nnoncée depuis de lons mois, la fragilisation économique de la filière vin se confirme et se concrétise. D’après les estimations des Vignerons Coopérateurs, il y aurait plus d’une centaine de caves en grande difficulté, ce qui représenterait plus de 20 % des entreprises coopératives de la filière vin. Cette part des caves dans l’impasse financière bondit à 37 % en Occitanie, 40 % à Bordeaux et 50 % dans la vallée du Rhône. « C’est un premier état des lieux macro des caves coop pour chiffrer ce que pouvait représenter le besoin de restructuration que nous ressentions sans pouvoir l’évaluer » explique Joël Boueilh, le président des Vignerons Coopérateurs de France, notant que les caves languedociennes, bordelaises et rhodaniennes sont particulièrement fragiles à cause de leurs productions majoritairement de vins rouges.
Reconnaissant que le tableau n’est pas particulièrement reluisant, le viticulteur de Saint-Mont (Gers) prévient que ce portrait va encore se dégrader : « d’une façon évidente, la succession d’aléas et la faiblesse des rendements 2024 ne vont faire qu’empirer la situation. À la fin, des vignerons qui ne vendangent pas font que les cuves restent vides, que les charges de structure augmentent mécaniquement alors qu’en face se trouvent des difficultés de commercialisation, des vins en stock qui vieillissent plus ou moins bien… Et l’activité des caves coopératives va être conditionnée par la campagne d’arrachage qui se met en place. »
Demandant depuis le début de l’année, et le salon Wine Paris de février, un soutien des pouvoirs publics pour restructurer les outils coopératifs en sous-performance économique et en surcapacité volumique, la coopération viticole a été entendue par un député au moins : Jean-René Cazeneuve (Gers, Ensemble pour la République), qui portait ce lundi 28 octobre, lors de l’examen en commission du projet de loi de finances pour 2025, un amendement dégageant « une enveloppe de 75 millions d’euros sur 3 ans, dont 25 millions en 2025. Ces subventions sont indispensables pour augmenter les fonds propres afin de compenser le différentiel de charges et autres coûts d’absorption entre absorbé et absorbant ou encore pour financer l’arrêt des sites qui ferment. »
Mobilisé pour un vote dans l’hémicycle lors de l’examen en commission des finances, Jean-René Cazeneuve n’a pu défendre son amendement, qui est tombé, mais indique à Vitisphere compter le représenter en séance et le défendre directement auprès du gouvernement (en cas de recours à l’article 49.3 de la Constitution). « Il faut accompagner cette phase de transition » pointe le député gascon, pointant qu’« avec le recul consommation, les aléas climatiques nous avons un certain nombre de coopératives qui perdent des viticulteurs et ont un déficit d’adaptation de leur modèle économique ».
Poussant ses demandes, la coopération appelle le législateur et l’exécutif à adopter ses fonds pour éviter que la situation n’empire et ne débouche sur des impasses. « On est encore dans bon timing par apport au grand boum qu’il risque d’y avoir » analyse Joël Boueilh, évoquant sans ambages « cette déflagration qui va inévitablement prendre des caves coopératives et mener à des fusions et des absorptions… Il ne faut pas avoir peur de prononcer certains mots. Ils ne sont pas tabous. Ce qui importe, c’est le maintien des vignerons en place. »
Restructuration nécessaire, mais pas suffisante
« Il faut retrouver de la rentabilité : restructurer les coops ne suffira pas, mais ce sera un outil » pose Ludovic Roux, le président de Vigneron Coopérateur d’Occitanie. Soulignant qu’« il y a des coopératives en nombre non négligeable qui sont en grande difficultés, voire en cessation de paiement, et beaucoup d’autres semblent être dans des situations inextricables », le viticulteur du Minervois (Aude) pointe qu’« avec quelques modifications comptables et moyennant une restructuration globale, on pourrait limiter grandement la casse. Il y a urgence à bouger. Si l’on attend trop, cela peut empêcher des fusions. Un actif négatif ne peut pas fusionner. »
Globalement, les fusions ne vont pas tout résoudre prévient Ludovic Roux, soulignant par exemple que le diviseur de coût des volumes ne diminue pas énormément après une fusion : « il ne faut pas rêver, mais une fusion donne de la capacité à investir, plus de personnel de qualité, de nouveaux accès à des marchés fermés faute de de volume… » Menant des discussions avec d’autres structures coopératives pour renforcer sa propre cave (Terroirs du Vertige, à Talairan), Ludovic Roux appelle les entreprises à s’armer d’outils performants pour affronter les défis actuels et futurs. De quoi en finir avec les lignes d’embouteillage en surcapacité ? « Notre capacité industrielle va au-delà de notre réel besoin. Il y a certainement eu des erreurs » esquisse-t-il, estimant que la seule réponse stratégique valable sera d’aboutir à un outil permettant d’optimiser le service aux viticulteurs adhérents d’investir pour l’avenir.
Des plans sociaux aux procédures collectives, les conséquences des difficultés économiques pour les coopératives sont menaçantes. « L’onde de choc peut être importante. C’est pour ça que nous avons souhaité prendre les devants » relève Joël Bouielh, qui appelle à la mobilisation des députés, des sénateurs et des ministres. « Il faut qu’ils aient conscience des conséquences massives que des caves coopératives qui se cassent la gueule pourraient avoir sur les bassins viticoles » pointe le vigneron gascon, qui appelle à des avancées sur l’aide à la restructuration, mais aussi sur l’année blanche d’amortissement, les Organisations de Producteurs les prêts garantis et les travaux du Groupe de Haut Niveau européen (notamment pour parler dans les interprofessions de prix rémunérateur, en dérogeant au droit de la concurrence). « Je ne sais pas si les pouvoirs publics ont bien conscience de l’urgence » soupire Joël Boueilh. « S’il n’y a pas de retour à la rentabilité dans les prochains mois, il va y avoir de la casse » confirme Ludovic Roux, qui appelle à la mobilisation : « nous sommes un service public qui amène de la valeur. Les coopératives sont non délocalisables et leurs fonds propres sont non distribuables. »