Le livre de vie
[Enquête biblique]
Ackermann Virginie (2024). Le livre de vie. Academia : Enquête biblique. Méthodes de
recherches en sciences sociales.
Dans cette enquête, nous proposons de reconstruire les événements autour du sacrilège relatif au
veau d’or afin d’en apprendre davantage sur la manière dont le pouvoir se construit. Nous partirons
de deux courts extraits issus du récit de l’Exode (1995). L’un met en perspective un dialogue entre
Dieu et Moïse, au cours duquel Dieu déclare vouloir punir les pécheurs et l’autre a trait à un
massacre. Nous allons voir que la chronologie biblique met en évidence des incohérences. Ces
problématiques, nous allons tenter de les résoudre en rétablissant l’ordre des événements et en
faisant intervenir d’autres fragments de texte. Nous montrerons comment des détails en apparence
anodins, mais répétitifs, se révèlent cruciaux pour la compréhension de l’histoire.
Avant de citer les deux premiers extraits, un mot sur le contexte d’où ils sont tirés. Nous sommes
au point du récit où les Israélites sont ʺlivrés à eux-mêmesʺ, dans le désert. Leur chef Moïse est
parti sur le mont Sinaï et les Israélites demandent à Aaron de leur donner un nouveau dieu pour
les conduire. Celui-ci récolte des objets en or auprès du peuple, les fond et en fait un veau. Aaron
fait ensuite donner une fête et c’est à ce moment que Moïse réapparaît avec les tables de la loi. En
colère, il jette la statue dans le feu, la réduit en fine poudre, mélange ce qui reste avec de l’eau et
fait boire la mixture aux Israélites. Il demande ensuite à Aaron pourquoi il les a entraînés dans un
si grave péché. Ce dernier répond que le peuple est venu lui dire ceci : ʺ « Fabrique-nous un dieu
qui nous conduise, car nous ne savons pas ce qui est arrivé à Moïse, l’homme qui nous a fait sortir
d’Égypte. » ʺ (Ex 32. 23). Voici maintenant la suite des événements, soit les deux extraits qui nous
intéresse d’approfondir.
30
Le lendemain, Moïse dit au peuple : - Vous avez commis un grave péché. Je vais maintenant
remonter sur la montagne, vers le Seigneur. J’obtiendrai peut-être qu’il vous pardonne.
31
Ainsi Moïse retourna vers le Seigneur et lui dit : -Ah Seigneur ! Ce peuple a commis un grave
péché, ils se sont fait un dieu en or. 32 Pardonne-leur, je t’en supplie ! Sinon, efface mon nom du
livre de vie que tu as écrit […].
33
- Non, répondit le Seigneur, je n’effacerai de mon livre que les noms de ceux qui ont péché contre
moi. 34 Maintenant va, conduis le peuple à l’endroit que je t’ai indiqué ; mon ange* t’accompagnera.
Pour ma part, j’interviendrai un jour et je les punirai de leur péché. 35 Le Seigneur punit donc les
Israélites, parce qu’ils avaient demandé à Aaron de leur faire une statue de veau. (Ex 32. 30-35)
Moïse se rendit compte qu’Aaron avait laissé le peuple faire ce qu’il voulait, l’exposant ainsi aux
moqueries de ses adversaires. 26 Il alla se placer à l’entrée du camp et cria : - Ceux qui aiment le
Seigneur, à moi ! Les membres de la tribu de Lévi se rassemblèrent autour de lui. 27 Il leur dit : Voici ce qu’ordonne le Seigneur, Dieu d’Israël : « Que chacun de vous prenne son épée ; passez et
repassez d’un bout à l’autre du camp et tuez vos frères, vos amis, vos voisins. »
28
Les lévites obéirent à Moïse, si bien que trois mille Israélites environ moururent ce jour-là.29
Alors Moïse dit aux lévites : - Aujourd’hui, vous êtes consacrés au service du Seigneur, puisque
vous n’avez pas hésité à tuer même vos fils ou vos frères. Que le Seigneur vous accorde sa
bénédiction en ce jour […]. (Ex 32. 25-29)
25
Après avoir pris connaissance de ces événements, les lecteurs attentifs ou connaisseurs n’auront
pas manqué de s’apercevoir que nous avons interverti l’ordre de ces deux extraits par rapport à la
chronologie de la bible. Effectivement, dans le récit de l’Ancien Testament, on trouve d’abord le
massacre des Israélites et ce n’est que le lendemain que Moïse remonte sur la montagne pour
s’entretenir avec Dieu. Cette chronologie présente une difficulté pour le raisonnement. Comment
comprendre qu’après que les lévites ont exécutés leurs frères et leurs fils, Dieu punit encore les
pécheurs ? Moïse se serait-il trompé ? Selon nous, le dialogue entre Moïse et Dieu montre au
contraire comment cette purge est planifiée. Analysons ce qui se dit à ce moment.
