Scandale du Nipplegate
Le scandale du Nipplegate (mot-valise formé de l'anglais nipple, téton, et du suffixe -gate, en référence au scandale du Watergate) est un scandale médiatique nord-américain qui a éclaté le lors de la retransmission en direct du Super Bowl XXXVIII sur CBS.
Historique
modifierLe traditionnel spectacle de la mi-temps s'achevait par un duo entre Janet Jackson et Justin Timberlake (ancien chanteur du groupe NSYNC). À la fin de la chorégraphie de la chanson Rock Your Body, tandis que le texte se terminait par « Bet I'll have you naked by the end of this song » (soit « je parie que je t'ai nue d'ici la fin de cette chanson »), Timberlake arracha une partie du bustier de sa partenaire, laissant apparaître le sein droit de Janet Jackson, orné d'un piercing et d'un bijou en forme d'étoile recouvrant l'intégralité du mamelon et rendant l'aréole invisible sur la vidéo retransmise en direct. Selon Janet Jackson il était prévu, comme réalisé dans les répétitions, que son soutien-gorge rouge resterait en place et ne dévoilerait que partiellement son sein sous-jacent. Cependant, lors de la prestation, Timberlake tira trop fort sur le bustier, arrachant un pan du soutien-gorge[1].
Il s'ensuivit aux États-Unis un battage médiatique considérable, qui fut jugé en France nettement disproportionné par rapport à la nature des faits[2]. Malgré les excuses présentées promptement par Jackson et Timberlake, l'affaire s'enflamma durant des mois et bénéficia d'une couverture médiatique plus importante que les primaires démocrates[3].
Michael Powell, président de la FCC, la Commission fédérale de la communication (et fils du secrétaire d'État Colin Powell), dut réagir. Il se déclara « outré qu'un tel spectacle ait pu être présenté à 85 millions d'Américains et leurs familles ». Dix ans après il avoua avoir été contraint de forcer le trait, soumis à de multiples pressions, estimant lui-même que les faits ne justifiaient pas un tel degré d'indignation, que certes cet incident avait été stupide mais que ses répercussions avaient été surréalistes[1].
CBS annonça que Janet Jackson n'apparaîtrait pas le suivant à la cérémonie des Grammy Awards, également retransmise par la chaîne. La NFL décida d'annuler le spectacle hip-hop prévu pour la mi-temps du Pro Bowl (le match qui marque la fin de la saison du football américain), NSYNC devant y interpréter une chanson jugée « trop suggestive »[3].
ABC décida de retransmettre la cérémonie des Oscars, le , avec un différé de cinq minutes afin de pouvoir couper tout débordement jugé inapproprié, un procédé qui se généralisa par la suite pour ce genre de retransmission[4].
Le , la NBC coupa une scène de la série télévisée Urgences, dans laquelle apparaissait subrepticement le sein d'une malade de 80 ans. NBC justifia son geste par « l'atmosphère créée par les événements de la semaine »[3].
Quelques voix s'élevèrent néanmoins pour souligner le « ridicule de la situation ». Parmi celles-ci, on peut citer l'animateur de radio Howard Stern et l'éditorialiste du New York Times Maureen Dowd[3].
La compagnie AOL, commanditaire de la mi-temps du Super Bowl, demanda à être dédommagée d'une partie des 10 millions de dollars US investis[3],[5].
Toutefois, la chaîne CBS n'a jamais payé d'amende concernant cet incident : un jugement de cour d'appel rendu en 2008 puis à nouveau en 2011 a estimé que CBS ne pouvait être tenue responsable des actions d'artistes sous contrat, et que la FCC avait agi de façon arbitraire en renforçant les mesures de lutte contre l'indécence. La Cour Suprême a refusé de statuer sur le cas en 2012[1].
Cet incident a eu un impact immédiat sur Internet : « Janet Jackson » est devenue l'expression faisant l'objet du plus grand nombre de requêtes pour tous les moteurs de recherche nord-américains[6],[7]. Le nombre de recherches générées a été plus important que celui observé à la suite des attentats du 11 septembre 2001[8],[9]. Cette affaire détient en 2006 le record inscrit au Guinness Book comme le sujet le plus recherchée en une seule journée sur Internet depuis sa création[5]. Dans les jours qui ont suivi cette émission, 20 % des recherches sur Yahoo portaient sur cet événement[9]. Sur Lycos, les recherches sur « Janet Jackson » et « Justin Timberlake » ont été multipliées respectivement par 680 et 35[9]. Les recherches sur la chanteuse ont été 80 fois plus nombreuses que celles sur Britney Spears, qui était pourtant souvent en tête des mots-clefs des moteurs de recherche durant les années 2000[9]. Un grand nombre de requêtes semblaient motivées par la recherche de la vidéo de cet incident[9].
Janet Jackson, à l'inverse de Justin Timberlake, souffrit d'une baisse de popularité importante. Son album Damita Jo, sorti quelques mois après cet événement, ne récolta pas le succès escompté, et elle fut congédiée de plusieurs plateaux et émissions télévisées, alors que Timberlake, surfant sur la vague de succès, enchaîna les prestations et les disques. Pour Timberlake lui-même, et plusieurs commentateurs, ce « double standard » serait l'effet d'une attitude globalement plus sévère de l'opinion publique envers les femmes et envers les minorités ethniques[1].
Les deux artistes ont été très réticents à évoquer cet événement au cours des années suivantes. Lors d'un entretien avec Oprah Winfrey en 2006, Janet Jackson a déclaré regretter d'avoir assumé la responsabilité de cet événement accidentel, et a reproché à demi-mot à Justin Timberlake son manque de soutien au cours des mois suivants, lorsque Janet Jackson était systématiquement évincée des médias tandis qu'il jouissait d'une popularité en pleine ascension[1]. Encore aujourd'hui, la famille Jackson ne pardonne pas à Justin Timberlake son attitude, dont les répercussions ont profondément marqué la vie de la chanteuse[10].
Le weekend du 14 février 2021, Justin Timberlake s'excuse publiquement auprès de Janet Jackson et reconnaît avoir bénéficié d'un système « qui tolère la misogynie et le racisme »[11].
Notes et références
modifier- (en) Marin Cogan, « In the Beginning, There Was a Nipple », sur espn.com, .
- Le Monde, « Léger différé aux Grammys pour éviter l'"incident vestimentaire" : Une cérémonie nostalgique, sans Janet Jackson, bannie pour indécence », Le Monde, (lire en ligne).
- Fabrice Rousselot, « L'Amérique sein dessus dessous », Libération, (lire en ligne).
- Julien Dokhan avec AFP, « Oscars 2004 : le sein de Janet sème le trouble ! », Allociné, (lire en ligne).
- (en) Daniel Kreps, « Nipple Ripples: 10 Years of Fallout From Janet Jackson’s Halftime Show », Rolling Stone, (lire en ligne).
- (en) Simon Freeman, « Janet Jackson is 2005’s most Googled », The Times, (lire en ligne).
- (en) Nick Levine, « Why Janet Jackson is pop's most underrated legend », BBC, (lire en ligne).
- Libération, « Le sein de Janet Jackson très recherché sur l'Internet », Libération, (lire en ligne).
- (en) Reuters, « Lycos: Janet boob stunt most popular Internet search ever », CNN, (lire en ligne).
- (en) Stacy Brown, « Janet Jackson’s family is still mad at Justin Timberlake », New York Post, (lire en ligne).
- La Libre.be, « Justin Timberlake s’excuse d’avoir ruiné les carrières de Britney Spears et de Janet Jackson », sur LaLibre.be, (consulté le )