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Utilisateur:Gilles Mairet/Pilate dans les Évangiles

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Pilate dans les Évangiles

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Le deuxième prologue de l'Évangile selon Luc (3,1) est le seul passage qui fournit des indications chronologiques qui permettent de savoir que le Pilate dont on parle dans les évangiles est Ponce Pilate. Dans toutes les autres parties des évangiles, le gouverneur romain est simplement appelé Pilate et jamais Ponce Pilate. De même, celui que l'on identifie à Hérode Antipas car il fait exécuter Jean le Baptiste est appelé Hérode, qui peut être un nom dynastique, mais qui ne permet pas de le distinguer des autres tétrarques ou rois de la famille d'Hérode le Grand. Malicieusement, l'Évangile selon Marc donnent même le titre de roi à l'Hérode qui correspond à Antipas (Mc 6:14), alors que justement il n'a jamais pu obtenir ce titre, comme si au moment où il a été écrit, cet évangile voulaient accroître l'incertitude.

Ce deuxième prologue, écrit une vingtaine d'années après l'Évangile selon Marc, présente Ponce Pilate comme gouverneur de la Judée et le situe dans un environnement politique[P 1]. « Or, en la quinzième année du règne de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, […] la parole de Dieu vint à Jean (le Baptiste), le fils de Zacharie, au désert. » Cette précision chronologique qui n'apparait que dans les années 80-90, correspond à l'année 28-29, mais ne s'applique pas à Jésus et encore moins à sa confrontation avec un Pilate, mais au début de la prédication de Jean le Baptiste.

Répression dans le Temple

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L'Évangile selon Luc évoque aussi des « Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs victimes[P 2] ». Les « victimes » dont il est question, sont les animaux qui étaient sacrifiés à Dieu dans le temple de Jérusalem, une pratique qui existait dans la plupart des autres religions de l'Antiquité. Selon cette phrase trop brève, qui n'a d'écho ni chez Flavius Josèphe, ni chez Philon d'Alexandrie, Pilate aurait donc aussi réprimé un mouvement de protestation animé par des Galiléens à l'intérieur même du temple. Ici, les Galiléens ne sont pas spécialement des habitants de Galilée, mais des membres du mouvement créé vers l'an 6, par Juda le Gaulanite (ou Judas le Galiléen), aussi appelé « quatrième philosophie » par Flavius Josèphe, ou des membres du mouvement Zélote[1].

Pilate et Jésus

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Fresque présentant le procès de Jésus
Fresques du procès de Jésus, église Saint-Jean-Baptiste de Iaroslavl.

Pilate est un homme craintif donc cruel mais les évangiles en donnent une image adoucie[2]. Les évangiles le présentent comme quelqu'un qui veut libérer Jésus « le roi des Juifs (Jn 18:39) », mais qui est contraint de le condamner par les autorités juives et la foule. Il se retrouve piégé et doit libérer Barabbas[3], un « brigand » inculpé pour émeute et meurtre, que l'évangile de Matthieu présente comme étant célèbre (Mt 27:16), plutôt que de libérer Jésus bien qu'après que Jésus a reconnu être le roi des Juifs (Jn 18:37), Pilate estime qu'il est innocent (Jn 18:38).

Le théologien Michel Quesnel fait remarquer que « déterminer qui porte la responsabilité de la mort de Jésus a des retombées politiques, religieuses et idéologiques[4] […] Plus délicate encore que d'autres à propos de Jésus, cette question doit être étudiée par les chercheurs en faisant au maximum abstraction de leurs présupposés[4]. »

Les raisons pour lesquelles les évangélistes — qui sont des judéo-chrétiens — atténuent la responsabilité de Ponce Pilate dans le processus de condamnation de Jésus pourraient être liées aux circonstances de rédaction de leur récit, dans le cadre de l'Empire romain, afin que leur écrit puisse franchir la barre de la censure. On constate au fil des rédactions une minimisation toujours plus importante de la responsabilité de Pilate et que la responsabilité « des Juifs » est de plus en plus importante pour atteindre son paroxysme dans les Actes des Apôtres puis les évangile selon Jean et Pierre[5], les derniers à avoir été rédigés avant 150. C'est aussi dans cette période que s'élargit la rupture entre les Nazôréens (notsrim en hébreu, les juifs chrétiens[6]) et le mouvement des rabbins en formation[6] dans l'académie de Yabneh[7], notamment avec une nouvelle rédaction de la Birkat haMinim contenant une malédiction à l'égard des hérétiques (minim) parmi lesquels les Nazôréens sont inclus[8],[9].