Moïse s’adresse à Dieu en ces termes : « -Ah Seigneur ! Ce peuple a commis un grave péché, ils
se sont fait un dieu en or. 32 Pardonne-leur, je t’en supplie ! Sinon, efface mon nom du livre de vie
[…].
» 33 - Non, répondit le Seigneur, je n’effacerai de mon livre que les noms de ceux qui ont péché
contre moi. (Ex 32. 31-33)
Moïse commence par se plaindre du peuple. Il leur reproche de s’être fait un dieu en or. Les
pécheurs semblent donc encore vivants à ce moment. Toutefois, la colère de Moïse contre eux a
disparu. Il supplie Dieu et offre de payer pour eux en son nom -que Dieu l’efface du livre de vie.
2
Moïse annonce prendre la responsabilité sur lui. Pourtant, il ne demande pas à Dieu de lui
pardonner, mais de leur pardonner. Autrement dit, il y a là une contradiction dans l’attitude de
Moïse. Si Moïse était, comme il le prétend, le responsable, il plaiderait coupable et demanderait le
pardon pour lui-même. Or, ce n’est pas le cas. C’est pourquoi nous postulons que ce qui est
demandé à Dieu, c’est de jouer le rôle de juge : si Dieu ne leur pardonne pas, alors qu’il ôte Moïse
du livre de vie. Et Dieu ne pardonne pas.
Doit-on en déduire que Dieu efface Moïse ? La question ne se pose pas. Seuls les noms des
pécheurs seront effacés, ce que Dieu annonce faire immédiatement :
« […] j’interviendrai un jour et je les punirai de leur péché. 35 Le Seigneur punit donc les
Israélites, parce qu’ils avaient demandé à Aaron de leur faire une statue de veau. »
Le récit hésite sur le moment « un jour », puis tranche au moment présent « il punit donc les
israélites ».
Ainsi, la punition intervient suite à cette discussion. Ce massacre n’est pas le résultat d’un coup de
tête. Il a été planifié. Il est annoncé les noms qui seront effacés. Et on dénombre effectivement
trois mille victimes ensuite. Les événements suivent un ordre chronologique. C’est pour cette
raison que nous avons interverti les extraits. Le dialogue précède le massacre. De là, voyons encore
comment le texte corrobore notre hypothèse. Revenons en arrière, au moment du déclenchement
de ce désastre.
