Mariposa jusqu’au mois de septembre, et je fis d’autres excursions.
Souvent je gravissais la montagne qui fermait au sud le bassin du Maxwell’s-creek. Du point élevé sur lequel je me plaçais, on découvrait, au fond d’une gorge étroite et profonde, la Merced déroulant ses eaux comme les anneaux d’un serpent. La rivière disparaissait par moments derrière les rochers escarpés qui en formaient le bord ; elle réapparaissait ensuite, et l’on eût dit autant de tronçons séparés et même autant de rivières différentes. Plus loin, au delà d’un premier rideau de montagnes couvertes de noirs sapins, on apercevait une portion de l’immense plaine des Tulares, et à gauche les monts de Bear-Valley, perforés par des travaux de mines. À droite se montrait, dans le lointain, le sommet arrondi du mont du Diable, et, sur un plan plus rapproché, les hautes montagnes du Calaveras. Derrière moi, quelques pitons de la Sierra, et à mes pieds, baigné par la Merced, le plateau des Tarentules, qui disparaissait sous un voile transparent de vapeurs s’élevant de la surface de l’eau. Le coup d’œil était des plus magiques.
Je descendis un jour le long des rives escarpées de la Merced, et je poussai jusqu’au moulin à quartz du colonel Fremont. Les voyages de ce célèbre explorateur à travers l’Amérique du Nord jusqu’en Californie avaient hâté la conquête américaine, à laquelle il prit d’ailleurs une part très-active. Il avait reçu du gouvernement fédéral, à titre de récompense nationale, le fameux claim (concession) de Mariposa, où se rencontrent les mines de quartz les plus riches de toute la Californie. Colonel démissionnaire, il se porta, en 1856, candidat à la présidence des États-Unis, où il représentait le parti républicain, qui vient de triompher aux dernières élections avec M. Lincoln. Le colonel Fremont eut presque autant de voix que M. Buchanan, élu par le parti démocratique. Lors de ma visite à ses mines de Bear-Valley, il vivait avec sa famille non loin de cette ville, et se reposait dans son paisible cottage de ses émotions de voyageur et d’homme politique. Le moulin établi par le colonel sur la Merced était dans une position des plus favorables. M. Fremont y faisait alors des améliorations importantes, et plus de cent pilons mécaniques broient à cette heure le quartz extrait de ses mines. Celles-ci sont ouvertes aux flancs d’une montagne voisine, sur laquelle vient réapparaître le même filon si puissant que j’ai déjà signalé à Coulterville et à Peña-Blanca. On retrouve, du reste, ce filon dans presque toutes les mines du sud de la Californie, jalonné comme en ligne droite. Sa richesse et son épaisseur varient suivant les localités. Chez M. Fremont, il se présente de la façon la plus heureuse ; aussi les mines du colonel lui ont-elles été ardemment disputées. À l’époque même où je visitai ces travaux, c’est-à-dire dans le mois de juillet 1859, plusieurs mineurs espagnols, campés dans la montagne, étaient occupés à exploiter les affleurements. Ils broyaient le minerai et l’amalgamaient par les méthodes rudimentaires du Mexique, bien perfectionnées depuis en Californie. Ces sortes de maraudeurs de mines n étaient point inquiétés, mais une compagnie régulière de mineurs s’était aussi établie sur ce gîte à un niveau inférieur aux chantiers d’exploitation Fremont. De temps à autre, quelques coups de revolver étaient échangés entre les travailleurs des deux mines rivales ; et sans l’intervention courageuse des constables de Bear-Valley, il eût fallu bien peu de chose pour voir se renouveler sur ce point les scènes sanglantes des premiers temps de l’exploitation de l’or. Le colonel Fremont n’en poursuivait pas moins ses travaux avec vigueur. Des chemins de fer étaient établis dans les galeries et à la surface pour le transport du minerai ; des treuils mécaniques étaient installés à l’ouverture des puits pour la sortie du quartz aurifère.
D’autres excursions que j’entrepris de Coulterville aux mines de Big-oak-Flat (le plateau du gros chêne), dans le comté de Tolumne, et aux placers de Tarentula-Flat, aux mines de Marble-Spring, dans le comté de Mariposa, mériteraient également d’être citées. À Big-oak-Flat, une des choses que j’admirai le plus fut la construction d’un immense canal auquel on travaillait depuis des années. Il était destiné à porter aux placers et aux mines, ainsi qu’aux centres miniers eux-mêmes, l’eau dont ils avaient besoin. Le parcours de ce canal n’était pas moindre de soixante-cinq kilomètres. Un pont suspendu de près de neuf cents mètres de long et d’une hauteur de quatre-vingts mètres, franchissait en aqueduc un ravin interposé sur le parcours du canal. Tous ces travaux furent achevés en novembre 1859. En Californie, où de pareils faits ne sont pas rares, on ne sait ce que l’on doit le plus admirer, ou la hardiesse elle-même de l’œuvre qui étonnerait nos plus habiles ingénieurs, ou l’énergie indomptable des Américains qui mènent à bonne fin ces gigantesques entreprises, sans demander de secours qu’à eux seuls. L’État n’intervient jamais en rien pour de pareils travaux : ce sont les seuls citoyens qui créent tout.
IV
LES MINEURS CALIFORNIENS.
Pendant mon séjour à Coulterville, j’eus occasion de faire ample connaissance avec les mineurs de la localité. On donne le nom générique de mineurs, en Californie, aux ouvriers des placers qui lavent les terres aurifères, comme à ceux des mines de quartz qui abattent le minerai à la poudre, et qui sont seuls de véritables mineurs. À Coulterville, ainsi que dans tous les centres miniers californiens, toutes les nationalités se trouvent à peu près représentées. Il y a surtout beaucoup de Chinois et d’Espagnols des colonies, principalement