Condamnation de Jésus de Nazareth

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Le Christ devant Pilate, Codex purpureus Rossanensis, v. 550.

Les mentions ultérieures de Pilate dans les évangiles se réfèrent toutes à la comparution de Jésus devant lui[Note 1]. Pilate est surtout connu comme juge au procès de Jésus, ce qui a conféré une notoriété exceptionnelle à ce simple gouverneur de province, au nom mentionné dans les professions de foi des chrétiens[10]. Les chapitres 27 de Matthieu, 15 de Marc, 23 de Luc et 18-19 de Jean[P 3] rapportent le renvoi de Jésus de la demeure du grand prêtre à Pilate, son interrogatoire, la pression de la foule, la libération de Barabbas :

Selon les évangiles synoptiques, Jésus est conduit devant Pilate par les responsables du Sanhédrin à la suite du « saccage du Temple » (Jésus ayant chassé les marchands du temple, selon Mc 11:15-19 et passages parallèles). Il « venait de se révéler pouvant être violent, et donc risquait de fragiliser l'équilibre précaire entre le monde juif toujours prêt à s'agiter et l'occupant romain[11]. » Toutefois, dans l'Évangile selon Jean, ce saccage du Temple (Jn 2:14-17) n'est pas le motif de l'arrestation de Jésus, car il a lieu plusieurs années avant que Jésus ne soit arrêté par une cohorte romaine dirigée par un tribun[Note 2] (Jn 18:12) qui n’est pas présente lors de l'arrestation relatée dans les synoptiques. La nuit précédant sa comparution, il avait été arrêté à Gethsémani, par une foule armée de bâtons et de glaives, envoyée par les grands prêtres[P 4], ou selon l'Évangile selon Jean, dans un jardin anonyme par une cohorte dirigée par un tribun (Jn 18:12) « et des gardes détachés par les grands prêtres et les Pharisiens (Jn 18:3) ». Jésus avait été trahi par Judas. Selon l'évangile de Matthieu, on le traîne alors dans la demeure du grand prêtre Caïphe (Mt 26:57) qui a convoqué de toute urgence le Grand Conseil ou Sanhédrin. Interrogé par le grand prêtre, Jésus reconnaît être « le Christ, le Fils de Dieu[P 5] ». Dans l'évangile selon Jean, Jésus est d'abord interrogé par Anne « le beau-père de Caïphe (Jn 18:13) ». Anne l'envoie « alors, toujours lié, au grand prêtre, Caïphe (Jn 18:24) » et après le chant du coq (Jn 18:27), Jésus est mené « de chez Caïphe au prétoire (Jn 18:28) » (de Pilate) sans comparaître devant le Sanhédrin et sans avoir avoué être le Christ (le Messie). Dans les trois évangiles synoptiques, nous sommes le jour de Pâque (Pessah), alors que dans celui de Jean, nous sommes la veille de cette fête.

Le pays étant occupé par les Romains, il faut obtenir un autre jugement, cette fois devant le tribunal du gouverneur (hegemon), Pilate, pour parvenir à une condamnation à mort, les Juifs ayant perdu le Ius gladii (de), « droit de glaive ». Il est accusé d'être le « roi des Juifs (Mt 27:11, Jn 18:33) ». Pilate l'interroge à ce sujet et Jésus répond « Tu le dis : je suis roi. » (Jn 18:37). Pilate déclare alors: « Je ne trouve en lui aucun motif de condamnation (Jn 18:38). » Croyant sans doute avoir trouvé le moyen d'épargner Jésus, il propose à la foule (Ecce homo[P 6]) de libérer un prisonnier à l'occasion de la Pâque[P 7]. « C'est pour vous une coutume que je vous relâche quelqu'un à la Pâque. Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? (Jn 18:39) » Mais, contrairement à ce qu'il attendait, la foule crie « Libérez Barabbas » (PâLaT bar Abbas), du nom de cet autre prévenu dont Pilate aurait instruit le procès au même moment, présenté comme un émeutier, un meurtrier et « un brigand », c'est-à-dire un révolté Galiléen.

