L’Assemblée générale proclame la deuxième Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine et entérine les recommandations de sa Troisième Commission
L’Assemblée générale s’est conformée aux recommandations de sa Troisième Commission en adoptant, ce matin, les 47 projets de résolution et le projet de décision qu’elle lui avait soumis.
Elle a également proclamé la deuxième Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Cette décennie, qui aura pour thème « Personnes d’ascendance africaine: considération, justice et développement », commencera le 1er janvier 2025 et se terminera le 31 décembre 2034. Israël s’est dissocié de la référence faite à la Déclaration et au Programme d’action de Durban dans le préambule de ce texte présenté par le Brésil.
Durant les débats de la Commission, la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, le Président du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et de nombreux États Membres avaient appelé de leur vœux cette proclamation, insistant sur l’importance d’inverser la « culture du déni » et de rendre une justice réparatrice « pour l’oppression et l’exclusion historiques ».
Si 35 des textes soumis par sa Troisième Commission ont été entérinés par consensus, de nombreuses réserves ont été formulées sur des terminologies « non consensuelles », relatives notamment au genre et aux droits en matière de santé sexuelle et reproductive. Des votes ont par ailleurs été requis pour avaliser les textes traitant de questions telles que le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, la lutte contre la glorification du néonazisme, le moratoire sur l’application de la peine de mort ou encore le droit au développement.
L’examen des textes sur l’Institut africain des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants (A/C.3/79/L.10/Rev.1) et sur la lutte contre l’utilisation des technologies de l’information et des communications à des fins criminelles (A/79/196) a été reporté dans l’attente de l’examen de leurs incidences budgétaires.
Retour sur les huit semaines de travaux de la Troisième Commission, ponctuées de dialogues avec 77 titulaires de mandat, présidents d’organes conventionnels et experts, ainsi qu’avec 19 hauts fonctionnaires de l’ONU:
Deux textes inédits
Outre l’actualisation de ses textes annuels ou bisannuels, la Commission a fait siens deux projets inédits, dont l’un, présenté dans la perspective de l’Année internationale des Volontaires au service du développement durable, en 2026, porte sur les moyens de « Renforcer le volontariat pour atteindre les objectifs de développement durable, en ne laissant personne de côté » (A/79/450).
L’autre nouveau projet vise à « Prévenir et combattre la violence perpétrée contre les enfants par des groupes criminels organisés et des groupes terroristes dans le contexte de la prévention du crime et de la justice pénale » (A/79/459). Par ce texte, les États Membres sont notamment tenus de combattre le recrutement, l’abus et l’exploitation d’enfants en ligne par de tels groupes, tout en facilitant la réadaptation et la réinsertion des enfants et des jeunes qui ont été impliqués dans leurs activités.
L’intelligence artificielle, nouvel enjeu pour les droits humains
Les effets de l’intelligence artificielle (IA) sur les droits humains ont été abordés dans plusieurs textes, à commencer par celui sur le « Droit à la vie privée à l’ère du numérique » (A/79/458/Add.2), adopté par consensus. En plus d’appeler à la prévention des préjudices individuels causés par l’IA, il demande aux États de garantir que les autorités nationales indépendantes chargées de la protection des données comportent des mécanismes de contrôle appropriés. Il souligne par ailleurs que les systèmes de reconnaissance faciale, lorsqu’ils sont utilisés sans véritables garanties, soulèvent de sérieuses inquiétudes quant à leur proportionnalité.
De manière incidente, la Présidente du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine a fait observer que l’IA s’appuie sur d’énormes quantités de données portant principalement sur des populations non noires, introduisant des préjugés raciaux dans les algorithmes.
L’Experte indépendante sur les droits de l’homme et la solidarité internationale a, pour sa part, averti que l’expansion de la surveillance recourant à l’IA touche démesurément les pauvres, les institutions étatiques utilisant cette technologie pour identifier les abus de prestations sociales, contrôler les quartiers marginalisés et suivre la migration irrégulière. Dans le même esprit, la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation s’est émue de l’intrusion de l’IA dans la pédagogie scolaire et les processus administratifs, y voyant une menace directe pour l’autonomie des enseignants, la liberté académique et la gouvernance démocratique des écoles.
