Le carnet du CFC
�tude et visite de la carri�re des Mar�chaux
Texte
Baptiste PERRIER
Photos Julien CAQUINEAU et Baptiste PERRIER
Origine
La carri�re des Mar�chaux appartenait � la Ville de Paris et a �t� exploit�e pour fournir la ville en pav�s, pav�s parisiens qui demeurent connus et que nous pouvons retrouver � la place de l��toile, dans les rues de Montmartre et sous la couche d�asphalte de certaines avenues. La carri�re a commenc� � �tre exploit�e � partir de 1879. Une ligne en voie de 60 reliant la carri�re � la gare des �ssarts-le-Roi de la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest fut ouverte six ans plus tard en 1885.
La ligne
La ligne mesurait 7,3 kilom�tres d�apr�s le plan ci-dessous datant de 1892. Dans les ann�es qui suivirent, cette longueur a vari� en fonction de l�ouverture et de la fermeture des diff�rentes zones d�extraction situ�es en bout de ligne. On peut retrouver sur le plan ci-dessous le trac�, le profil, les distances et les d�clivit�s de la ligne.
Tout d�abord le plan de voies de la gare des �ssarts-le-Roi
se r�duisait au strict n�cessaire : une voie directe, sa voie d��vitement
pour la remise en t�te de la locomotive, un tiroir et un pont � bascule de 8
tonnes.
C�est dans cette gare que le transbordement entre la voie de 60 et la voie
normale s�effectuait. La voie de 60 se trouvait l�g�rement sur�lev�e par
rapport � la voie normale qui lui �tait accol�e, afin de faciliter ce
transbordement. Les trains de la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest avaient
bien-s�r pour destination Paris et leur chargement de pav�s pour les
nombreuses avenues parisiennes. Il est � noter qu�il n�y avait pas de
plaque tournante aux terminus, les locomotives � vapeur roulant indiff�remment
chemin�e ou cabine en avant.
Donc, en partant de la gare des �ssarts-le-Roi, la ligne suivait sur un kilom�tre la ligne de Paris � Chartres et Le Mans en direction du Sud-Ouest. La voie de 60 n�a pas connu cette derni�re ligne �lectrifi�e. Les travaux d��lectrification en 1500 V qui s�y d�roul�rent en 1937 ont peut-�tre pr�cipit� la fermeture de la voie �troite et de l�exploitation de la carri�re � cause de l�implantation des poteaux cat�naire entre les deux lignes ; les derniers trains en voie de 60 auraient alors circul� en 1936.
Puis apr�s une courbe de faible rayon au niveau du pont "Artus",
la voie se dirigeait en ligne droite vers le sud-est sur 5,8 kilom�tres (!)
traversant des champs et des for�ts en accotement avec le chemin (pav�) des
Cinq Cents Arpents (voir la premi�re photo). Une voie d��vitement fut
cr��e plus tardivement environ 50 m�tres apr�s le passage � niveau de la
route des �ssarts � Auffargis (D73) en direction de la carri�re.
Il est � noter que des ann�es plus tard (en quelle ann�e ?) un embranchement
qui passait par-dessus le pont fut construit afin de permettre le d�chargement
des trains dans des camions gr�ce � des tr�mies. La RN 10 situ�e
imm�diatement � c�t� devait d�j� commencer � concurrencer les trains ;
aujourd�hui cette route nationale est surcharg�e de poids-lourds, un cas
parmi tant d�autres.
Enfin, la ligne arrivait dans le bois des Mar�chaux et contournait par le Sud la premi�re zone d�extraction appel�e � Carri�re du Pont-Vert �. Il s�agissait de la plus importante et elle poss�dait plusieurs plans inclin�s. Des voies portables � l�int�rieur des carri�res permettaient l�extraction de la pierre et les wagonnets �taient hiss�s � la surface gr�ce � des treuils. Des d�p�ts de pav�s et de meuli�re �taient am�nag�s en haut des plans inclin�s.