« Et Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien, mais que plutôt il s'élevait un tumulte, prit de l'eau et se lava les mains devant la foule, disant : Je suis innocent du sang de ce juste ; vous, vous y aviserez[P 8]. »

Bien que reconnaissant l'innocence de Jésus, Pilate le livre pourtant au supplice de la croix, supplice typiquement romain et de nature ignominieuse[12], alors que les juifs utilisent la lapidation comme pour Étienne ou l'apôtre Jacques[13]. Comme motif de la condamnation, il fait inscrire, selon l'usage romain, sur la croix le motif de la condamnation, la mention : « Jésus le Nazôréen, le roi des Juifs (Jn 19:19) » (INRI). Les grands prêtres protestent et lui demandent d'inscrire plutôt : « Cet homme a dit : Je suis le roi des Juifs (Jn 19:21) », mais Pilate refuse en répondant « Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit »[P 9]. Dans l'évangile selon Jean, alors qu'il est sur la croix, Jésus reçoit un coup de lance (Jn 19:34), alors que dans les trois évangiles synoptiques et dans celui de Pierre, ce coup de lance ne figure pas. Pilate accorde le corps de Jésus à Joseph d'Arimathie et dans celui selon Jean, Nicodème s'associe à lui pour l'inhumer (Jn 19:34). Dans les seuls évangiles de Matthieu et Pierre, Pilate délègue aux autorités juives la garde du tombeau[P 10], ce qui, selon Marie-Françoise Baslez est contraire aux règles de la crucifixion romaine[12]. « La responsabilité de la condamnation et donc de la mort de Jésus est entièrement rejetée sur des Juifs, ou sur les Juifs, expression désignant les instances dirigeantes de l'époque, même s'il est rappelé que c'est par ignorance qu'ils ont agi (Ac 3, 17 ; 1 Co 2, 8)[8] » et que cela « a été réalisé par la main des impies »[8]. « D'un autre côté, on constate le développement d'une tradition visant à minimiser toujours davantage la responsabilité de Pilate »[5]. Des récits de la Passion tels qu'ils figurent dans le Nouveau Testament, à l'Évangile de Pierre, on parvient « rapidement à la mise en place de la thèse du « déicide » telle qu'elle figure chez Justin de Naplouse (Dialogue avec Tryphon 16, 2-4) »[5].

Libération de Jésus bar Abbas

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Barabbas est le personnage évangélique qui avec Judas Iscariot, a le plus interrogé les critiques, même si aucun consensus ne se dégage à son sujet. Il est mentionné dans une seule source, les évangiles et uniquement pour exonérer Ponce Pilate de sa responsabilité d'avoir condamné Jésus de Nazareth à être crucifié. Or, bien que ce ne soit plus apparent aujourd'hui, ce personnage portait lui aussi le nom de Jésus[14]. De plus, en araméen, bar Abbas signifie « fils du Père » qui semble être une référence à Jésus de Nazareth lui-même, puisque dans les évangiles, Jésus désigne souvent Dieu par « le Père » et qu'il y est crédité du titre de fils de Dieu[15], dont « fils du Père » est une forme plus populaire. Robert Eisenman fait remarquer que les surnoms ou cognomen Barsabas, Barnabas et Barabbas sont souvent connectés aux noms des membres de la famille de Jésus dans les textes chrétiens antiques[15], comme le frère de Jésus appelé Joseph Barsabbas[15] ou celui appelé Judas qui dans le Codex Bezae des Actes des Apôtres est même appelé Judas Barabbas, alors que dans les versions actuelles, il est nommé Judas Barsabas[15],[P 11].

La personnalité de Barabbas
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Vitrail de l'église de la Flagellation à Jérusalem : Le triomphe de Barabbas.