Haro sur la violence et la discrimination sexuelles et sexistes
Lui aussi centré sur l’environnement numérique, le projet intitulé « Intensification de l’action menée pour prévenir et éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles » (A/79/451) préconise la suppression par les plateformes en ligne de contenus relatifs à des actes de violence sexuelle et encourage les médias sociaux à lutter contre l’exploitation des femmes et les filles comme des objets sexuels. Ce texte a été adopté en commission après le rejet de 10 propositions d’amendement, dont certaines visaient à biffer les termes « féminicides » et « violence au sein du couple ». Les coauteurs ont rappelé qu’une femme sur trois subit des violences au cours de sa vie, notamment en ligne.
Forme extrême de ce phénomène, les féminicides sont la conséquence de l’augmentation de la violence faite aux femmes et aux filles, a alerté la Directrice exécutive adjointe d’ONU-Femmes. Face à ce fléau, le texte sur les « Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires » (A/79/458/Add.2) encourage le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à élaborer des orientations destinées à toutes les personnes chargées d’enquêter sur des meurtres de femmes et de filles liés au genre.
De son côté, la Rapporteuse spéciale sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a jugé urgent de repenser la manière dont sont traitées les violences sexuelles liées aux conflits. Évoquant des cas fréquents d’atteintes aux organes reproductifs ou de personnes forcées d’assister à l’agression sexuelle de membres de leur famille ou d’autres détenus, elle a rappelé que, le plus souvent, la torture n’est pas frappée de prescription, contrairement aux crimes poursuivis en tant qu’infractions sexuelles.
Le « cadre institutionnalisé d’apartheid fondé sur le genre » mis en place par les Taliban en Afghanistan a également été dénoncé à plusieurs reprises. Le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans ce pays et la Présidente du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles ont plaidé pour l’inclusion du « crime d’apartheid sexiste » dans le futur traité sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité.
Des divisions toujours profondes sur les droits sexuels et la peine de mort
La Commission est restée divisée sur nombre de sujets, en particulier les mécanismes ciblant des pays spécifiquement, les effets des mesures coercitives unilatérales sur les droits humains, le suivi de la Déclaration et du Programme d’action de Durban sur le racisme et la question de la famille. Le projet sur la « Célébration du trentième anniversaire de l’Année internationale de la famille en 2024 » (A/79/450) a, certes, échappé à une mise aux voix, mais les délégations n’ont pu s’entendre sur la réalité des diverses structures familiales existantes.
La principale ligne de fracture s’est matérialisée par le rejet exprimé par un nombre croissant de délégations de termes « non consensuels » ou contraires à leur législation nationale, notamment ceux relatifs au genre, aux droits de santé sexuelle et reproductive, à l’éducation complète et aux formes multiples et croisées de discrimination. Cette opposition entre deux conceptions des droits humains a été manifeste lors de l’examen des projets traitant des « Mariages d’enfants, mariages précoces et mariages forcés » (A/79/454) et de la « Traite des femmes et des filles » (A/79/451). Le consensus affiché sur ces projets de résolution s’en est trouvé amoindri.
Un vote a été nécessaire pour entériner le projet dédié au « Moratoire sur l’application de la peine de mort » (A/79/458/Add.2), après l’adoption d’un amendement réaffirmant « le droit souverain de tous les pays d’élaborer leur propre système juridique ». Autrice de cet ajout, Singapour a dénoncé sa suppression systématique par les rédacteurs, essentiellement européens. L’Union européenne, appuyée par de nombreux pays occidentaux, a dénoncé un amendement qui « détourne l’attention du but principal de la résolution ».
Le conflit au Moyen-Orient focalise l’attention mondiale, occultant les autres crises
La situation au Moyen-Orient, principalement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie et au Liban, a dominé les débats de cette session, faisant passer les autres conflits au second plan. Présenté par l’Égypte, au nom de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), le projet sur le « Droit du peuple palestinien à l’autodétermination » (A/79/457) a été adopté à une forte majorité. À l’initiative du vote, Israël a dénoncé un libellé qui tendrait à « nier le droit à l’existence du peuple juif ». De son côté, l’État de Palestine a expliqué que ce texte est présenté chaque année en raison du caractère illégitime de l’occupation israélienne, confirmé par la Cour internationale de Justice (CIJ).
Dans ce contexte, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 a constaté que, malgré le cessez-le-feu prôné par le Conseil de sécurité et les mesures conservatoires ordonnées à l’encontre d’Israël par la CIJ, l’assaut contre Gaza s’est intensifié. « Ces développements renforcent mon évaluation selon laquelle Israël mène une campagne génocidaire contre les Palestiniens », a-t-elle asséné.
