Dynamique du charriage et des habitats. Fiche 1 © OFEV 2017
1
1 Dynamique des sédiments dans
le réseau hydrographique
Ch. Scheidegger, N. Siviglia, C. Trautwein, D. Vetsch, V. Weitbrecht
Les sédiments parviennent dans les cours d’eau principalement sous l’effet de l’érosion ainsi que via des glissements de terrain et des coulées de boues, et l’eau les
emporte ensuite vers l’aval. En raison de leur mode de
transport, on distingue deux types de sédiments. a) Les
matériaux au grain fin, comme le sable, le limon et l’argile, qui flottent dans l’eau. Leur diamètre est en général
inférieur à 2 mm et les spécialistes les appellent « matières en suspension » ou « sédiments fins » (cf. fiche 3).
b) Les matériaux plus grossiers, tels le gravier et les
galets, qui roulent ou glissent sur le fond du lit et sont
appelés « charge de fond » ou « matériaux charriés ». La
dynamique des sédiments est également appelée régime
ou bilan sédimentaire ou encore régime des matières
solides.
Les sédiments sont composés de matériaux minéraux
solides, comme le sable et le gravier, ainsi que de fragments de matériel biologique, tels des résidus de feuillage. La dynamique des sédiments comprend trois phénomènes : 1) la mobilisation (apport ou production), 2) le
transport et 3) le dépôt.
Les trois phénomènes mobilisation, transport et dépôt se
déroulent sur une durée très variable, allant de quelques
minutes à plusieurs siècles (Wohl et al. 2015). Ils peuvent
également intervenir à différents emplacements, tant
dans l’ensemble du bassin versant (fig. 1) que dans l’habitat d’une espèce piscicole particulière. Les différentes
échelles temporelles et spatiales s’influencent mutuelle-
La mobilisation, le transport et le dépôt de sédiments
subissent de grandes variations temporelles et spatiales, dont la dynamique est définie par des facteurs
géomorphologiques, climatiques, hydrologiques, hydrauliques et écologiques. Les animaux, les végétaux, les
champignons et les micro-organismes ont su s’adapter
de multiples manières à la dynamique des sédiments,
nombre d’espèces en étant même tributaires pour se
développer. Ce système est perturbé, tantôt directement
tantôt indirectement, par l’homme. La présente fiche
donne un aperçu de la dynamique sédimentaire dans les
cours d’eau suisses et décrit les conséquences des
interventions anthropiques.
Ch. Weber, M. Döring, S. Fink, E. Martín Sanz, Ch. Robinson,
Fig. 1
La mobilisation, le transport et le dépôt de sédiments interviennent à différents endroits du bassin versant (à gauche). Plaine alluviale dynamique
dans le val Roseg (GR ; à droite).
Photo : Eawag
2
Dynamique du charriage et des habitats. Fiche 1 © OFEV 2017
ment : les processus à grande échelle ont un impact à
petite échelle et inversement.
Échelle temporelle
La mobilisation et le transport de sédiments se produisent souvent de manière soudaine, par exemple
lorsque le débit dépasse une certaine valeur lors d’une
crue. Cette remarque s’applique en particulier à la charge
de fond, car ces phénomènes sont plus continus dans le
cas des matières en suspension, leur mobilisation et leur
transport étant liés directement au débit (Wohl et al.
2015). Une fois déposés, les sédiments demeurent plus
au moins longtemps au fond du lit avant d’être remobilisés. Les matériaux charriés restent souvent à la même
place pendant plus de douze mois et forment pendant
des années, voire des décennies, des îles dans le chenal
principal, sur les terrasses alluviales, les rives ou les
flancs des vallées. Les sédiments déposés au fond des
lacs ne sont mobilisés que par des événements d’envergure, très rares et dès lors imprévisibles, tels un tremblement de terre, un ouragan ou un tsunami. En 563, c’est
probablement un éboulement sur la rive du Léman qui a
Fig. 2
Mobilisation, transport et dépôt de sédiments le long d’un cours fluvial.
Cours d’eau et affluent
Région
Déclivité, courant
Débit
Apport de
matériaux charriés
Dépôt de matériaux solides
Granulométrie
dominante
Source : Eawag
Alpes
Préalpes
Plateau
Dynamique du charriage et des habitats. Fiche 1 © OFEV 2017
provoqué l’effondrement du delta du Rhône, emportant
250 millions de mètres cubes de sédiments vers le fond
lacustre. Le tsunami ainsi déclenché a provoqué de
vastes destructions tout autour du lac.
Échelle spatiale
Sous l’effet de l’abrasion due au transport et à l’altération, la taille des matières charriées dans une rivière
diminue sans cesse, de la source jusqu’à l’embouchure.