De retour du mont Sinaï, Moïse est furieux de découvrir que le peuple festoie en son absence et le
moque avec un veau d’or. Il annonce qu’il remonte sur la montagne car c’est un grave péché. De
là, ajoute-t-il, peut-être obtiendra-t-il du Seigneur qu’il leur pardonne. Autrement dit, le peuple
serait laissé dans l’attente de son jugement. Nous postulons plutôt, comme déjà dit plus avant, que
Moïse a déjà décidé du sort qu’il réserve à ses détracteurs. Ce qui appuie cette analyse, c’est un
autre extrait issu de l’Exode. Regardons cela. Plus loin, le récit mentionne les éléments suivants
(Ex 34 -29) :
29
Moïse redescendit du mont Sinaï, en tenant les deux tablettes de pierre qui constituaient le
*document de l’alliance ; il ignorait que la peau de son visage brillait à cause de son entretien avec
Dieu. 30 Quand Aaron et les Israélites virent l’éclat de son visage, ils eurent peur de s’approcher de
3
lui. 31 Moïse les appela ; alors Aaron et les chefs de la communauté vinrent à lui et il leur parla. 32
Ensuite tous les autres Israélites s’approchèrent, et il leur communiqua les ordres que Dieu lui avait
donnés sur le mont Sinaï. 33 Quand Moïse eut fini de leur parler, il plaça un voile sur son visage. 34
Dès lors, chaque fois qu’il devait se présenter devant le Seigneur pour s’entretenir avec lui, il ôtait
le voile. Lorsqu’il se retirait et transmettait aux Israélites les ordres reçus, 35 les Israélites pouvaient
contempler l’éclat de son visage. Ensuite Moïse remettait le voile sur son visage et le gardait
jusqu’au moment où il retournait s’entretenir avec Dieu.
De notre point de vue, ce passage complète le sens des événements auxquels nous nous intéressons.
Pour reformuler, Moïse redescend du mont Sinaï avec les deux tablettes de la loi. Son entretien
avec Dieu l’a quelque part rendu ignorant ; il ne sait pas que son visage brille. Lorsqu’ils le voient,
les Israélites ont peur de s’approcher de lui 1. Moïse s’entretien ensuite avec Aaron et les chefs de
la communauté2. Après cela, Moïse s’adresse à « tous les autres Israélites » en transmettant les
ordres de Dieu. En d’autres termes, nous comprenons qu’il s’adresse à la communauté 3.
Maintenant, le texte rompt avec ce qui précède.
« Dès lors », Moïse enlève toujours le voile de son visage lorsqu’il s’entretient avec le Seigneur.
Toutefois, « Lorsqu’il se retirait et transmettait aux Israélites les ordres reçus, les Israélites
pouvaient contempler l’éclat de son visage. Ensuite Moïse remettait le voile sur son visage et le
gardait jusqu’au moment où il retournait s’entretenir avec Dieu. » Les Israélites qui reçoivent les
ordres de Moïse s’assimilent-ils à Dieu puisqu’il leur est donné de voir son visage ? Là où nous
voulons en venir, c’est au fait que les fidèles lévites sont le bras qui prolonge la puissance du
Seigneur Moïse puisqu’à son appel, ils exécutent leurs frères et leurs fils 4.
Pour faire un parallèle, la fête en l’honneur du veau d’or se termine abruptement lorsque Moïse apparaît. A ce
moment, il inspire à tous la crainte. Hors de lui, il réduit le veau d’or en poudre.
2 Nous avons vu plus haut que Moïse s’entretien effectivement avec Aaron ; celui-ci se défend d’être à l’origine des
événements ; il n’a fait que répondre à une demande du peuple : leur fabriquer un nouveau dieu pour les guider.
3 Dans l’épisode du veau d’or, Moïse s’adresse au peuple en dernier lieu. Il annonce repartir sur la montagne afin
d’obtenir de Dieu qu’il leur pardonne (Ex. 32. 30).
4 Les lévites sont les descendants de Lévi. Cette tribu, à laquelle Moïse et Aaron appartiennent en tant que petits
enfants de Quéhat, lui-même fils de Lévi, a été choisie par le Seigneur parmi toute les autres tribus pour le servir
(Nomb 3. 2). Les prêtres, issus de cette lignée, forment une armée d’élite, qui fait office de garde rapprochée du
seigneur et est placée sous le commandement d’un grand-prêtre -ici c’est Aaron qui est consacré- (Ackermann, 2023,
p.16). Ainsi, Aaron et ses descendants occupent une fonction privilégiée au sein des lévites, (Nomb. 3. 10), car les
autres membres de cette tribu sont « à [leur] disposition […] pour […] le[s] seconde[r] » (Nomb. 3. 6). La hiérarchie
est donc précisément dessinée.
