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Tablighi Jamaat

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Mosquée de Kakrail, Dhâkâ. Base opératoire du mouvement au Bangladesh.

Tablighi Jamaat (en ourdou : تبلیغی جماعت) ou la Djamā'at al-tablīgh (en arabe : جماعت التبليغ), c'est-à-dire, en français, Association pour la prédication[1], ou simplement Tabligh, est une société de prédication musulmane revivaliste.

Elle est considérée comme prosélyte et ultrafondamentaliste[2].

Historique

Ce mouvement est fondé par Muhammad Ilyas Kandhlawi (en), un érudit musulman[3].(1885-1944), créateur du slogan Aye Musalmano! Musalman bano (« Musulmans ! Soyez des musulmans. ») en 1927 dans la province indienne de Mewat (en) avec l'objectif de réislamiser les musulmans indiens[4].

Le mouvement organise un rassemblement religieux de plusieurs milliers de personnes en mars 2020 à Delhi, alors que les rassemblements étaient interdits en raison de l'épidémie de Covid-19. Depuis, certains des participants ont été déclarés contaminés et d’autres sont morts des suites de la maladie. L’affaire provoque un scandale retentissant en Inde. L'ancien vice-chancelier de l’université musulmane Jamia Millia Islamia de Delhi a ainsi affirmé que « la Tablighi Jamaat est responsable de la mort de plusieurs personnes et de la transmission du virus, ses responsables sont coupables et doivent être punis », jugeant « incompréhensible » que, dans le contexte épidémique, « une poignée de fondamentalistes religieux » ait pu exposer « de larges pans de la population indienne » à la maladie[5].

France

La présence de ce mouvement en France est attestée dès 1966. Le mouvement y a adopté la forme d'une association dénommée « Foi et Pratique »[6].

Selon Leyla Arslan, ce mouvement de pratique religieuse rigoriste connaît en France une scission entre deux associations : « Foi et pratique » et « Tabligh wa da'wa ilillah »[7].

Objectifs et Buts

La prédication du mouvement vise essentiellement les populations musulmanes, se fixe pour objectif de faire revivre leur foi aux musulmans, dans le cadre d'une interprétation littéraliste de celle-ci[8] et de ramener à une pratique stricte de l'islam fidèles : « l'islam va s'étendre où s'étendent le jour et la nuit, et Dieu ne va pas quitter une maison sans que cette religion n'y entre. »

En arabe, tabligh signifie « transmettre », « prévenir » et le Tablighi Jamaat présente sa mission comme visant à faire revivre cette obligation de prédication au sein de l'islam[9].

Solenne Jouanneau note sa forte tradition de prosélytisme[10].

Anne-Clémentine Larroque écrit : « le Tabligh est séparé des autres mouvements salafistes. Ceux-ci le considèrent comme une secte même s'ils partagent la même vision transnationale »[11]

Pour Alexandre Del Valle, « l'islam proposé par le Tabligh est fondamentaliste et sectaire, et qu'il a beaucoup de points communs avec celui des talibans (école dite deobandie), dans la mesure où les valeurs et règles inculquées sont directement tournées contre celles des sociétés «impies». L'objectif numéro un est en effet d’empêcher, par la réislamisation et le repli communautaire, toute forme d'intégration des minorités musulmanes présentes en milieu hindou païen ou mécréant européen[12]. »

Missionnaire

Ses missionnaires l'ont ensuite implanté, d'abord dans les pays musulmans au cours des années 1940, puis dans les pays occidentaux au cours des années 1950 et 1960. Aujourd'hui ce mouvement est présent partout dans le monde.

L'activité missionnaire de ce mouvement s'est développée à l'échelle mondiale, via des branches décentralisées[4]. Pacifique et apolitique, ce courant prêcheur s'appuie sur des groupes de missionnaires de nationalités différentes pour faire du porte-à-porte (la al-jawla, la « tournée ») et répandre les idées du tablîgh (la « proclamation »). Les principes en sont fort simples : la profession de foi, la prière, la connaissance de Dieu, l'intention sincère et le respect du musulman. Des voyages de plusieurs jours à plusieurs semaines (khouroudj) sont aussi organisés dans le but de répandre la religion musulmane.

Pratique

Le mouvement fonctionne sur le système de la concertation (Al Machoura), à différents échelons. Par ailleurs, des savants, et qui constituent la machoura, s'efforcent de veiller à l'orthodoxie des pratiques des membres, à qui l'on conseille de sacrifier de leur personne, de leur temps et de leur argent, dans le sentier de Dieu, comme l'ont fait les compagnons (As-Sahabas).