Il n'y a aucun accord au sujet de ce Barabbas, qui dans les versions antiques de l'évangile selon Matthieu est appelé Jésus Barabbas[16]. Origène qui au IIIe siècle s'indigne que l'on puisse donner le nom de Jésus à Barabbas témoigne du caractère embarrassant que présentait visiblement cette mention de Jésus Barabbas[Note 3], au point qu'il suggère que ce sont des « hérétiques » qui l'ont ajouté[14]. Pour certains historiens, Barabbas est un Zélote. Pour d'autres, qui estiment que les Zélotes n'existent pas à l'époque de Jésus, l'épisode de Jésus Bar Abbas pourrait être un indicateur de la poursuite de l'activité du groupe de Judas le Galiléen, appelé Quatrième philosophie[3], ou Mouvement Galiléen. Pour d'autres encore, il s'agit d'un procédé littéraire et les deux Jésus n'en font qu'un, mais permettent de décrire deux faces de Jésus[17],[18],[15],[19], tout en exonérant les Romains de leur responsabilité dans cette exécution, pour que les évangiles ne puissent pas être soupçonnés de contenir la moindre critique des autorités au pouvoir.

Pour Robert Eisenman, les frères de Jésus et les apôtres surnommés le Zélote, comme Simon le Zélote et Judas le Zélote, ainsi que Judas le Sicaire, sont de véritables Sicaires et Zélotes et Jésus qui partageait des idées très proches de ces groupes[15] est aussi évoqué dans les évangiles à travers ce Jésus Barabbas[15]. Pour lui, c'est parce que les frères de Jésus — dont celui appelé Joseph est parfois explicitement appelé Joseph Barsabas et celui appelé Jude lui aussi explicitement appelé Judas Barsabas[15] est même surnommé Judas Barabbas dans le Codex Bezae[15],[P 11] — étaient des Zélotes qu'ils ont été peu à peu occultés[20], jusqu'à utiliser comme argument théologique la doctrine de la virginité perpétuelle de Marie, qui apparaît pour la première fois en 374[21].

Pour Hyam Maccoby, le surnom Bar Abbas aurait été donné à Jésus de Nazareth à cause de son habitude de prier et de prêcher en désignant Dieu comme « Abba » (Père), dont témoignent les évangiles[17]. Pour Eisenman, Barabbas dans les évangiles est quelque chose comme un remplaçant pour Jésus lui-même[15]. « C'est l'homme qui a été arrêté « dans la sédition » pour avoir provoqué une « émeute et un meurtre » (Mc 15, 7 ; Lc 23:19)[15]. » Ce qui semble correspondre à l'incident que Jésus provoque dans le Temple[P 12] et dont les évangiles synoptiques font la cause de son arrestation dans les deux jours qui suivent[P 13] et de sa crucifixion le lendemain. Hyam Maccoby considère aussi que ce Yeshua Bar Abba ou Jésus Barabbas n'est rien d'autre que Jésus de Nazareth, et que le choix entre deux prisonniers est une fiction ou un procédé littéraire[17]. Il conclut que certains des actes attribués à Barabbas doivent alors historiquement avoir été commis par Jésus[17]. De plus, loin d'avoir réclamé son exécution, lorsque « la foule » crie « libérez Barabbas » ce serait la libération de Jésus de Nazareth qu'elle réclamait[17].

À la suite d'Alfred Loisy plusieurs critiques font un lien et notent la correspondance entre le récit de la passion de Jésus et le récit fait par Philon d'Alexandrie, pour un personnage appelé par dérision, non pas Barabbas mais Karabbas, acteur involontaire d'une parodie pour se moquer du nouveau roi juif Agrippa Ier en route vers son nouveau royaume et qui se déroule en été 38[22],[23], moins de deux ans après le renvoi de Ponce Pilate avec une procédure exceptionnelle (fin 36 / début 37).