1
4
Pour dire notre idée plus clairement, le peuple craint Moïse à son retour du mont Sinaï tant il peine
à contenir sa rage. Cependant, ce dernier parvient à se maîtriser. Il dit se retirer afin d’obtenir que
Dieu leur pardonne. Supposons qu’après avoir réduit le veau d’or en poussière, Moïse agisse de
manière à endormir la vigilance de ses adversaires. Dans le Lévitique, il est relaté que Moïse
organise une cérémonie macabre pour obtenir le pardon. Lors de ce rituel où Moïse égorge un
taureau, la bête est entièrement consumée par le feu. Cet épisode a deux points communs avec le
fragment du veau d’or : d’une part la bête est réduite en poussière et d’autre part, la communauté
d’Israël assiste au spectacle (Lév. 8. 1-15)5.
Mais revenons-en au voile. A notre sens, il est conçu comme un symbole pour dire que les
intentions de Moïse ne sont pas dévoilées à tout le monde. Dans cette perspective, cet extrait éclaire
d’un sens nouveau le dialogue entre Moïse et Dieu que nous avons analysé plus haut. Il met en
évidence que les « pécheurs » sont exclus du débat et pour cause, un complot contre eux se dessine.
En somme, l’entretien avec Dieu nous renseigne sur ce qui est projeté. Moïse donne des précisions
quand il exprime cette idée : « Pardonne-leur, je t’en supplie ! Sinon, efface mon nom du livre de
vie que tu as écrit
[…].
Le livre est déjà écrit 6. Moïse connaît le dénouement au point de supplier
Dieu de leur pardonner pour le massacre qu’ils s’apprêtent à commettre. Si Dieu ne leur pardonne
pas, alors qu’il efface son nom à lui. C’est là le produit de sa pensée binaire. C’est lui, ou eux. Et
Dieu sera juge. A postériori, Moïse pourrait s’exprimer comme suit : si j’avais été en tort, alors
Dieu m’aurait puni. Mais Dieu m’a donné la victoire, c’est donc qu’il m’a béni. Moïse se confond
avec Dieu. Il rend justice en son nom.
Pour faire un parallèle, dans l’Egypte pharaonique, le taureau représente le lien entre Dieu et les hommes. Si dans
certaines localités, cette bête est élevée au rang d’unique (Cassier, 2015), dans le rituel de momification, « le sacrifice
bovin [est] assimilé à la mise à mort des ennemis du défunt » (Thuault, 2020, para. 19).
6
Selon nous, le livre de vie fait référence aux noms des Israélites relevés lors du recensement. Dans les Nombres, il
est mentionné que le premier relevé a justement lieu lorsque les Hébreux se trouvent dans le désert du Sinaï. Il concerne
d’un côté les 12 tribus d’Israël, où l’on comptabilise tous les hommes âgés de plus de vingt ans, aptes au service
militaire (Nomb 1. 1-44). D’un autre côté, les lévites, treizième tribu, font également l’objet d’un recensement, mais
à part. Aaron et Moïse enregistrent « tous les hommes et les garçons âgés de plus d’un mois. » (Nomb 3. 14-15).
