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Un vache se tient debout dans un pré.
Au milieu des années 1980, les élevages bovins britanniques ont été touchés par ce qui allait devenir la plus célèbre des maladies à prions : la maladie de la vache folle. AngelaAllen/Shutterstock

De la vache folle à Parkinson et Alzheimer : que sait-on des maladies à prions ?

Des recherches sur la tremblante du mouton menées dans les années 1970 ont abouti à la découverte d’un nouveau type d’agent infectieux, les prions. D’abord accueillie avec scepticisme, l’existence de ces protéines délétères impliquées dans de nombreuses maladies fatales incurables a fini par faire consensus. Aujourd’hui, des preuves suggèrent même l’existence de mécanismes similaires dans les maladies de Parkinson et d’Alzheimer.


Maladie de Creutzfeldt-Jakob, insomnie fatale, tremblante du mouton, maladie de la vache folle… Toutes ces maladies ont en commun de s’attaquer au cerveau, qu’elles dégradent progressivement, et d’être incurables. Elles sont également causées par un même type d’agent : le prion, une protéine qui peut, pour des raisons encore inconnues, devenir délétère et contaminer ses homologues, déclenchant une fatale réaction en chaîne.

La découverte, au début des années 1980, que de simples protéines pouvaient acquérir un pouvoir infectieux a entraîné un changement de paradigme dont les effets continuent à se faire sentir de nos jours. Des travaux menés ces dernières années suggèrent en effet que des mécanismes similaires pourraient être impliqués dans d’autres maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson.

Une histoire qui débute chez le mouton

En science comme dans d’autres domaines, être précurseur n’est pas toujours synonyme de succès immédiat, même lorsqu’il s’avère que l’on avait raison avant les autres… Stanley Prusiner en a fait l’expérience au début des années 1980.

Ce médecin et neurologue américain travaillait avec son équipe depuis la fin des années 1970 sur une maladie qui s’attaque au cerveau des moutons et des chèvres : la « tremblante du mouton ». Cette affection fatale et incurable est classée parmi les encéphalopathies spongiformes, en raison de ses effets : à mesure qu’elle progresse, elle détruit les neurones, ce qui fait que lorsque le cerveau des animaux décédés est autopsié, il est parsemé de trous évoquant l’aspect d’une éponge.

Une décennie auparavant, en 1967, le biochimiste britannique John Stanley Griffith avait le premier émis l’hypothèse que la tremblante du mouton aurait pu être causée par un agent infectieux protéique. Quelques années après son décès, survenu en 1972, Stanley Prusiner et ses collègues s’attellent à démontrer la validité de cette théorie. En 1982, ils publient une description de ce qui est, selon leurs recherches, l’agent infectieux responsable de la tremblante du mouton. Il s’agirait effectivement d’une protéine seule, qu’ils nomment « prion » ou PrP.

À l’époque, ces travaux sont accueillis avec scepticisme par la communauté scientifique. Il faut dire que les seuls agents infectieux connus sont alors des virus, des champignons, des bactéries ou des parasites… Mais, en 1985, Stanley Prusiner et son équipe enfoncent le clou : ils démontrent que le prion est aussi présent dans une autre pathologie incurable, qui touche cette fois les humains : la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Quelques années plus tard, la crise de la vache folle, maladie elle aussi causée par un prion, allait achever de convaincre la communauté scientifique internationale, et Stanley Prusiner se verra récompensé par le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1997. Au-delà de ces trois maladies, on sait aujourd’hui que de nombreuses autres pathologies, qui ont en commun d’être incurables, sont aussi dues à des prions.

Le prion, une protéine infectieuse responsable de maladies neurodégénératives

Les maladies à prions sont classifiées comme des maladies du repliement des protéines, car c’est la modification du repliement 3D de la protéine PrP qui est à l’origine de leur déclenchement.

Pour en comprendre les mécanismes, il faut savoir que les protéines sont de grosses molécules constituées d’un enchaînement de molécules plus petites, les acides aminés. Elles assument d’innombrables fonctions dans notre corps, le rôle d’une protéine donnée dépendant généralement de sa forme (qui elle-même dépend en grande partie de l’enchaînement des acides aminés qui la compose).

La protéine prion PrPC est une protéine du cerveau qui est capable, pour des raisons encore inconnues, de changer de forme 3D et d’adopter une forme pathologique appelée PrPSc]. Comme Anakin Skywalker qui devient Dark Vador dans le film Star Wars, la protéine PrPC « passe du côté obscur de la Force » et devient PrPSc.