Toutefois, pour Jean-Pierre Lémonon « ces explications ne prennent pas les sources au sérieux[24] ». Il estime qu'il n'y a parmi les objections soulevées que des contradictions ou des développements apologétiques, ce qui ne disqualifie pas a priori un texte sur le plan de l'histoire[24]. Pour lui, « l'épisode de Barabbas se trouve attesté dans les quatre évangiles[24] ». De même, Raymond Edward Brown, estime que « la critique invite, au moins, à reconnaître l'historicité de la libération d'un partisan armé nommé Barrabas[25] » distinct de Jésus, sans lequel le récit tel que nous le connaissons aujourd'hui n'aurait pas pu se développer[24]. À partir des récits de la Passion, « une tendance à accentuer le parallèle entre les deux personnages[24] » a pu se dessiner, bien qu'ils n'aient pas été « nécessairement mis en concurrence par Pilate lui-même à la demande « la foule »[24]. »

Le privilège pascal
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Le débat sur la vraisemblance du procès de Jésus jugé par Ponce Pilate tel qu'il est décrit dans les évangiles, dure depuis tellement longtemps et est tellement célèbre, que l'on a même donné un nom au fait que le gouverneur romain était, selon les évangiles, obligé de relâcher le prisonnier que la foule désignait lors de la fête de pâque. Il est appelé le « privilège pascal ».

L'évangile selon Matthieu le décrit ainsi:

« A chaque Fête, le gouverneur avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui qu'elle voulait[P 14]. »

La valeur historique du « privilège pascal » est très disputée[26]. Sa réalité est mise en doute pour plusieurs raisons[26]. D'abord, parce que dans tout l'Empire romain il n'est attesté dans aucun texte de quelque nature que ce soit[27]. Les seuls textes qui en parlent ce sont les évangiles[27], puis dans les siècles suivants les récits de la Passion qui en ont été tirés[26]. Comme les évangiles ne sont pas des textes indépendants, mais qu'au contraire les rédacteurs des versions et évangiles ultérieurs ont composé les leurs avec, sous les yeux, les textes des précédents[28], les récits du procès n'ont peut-être qu'une source commune[29], qui pourrait être le premier rédacteur de l'évangile selon Marc. Comme pour tous les autres passages des évangiles, ce rédacteur se réfère à l'Ancien Testament[30] presque à chacune des phrases qu'il écrit. Ce ne sont en tout cas pas des « témoignages indépendants »[28] comme on le lit parfois sous la plume d'auteurs confessionnels. Ces récits, ne concernent que deux prisonniers : Jésus de Nazareth et Jésus bar Abbas.

De plus, si cette obligation non-attestée a été jugée peu probable pour des gouverneurs romains, elle a semblé presque invraisemblable pour un préfet en Judée[27]. En effet, depuis la mort d'Hérode le Grand (-4), puis la prise de contrôle directe de la Judée par les Romains (+6), la Galilée, mais aussi la Judée et même parfois la Samarie, sont traversées de révoltes, alors que parallèlement des groupes appelés « brigands » par les Romains infestent le pays[31],[32]; les motivations sociales et politiques de ces brigands étant perceptibles dans les récits de Flavius Josèphe[33]. Une telle obligation pour un gouverneur de Judée aurait donc été à haut risque[34], car ces Galiléens, Sicaires, Zélotes ou « brigands » suscitaient souvent la sympathie de la population et donc de « la foule ». En tout cas, Flavius Josèphe qui s'était proposé de noter tous les privilèges que les Romains avaient accordés aux Juifs n'a pas cité ce privilège que Brandon estime tout à fait extraordinaire[27]. Alors qu'il mentionne des dizaines de répressions et des centaines de crucifixions, Josèphe n'en profite à aucun moment pour donner un exemple de prisonnier relâché pour une raison de ce type dans son récit en sept volumes pour la Guerre des Juifs, ni dans ceux des Antiquités judaïques correspondants à cette période[35].