5
5
Moïse transmet l’ordre d’exécution à Aaron et aux autres lévites qui lui sont fidèles au moment
décidé. Ainsi, le récit du camp victorieux s’acte comme suit (Ex. 32. 25-29) :
Moïse se rendit compte qu’Aaron avait laissé le peuple faire ce qu’il voulait, l’exposant ainsi aux
moqueries de ses adversaires. 26 Il alla se placer à l’entrée du camp et cria : - Ceux qui aiment le
Seigneur, à moi ! Les membres de la tribu de Lévi se rassemblèrent autour de lui. 27 Il leur dit : Voici ce qu’ordonne le Seigneur, Dieu d’Israël : « Que chacun de vous prenne son épée ; passez et
repassez d’un bout à l’autre du camp et tuez vos frères, vos amis, vos voisins. »
28
Les lévites obéirent à Moïse, si bien que trois mille Israélites environ moururent ce jour-là.29
Alors Moïse dit aux lévites : - Aujourd’hui, vous êtes consacrés au service du Seigneur, puisque
vous n’avez pas hésité à tuer même vos fils ou vos frères. Que le Seigneur vous accorde sa
bénédiction en ce jour […].
25
Le passage qui relate le massacre commence par une réflexion. Moïse réalise qu’Aaron l’a livré à
l’humiliation. Toutefois, Aaron ne trahit pas Moïse ; il ne prend pas le commandement. Parce que
somme toute, en l’absence de Moïse, le peuple demande à Aaron de les guider ; mais ce dernier
décline l’offre et façonne un veau à la place. Il se laisse donc effectivement entraîner, mais pas au
point de prétendre remplacer Moïse. Est-ce là une feinte élaborée par Moïse et Aaron pour
découvrir qui sont leurs opposants ?7 A ce point, il nous semble opportun de considérer que ce
drame ʺfamilialʺ pourrait être lié à l’exécution de deux des fils d’Aaron et, au-delà, au destin de
Coré. Venons-y.
Comparons d’abord ce qui se dit au sujet des fils d’Aaron dans le livre des Nombres et dans le
Lévitique :
Si cette hypothèse nous semble peu probable, en revanche certaines répétitions laissent penser qu’il est moins
question de hasards que d’indices. Ainsi, on note qu’après avoir égorgé le taureau lors de la cérémonie de pardon
comme déjà évoqué plus haut, Moïse demande à Aaron et à ses fils de rester devant l’entrée de la demeure sainte
durant une semaine. Au huitième jour, un nouveau rituel est réalisé en la présence du peuple, mais cette fois c’est
Aaron qui officie. Plusieurs bêtes sont égorgées ; la première, celle qui permet à Aaron d’obtenir le pardon pour luimême, est, coïncidence oblige, un veau (Lév. 9. 2). Au terme de ce rituel, après avoir pénétré dans le sanctuaire et en
être ressorti pour bénir le peuple, Moïse et Aaron témoignent de la manifestation du Seigneur : « Alors […] une
flamme […] jaillit [de la tente de la rencontre] et […] consume […] sur l’autel les sacrifices complets et les morceaux
de gras des autres sacrifices. Tous les Israélites v[oient] cela ; ils pouss[ent] des acclamations, puis se jet[tent] la face
contre terre. » (Lév 9. 23-24). Nous notons que cette flamme qui jaillit est encore mentionnée en deux endroits
différents (Lév. 10. 2 et Nomb 16. 35). Elle apparaît à chaque fois dans un contexte identique : des hommes sont brûlés
vifs (dans le Lévitique il s’agit de deux des fils d’Aaron et dans les Nombres de Coré et de ses 250 partisans).
7
6
Nomb 3. 1-4
Lév 10. 1-2
Voici quels étaient les membres de la
famille d’Aaron et Moïse, à l’époque où
le Seigneur parla à Moïse sur le mont
Sinaï : 2 Aaron avait quatre fils, dont
l’aîné s’appelait Nadab et les autres
Abihou, Élazar et Itamar […]. 3 Ils avaient
été consacrés comme prêtres et étaient
entrés en fonction. 4 Mais Nabab et
Abihou moururent devant le *sanctuaire,
dans le désert du Sinaï, lorsqu’ils
présentèrent au Seigneur une offrande de
parfum profane […]. Ils n’avaient pas de
fils. Seuls Élazar et Itamar restèrent alors
pour exercer le ministère de prêtres aux
côtés de leur père Aaron.