Dans le cours inférieur, la distribution granulométrique
sur le fond du lit est en général plus uniforme et la granulométrie moyenne plus petite que dans le cours supérieur. Lorsque le cours inférieur est peu profond, l’eau
transporte en majorité des particules plus fines et des
matières en suspension. Dans le cours supérieur, ce sont
au contraire les matières plus grossières qui dominent,
sauf dans les torrents glaciaires, où la concentration de
matières en suspension est élevée. Les affluents peuvent
perturber ce modèle longitudinal par le déversement de
quantités considérables de sédiments de granulométrie
variable (Wohl et al. 2015 ; fig. 2). Sur le cours d’une
rivière, les tronçons à dépôts et les tronçons d’érosion
alternent en fonction de la forme du chenal. Les lacs
étant des pièges à sédiments, leurs effluents ne transportent qu’une charge de fond minime. À plus petite
échelle, même à l’intérieur d’un tronçon, des habitats qui
se distinguent par la granulométrie de leurs sédiments
sont accolés, les mouilles garnies de particules fines
jouxtant directement des radiers couverts de matériaux
plus grossiers.
Facteurs de la dynamique sédimentaire
Mobilisation, transport et dépôt de sédiments dépendent
de différents facteurs. Décrits dans les paragraphes ciaprès, ils se répartissent en quatre groupes :
1) facteurs géomorphologiques (caractéristiques du
bassin versant, p. ex.),
2) facteurs climatiques et météorologiques (telles de
fortes précipitations),
3) facteurs hydrologiques et hydrauliques (vitesse
d’écoulement, p. ex.),
3
4) facteurs écologiques (présence de plantes aquatiques ou de bois flottant, etc.).
L’importance de chaque facteur varie en fonction du lieu
où il agit dans le bassin versant. Le plus souvent, plusieurs facteurs se conjuguent en outre dans un même
tronçon, renforçant ou entravant mutuellement leurs
effets.
1) Géomorphologie
La composition géologique du bassin versant, c’est-àdire le type de roche qui le constitue, et son degré de
dégradation déterminent la mobilisation des sédiments,
leur forme, leur dureté, leur composition chimique et la
distribution de la granulométrie. Dans le lit d’un cours
d’eau, les roches calcaires résistent moins à l’abrasion et
leur taille diminue sur une distance plus courte que celle
des roches cristallines. La topographie joue aussi un rôle,
en particulier la forme de la vallée et, dès lors, la déclivité
du chenal et l’inclinaison des flancs de la vallée. Une
déclivité relativement forte accroît le transport de sédiments et peut, dans les cas extrêmes, provoquer des
coulées de boue. Des flancs très inclinés favorisent les
glissements de terrain et les éboulements, ceux-ci augmentant l’apport de sédiments dans le chenal.
2) Climat et météorologie
En altitude, l’apport de sédiments provient principalement de l’érosion des rives, de glissements de terrain et
de coulées de boue. Ces derniers peuvent être provoqués
par de fortes précipitations accompagnant les orages,
mais aussi par des pluies persistantes qui saturent le sol
et réduisent sa capacité de stockage. Par ailleurs, les
avalanches déversent aussi des sédiments dans les
cours d’eau.
Différents facteurs déterminent l’infiltration et le rapport
entre précipitations et débit : outre la saturation du sol, ils
comprennent la nature de ce dernier ainsi que sa couverture végétale et ses racines. En cas de pluie, l’eau
s’infiltre plus rapidement dans un sol assoupli par des
racines, qualité qui atténue les pics de crue et diminue le
taux de transport de sédiments.
Dynamique du charriage et des habitats. Fiche 1 © OFEV 2017
3) Hydrologie et hydraulique
Le débit, la déclivité et la structure du chenal déterminent
la profondeur d’un cours d’eau, la vitesse d’écoulement et
les contraintes mécaniques que subit le fond du lit. Ces
éléments influent à leur tour sur le charriage des sédiments dans le cours d’eau à différentes échelles spatiales et temporelles. Ce transport peut varier selon la
saison, car il dépend des précipitations et du débit, qui
affichent des différences régionales et saisonnières.
4
Lorsque le temps est chaud en été, les torrents glaciaires
charrient, durant la journée, de fortes charges de sédiments fins provenant de l’abrasion du glacier. Il est en
général beaucoup plus difficile de prévoir la dynamique
des sédiments que celle des écoulements.
4) Écologie
La végétation présente dans le cours d’eau et alentour
exerce une influence sur la dynamique des sédiments.