Or, sous sa forme pathologique, PrPSc acquiert deux nouvelles capacités à l’origine de ses effets dramatiques. Premièrement, elle est capable de transmettre sa forme 3D pathologique à la forme PrPC. Deuxièmement, elle acquiert la capacité de s’accumuler sous forme de petits agrégats toxiques qui vont grossir pour devenir ce que l’on appelle des fibres amyloïdes, de beaucoup plus grande taille.

Représentations de la protéine PrP normale et de la protéine PrPSc anormale.
À gauche, une représentation de la protéine PrP normale. À droite : la protéine PrPSc anormale, « mal repliée ». Oscar Collica/Shutterstock

L’accumulation de la forme 3D pathologique PrPSc est toxique pour les cellules du cerveau : elle provoque la mort des neurones et le développement de maladies neurodégénératives chez l’être humain et certaines espèces animales. Malheureusement, à ce jour, les mécanismes contrôlant l’apparition et la propagation de la forme pathogène PrPSc de la protéine PrP demeurent obscurs et aucun traitement n’est disponible contre les maladies à prions, qui sont inexorablement fatales.

Les maladies à prions humaines

Les maladies à prions sont des maladies rares qui affectent le cerveau des personnes adultes. Elles sont également appelées encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles, car elles sont transmissibles entre individus.

À l’heure actuelle, trois types de maladies à prions affectant les humains ont été identifiées : la maladie de Creutzfeldt-Jakob, l’insomnie fatale et le syndrome de Gerstmann Straüssler Scheinker.

Portrait du neurologue allemand Hans Gerhard Creutzfeldt (1885-1964), à l’origine de la découverte de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, laquelle porte également de son compatriote le neurologue Alfons Maria Jakob (1884-1931), qui décrivit la maladie peu de
Le neurologue allemand Hans Gerhard Creutzfeldt (1885-1964), à l’origine de la découverte de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, laquelle porte également de son compatriote le neurologue Alfons Maria Jakob (1884-1931), qui décrivit la maladie peu de temps après lui. Wikimedia Commons

- La maladie de Creutzfeldt-Jakob : il s’agit de la plus fréquente de ces maladies neurodégénératives rares qui affectent chaque année 1 à 2 personnes sur un million. Elle se caractérise par une démence accompagnée de signes neurologiques tels que des secousses musculaires irrégulières appelées myoclonies, des troubles de l’équilibre et de la marche, ainsi que des troubles intellectuels, de la mémoire, de l’orientation et du langage. On distingue trois types de maladie de Creutzfeldt-Jakob : la forme sporadique (85 % des cas), qui se manifeste spontanément, sans cause connue, après 60 ans ; la forme héréditaire (10 % des cas), due à la transmission d’une mutation génétique ; la forme acquise (moins de 5 % des cas), contractée soit à la suite d’actes médicaux comme l’injection d’hormones de croissance (période de 1983 à 1988) ou des greffes de dures-mères, soit par la consommation de viande bovine infectée (comme durant la crise de la vache folle).

- L’insomnie fatale : Cette maladie peut être familiale, c’est-à-dire d’origine génétique (on parle alors d’insomnie fatale familiale) ou sporadique. L’insomnie fatale se caractérise par des troubles du sommeil paradoxal qui évoluent vers une insomnie majeure et rebelle à tout traitement, associée à des troubles de différentes fonctions automatiques de l’organisme (digestion, respiration, circulation artérielle et veineuse, pression artérielle…). Progressivement, des troubles des mouvements et une démence apparaissent. L’âge d’apparition des symptômes est variable selon les personnes affectées, certaines personnes étant affectées avant leurs 20 ans. La mort survient généralement dans les 6 à 18 mois suivant l’apparition des premiers symptômes. L’insomnie fatale touche moins d’une personne sur 1 million.

- Le syndrome de Gerstmann-Straüssler-Scheinker : les patients atteints du syndrome de Gerstmann-Straüssler-Scheinker présentent des troubles de l’équilibre et de la coordination des mouvements. Dans sa forme la plus fréquente, cette maladie débute vers 40 ans, et évolue ensuite sur plusieurs années vers une démence, avec une aggravation des troubles neurologiques. Le nombre de personnes touchées est très faible.

