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Misère sexuelle

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La misère sexuelle est la situation de toute personne qui ne peut pour des raisons essentiellement sociales et culturelles satisfaire ses désirs sexuels, et qui en souffre plus ou moins intensément[1]. On parle aussi de « misères sexuelle et affective », qui peut concerner tout type de personne ou bien par exemple des personnes emprisonnées, des personnes âgées, des personnes isolées, etc. Il peut aussi s'agir de handicapés physiques et/ou mentaux[2],[3],[4].

Éléments de définition

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Pour le chercheur en sciences sociales Alain Giami, « la misère sexuelle consiste principalement dans l'absence ou la faiblesse de vie sexuelle non reproductive ». Il ajoute que la misère sexuelle est « prise dans un strict et complexe réseau d’interdits et de contraintes [...] elle devient pour beaucoup un objet de souffrance – morale ou physique[5] ».

Concept et critiques

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Un concept sans base scientifique :

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Des chercheurs avancent que la notion de misère sexuelle sous-tend l'idée que les femmes "doivent" des relations sexuelles aux hommes, qui auraient une libido plus forte. Le concept serait même utilisé pour justifier certaines violences sexuelles, participant ainsi à la culture du viol[6].

La notion de misère sexuelle reposerait à la fois sur l'idée que l'accès au sexe serait un besoin (ce qui reste à prouver scientifiquement) et qu'il s'agirait d'un dû[7]. Selon le psycho-sexologue Sébastien Landry, « le besoin sexuel n’a pas de fondements scientifiques : « On ne meurt pas de besoin sexuel ». »[8] .

Sexisme et culture du viol dans la notion de misère sexuelle.

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Le concept de misère sexuelle est d'autant plus critiqué que le désir sexuel peut être satisfait par des pratiques solitaires (comme la masturbation), ne nécessitant pas de relation sexuelle à proprement parler. Or, dans le concept de misère sexuelle, la question de l'accès au corps des femmes est primordiale[9].

On associe souvent l'existence de la prostitution à la misère sexuelle qui prévalait en raison de l'organisation socioreligieuse (importance sociale de la natalité, mariages forcés et plaisir sexuel rendu honteux par l'église - pour Thomas d'Aquin les actes et les relations sexuels non procréatifs étaient des « vices contre nature » - corps fatigués par la dureté de la vie et du travail...)[10], y compris parfois quand elle était utilisée par des personnes handicapées qui ne trouvaient pas d'autres moyens de satisfaire leur besoin de sexualité[11].

Dans la seconde moitié du XXe siècle, à partir des années 1960, la misère sexuelle devient un sujet de préoccupation, dont une des solutions pourrait être l’émancipation par une révolution sexuelle.

En 1966 deux ans avant Mai 1968, la revue Partisans publie un numéro « Sexualité et répression »[12] évoquant les principaux théoriciens de la révolution sexuelle, ainsi que des enquêtes sur la situation chez les jeunes et les femmes, visant selon Alain Giami à illustrer la misère sexuelle et la répression sexuelle, y compris en termes politiques[5].

En 1972 la même revue Partisans publie à nouveau un numéro sur ce sujet, sur les aspects théoriques de la révolution sexuelle en cours, en réaction à la forte répression de l’homosexualité[5], peu après la publication en 1971 d'un manifeste par le Front homosexuel d’action révolutionnaire critiquant vivement la normalité et le conformisme sexuel ainsi que la phallocratie[13] ». Cette même année, l’ouvrage de l’historien belge Jos van Ussel, Histoire de la répression sexuelle est traduit en français[14],