Fig. 3
Les organismes vivants exercent une influence sur la dynamique des sédiments. a) Des végétaux aquatiques (p. ex. Callitriches sp.) retiennent les
sédiments fins. b) Durant le frai, les ombres (Thymallus thymallus) retournent le gravier sur le fond du lit. c) Les barrages de castors engendrent
des dépôts de sédiments fins. d) Les larves du trichoptère (Allogamus auricollis) utilisent des particules sédimentaires pour construire leur
fourreau.
a
b
c
d
Photos : AWEL, Michel Roggo, Christoph Angst, Roland Riederer
Dynamique du charriage et des habitats. Fiche 1 © OFEV 2017
D’une part, ses racines consolident le sol et réduisent
l’érosion des rives et des flancs de vallée. D’autre part,
des peuplements denses de plantes aquatiques et l’accumulation de bois flottant peuvent soit créer des dépôts
locaux de sédiments (fig. 3a) soit provoquer une érosion
de la rive.
Certains organismes vivants participent si activement à
la dynamique sédimentaire qu’ils sont appelés « ingénieurs des écosystèmes » : pendant le frai, la truite et
l’ombre creusent le fond du lit et remobilisent des sédiments fins (fig. 3b). Les barrages de castors réduisent la
vitesse d’écoulement, favorisent les dépôts de sédiments
et peuvent même dévier le chenal (fig. 3c). Les larves de
certains trichoptères vivent bien à l’abri dans des fourreaux qu’elles construisent en utilisant des particules
sédimentaires (fig. 3d), leurs logements modifiant la
dynamique d’écoulement à petite échelle. Les algues qui
occupent le fond du lit accroissent sa stabilité en agglomérant des particules de sédiments.
Effets de la dynamique sédimentaire
La mobilisation, le transport et le dépôt de sédiments
déterminent les caractéristiques de nombreux cours
d’eau (Wohl et al. 2015). La dynamique des sédiments
exerce en particulier une influence sur :
A) les conditions environnementales des habitats
fluviaux (température, vitesse d’écoulement, etc.) ;
B) les processus écologiques tels le cycle des nutriments ou la photosynthèse (utilisation de la lumière
du soleil par les plantes et les algues) ;
C) les organismes vivants (poissons, larves d’insectes
ou végétaux).
Les trois chapitres ci-après explorent plus en détail ces
effets de la dynamique sédimentaire. Ce faisant, ils
mettent en général l’accent sur les échelles petite à
moyenne, qui correspondent à la durée de vie et à l’habitat de la plupart des organismes aquatiques. Il importe
toutefois de garder à l’esprit que conditions environnementales, processus écologiques et organismes vivants
subissent également l’influence de phénomènes intervenant à large échelle et sur le long terme (cf. chap. Échelle
temporelle).
5
A. Conditions environnementales
La mobilisation, le transport et le dépôt de sédiments
créent et détruisent les habitats situés dans et au bord de
la rivière (Döring et al. 2012). La littérature spécialisée
parle alors d’une mosaïque dynamique d’habitats1 (shifting habitat mosaic). En d’autres termes, si les bancs de
gravier ou les mouilles ne restent pas toujours au même
endroit dans un cours d’eau proche de l’état naturel, leur
superficie totale demeure pratiquement identique à long
terme dans un même tronçon.
Habitats fluviaux
À petite échelle, la distribution granulométrique sur le
fond du lit inondé varie en fonction de la vitesse d’écoulement ou de la profondeur de l’eau. Dans le cadre du
projet de recherche « Dynamique du charriage et des
habitats », les scientifiques ont comparé des tronçons
canalisés et élargis de la Thur (TG/ZH ; Martín Sanz
2017), en étudiant plus spécialement la distribution granulométrique et son évolution dans le temps (fig. 4a et
4b). Dans les tronçons canalisés situés en amont et en
aval du tronçon élargi, les sédiments présentaient une
granulométrie similaire : grossière et uniforme, qui n’évoluait d’ailleurs guère au fil du temps (fig. 4b). Dans le
tronçon élargi, la granulométrie était sensiblement plus
variable et dynamique : sédiments plus fins dans certaines portions du tronçon et plus grossiers dans d’autres,
changements nettement plus marqués au fil du temps.
Habitats alimentés par l’eau souterraine
L’eau d’une rivière est en relation constante avec l’eau
souterraine et la zone non saturée (cf. fiche 5). Cette
connectivité verticale influe sur d’importants paramètres
environnementaux tels que la température de l’eau. À
proximité d’une résurgence d’eau souterraine, l’eau est
en général plus fraîche en été et plus chaude en hiver que
dans le reste de la rivière (Jungwirth et al. 2003). La
connectivité verticale dépend de la composition et de
l’épaisseur du fond du lit ainsi que de la granulométrie.