Nadab et Abihou, deux des fils d’Aaron, prirent
chacun sa cassolette et y mirent des braises sur
lesquelles ils répandirent du parfum. Ils
présentèrent ainsi devant le Seigneur une offrande
de parfum profane non conforme à ce qui avait été
prescrit. 2 Une flamme jaillit alors, devant le
Seigneur, et les brûla vifs sur place. 3 Moïse dit à
Aaron : - Le Seigneur vous a avertis de cela,
lorsqu’il a déclaré : « Je veux que ceux qui
m’approchent respectent ma sainteté et qu’ils me
rendent gloire en présence de tout le peuple. »
Aaron resta silencieux […]. 4 Moïse appela Michaël
et Élissafan, fils d’Ouziel, l’oncle d’Aaron. Il leur
ordonna d’aller prendre les cadavres de leurs
cousins, qui gisaient devant le *sanctuaire, pour les
emporter hors du camp.
1
1
Concernant ces deux extraits, nous remarquons les similitudes suivantes : les fils d’Aaron sont
précisément nommés ; il s’agit de Nadab et d’Abidhou ; tous les deux meurent devant le
sanctuaire ; la raison est qu’ils ont présenté un parfum profane comme offrande. Toutefois, alors
que l’extrait tiré des Nombres précise que l’événement se produit lorsque le peuple d’Israël se
trouve dans le désert du Sinaï, dans le passage tiré du Lévitique, ce moment est lié au jaillissement
d’une flamme.
Or, dans les fragments tirés du livre des Nombres et titrés « La révolte de Coré » et « Le châtiment
de Coré et de ses partisans » on retrouve les éléments suivants : un parfum profane, une flamme et
des morts (Nomb 16. 1-35). A cet endroit de la bible, il est question de Coré, fils d’Issar, de la
famille des Quéhatites (Tribu de Lévi) et de ses 250 partisans. Pour résumer, le texte raconte
effectivement qu’alors qu’ils présentent leur parfum à Moïse, ils sont brûlés vifs tandis qu’une
flamme jaillit, de même que ci-dessus, lors de la mort des deux fils d’Aaron 8. La cause du
châtiment infligé à Coré et à ses partisans est une remise en question de la hiérarchie. Coré entraîne
Dans la note 7 et pour faire un autre parallèle, nous avions déjà relevé qu’une flamme jaillit et que le peuple se jette
la face contre terre. Selon le Lévitique, ce moment intervient juste avant le décès des deux fils d’Aaron et
immédiatement après les sacrifices offerts par Aaron, soit huit jours après que Moïse ait sacrifié le taureau pour obtenir
le pardon.
8
7
à sa suite trois membres de la tribu de Ruben, et à leur suite des chefs de la communauté et des
notables qui participent aux assemblées. Ils demandent à Moïse et Aaron d’expliquer en quoi ils
se croient supérieurs au reste du peuple9.
On note encore que « Le lendemain » du châtiment infligé à Coré et à ses partisans, la communauté
d’Israël critique Moise et Aaron ; elle les accuse d’avoir « fait mourir le peuple du Seigneur. »
(Nomb 17. 6). Ce reproche conduit à quatorze mille sept cents morts supplémentaires (Nomb 16.
14) . Il y aurait donc une première purge interne, visant précisément la caste des privilégiés qui
conteste le pouvoir et le lendemain, ceux parmi le peuple qui contestent l’exécution de masse de
la veille.