Toutefois pour Jean-Pierre Lémonon, « l'épisode de Barabbas se trouve attesté dans les quatre évangiles[24] » et le « privilège pascal » est explicitement mentionné dans trois d'entre-eux, seul celui de Jean lie directement la coutume de la libération d'un prisonnier et la fête de Pâque[24]. Pour lui, « l'épisode Barabbas enchevêtré à la mention du privilège pascal fait partie d'une tradition ancienne des récits de la Passion ; la tension, née de la présence romaine, offre un bon contexte historique soutenant l'existence de prisonniers détenus par le gouverneur romain et populaires au moins auprès d'une partie du peuple de Jérusalem[24]. »

Pour lui, l'existence d'un prisonnier nommé Barabbas distinct de Jésus semble être une donnée historique minimum « nécessaire pour que le récit tel que nous le connaissons aujourd'hui ait pu se développer[24]. » De même, « il n'est pas impossible qu'à l'occasion de fêtes le gouverneur de Judée ait procédé à des libérations, c'était l'occasion de manifester à la fois la réalité du pouvoir romain et sa mansuétude[24] ». Il admet toutefois, que « rien ne permet de parler de coutume[24]. »

Pilate versus Ponce Pilate

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Il y a une telle différence entre le Ponce Pilate décrit par Philon d'Alexandrie et Flavius Josèphe et la personnalité faible du Pilate « qui joue une partition hésitante dans le Drame de la Passion[36] », que l'on peut parler de contradiction[36].

Détail de fresque représentant Pilate se lavant les mains
Lavement des mains par Pilate (Duccio).
Geste devenu proverbial quoique peu vraisemblable, à moins que ce Pilate là, ne soit juif[Note 4].

Vexations, rapines, injustices, outrages[P 15],[37], « dédain hautain pour les sentiments des autres[37] », « les citoyens qu'il avait fait périr sans jugement et enfin son insupportable cruauté[P 15] », sont les accusations émises contre Ponce Pilate par les auteurs séculiers[37]. « Les évangélistes le décrivent sous un jour très différent : inspiré par les plus humaines et honorables intentions pour ceux qui sont sujets de son gouvernorat, il déploie tous ses efforts pour les persuader de se désister de leur folie, et quand il est finalement contraint par la nécessité d'accomplir une obligation amère, il se lave les mains[37] » avant de livrer Jésus pour qu'il soit exécuté[37].

Jean-Pierre Lémonon ne nie pas cette « opposition entre les textes profanes et les textes évangéliques de la Passion en ce qui concerne le portrait de Pilate[38]. » Selon lui toutefois, un changement profond aurait été entamé récemment et les études sur Pilate refuseraient désormais « cette opposition sans nuance entre un Pilate soi-disant brutal des sources profanes, et un autre, celui des évangiles, qui serait hésitant, voire débonnaire[38]. »

Ce n'est donc pas seulement le « privilège pascal » qui a semblé improbable à la plupart des exégètes laïcs et des historiens[Note 5], c'est aussi la façon dont, selon les évangiles, Pilate l'aurait appliqué. Curieusement, après que Jésus a affirmé « Tu le dis : je suis roi (Jn 18:37). » Pilate déclare alors: « Je ne trouve en lui aucun motif de condamnation (Jn 18:38). ». Or, s'il n'était pas un roi reconnu par l'empereur, cette prétention à la royauté est un crime de lèse-majesté, menaçant Rome et le pouvoir impérial et effectivement passible de mort[39],[Note 6].

En toute logique, Pilate persuadé que Jésus était innocent aurait dû le relaxer sans autre forme de procès, ce dont il avait tout à fait l'autorité nécessaire[40]. Au lieu de cela on le voit recourir au subterfuge du « privilège pascal »[40] qui va immédiatement se retourner contre lui[41]. « De plus, quand les grands prêtres poussent la foule à exiger la liberté de Barabbas et contrecarrent ainsi ses intentions, il en est réduit à demander timidement à la foule: « Que ferais-je donc de celui que vous appelez le Roi des Juifs ? »[40] ». Puis docilement il envoie l'innocent Jésus à la crucifixion parce que « la foule » le lui a demandé, alors que même en supposant que le « privilège pascal » existait, celui-ci parlait seulement de faire libérer un prisonnier et pas d'envoyer à la mort celui que « la foule » désignerait[41]. Pilate aurait alors relâché Jésus Bar Abbas qui était un membre de la résistance très populaire et célèbre[41]. Brandon fait remarquer qu'il s'agit là d'une conduite aberrante pour un gouverneur romain[41].