Les dépôts de sédiments fins peuvent recouvrir le fond,
boucher ses pores (colmatage) et entraver cette connectivité (cf. fiche 3). Ils seront emportés par le courant lors
1 La définition de nombreux termes tels que « mosaïque dynamique
d’habitats » sont définis dans le glossaire du site www.rivermanagement.ch,
rubrique Produits et publications.
Dynamique du charriage et des habitats. Fiche 1 © OFEV 2017
6
Fig. 4a
Fig. 4b
Composition granulométrique des sédiments dans des tronçons
Évolution dans le temps de la composition granulométrique des sédi-
canalisés et élargis de la Thur.
ments dans les tronçons canalisés et élargis de la Thur. Plus le coef-
6
5
4
3
2
1
0
Tronçon
canalisé
Tronçon canalisé
Érosion
Banc de
gravier
Zone d’eau
calme
Tronçon
canalisé
Tronçon élargi
Évolution de la granulométrie dans le temps (CV)
Granulométrie moyenne (cm)
ficient de variation [CV] est grand, plus la modification est importante.
0,5
0,4
0,3
0,2
0,1
0
Tronçon élargi
Tronçon canalisé
Source : Martín Sanz 2017
Source : Martín Sanz 2017
d’une crue suffisamment importante pour induire la mobilisation du fond du lit.
Fig. 4c
Germination et croissance du tamarin d’Allemagne sur différents
substrats sédimentaires. Les couleurs correspondent à différents
stades de développement.
Nombre d’individus (moyenne au fil du temps)
Habitats terrestres
La dynamique des sédiments détermine le type d’habitats qui se forment le long des cours d’eau : les dépôts de
sédiments fins dans le lit majeur sont des facteurs clés
de la formation de forêts alluviales à bois dur (cf. fiche 5).
Le déplacement d’un banc de gravier altère la distribution granulométrique et, dès lors, la perméabilité et la
quantité d’eau disponible à sa surface. Ces modifications
créent de nouveaux habitats, qui seront colonisés par des
plantes pionnières, tels l’épilobe de Fleischer (Epilobium
fleischeri) ou le tamarin d’Allemagne (Myricaria germanica). Des expériences menées sous serre, dans des
conditions contrôlées, montrent à quel point la germination et la croissance du tamarin d’Allemagne dépendent
de la composition des sédiments (fig. 4c ; Benkler et
Bregy 2010) : un fond sablonneux favorise la germination ; en l’absence de sable, le taux de germination est
faible, voire nul. Si la germination est rapide, l’apparition
des feuilles prend nettement plus de temps. À ce stade
aussi, des différences existent entre les types de sédiments. En outre, des distinctions séparent les différents
peuplements : les graines du bassin versant du Rhône
germent par exemple plus rapidement que celles du bassin versant de l’Inn.
12
10
8
6
4
2
0
Gravier
Sol/gravier
Sable
Sol/sable Sable/gravier
Germe
Cotylédons
Première paire de feuilles
Deuxième paire de feuilles
Source : Benkler und Bregy 2010
B. Processus écologiques
Cycle des nutriments
Les matériaux riches en nutriments, tel le feuillage provenant de la rive ou des tronçons en amont, s’accrochent
sur le fond du lit et s’accumulent. Ils sont alors transfor-
Dynamique du charriage et des habitats. Fiche 1 © OFEV 2017
période d’observation. La dynamique a été entièrement évaluée
Respiration (mg O2/kg sed h-1)
(durée et niveau du débit).
1,00
0,75
0,50
0,25
Respiration (mg O2/kg sed h-1)
0
1,00
0,75
0,50
0,25
0
1,00
0,75
0,50
0,25
0
1,00
Intensité des crues
0,75
0,50
0,25
Source : Martín Sanz 2017
é
na
l is
lm
ca
ca
nç
Tr
o
d’e
ne
Zo
Tronçon élargi
on
au
gr
de
nc
Ba
Tronçon canalisé
e
r
ie
av
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os
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on
ca
na
l is
n
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0
nç
Le colmatage peut également avoir un impact sur d’importants processus écologiques intervenant dans le fond
du lit. Dans les zones d’infiltration, le milieu consomme
plus d’oxygène que dans les résurgences d’eau souterraine, car l’eau de la rivière contient du matériel végétal
qui sera également transformé après infiltration. À l’inverse, l’eau souterraine poussée vers la surface est riche
en nutriments qui proviennent de la minéralisation de
matériel végétal dans la zone non saturée.
lit, en fonction de la dynamique des crues et du charriage durant la
Respiration (mg O2/kg sed h-1)
Le projet « Dynamique du charriage et des habitats » a
cherché à déterminer, dans des tronçons canalisés et
élargis de la Thur (ZH/TG), à quel point la respiration
microbienne dans les sédiments est tributaire de la dynamique de ceux-ci (Martín Sanz 2017). Dans les tronçons
canalisés, la dégradation de la matière organique était
plus intense (fig. 5). Les valeurs mesurées étaient par ailleurs plus uniformes que dans les tronçons élargis, où
l’on a observé de plus grandes variations locales. Lorsque
la fréquence et l’intensité des crues augmentaient, la
transformation du matériel organique diminuait. Cette
corrélation est apparue le plus clairement dans les tronçons élargis, où le fond du lit est plus dynamique (fig. 4b).
