Malgré l’obligation légale d’assurer une éducation à la vie affective et sexuelle, plusieurs obstacles freinent sa mise en œuvre. Un nouveau pré-programme vise à y remédier tout en adaptant les enjeux des séances d’information à chaque étape du développement des élèves.
Depuis l’introduction de la loi Aubry n° 2001-588 du 4 juillet 2001 rendant « obligatoire l’éducation à la sexualité dans tous les établissements scolaires, de l’école primaire au lycée », plusieurs circulaires ont rappelé cette nécessité, en 2003, en 2018, puis en 2022. Aujourd’hui, le pré-programme proposé par le Conseil supérieur des programmes le 5 mars 2024 met l’accent sur la nécessité d’adapter l’éducation à la sexualité à chaque étape du développement des élèves et ambitionne de relancer cette obligation de manière plus efficace.
Selon la ministre de l’Éducation, Anne Genetet, ce programme est crucial pour appliquer « pleinement et entièrement la loi de 2001 ». Prévu pour la rentrée de septembre 2025, il s’articule autour de trois grands axes (qui s’appuient eux-mêmes sur les thématiques clés de la circulaire de 2018) :
« se connaître, vivre et grandir avec son corps » ;
« rencontrer les autres et construire des relations, s’y épanouir » ;
« trouver sa place dans la société et y être libre et responsable ».
Parmi les changements importants du pré-programme figure la modification de la terminologie : l’expression « éducation à la sexualité » est remplacée par « éducation à la vie affective et relationnelle » pour les niveaux allant de la maternelle au CM1, avec l’ajout de la mention « et sexuelle » à partir du CM2 jusqu’à la terminale. Cette distinction vise à clarifier les objectifs des enseignements et à rassurer les parents ainsi que les enseignants.
L’ambition n’est pas d’enseigner la sexualité à proprement parler, mais de préparer les élèves à mieux vivre en société en leur apportant des repères essentiels pour comprendre les changements corporels, développer des relations saines et aborder des questions clés comme le consentement et le respect de soi et des autres.
Des aspects psycho-affectifs à aborder
L’éducation à la sexualité se divise en trois grands champs, comme mentionné par l’OMS dans les Standards pour l’éducation sexuelle en Europe : le champ psycho-affectif (émotions, respect de soi et de l’autre, confiance en soi), le champ juridique et social (droits des enfants, lutte contre les discriminations et le harcèlement, consentement) et le champ biologique (reproduction, puberté, fécondité).
Ces trois domaines doivent être abordés dès la maternelle mais, en CM2, il est particulièrement important de ne pas négliger les aspects psycho-affectifs et juridiques et sociaux. En effet, ces champs peuvent être travaillés à travers diverses disciplines, telles que l’Éducation morale et civique (égalité, lutte contre les stéréotypes, droits de l’enfant, tolérance, gestion des émotions), l’Éducation Physique et Sportive (respect de soi et de son corps), ainsi que des matières comme les arts, le français et le langage oral (clarté des messages).
Bien que les enseignantes puissent aborder ces thématiques de manière transversale, il est essentiel de prévoir des temps formels ou informels pour permettre aux élèves de se les approprier pleinement.
Parler de la puberté, pourquoi c’est crucial
En CM2, la puberté commence à se manifester par des changements physiques significatifs, comme le développement de la poitrine et l’apparition des premières menstruations chez les filles, l’apparition de poils pubiens et d’autres signes caractéristiques chez les garçons. Il est essentiel de répondre aux interrogations des élèves à ce stade pour prévenir moqueries et malentendus. Une approche adaptée à l’âge des élèves est primordiale pour qu’ils puissent comprendre et vivre sereinement ces transformations.
Ces séances, qui s’appuient sur le programme officiel de sciences de la vie et de la Terre (SVT), incluent des explications sur la reproduction et les transformations corporelles, à travers des schémas et des illustrations pédagogiques pour expliquer des termes tels que « menstruation », « érection », « vulve » et « poitrine » avec « le vocabulaire scientifique correspondant ».
Les enseignants et les infirmières scolaires organisent souvent ces séances en préparant une boîte à questions où les élèves peuvent soumettre leurs interrogations de manière anonyme. Cette approche, comme le soulignait la Pr. Desaulniers, permet d’évaluer le niveau de connaissance et le développement psychosexuel des enfants afin de leur apporter des réponses adaptées et bienveillantes. Le développement psychosexuel correspond à l’évolution de leur compréhension de leur propre corps, de leurs émotions et de leur identité sexuelle, un processus fondamental pour encourager des relations respectueuses et équilibrées.
Il est frappant de constater qu’en général, les enseignants du primaire préfèrent aborder les thématiques psychoaffectives, juridiques et sociales telles que la gestion des émotions, la tolérance, l’égalité et la notion de consentement. Ces sujets sont souvent intégrés dans l’enseignement moral et civique, l’éducation physique ou d’autres matières. Les infirmières scolaires, de leur côté, se concentrent davantage sur les aspects biologiques, comme la puberté, la reproduction et la prévention des risques de santé sexuelle.
Les interventions peuvent se structurer en plusieurs séances de 45 minutes ou sous forme de demi-journées thématiques, selon l’organisation de l’établissement. Selon la Pr. Desaulniers, l’objectif principal est de « sensibiliser, dédramatiser les changements corporels et promouvoir le respect du corps », tout en introduisant la notion de consentement, un objectif également repris par les principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité.
Des obstacles à une mise en œuvre efficace des programmes
Malgré l’obligation légale, plusieurs obstacles freinent la mise en œuvre efficace de l’éducation à la sexualité. L’un des principaux défis est la continuité entre l’école primaire et le secondaire, souvent insuffisante, ce qui entraîne des écarts dans les connaissances et la prévention. Cela peut compromettre la progression des élèves et nuire à l’assimilation des concepts importants.
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De nombreux enseignants du primaire expriment un manque de confiance lorsqu’ils abordent ces thématiques. Souvent peu familiarisés avec ce type de contenu, ils peuvent ressentir un malaise et douter de leur légitimité à enseigner l’éducation à la sexualité, surtout face aux attentes des élèves et aux réactions de certains parents. Cette situation rend difficile une prise en charge efficace et sereine de l’éducation à la sexualité.
Enfin, des contraintes budgétaires et des réticences parentales ajoutent à ces défis. Pour rendre l’éducation à la sexualité réellement efficace et cohérente, renforcer la coordination entre le primaire et le secondaire est essentiel. Une telle approche soutiendrait les enseignants dans leur démarche, les rendant plus confiants et capables d’assurer une continuité pédagogique bénéfique aux élèves.