Évangile de Pierre

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L'Évangile selon Luc est le seul à contenir un épisode où Pilate envoie Jésus se faire juger par Hérode[P 16]. En suivant la tradition ecclésiastique, on estime que cet Hérode est Hérode Antipas, qui est d'ailleurs mentionné pour avoir fait exécuter Jean le Baptiste auparavant.

Un évangile de l'apôtre Pierre — vraisemblablement daté du IIe siècle[Note 7] — déclaré apocryphe au VIe siècle, propose un fragment du récit de la Passion assez semblable aux synoptiques[42] et dont la valeur documentaire est de même nature que les récits néotestamentaires, faisant cohabiter souvenirs et interprétations. Ces dernières sont dictées tant par l'apologétique que par le souci de relayer les Écritures[43]. Ce vernis apologétique y « innocente » Pilate, sans aller toutefois jusqu'à en faire un chrétien. Ce dernier y est présenté assez proche d'un Hérode portant le titre de roi, à l'instar de ce que présente l'évangile selon Luc. On y retrouve la scène du lavement des mains de Pilate, qui n'est pas romaine[12], mais juive, et celle de la requête de Joseph d'Arimathée auprès du préfet pour prendre en charge la dépouille de Jésus, ce que Pilate lui accorde[44]. Dans cet évangile, c'est « Hérode, le roi » qui prononce la sentence après le départ de Pilate.

Ami de César

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Dans l'évangile selon Jean, Pilate est qualifié « d'ami de César », ce qu'il n'est pas dans les évangiles synoptiques. Ainsi, alors que Pilate cherche à relâcher Jésus, selon cet évangile « les Juifs vociféraient, disant : « Si tu le relâches, tu n'es pas ami de César » (Jn 19:12). » Or, « ami de César » est un titre que les empereurs accordaient à quelques personnes très importantes. Il est invraisemblable que Ponce Pilate ait été autorisé à porter ce titre par Tibère. Pilate n'est ni un roi de la région, ni même un sénateur. C'est un simple membre de l'ordre équestre à qui a été confié une toute petite province de l'Empire. Il n'y a en tout cas aucune trace historique d'une position élevée de Ponce Pilate qui aurait pu justifier ce titre.