Transformation de matériel organique (respiration) sur le fond du
Respiration (mg O2/kg sed h-1)
La rétention, l’accumulation et la transformation de matériel végétal dépendent notamment de la distribution
granulométrique sur le fond du lit : plus les particules de
sédiments sont grossières et plus la vitesse d’écoulement
à proximité du fond est faible, plus l’effet de rétention
sera grand. La fréquence et la puissance des crues charriant des matériaux solides revêtent aussi de l’importance. Leur diminution peut conduire à une forte accumulation de matériel végétal au fond du lit, dont la
dégradation par les divers organismes vivants conduit à
une augmentation de la consommation d’oxygène, ou
respiration. Un tel processus est à même de modifier les
concentrations de nutriments dans l’eau et, donc, le métabolisme de tout l’écosystème.
Fig. 5
Tr
o
més par une multitude de micro-organismes, de champignons, d’algues et de larves d’insectes. Ceux-ci constituent à leur tour la nourriture des poissons et d’autres
organismes vivants (Jungwirth et al. 2003). Le feuillage
retenu sur le fond du lit joue donc un rôle important pour
l’ensemble du réseau trophique, en particulier dans les
cours d’eau situés en altitude et les zones alluviales.
7
Dynamique du charriage et des habitats. Fiche 1 © OFEV 2017
Interactions dans le réseau trophique
Selon leur taille et leur type, les matières en suspension
peuvent réduire l’apport de lumière dans le cours d’eau
(turbidité) et entraver la photosynthèse des algues ou des
végétaux aquatiques. En recouvrant les algues et les
plantes aquatiques, les dépôts de sédiments fins sur le
fond du lit peuvent, eux aussi, réduire la photosynthèse
de ces végétaux, voire provoquer leur dépérissement
(cf. fiche 3).
8
La végétation pionnière offre nourriture et abri aux
insectes spécialisés. Le criquet des iscles (Chorthippus
pullus), par exemple, apprécie surtout les herbacées,
telles que Carex ssp. et Calamagrostris ssp. Une autre
espèce de sauterelle, le tétrix grisâtre (Tetrix tuerki), est
au contraire friande d’algues qui colonisent les berges
limoneuses, riches en sédiments fins.
Pour échapper à leurs prédateurs, beaucoup d’insectes
terrestres se cachent dans les sédiments. L’omophron
bordé (Omophron limbatum) se tapit par exemple dans le
Fig. 6
La dynamique du charriage et ses effets directs et indirects sur les organismes aquatiques. L’épaisseur de la flèche représente l’intensité de
l’effet ; les signes plus et moins désignent un effet positif ou négatif.
Dynamique du
charriage (charge)
Matériel organique
(concentration)
Colmatage
Algues
(biomasse)
Invertébrés
(densité)
Poissons
(biomasse)
Source : Eawag
Dynamique du charriage et des habitats. Fiche 1 © OFEV 2017
sable pendant la journée et part à la chasse aux insectes
durant la nuit (Rust-Dubié et al. 2006).
C. Organismes vivants
Si la dynamique des sédiments peut avoir un impact
direct sur les organismes vivants, par éraflure ou écrasement, elle entraîne aussi des effets indirects : lorsqu’une
crue charriant des matériaux solides met en mouvement
le gravier du lit et emporte les sédiments fins, elle crée
des conditions propices au frai d’espèces piscicoles qui
ne peuvent se reproduire que sur du gravier meuble et
bien irrigué. Pour les organismes fluviaux et alluviaux,
l’intensité de l’événement est décisive. Ce qui compte,
c’est par exemple la quantité de matières en suspension
ou de matériaux charriés déposés au cours de la crue, la
durée de celle-ci, la saison à laquelle elle survient ou
encore sa récurrence.
Au cours de leur évolution, les organismes qui vivent dans
les cours d’eau se sont habitués à la dynamique des sédiments. Beaucoup d’espèces animales et végétales en
sont même tributaires, au point que l’absence de cette
dynamique entrave leur développement. On distingue
en principe des adaptations dans différents domaines,
comme la morphologie (forme du corps, p. ex.), la physiologie (métabolisme), le comportement (mouvements, etc.)
ou le cycle de vie (période de reproduction, p. ex.). Les
organismes vivants ne s’adaptent d’ailleurs pas seulement à la dynamique des sédiments, mais à nombre
de différents facteurs environnementaux. De nouvelles
études portant sur les poissons et d’autres organismes
révèlent que ces adaptations peuvent intervenir assez
rapidement, c’est-à-dire en l’espace de quelques générations.