En somme, tous ces phénomènes, contenus dans des livres différents, semblent à première vue
n’avoir aucun rapport entre eux. Pourtant, lors de l’exécution relative au veau d’or, des fils sont
exécutés dans le désert du Sinaï, soit le même lieu où deux des fils d’Aaron sont enterrés. Par
ailleurs, la mort de ces deux hommes est liée à un parfum profane et au jaillissement d’une flamme,
de même que l’exécution de Coré et de ses partisans. Cela conduit à inférer que nous sommes face
à un seul et même événement, raconté sous des angles différents. Ces fragments d’histoire,
rassemblés pour être mis bout à bout, donnent une idée plus précise à la fois des causes de cette
purge - la contestation de la hiérarchie-, mais également de l’identité des meneurs -des membres
privilégiés (lévites, notables, chefs de communauté) -. On parvient aussi à distinguer la manière
dont les victimes sont piégées par le complot organisé par Moïse et Aaron. Mais nous n’allons pas
développer plus ce point car chacun se fera son idée. Nous arrivons au terme de cette étude.
Pour synthétiser, nous avons vu que l’histoire du veau d’or est faite d’événements éclatés qui,
lorsqu’ils sont rassemblés et relatés dans un ordre précis, éclairent le récit d’un sens nouveau.
Moïse incarne Dieu. Il est devenu un étranger pour le peuple, qui parle de lui comme suit : « nous
ne savons pas ce qui est arrivé à Moïse, l’homme qui nous a fait sortir d’Égypte. » Un vent de
révolte souffle sur le camp des Israélites. La hiérarchie est remise en cause. Aaron, bras droit de
Moïse, se prête au jeu des opposants avant de se retourner contre eux. Un plan est préparé pour
mettre à mort les dissidents. Le recensement permet d’identifier les personnes à éliminer. La
9
Dans le récit biblique qui met en scène Coré et ses partisans, les deux fils d’Aaron brillent par leur absence.
8
symbolique du voile met en exergue les victimes du complot initié par Moïse. Celui-ci égare le
peuple et ses adversaires sur ses véritables intentions. Il sacrifie un taureau pour obtenir le pardon.
Huit jours, plus tard, après qu’Aaron offre lui aussi une bête pour son pardon, Coré, de la tribu de
Lévi et 250 de ses partisans, dont deux des quatre fils d’Aaron, trouvent la mort, piégés par les
flammes. La contestation du peuple ne se fait pas attendre, mais elle est immédiatement réprimée
dans un bain de sang par les fidèles lévites.
En guise de conclusion, résumons la démarche d’interprétation :
1. Par-dessus tout, il s’agit de se laisser porter par son intuition. Se poser des questions,
s’attarder sur les contradictions et faire des hypothèses aide ensuite à corroborer ou à
infirmer les présupposés. Se laisser surprendre par les découvertes est un gage que la
méthode est fructueuse. L’apprentissage est un élément central de l’enquête.
2. La conservation du pouvoir passe par la répression, mais également par la manipulation de
l’opinion en dissimulant ses véritables intentions.
3. Pour améliorer la compréhension de l’histoire, il est nécessaire d’établir une chronologie
des événements ; celle-ci s’explique en termes de causes et de conséquences.
4. Il convient de relever les points communs quant à des événements en apparence sans liens,
car cela permet d’éclairer l’histoire laissée dans l’ombre.
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Bibliographie
Ackermann, V. (2023). Le culte des Baals dans l’Ancien testament : Histoire d’une répression
annoncée. Academia : projet de thèse non publié. Méthodes de recherches en sciences sociales.
Cassier, C. (2015). La vache Hésat: une femelle parmi les animaux sacrés uniques?. Apprivoiser
le sauvage/Taming the Wild, 11, p-49.
La Bible en français courant : Ancien et Nouveau Testament. ALLIANCE BIBLIQUE
UNIVERSELLE. (1990). PAYS-BAS. JONGBLOED LEEUWARDEN.
Thuault, S. (2020). L’herminette et la cuisse, histoire d’un taureau parmi les étoilesالمنجل مجموعة
الفخذ وعظمة، النجوم بين ثور قصة. Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale (BIFAO), (120),
411-448.
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