Apr�s la carri�re du Pont-Vert se trouvait le hameau
des Mar�chaux. Il a �t� construit pour faciliter l�exploitation des
carri�res et loger les employ�s pr�s de leur lieu de travail. On y trouvait
des ateliers, des forges, le stock de charbon, un r�fectoire, une poudri�re,
un magasin, les bureaux d�exploitation, la maison des employ�s et celle du
directeur.
D�apr�s les plans, une gare s�y trouvait malgr� le fait que la voie
�troite n�assurait aucune desserte voyageur r�guli�re.
Le rapport du Conseil municipal de Paris de 1891 nous apporte de nombreuses informations sur l�outillage de l�atelier et de son utilisation pour la voie �troite :
D�autres informations nous sont donn�es dans le rapport de l�ann�e 1917 :
Un peu plus � l�est du hameau se trouvait la deuxi�me carri�re, celle du Grand-Moulin.
Enfin un dernier prolongement de la voie de 60 vit le jour en 1912 pour exploiter une troisi�me et derni�re carri�re situ�e 600 m�tres au nord, celle des Garnes.
L�exploitation
D�apr�s le rapport du Conseil municipal de Paris de 1908, le transport des pav�s se d�roulait comme suit :
Dans le rapport du Conseil municipal de Paris de 1917, le r�dacteur s�est tr�s largement inspir� du pr�c�dent rapport de 1908, reprenant ainsi les m�mes structures de phrases.
L�exploitation de la carri�re continua pendant la Premi�re Guerre Mondiale avec le personnel non mobilis�. Le hameau des Mar�chaux devint provisoirement le lieu de stockage des pav�s.
1915 :
1917 :
1917 :
1918 :
Pour vous donner quelques chiffres des tonnages transport�s au d�but de l�exploitation, voici un extrait du rapport municipal de Paris datant de l�ann�e 1887 :
La fermeture
Le trafic sur la voie de 60 s�est termin� vers 1936. L�exploitation de la carri�re s�est arr�t�e en m�me temps. Plusieurs facteurs peuvent avoir influenc� l�arr�t de l�exploitation comme la concurrence d�autres carri�res, l�absence de rentabilit� pour la ville de Paris ou l��lectrification de la ligne de Paris-Montparnasse au Mans en 1937.
Le mat�riel roulant de la voie de 60
Tout le mat�riel de la voie de 60 a �t� fourni par Decauville. Quatre locomotives � vapeur ont particip� � l�exploitation. La premi�re est la 020T Yvette n�23 de 1885 (5 t. � vide). Cette locomotive, comme toutes les premi�res locomotives de Decauville, a �t� sous-trait�e. Celle-ci l�a �t� au constructeur belge Couillet. Un exemplaire quasiment identique (Decauville 020T Carbon n�90 de 1890) est pr�serv� en �tat de marche sur le Puffing Billy Railway en Australie.
Les caract�ristiques techniques de cette locomotive sont donn�es ci-joint, tir�es des annales des Ponts et Chauss�es :
La seconde locomotive Decauville a �t� livr�e en 1887. Il s�agit de la toute premi�re locomotive du constructeur con�u avec le c�l�bre syst�me Mallet 020+020T1. Il s�agit de la n�52 Sergent Bobillot2 (9,5t � vide). Elle a �t� �galement sous-trait�e chez le constructeur belge : Tubize.
On peut retrouver l�Yvette et la Sergent Bobillot dans la premi�re page de la liste des locomotives livr�es par Decauville.
La troisi�me locomotive est la 020T Yveline n�309 (Type 3 de Decauville) construite en 1900 (5t � vide).
Les trois locomotives � vapeur ont �t� rassembl�es pour une photo de famille !
Enfin une quatri�me locomotive Decauville, une 020T du type Progr�s (5t � vide), est visible sur la carte postale ci-dessous. Il est possible qu�il s�agisse de la 020T n�969 construite en 1920 pour "l'Administration des Travaux de Paris". C�est � v�rifier.