Poissons, algues et larves d’insectes
Les algues ont développé des variétés résistantes au
frottement, en augmentant par exemple l’épaisseur de
leur membrane cellulaire. Chez les poissons de rivière,
des différences dans la forme du corps ont été observées
au sein d’une même espèce, selon que les individus
peuplaient surtout des mouilles à sédiments fins et à
faible vitesse d’écoulement (pools) ou des radiers à fond
grossier et à courant plus rapide (riffles). Le chabot, petit
poisson benthique, est capable de s’enfoncer jusqu’à
30 cm dans le fond du lit, où il est ainsi protégé du frot-
9
tement dû à la charge de fond lors d’une crue modérée.
La période de frai des espèces lithophiles est adaptée à
la dynamique des sédiments et des écoulements : dans
les cours d’eau suisses, par exemple, les truites fraient
durant l’étiage de la fin de l’automne. À l’abri dans le gravier, leurs œufs se développement pendant l’hiver, saison
où les crues sont rares et la dynamique des sédiments
est faible. Une vaste étude sur le terrain réalisée dans le
cadre du projet « Dynamique du charriage et des habitats » a examiné la structure du réseau trophique en
fonction de l’intensité de la dynamique sédimentaire
(fig. 6). Elle a porté sur différents organismes vivants et
leurs sources de nourriture : algues couvrant le fond du
lit, résidus de feuillage dans le domaine interstitiel, larves
d’insectes et poissons. Faisant état d’effets tant directs
qu’indirects, les observations ont notamment permis de
constater que le nombre et le poids total de toutes les
truites augmentaient avec l’accumulation de résidus de
feuillage dans le gravier du fond du lit. Un plus grand
nombre de petits animaux terrestres (araignées, fourmis,
coléoptères et vers) a par ailleurs été découvert dans
l’estomac des truites. Avec l’accroissement du colmatage, les peuplements de larves d’insectes se sont révélés moins denses. Par ailleurs, des petits animaux ont été
identifiés en plus grand nombre dans le gravier grossier
que dans le gravier fin.
Batraciens et reptiles
Tous les habitants des zones alluviales ont élaboré des
stratégies pour s’accommoder d’un changement rapide
du niveau d’eau ou de dépôts de sédiments. Durant leur
cycle de vie, de nombreux reptiles et batraciens sont tributaires de la mosaïque d’habitats d’une zone alluviale
proche de l’état naturel. La couleuvre tessellée (Natrix
tessellata), par exemple, chasse sur les bancs de gravier,
mais pond ses œufs dans les dépôts de sédiments fins et
les détritus flottants (Rust-Dubié et al. 2006). Les crapauds verts adultes (Bufo calamita) vivent sur les vastes
surfaces de gravier des vallées fluviales et pondent leurs
œufs dans les zones inondables ou des bras morts peu
profonds.
Organismes terrestres
Le tamarin d’Allemagne (Myricaria germanica) s’enracine
profondément dans le banc de gravier pour ne pas être
emporté par une crue. Les dépôts sédimentaires de plu-
Dynamique du charriage et des habitats. Fiche 1 © OFEV 2017
sieurs centimètres d’épaisseur n’endommagent guère les
végétaux alluviaux ligneux, car ceux-ci forment simplement de nouveaux rameaux. Les plantes herbacées,
annuelles ou vivaces, disposent de banques de graines,
qui survivent dans le gravier. Les œufs des oiseaux qui
couvent sur les bancs de gravier nus, tel le chevalier guignette (Actis hypoleucos), possèdent un camouflage
optimal, puisqu’ils sont tachetés de gris (Rust-Dubié
et al. 2006). Le criquet des iscles (Chorthippus pullus) a
mis au point différentes formes corporelles et stratégies
migratoires : des individus à longues ailes apparaissent
quand les peuplements se densifient et qu’il importe
de coloniser de nouveaux bancs de gravier. Lorsque les
habitats disponibles sont suffisamment grands et bien
interconnectés, le peuplement est dominé par des criquets à ailes courtes.
Dynamique (des sédiments) et biodiversité
L’hypothèse scientifique de la perturbation moyenne
affirme que la biodiversité est maximale en présence
d’une dynamique d’intensité moyenne. Si la dynamique
est marquée, seules les espèces résistantes subsistent,
car elles sont à même de s’accommoder de la situation.
