait partie intégrante du Cardial au Maroc septentrional
et ce dès sa phase initiale, c’est-à-dire vers 5600-5300
cal. BC, incorporant ainsi un élément typique de la
région d’Oran. Enfin, si l’usage de colorant rouge n’est
pas signalé pour les poteries, on retiendra que
l’utilisation de l’ocre est bien connue sur le continent
africain puisqu’il s’agit d’une des composantes majeures
de l’ornementation des objets utilitaires du Capsien.
Toujours en ce qui concerne les relations entre
Afrique et Espagne, une révision des ensembles
céramiques du Néolithique ancien au Maroc
septentrional, réalisée par A. El Idrissi (2001) a permis
de proposer des corrélations chrono-typologique entre
ces productions et celles du sud du Portugal. Cet auteur
établit quatre phases évolutives successives, dont les
phases intermédiaires (B et C) présentent des parallèles
indéniables avec les types portugais. La phase B, bien
représentée sur le site de Kaf Taht el Char, daté
d’environ 5500 cal. BC, est accompagnée de formes
sphériques ou ovoïdes (parfois en sac), avec des fonds
coniques plus ou moins épais et des décors d’éléments
plastiques (cordons lisses ou ornementés). Les
impressions au Cardium sont simples: impressions
courtes, organisées en bandes parallèles au bord.
La présence de groupes de chasseurs-cueilleurs sur
les territoires gagnés progressivement par les sociétés
agro-pastorales est bien évidemment un paramètre à
prendre en compte, notamment parce l’arythmie de la
progression du Néolithique en Europe pourrait être en
partie due à ces groupes. Au Portugal, les travaux de
José Arnaud et de João Zilhão ont bien montré qu’il
existe une coexistence à très longue durée sur des
territoires limitrophes, avec des communautés humaines
mésolithiques exploitant les très riches fonds d’estuaires
du Tage ou du Sado, tandis que des populations
néolithiques étaient connues dans le centre de
l’Estremadura ou en Algarve occidentale. Pour notre
propos, il importe surtout de noter la métamorphose
d’une partie des armatures mésolithiques, dans une
phase terminale du Mésolithique final (MF 3), datée
autour de 5500 cal. BC: l’apparition progressive des
segments à retouches abruptes serait enregistrée dans
les stratigraphies de Cabeço da Amoreira et avec moins
de pertinence à Cabeço do Rebolador, le long du Sado
(Marchand, 2001). Par la suite, les segments
deviendront dominants dans le Mésolithique final
Portugais, comme à Varzea da Mó. Or, il faut encore
une fois insister sur la domination exclusive de ces
segments dans le Néolithique ancien portugais, toujours
avec des retouches abruptes. Il y a donc une similitude
de forme indéniable, alors que les réseaux d’acquisition
des matières premières sont totalement différents.
L’industrie lithique du Néolithique ancien du sud du
Portugal possède des caractères communs avec celle
du Mésolithique final:
§ segments,
§ chaînes opératoires de production de lamelles
régulières à section prismatique,
§ préparation par facettage des plans de frappe,
§ faible éventail typologique de l’outillage commun
(quasi-absence des burins et rareté des
grattoirs).
Il y a également des caractères novateurs:
§ traitement thermique,
§ débitage lamellaire par pression,
§ percussion bipolaire sur enclume pour certains
blocs,
§ perçoirs fusiformes.
On doit alors conclure qu’il y a deux systèmes
techniques différents par les méthodes de taille, les
techniques de taille, les approvisionnements en
matériaux, mais il existe des ponts à l’évidence entre
Mésolithique et Néolithique. S’agit-il d’une filiation ou de
transferts techniques entre groupes contemporains? Il
faudrait davantage de stratigraphies à haute résolution
pour en juger.
176
Mésolithique final et Néolithique ancien autour du détroit: une perspective septentrionale (Atlantique / Méditerranée)
3. CONCLUSION
Pour terminer nous proposons de replacer ces
réflexions sur le processus de néolithisation dans une
perspective plus générale. Au modèle de la vague
d’avance par déplacements réguliers de populations
développé par A.J. Ammerman et LL. Cavalli Sforza
(1971), J. Guilaine (2001) oppose pour la néolithisation
méditerranéenne, une progression arythmique, marquée
par des temps de pause et une recomposition du
système de valeur des premières sociétés paysannes,
parfois sous l’influence des dernières communautés de
chasseurs. Dans le Sud de la France et peut-être en
Pays valencien, le processus de néolithisation (fig. 1) fait
appel à différents mécanismes. L’un d’eux, l’Impressa,
est assimilable à une colonisation (phase pionnière) qui
voit l’implantation de groupes au système technique peu
recomposé par rapport à la zone d’origine et avec un
très faible décalage chronologique. Le devenir de ces
groupes humains et leurs impacts dans le processus de
néolithisation global reste difficile à estimer. Dans un
deuxième temps se développe la culture cardiale selon
un processus plus probablement de type expansion
démographique (phase néo-pionnière, contextes
culturels comparables mais recomposés, léger décalage
chronologique et faible distance géographique)
davantage marqué par les recompositions culturelles et
ce parfois sous l’influx des dernières populations de
chasseurs-cueilleurs ou de composantes néolithiques
géographiquement voisines. C’est ainsi par exemple que
le Cardial du sud de la France se démarque
sensiblement de celui de l’aire tyrrhénienne (Manen et
Perrin 2009). La néolithisation du sud du Portugal
pourrait s’inscrire dans ce type de processus. En effet,
nous pourrions assister dans le sud de la péninsule
Ibérique à un effet de transfert entre mondes
méditerranéen et africain, qui donnerait lieu à la
naissance d’un horizon cardial partiellement recomposé.
Ces éléments africains pourraient être représentés par
les formes “en sac” parfois à fond conique, l’utilisation
de “la almagra”, le traitement thermique, le débitage par
pression, le façonnage de segments étroits … tous ces
éléments qui sont typiques du Néolithique ancien de
l’Andalousie occidentale et du Portugal mais que l’on ne
retrouve pas ou peu dans l’aire franco-ibérique.
Mais la réalité historique doit probablement être plus
complexe: les recherches de J. Zilhão (2009) en
Estremadura suggèrent par exemple un phasage du
Cardial avec dans un premier temps un faciès proche de
celui de la région levantine. Il faut cependant remarquer
que les gisements cités par ce chercheur sont des
contextes sépulcraux en grottes où les assemblages
céramiques peuvent revêtir des caractères stylistiques
particuliers non-développés sur les habitats (Carvalho, à
paraître). On doit également s’interroger sur les liens
potentiels avec les faciès du Néolithique ancien des
sites récemment découverts dans le nord de la Meseta.
Ces réflexions ne sont encore qu’au stade de
177
l’ébauche et la poursuite des opérations de terrain,
notamment dans certaines régions encore peu
explorées, ainsi que l’élaboration d’un cadre
chronologique fin restent un préalable à ces recherches.
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Mésolithique final et Néolithique ancien autour du détroit: une perspective septentrionale (Atlantique / Méditerranée)
Figure 1. Représentation schématique des principales entités impliquées dans le processus de néolithisation
de la Méditerranée occidentale. Les fourchettes chronologiques sont données avant notre ère (= cal. BC).
D’après Bernabeu et al. 2009, Capote et al. 2006, Cesari et al. 2008, Guilaine et al. dir. 2007, JuanCabanilles et Martí Oliver 2002, Manen et al. 2007, Rojo Guerra et al. 2008.
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Os últimos caçadores-recolectores e as primeiras comunidades produtoras do sul da Península Ibérica e do norte de Marrocos
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