� ma connaissance, il n�y a pas eu d�autres locomotives sur
la ligne. � cause de sa fermeture assez pr�coce, l�exploitation n�a pas
connu de di�s�lisation.
En plus des 32 wagons porteurs Decauville, 2 "wagons de voyageurs" ont
�t� livr�s par le m�me constructeur avec la ligne. Ils servaient � au
transport des ing�nieurs en tourn�e, du personnel de la carri�re et des
visiteurs �. Ce sont deux voitures diff�rentes � essieux finement construites
: une d�couverte de type H et une ferm�e � plate-formes extr�mes de type L.
L�inscription � STATION des �ssarts � CARRI�RE des MAR�CHAUX � y
�tait appos�e. Ces voitures avaient �t� construites pour la traction animale
mais, comme le montre la photo ci-dessous, ce sont les locomotives � vapeur qui
assur�rent les rares trains avec voyageurs formant ainsi de v�ritables trains
mixtes !
Deux rapports du Conseil municipal de Paris (1891 et 1917) permettent de lister le mat�riel roulant utilis�. Celui de 1891 est extr�mement int�ressant de par ses d�tails, sur le type de voie, de traverses, et surtout sur l��tat du mat�riel et de la voie ferr�e apr�s les six premi�res ann�es d�utilisation intensive.
En 1917, d�apr�s le rapport du chef d�exploitation de la carri�re des Mar�chaux (M. BLOT) datant du 15 f�vrier 1916 que nous pouvons retrouver dans l�annexe du rapport du Conseil municipal de Paris (1917) sur la carri�re des Mar�chaux pr�sent� par M. Georges POINTEL, le mat�riel de terrassement et de transport �tait inventori� comme suit :
D�apr�s diff�rents rapports du Conseil municipal de Paris, il y aurait eu de la voie de 50 et de 60 � l�int�rieur des carri�res, comme nous le montre cet extrait du rapport de 1891 :
� alors que dans un rapport de 1917 :
Tr�s certainement, la complexit� de poss�der deux �cartements diff�rents sur un m�me site a conduit l�exploitant � remplacer la voie de 50 par des �l�ments en voie de 60 afin de simplifier l�exploitation et faciliter la maintenance.
Voil� pour ce qui fut une des premi�res installations de la voie de 60 en France, si ce n�est la premi�re. Mais que reste-t-il de ces installations aujourd�hui ?
Arch�ologie ferroviaire
Apr�s la p�riode de confinement, la premi�re sortie que nous voulions effectuer avec Julien fut la Carri�re des Mar�chaux. Ayant eu tout le loisir pendant cette p�riode de nous documenter sur le trac� de la ligne et les distances, nous optons pour un d�placement en v�lo apr�s une arriv�e en gare des �ssarts-le-Roi par le train. Les derni�res consultations historiques s�effectuent dans le train.
Une fois sur place, nous retrouvons le caf� de la gare, passablement modifi�, et n�assurant plus sa fonction principale.
La gare et son quartier ayant �t� totalement transform�s,
nous partons vers le pont "Artus" non pas en suivant la ligne SNCF,
mais en passant � travers plusieurs quartiers r�sidentiels. Le trac� de la
voie de 60 le long de la ligne Paris-Chartres n�est plus distinguable car,
suite � l��lectrification, le talus de la voie de 60 a d� �tre remodel�.
Puis nous nous enfon�ons dans les champs et la for�t sur une ligne droite d�environ
6 kilom�tres : un v�ritable plaisir de d�ambuler en v�lo � travers cette
campagne apr�s plus de deux mois � d�ambuler entre quatre murs ! Comme vous
le voyez sur les photos, nous avions choisi un jour bien ensoleill�.