Quand elle est au contraire faible, des espèces disparaissent, parce qu’elles sont évincées par des espèces
plus concurrentielles. Si l’on considère le réseau d’un
cours d’eau dans son ensemble, il est possible d’identifier
des sources de sédiments, tels les apports provenant
d’affluents, et de déterminer leur influence temporelle et
spatiale sur la biodiversité.
Interventions anthropiques dans la dynamique
des sédiments
L’homme influence la dynamique sédimentaire depuis des
siècles : dès le début du Moyen-Âge, des digues offensives ont été construites pour protéger les berges de
l’érosion. Les paragraphes ci-après décrivent plus en
détail les deux types d’interventions qu’il est globalement
possible de distinguer.
A) Les interventions directes dans la dynamique
sédimentaire, destinées à exploiter les sédiments en
tant que ressource ou à prévenir des dangers.
B) Les interventions indirectes, qui ne visent pas la
10
dynamique des sédiments, mais l’influencent tout de
même.
Les interventions humaines comprennent aussi bien des
actions locales à petite échelle, que des mesures d’envergure déployant des effets de grande portée.
A. Interventions directes
L’extraction de gravier est motivée par deux raisons :
d’une part, elle sert à obtenir un matériau de construction ; d’autre part, elle prévient un exhaussement du lit
(protection contre les crues). Le gravier est surtout
exploité dans les tronçons élargis ou les deltas, car il
tend à s’y déposer. Les cours d’eau régulés sont gérés de
manière à charrier des crues d’une certaine intensité, qui
préservent dans la mesure du possible l’état du fond du
lit. Les dépotoirs à alluvions (cf. fiche 4) et l’extraction de
gravier dans les affluents servent aussi à réguler l’apport
de gravier pendant les crues.
B. Interventions indirectes
En Suisse, le lit de nombreux cours d’eau a été rectifié et
canalisé afin d’éviter le débordement des crues dans les
plaines et de réguler le charriage de manière à stabiliser
le fond du lit. Les lacs artificiels et les retenues bloquent
le transport de sédiments (cf. Dynamique des sédiments
et des habitats dans les cours d’eau, fig. 1 ; fiche 6). Aux
fins d’entretien, les sédiments qui s’y déposent doivent
être dragués ou éliminés par curage. Dans les régions
vouées à une agriculture ou à une sylviculture intensive,
la mobilisation de sédiments fins est plus intense, de
sorte que leur apport dans le cours d’eau est accru
(cf. fiche 3), en particulier si la végétation des rives, utilisée pour son effet tampon, fait défaut. La variété morphologique d’une rivière au lit rectifié est principalement
influencée par sa largeur et son régime hydrologique.
Avec l’urbanisation et l’étanchéification de grandes surfaces, les eaux pluviales s’écoulent plus rapidement et
renforcent les pics de crue. Le cours d’eau est ainsi en
mesure de charrier davantage de sédiments. Sous l’effet
du changement climatique, les glaciers fondent, le permafrost dégèle et les précipitations tombent plus souvent
sous forme de pluie que de neige. À l’avenir, la dynamique
sédimentaire est donc appelée à s’intensifier, tant dans
les torrents de montagne que dans les rivières du
Plateau.
Dynamique du charriage et des habitats. Fiche 1 © OFEV 2017
Conséquences des interventions humaines
Qu’elles soient directes ou indirectes, les interventions
humaines dans la dynamique des sédiments ont un impact sur leur mobilisation, leur transport et leur dépôt et
peuvent engendrer aussi bien un déficit qu’un excès
(Wohl et al. 2015 ; cf. fiche 7). Ces conséquences se font
sentir dans tout le réseau hydrographique : un déficit
dans le cours supérieur peut intensifier l’érosion et provoquer un excès de sédiments en aval. Déficits et excès
exercent une influence sur les conditions environnementales, les processus écologiques et les organismes
vivants.
Conditions environnementales
En cas de déficit de sédiments, l’eau risque de creuser le
chenal, qui s’enfoncera dans le terrain, et de rendre le
fond du lit plus grossier (phénomène de « pavage »). Le
déficit de sédiments peut également restreindre fortement la morphodynamique, voire la modifier complètement (Bezzola 2004). Cette situation survient en cas de
retenue ou d’extraction de trop grandes quantités de gravier ou lorsqu’un ouvrage d’accumulation retient les sédiments, mais laisse passer l’eau. Si le lit de la rivière
s’enfonce, le niveau des nappes souterraines voisines
s’abaisse. Ce phénomène isole des zones alluviales
riches en espèces, tels des bras morts ou des mares, qui
ne seront plus approvisionnés en eau souterraine. D’importants prélèvements de gravier ainsi que l’érosion de la
berge, due à une vitesse d’écoulement élevée dans les
tronçons canalisés, réduisent le nombre de précieux
habitats alluviaux terrestres (tels les bancs de gravier).