En 1974, Roger-Pol Droit et Antoine Gallien publient une analyse de témoignages illustrant la misère sexuelle de nombreux français, qui se manifeste notamment par des troubles cliniques pathologiques tels que : dyspareunie, vaginisme, éjaculation précoce, impuissance, frigidité… selon eux plus répandus qu’on ne saurait le croire. La misère sexuelle c'est aussi l’insatisfaction, l’ennui, la lassitude, les désirs inavoués qui souvent rendent la vie sexuelle quotidienne “misérable” (« Nous disons qu’elle est la situation de toute personne qui ne peut pour des raisons essentiellement sociales et culturelles exercer sa sexualité, et qui consciemment en souffre plus ou moins intensément »)[15]. Selon Roger-Pol Droit et Antoine Gallien (1974) « parler de misère sexuelle semble supposer, implicitement, la conception d’une certaine forme de “bonheur” (de prospérité ?) sexuel, et, l’adhésion à un certain nombre de thèses, théoriques aussi bien qu’idéologiques. Question que nous laissons volontairement en suspens, la description du caractère négatif de la misère sexuelle se suffisant à elle-même »[16]. Alain Giami, en 2002 note que ces auteurs n'évoquent que la situation des adultes hétérosexuels, et uniquement sous un angle essentiellement psychologique et clinique, préfigurant la médicalisation de la sexualité qu'il a selon lui décrit en 2000 dans « Médicalisation de la société et médicalisation de la société »[17].

Les causes du sentiment de "Misère Sexuelle"

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Des hommes excessivement sélectifs

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Selon Maïa Mazaurette commentant une enquête Wyylde/Ifop publiée en 2022, les hommes hétérosexuels français seraient les principaux responsables de leur accès réduit aux relations sexuelles et au couple[18], leurs aspirations aussi bien en terme de sexualité que de vie de couple ne s'aligneraient pas sur les réalités sociologiques et les désirs des femmes hétérosexuelles[19] .

Dans le cadre de la sexualité :

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  • 48 % des hommes français n'accepteraient pas d'être en couple avec une femme qui ne correspond pas aux standards de beauté[19] .
  • 45 % des hommes refusent d'avoir des relations sexuelles avec des femmes ayant des poils.
  • 1 homme sur 3 refuse les relations sexuelles avec les femmes en surpoids[19] .
  • 1 homme sur 5 ne veut pas d'une femme plus grande ou plus âgée que lui[19] .
  • 1 homme sur 10 refuse d'être en couple avec une femme plus riche que lui[19] .
  • 27 % des hommes refuseraient d'utiliser un sextoy pour faire jouir leur partenaire[19] .
  • 27 % refuseraient également de s'informer sur les moyens de faire jouir leur partenaire[19] .
  • 45 % des hommes refusent de prendre à leur charge la contraception en prenant des traitements définitifs (vasectomie...)[19]

Dans le cadre de la vie de couple :

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  • 11 % des hommes refuseraient de vivre en couple avec une femme ayant des revenus « nettement supérieurs » aux leurs[19] .
  • 19 % refuseraient de prendre un congé parental pendant quelques mois pour s'occuper des enfants tandis que leur compagne travaillerait[19] .
  • 21 % refuseraient de quitter leur emploi pour suivre leur femme dans une autre région ou un autre pays si elle y trouvait un emploi intéressant[19] .
  • 23 % des hommes refuseraient de vivre en couple avec une femme qui effectuerait moins de tâches ménagères qu'eux au sein du foyer[19] .
  • 31 % des hommes refuseraient de cesser de travailler pour s'occuper des enfants pendant que leur compagne travaillerait[19] .
  • 33 % des hommes refuseraient de remettre en question les modèles traditionnels au sein de la famille ou du couple[19] .
  • 47 % des hommes refuseraient de demander de l'aide psychologique en cas de difficultés[19] .
  • 36 % des hommes refuseraient que leur compagne sorte dans un bar, une boîte de nuit ou une soirée sans leur présence[19] .

Ces chiffres mettent en lumière des attitudes révélatrices de résistances face aux évolutions des rôles au sein du couple et de la famille.