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  1. Gérard Nahon, article Zélotes de l'Encyclopædia Universalis.
  2. Daniel Marguerat, « Introduction. Jésus de Nazareth », dans Jean-Marie Mayeur, Luce Pietri, André Vauchez, Marc Venard, Histoire du Christianisme. Le nouveau peuple (des origines à 250), Desclée, , p. 50.
  3. a et b Simon Claude Mimouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, Paris, 2012, éd. PUF, p. 448.
  4. a et b Michel Quesnel, « Jésus et le témoignage des Évangiles », in P. Geoltrain (Dir.), Aux Origines du christianisme, Gallimard / Le Monde de la Bible, 2000, Paris, p. 206.
  5. a b et c Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : aucun texte n’a été fourni pour les références nommées Blanchetière_439
  6. a et b Simon Claude Mimouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, Paris, 2012, éd. PUF, p. 482.
  7. Simon Claude Mimouni, Les Chrétiens d'origine juive dans l'Antiquité, Paris, Albin Michel, 2004, p. 489.
  8. a b et c Blanchetière 2001, p. 205.
  9. Simon Claude Mimouni, Les Chrétiens d'origine juive dans l'Antiquité, Paris, Albin Michel, 2004, p. 71s.
  10. Lémonon 2007, p. 15.
  11. Michel Quesnel, « Jésus et le témoignage des Évangiles », dans Pierre Geoltrain, Aux Origines du christianisme, Gallimard / Le Monde de la Bible, p. 207.
  12. a b et c Marie-Françoise Baslez, Bible et Histoire, Folio histoire, Gallimard, 2003, p. 210.
  13. Simon Claude Mimouni, La tradition des évêques chrétiens d'origine juive de Jérusalem, in Studia patristica vol. XL, publié par Frances Margaret Young, Mark J. Edwards, Paul M. Parvis, éd. Peeters, Louvain, 2006, p. 455.
  14. a et b (en) William R. Farmer, The Last Twelve Verses of Mark, Cambridge University Press, 2005, p. 20, note no 3.
  15. a b c d e f g h i j et k Eisenman 2012 vol. I, p. 64.
  16. S. G. F. Brandon, Jésus et les Zélotes, Flammarion, Paris, 1975, p. 296.
  17. a b c d et e Hyam Maccoby, Revolution in Judaea: Jesus and the Jewish Resistance Taplinger Publishing co, 1980, New-York, p. 165–166.
  18. Horace Abraham Rigg, Barabbas, JLB 64, p. 417-456, voir aussi Stefan L. Davies, Who is call Barabbas ?, NTS 27, p. 260-262.
  19. Jennifer K. Berenson Maclean, Barabbas, the Scapegoat Ritual, and the Development of the Passion Narrative, HTR 100, 2007, p. 309-334 ; où Berenson Maclean expose que l'épisode est construit en référence à Lévitique 16, Barabbas et Jésus étant les deux bouc-émissaires.
  20. Eisenman 2012 vol. I, p. 376-388.
  21. Pierre-Antoine Bernheim, Jacques, frère de Jésus,  éd. Albin Michel, 2003, p. 23-24.
  22. Paul Winter, Géza Vermes, On the Trial of Jesus, 1974, Walter de Gruyter, Berlin - New York, p. 136 et 148-149.
  23. B. J. Oropeza, C. K. Robertson, Douglas C. Mohrmann, Jesus and Paul: Global Perspectives.
  24. a b c d e f g h i j k et l Lémonon 2007, p. 176.
  25. Raymond Edward Brown, The Gospel according to John XIII-XXI, New-York, 1970, p. 871 et La mort du Messie, p. 909-910 ; cité par Lémonon 2007, p. 176.
  26. a b et c Lémonon 2007, p. 173.
  27. a b c et d S. G. F. Brandon, Jésus et les Zélotes, Flammarion, Paris, 1975, p. 291.
  28. a et b Jacques Giri, Les nouvelles hypothèses sur les origines du christianisme. Enquête sur les recherches récentes, Karthala, Paris, 2010, p. 88.
  29. Jacques Giri, Les nouvelles hypothèses sur les origines du christianisme. Enquête sur les recherches récentes, Karthala, Paris, 2010, p. 178.
  30. Jacques Giri, Les nouvelles hypothèses sur les origines du christianisme. Enquête sur les recherches récentes, Karthala, Paris, 2010, p. 172.
  31. Mimouni 2012, p. 445.
  32. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : aucun texte n’a été fourni pour les références nommées Mimouni 2012 p436
  33. Mimouni 2012, p. 434.
  34. S. G. F. Brandon, Jésus et les Zélotes, Flammarion, Paris, 1975, p. 292.
  35. S. G. F. Brandon, Jésus et les Zélotes, Flammarion, Paris, 1975, p. 291 et note no 2 de la même page.
  36. a et b Paul Winter, Pilate in history and in christian tradition, in Marginal Notes on the Trial of Jesus, p. 72.
  37. a b c d et e Paul Winter, Pilate in history and in christian tradition, in Marginal Notes on the Trial of Jesus, p. 76.
  38. a et b Lémonon 2007, p. 258.
  39. Lémonon 2007, p. 172.
  40. a b et c S. G. F. Brandon, Jésus et les Zélotes, Flmmarion, Paris, 1975, p. 294.
  41. a b c et d S. G. F. Brandon, Jésus et les Zélotes, Flammarion, Paris, 1975, p. 295.
  42. Pour une traduction en français, cf; Éric Junod, « L'Évangile de Pierre », in François Bovon et Pierre Geoltrain (éds.) Écrits apocryphes chrétiens, vol. I, éd. Gallimard, 1997, p. 247-254.
  43. Par exemple, des épisodes répondant à des prophéties d'Esaïe (Es, 59, 7) et de Zacharie (Za 12, 10) pour, respectivement Ev Pierre 6 et 9 ; cité par François Bovon, op. cit. infra, 2004 p. 29.
  44. François Bovon, Les derniers jours de Jésus, éd. Labor et Fides, 2004, p. 26–28.


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