Un excédent de matières en suspension accroît les
dépôts le long des rives ou dans les tronçons à écoulement lent.
Processus écologiques et organismes vivants
Des changements dans la dynamique sédimentaire
peuvent modifier l’équilibre entre les espèces et les individus et déclencher une réaction en chaîne dans le
réseau trophique. Cette réaction peut débuter à la base
du réseau, suite à une diminution de la photosynthèse
des algues, par exemple, ou à un étage supérieur, notamment par modification de la pression prédatrice des poissons. Dans les deux cas, elle peut aller jusqu’à altérer
irrémédiablement l’état de l’écosystème (state shift).
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Les dépôts excessifs de sédiments fins peuvent entraver
la reproduction de poissons lithophiles. Ils peuvent également changer la composition et le fonctionnement des
biocénoses. Les plantes des rives souffrent particulièrement de la disparition d’habitats causée par les interventions anthropiques dans la dynamique sédimentaire. Une
modification de cette dynamique permet par exemple à
des espèces peu exigeantes (les « généralistes ») de
coloniser les habitats de spécialistes plus sensibles. Un
tel changement n’a en général pas un impact linéaire sur
la biodiversité : lorsque certains habitats sont déjà rares,
toute disparition supplémentaire aura des conséquences
beaucoup plus graves.
Conclusion
La dynamique des écoulements et des sédiments façonne de plusieurs manières les écosystèmes de nos
cours d’eau. Les travaux menés depuis des décennies sur
l’importance écologique des sédiments ont apporté des
connaissances remarquables : l’influence de la composition du fond du lit sur la reproduction d’espèces piscicoles lithophiles, par exemple, ou les conséquences d’un
enfoncement des zones alluviales. Les aspects dynamiques – tel l’impact du moment et de l’intensité du
transport de sédiments sur les organismes vivants –
restent cependant encore mal connus. Les études menées dans ce domaine devraient fournir des résultats
essentiels au cours des années à venir, notamment grâce
aux progrès constants des méthodes de mesure (télédétection, p. ex. ; cf. fiche 2).
Bibliographie
Une liste détaillée des publications en rapport avec
la présente fiche figure sur le site du programme :
www.rivermanagement.ch, rubrique Produits et
publications.
Impressum
Éditeur : Office fédéral de l’environnement (OFEV)
L’OFEV est un office du Département fédéral de l’environnement,
des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC).
Instituts de recherche : Institut de recherche sur l'eau du
domaine des EPF (Eawag), Laboratoire de constructions hydrauliques (LCH), EPF Lausanne, Laboratoire de recherches hydrauliques, hydrologiques et glaciologiques (VAW), EPF Zurich, Institut
fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL)
Direction du projet : Anna Belser, coordination du projet, OFEV ;
Christoph Scheidegger, WSL ; Christine Weber, Eawag ;
David Vetsch, VAW, EPF Zurich ; Mário J. Franca, LCH-EPFL
Suivi technique : OFEV : Hugo Aschwanden, Rémy Estoppey,
Andreas Knutti, Stephan Lussi, Manuel Nitsche, Olivier Overney,
Carlo Scapozza, Diego Tonolla, Hans Peter Willi ; Cantons :
Josef Hartmann (GR), Norbert Kräuchi (AG), Christian Marti (ZH),
Vinzenz Maurer (BE), Sandro Ritler (LU), Thomas Stucki (AG) ;
Institutions de recherche : Bernhard Wehrli (Eawag),
Anton Schleiss (LCH-EPFL), Robert Boes (VAW-ETHZ),
Christoph Hegg (WSL) ; Autres : Raimund Hipp (CDPNP),
Roger Pfammatter (ASEA), Luca Vetterli (Pro Natura)
Rédaction : Manuela Di Giulio, Natur Umwelt Wissen GmbH
Traduction : Service linguistique de l’OFEV
Référence bibliographique : Weber, Ch., Döring, M., Fink, S., Martín
Sanz, E., Robinson, Ch., Scheidegger, Ch., Siviglia, A., Trautwein,
C., Vetsch, D., Weibrecht, V., 2017 : Dynamique des sédiments dans
le réseau hydrographique. In : Dynamique du charriage et des
habitats. Office fédéral de l’environnement, Berne. Fiche 1.
Conception et illustrations : Marcel Schneeberger, anamorph.ch
Commande de la version imprimée et téléchargement au format
PDF : OFCL, Vente des publications fédérales, CH-3003 Berne
www.publicationsfederales.admin.ch
N° d’art. 810.300.136f www.bafu.admin.ch/uw-1708-f
© OFEV 2017
01.17 1500 86039243