Références

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  1. Robert Laffont, La réalité sexuelle : une enquête en France. Des femmes et des hommes disent les difficultés quotidiennes de leur vie sexuelle, , p.18
  2. Marcel Nuss, « Enjeux politiques et juridiques de l'accompagnement sexuel », Reliance, vol. 29, no 3,‎ , p. 26 (ISSN 1774-9743 et 1951-6282, DOI 10.3917/reli.029.0026, lire en ligne, consulté le )
  3. E. Di Nucci (Dr Ezio Di Nucci, Institut de Philosophie, Université de Duisburg-Essen en Allemagne), « Sexual rights and disability », Journal of Medical Ethics, vol. 37, no 3,‎ , p. 158–161 (ISSN 0306-6800, DOI 10.1136/jme.2010.036723, lire en ligne, consulté le )
  4. « La sexualité des handicapés sort difficilement de la clandestinité », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. a b et c Alain Giami, « Misère, répression et libération sexuelles », Mouvements, vol. no20, no 2,‎ , p. 23–29 (ISSN 1291-6412, DOI 10.3917/mouv.020.0023, lire en ligne, consulté le )
  6. Lina Fourneau, « Sexisme : Le terme « misère sexuelle » ne veut rien dire (et devrait même disparaître) », sur www.20minutes.fr, (consulté le )
  7. Maïa Mazaurette, « La misère sexuelle est une construction sociale, et elle fait des ravages », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  8. Jeanne Cerin, « « Tout Sexplique » : La misère sexuelle, un non-sens scientifique ? », 20 minutes,‎ (lire en ligne)
  9. « "Misère sexuelle", autopsie d'un concept fumeux », Le Média,‎ (lire en ligne)
  10. J. Hd. et Alain Corbin, Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (XIXe et XXe siècles), vol. 34, (ISSN 0032-4663, DOI 10.2307/1531454, lire en ligne), p. 1176
  11. André Dupras, « Handicap et sexualité : quelles solutions à la misère sexuelle ? », Alter, vol. 6, no 1,‎ , p. 13–23 (ISSN 1875-0672, DOI 10.1016/j.alter.2011.11.003, lire en ligne, consulté le )
  12. Partisans, « Sexualité et répression », no 32-33, octobre 1966
  13. FHAR, Rapport contre la normalité, Éditions Champ libre, 1971
  14. J. van Ussel, Histoire de la répression sexuelle, Robert
  15. R.-P. Droit et A. Gallien (1974), La réalité sexuelle : une enquête en France. Des femmes et des hommes disent les difficultés quotidiennes de leur vie sexuelle, Robert Laffont, p. 18. (voir notamment p. 17)
  16. R.-P. Droit et A. Gallien, La réalité sexuelle : une enquête en France. Des femmes et des hommes disent les difficultés quotidiennes de leur vie sexuelle, Robert Laffont, 1974, p. 18. (voir notamment p. 17)
  17. A. Giami (2000) « Médicalisation de la société et médicalisation de la société », in A. Jardin, P. Queneau et F. Giuliano (eds), Progrès thérapeutiques : la médicalisation de la sexualité en question, John Libbey Eurotext, p. 121-130.
  18. Maïa Mazaurette, « Le coup de gueule de Maïa Mazaurette sur la misère sexuelle masculine », France Inter,‎ (lire en ligne)
  19. a b c d e f g h i j k l m n o et p Ifop pour Wyylde, « « Un homme construit ou déconstruit » ? Ce que veulent les femmes Ce que sont les hommes », Ifop,‎ (lire en ligne)

Articles connexes

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Bibliographie

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  • Alain Giami, « Misère, répression et libération sexuelles », Mouvements, vol. 20, no 2,‎ , p. 23–29 (ISSN 1291-6412, DOI 10.3917/mouv.020.0023, lire en ligne, consulté le )
  • Nicolas Oppenchaim, Dolorès Pourette, Erwan Le Méner et Anne Laporte, « Sexualité et relations affectives des personnes sans domicile fixe. Entre contraintes sociales et parcours biographiques », Sociologie, vol. 1, no 3,‎ , p. 375–391 (ISSN 2108-8845, DOI 10.3917/socio.003.0375, lire en ligne, consulté le )
  • Camille Laviron, « Les nouveaux enjeux de la misère sexuelle: », Chimères, vol. N° 98, no 1,‎ , p. 203–212 (ISSN 0986-6035, DOI 10.3917/chime.098.0203, lire en ligne, consulté le )