Donc, en partant du pont "Artus", les 400 premiers m�tres se font �
travers les herbes et les derniers lotissements tout juste sortis de terre de la
ville des �ssarts. Un premier croisement avec une route (Rue de l�Artoire)
nous fait rejoindre la piste cyclable des Cinq Cents Arpents.
Apr�s le croisement avec la D73, il faut s�imaginer l�emplacement
d�une voie d��vitement.
Tout le trac� de la ligne droite se fait � travers champs et for�ts, et vous
aurez l�occasion de croiser les chevaux des �curies de La Massicoterie.
Bien que cette partie soit tr�s agr�able, il n�y a pas de curiosit�s
ferroviairement int�ressantes.
Une fois entr� dans le bois des Mar�chaux, un chemin se d�tache 600 m�tres plus loin vers la droite. Le trac� de la voie de 60 se fait d�sormais sur un chemin moins fr�quent� o� des traces de ballast se font ressentir sous les pneus. Et nous arrivons � la carri�re du Pont-Vert. Celle-ci est divis�e en deux parties distinctes. Un sentier p�dagogique ponctu� de panneaux explicatifs retrace l�histoire de la carri�re et les conditions de vie des ouvriers. Il est assez difficile de se faire une id�e de l�activit� de ce site car certaines parties ont �t� rebois�es au fur et � mesure de l�avanc�e de la carri�re.
Nous continuons � suivre le trac� de la voie de 60 en contournant l�ancienne carri�re par le sud. 12 tron�ons de rail Decauville (9,5 kg au m�tre) sont plant�s dans le sol formant de solides piquets pour une �ventuelle cl�ture. Des pav�s sont �galement visibles le long du chemin.
Peu avant d�arriver au hameau des Mar�chaux, on distingue une petite tranch�e amenant vers la carri�re du Pont-Vert. Au bout se trouve cach�s dans le bois les restes de la machinerie d�un treuil et derri�re une rampe descendant dans la carri�re.
Le hameau des Mar�chaux n�est plus que l�ombre de lui-m�me. Il reste de nombreuses traces des ateliers, forges, r�fectoire, poudri�re, magasin qui sont cach�s dans la v�g�tation. Seule la maison des employ�s semble encore habit�e. Malgr� le fait que notre visite se soit effectu�e � la fin du printemps et donc que la v�g�tation soit luxuriante, nous avons retrouv� quelques traces du pass� ferroviaire du site. Tout d�abord nous avons butt� sur le ch�ssis d�un wagonnet sans sa benne (ch�ssis coul� dans du b�ton), des rails dont certains sont encastr�s dans des ruines, une t�le de la partie inf�rieure d�une plaque tournante portative Decauville, et d�autres traces attestant du pass� ferroviaire du site.
Apr�s avoir travers� le hameau, nous continuons tout droit vers la carri�re du Grand-Moulin. Dans la carri�re, nous trouvons une benne ou "caisse basculante" d�apr�s le constructeur. Cette derni�re est totalement perc�e par la rouille.
Puis nous remontons plein nord vers la carri�re des Garnes qui est la plus petite et la moins visible car le reboisement est important. Peu de choses sont � noter � propos de cette carri�re.
Enfin, c�est le retour par la belle ligne droite avec un g�n�reux ensoleillement de fin de soir�e sur les champs et les chevaux des �curies de La Massicoterie.
Et retour en train avec pleins d�id�es dans la t�te. On s�imagine un train touristique entre la gare des �ssarts-le-Roi et le bois des Mar�chaux avec une �l�gante Mallet Decauville et les deux voitures � essieux du m�me constructeur. Bref, on refait le monde en train.
Conclusion
La conclusion de cette dissertation est donn�e � M. P. TUR, ing�nieur des Ponts et Chauss�es en date du 18 juin 1891 :
Voil� pour cette balade ferroviaire tr�s enrichissante sur une des toutes premi�res exploitations en voie de 60 du c�l�bre constructeur Decauville !