Cette grave accusation a été reprise, entre autres, par les Rapporteurs spéciaux sur la promotion du droit à un logement convenable et le droit à l’alimentation. La Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée a observé pour sa part que « le racisme systémique et la xénophobie contre les Palestiniens sont profondément ancrés dans divers systèmes et institutions, perpétuant un cycle de violence, d’exclusion et d’élimination ».
Les déplacements forcés à un niveau record dans le monde
Déplorant des niveaux sans précédent de déplacements forcés, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a évalué à 123 millions le nombre de personnes dans le monde forcées de fuir leur foyer, un chiffre en constante augmentation depuis 12 ans.
Alors que de nombreux gouvernements tentent d’arrêter les flux de personnes en imposant des conditions de plus en plus restrictives, axées sur des contrôles voire sur des mesures d’externalisation ou de suspension de l’asile, le Haut-Commissaire a pointé des dispositifs non seulement inefficaces mais aussi contraires aux obligations juridiques internationales des États. « Construire des murs et arrêter les bateaux ne fonctionne pas », a-t-il martelé.
Selon la Rapporteuse spéciale sur les droits humains des personnes déplacées dans leur propre pays, 90% des 76 millions de déplacés internes recensés début 2024 ont dû migrer en raison de conflits ou de violences. La Présidente du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille a, de son côté, averti que 216 millions de personnes pourraient être déplacées par les changements climatiques d’ici à 2050.
Dans son texte intitulé « Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés » (A/79/452), la Commission s’inquiète de la sécurité et la sûreté de ceux qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles pour secourir ces personnes dans le besoin.
Appels en faveur d’un instrument contraignant sur le droit au développement
Traditionnel sujet de friction, le projet de texte sur le « Droit au développement » (A/79/458/Add.2) a été entériné malgré la résistance des délégations qui considèrent que cette notion sans définition convenue bénéficierait davantage aux États qu’aux individus. Le principal point d’achoppement a toutefois été le projet de pacte que le Conseil des droits de l’homme a transmis à l’Assemblée générale pour examen. La plupart des pays occidentaux ont fait valoir que la création de cet instrument juridiquement contraignant ne fait pas consensus.
Au cours des débats préliminaires, le Président-Rapporteur du Groupe de travail sur le droit au développement a pressé les États Membres d’adopter rapidement ce pacte, avertissant que tout retard risquerait de faire dérailler le processus après « des décennies d’efforts ». Le Rapporteur spécial sur le droit au développement a, lui, insisté sur la nécessité de permettre à toutes les personnes et communautés de demander « réparation intégrale » pour les pertes et dommages passés, présents et futurs.
Manque de ressources pour les organes conventionnels et conflit sur les méthodes de travail de la Troisième Commission
Cette session a aussi été marquée par les signaux de détresse des responsables d’organes conventionnels, confrontés à des pénuries chroniques de ressources, qui s’ajoutent à la crise de liquidités que traverse l’ONU. Ces restrictions imposent des limites à la protection des droits humains, ont-ils mis en garde, rappelant que, dans le Pacte pour l’avenir adopté en septembre, les États Membres ont demandé au Secrétaire général d’évaluer la nécessité d’un financement adéquat, prévisible, accru et durable des mécanismes relatifs aux droits humains. Avec son projet sur les « Organes conventionnels des droits de l’homme » (A/79/458/Add.1), la Commission réclame une meilleure coordination en vue de parvenir à un calendrier clair et régulier pour l’établissement des rapports des États parties.
La Troisième Commission a, elle, adopté dans la douleur le projet sur ses « Méthodes de travail » (A/79/462), qui demande de ramener progressivement à un nombre raisonnable le nombre de dialogues interactifs organisés lors de chaque session annuelle. Bien qu’une majorité de pays se soient plaints d’une charge de travail toujours plus lourde, un différend a opposé le Groupe des États d’Afrique, auteur du texte, à 11 pays membres du Groupe des États d’Amérique latine et des Caraïbes (GRULAC), artisans d’un amendement visant à laisser au Bureau la haute main sur les consultations. Après le rejet de cette proposition, le Groupe des États d’Afrique a maintenu qu’une telle décision affecterait la révision future des méthodes de travail en supprimant le pouvoir de décision des États Membres.
Une liste récapitulative des propositions figurant dans les rapports de la Troisième Commission est publiée dans le Journal des Nations Unies.