- Le kuru : cette maladie a affecté les membres de la tribu des Fore, en Papouasie-Nouvelle Guinée. Transmise entre les individus par des rites anthropophages, elle a disparu du fait de l’arrêt de ces pratiques dans les années 1950.

En France, 100 à 150 nouveaux cas de maladies à prions sont diagnostiqués chaque année. Une fois les premiers symptômes apparus, ces maladies progressent rapidement, sans rémission, jusqu’au décès. Il n’existe en effet aucun traitement curatif, on ne peut ni les soigner ni arrêter leur évolution. Seuls des traitements symptomatiques permettent de réduire certains des symptômes des patients.

Des maladies qui touchent aussi les animaux

Contrairement aux autres maladies neurodégénératives, les maladies à prions ont la particularité de toucher à la fois l’être humain et l’animal.

Parmi les maladies recensées chez les animaux, la plus connue est probablement la maladie de la « vache folle », qui touche les bovins, d’où son nom d’encéphalopathie spongiforme bovine. Mais il existe également la tremblante du mouton (qui touche aussi les chèvres), sur laquelle ont porté les travaux qui ont permis d’identifier pour la première fois les prions en tant qu’agents infectieux, ainsi que d’autres pathologies moins connues au-delà des cercles des spécialistes, tels que le dépérissement chronique des cervidés ou la maladie à prions des dromadaires.

À l’origine d’une crise sans précédent dans les années 1990, la maladie de la vache folle mérite que l’on s’y arrête. Décrite pour la première fois en 1986 au Royaume-Uni, cette maladie a depuis cette époque été observée dans des cheptels bovins de plus de 19 pays, dont la France. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, elle a touché environ 200 000 têtes de bétail (94 % des cas ont été recensés au Royaume-Uni ; en France, environ 1000 cas ont été identifiés).

À ce jour, l’origine exacte de l’encéphalopathie spongiforme bovine n’est pas clairement déterminée. Néanmoins, il a été montré que la consommation par les bovins de farines de viande et d’os préparées à partir du recyclage de carcasses d’ovins et de bovins malades était à l’origine de l’augmentation du nombre de cas. Par ailleurs, cette maladie se transmet aussi entre individus au sein des troupeaux.

Le prion bovin responsable de la maladie de la vache folle est en outre à l’origine d’une nouvelle maladie neurodégénérative mortelle chez l’être humain, appelée le variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ). L’apparition de cette maladie zoonotique (transmission d’un agent pathogène de l’animal à l’humain) a provoqué une crise sanitaire majeure en Europe à partir des années 1990. Au niveau mondial, 207 décès de personnes ayant développé le variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob après avoir consommé de la viande bovine contaminée sont à déplorer.

Photo d’une plaque commémorative installée en 1994 à Londres est dédiée à la mémoire des victimes de l’encéphalopathie spongiforme bovine. Le mur sur lequel elle se situe, non loin de St Thomas’ Hospital, est depuis devenu un lieu de souvenir pour les vic
Cette plaque commémorative installée en 1994 à Londres est dédiée à la mémoire des victimes de l’encéphalopathie spongiforme bovine. Le mur sur lequel elle se situe, non loin de St Thomas’ Hospital, est depuis devenu un lieu de souvenir pour les victimes d’une autre maladie zoonotique, le Covid-19. ygor/Shutterstock

Des maladies à prions aux maladies de Parkinson et d’Alzheimer

Il existe aujourd’hui un nombre important de preuves que les maladies amyloïdes telles que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson partagent une étiologie commune avec les maladies à prions.

Certes, ces maladies ne sont pas causées par la protéine PrP : dans la maladie d’Alzheimer, les protéines qui changent de forme 3D et deviennent pathologiques sont les protéines Aβ et tau, tandis que dans la maladie de Parkinson, il s’agit d’une protéine appelée α-synucléine.

Toutefois, bien que les protéines impliquées soient différentes, on pense aujourd’hui que des mécanismes similaires à ceux gouvernant l’apparition et la propagation des fibres amyloïdes de prion pourraient être impliqués dans ces autres maladies du repliement des protéines.

Désormais, l’objectif des chercheurs est donc d’identifier des molécules anti-prions candidates qui pourraient être utilisées pour le traitement non seulement des maladies à prion, mais aussi d’autres maladies du repliement des protéines, telles que les maladies de Parkinson ou d’Alzheimer.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

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