La pratique : Les Tablighis ont une interprétation littéraliste des principaux préceptes de l'islam. Ils s'efforcent ainsi de suivre à la lettre les codes et préceptes du droit islamique. Leur pratique est basée sur six qualités (Sita Sifâtes), parmi les qualités que possédaient les compagnons de Mahomet :

  1. La certitude sur Dieu (al yaqine) et le chemin du prophète de l'islam Mahomet (sunna) ;
  2. La prière avec concentration et dévotion (salat dat al khouchou'oua al khoudou') ;
  3. La science et le rappel perpétuel de Dieu (al Ilm wa al Zikhr) ;
  4. La Générosité envers les musulmans (Ikram al Muslimine) ;
  5. La correction de l'intention et la sincérité (Tashih al niya oua ikhlasouha) ;
  6. Le prêche vers Dieu avec la sortie sur le sentier de Dieu (Da'wa ila Allah bil Khourouj fi sabililah)[13].

Cette activité missionnaire vise la transmission d'une pratique musulmane fondamentaliste. En cela, les Tablighis se démarquent d'autres mouvements musulmans revivalistes, notamment les Frères musulmans, dont la prédication a un contenu politique explicite beaucoup plus marqué.

Ce mouvement qui prône depuis sa naissance son apolitisme a participé aux consultations de 2006-2007 au ministère de l'Intérieur en vue de la constitution d'un organe représentatif des musulmans de France (CFCM) avant de se rétracter.

Travaux universitaires

Après les travaux fondamentaux de Marc Gaborieau sur ce mouvement dans le sous continent indien, ceux de Barbara Metcalf (sur les femmes investies dans ce mouvement) et de Khalil Masud aux États-Unis, ceux de Felice Dassetto en Belgique ou de Mohamed Tozy au Maroc, c'est Gilles Kepel qui évoque le premier cette association dans son ouvrage « Les Banlieues de l'Islam » (1987).

Les plus récents travaux sociologiques sur ce groupe religieux méconnu et sous analysé sont ceux de Moussa Khedimellah (1997-2005). Chercheur et disciple de Farhad Khosrokhavar, d'Alain Touraine et de Marc Gaborieau, il a mené pendant 10 ans une étude approfondie (2001-2011) avec suivi de cohorte de la carrière religieuse 250 militants et militantes en France et en Europe. Son travail de mémoire de DEA (Directrice Danièle Hervieu-Léger - 1999) consultable à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris) est une plongée anthropologique sur l'ensemble des aspects sociaux, économiques, religieux de cette fraternité élective qui a joué selon lui « un crypto-catéchisme islamique » dans l'ensemble de la communauté de migrants et fils de migrants, majoritairement d'origine rurale, en France, et issus du monde musulman depuis les années 1960. Ces tablighis selon son article du journal Le Monde des Débats, ont joué un rôle crucial et fondamental dans la prédication, et la ré-organisation des communautés musulmanes durant les Trente Glorieuses en Angleterre, France, Belgique, Italie ou Allemagne. « Ce groupe minoritaire d'intensité religieuse » selon l'expression de Jean Séguy est reprise à son compte pour y mettre en évidence la logique sectaire autant de que celle de la réorganisation interne du soi qui retrouve un barycentre dans des univers frappé d'anomie. Catalyseur de frustrations sociales et identitaires, Moussa Khedimellah, dans son article en référence ci-dessous sur la dignité identitaire retrouvée par le puritanisme religieux (2001) ou dans un second article Corps et inconscients collectif voilés in Cosmopolitiques (2003) évoquent l'effet salvateur autant que destructeur des jeunes hommes et femmes engagés dans ce mouvement à logique circulaire. Entré en compétition très tôt sur le monopole du marché religieux et identitaires avec leurs homologues du salafisme balbutiant des années 1990, le schisme entre ces deux frères ennemis n'a cessé de se creuser durant la décennie 2000. Le radicalisme apparu avec plusieurs profils issus du Tabligh a remis le feu aux poudres après les vagues d'attentats de 1995 ou les débuts de la guerre en Afghanistan : Khaled Kelkal, Richard Reid, Hervé Djamel Loiseau.

Grands événements transnationaux

Les grands événements transnationaux sont la "marque de fabrique" du mouvement depuis 1927[14], et les plus grands rassemblements religieux après le pèlerinage à La Mecque, selon Sophie Lemière, chercheuse à Stanford et spécialiste de la Malaisie: "Par définition, les tablighis sont des gens qui voyagent, ceux des villes vont aller dans des villages, ils vont faire des voyages de sept jours, du porte-à-porte pour faire des prêches, ramener les musulmans vers un islam qu'ils estiment plus proche de celui pratiqué par le Prophète"[14].

Pandémie de coronavirus

Plusieurs rassemblements organisés par le mouvement islamique en début d'année 2020 auraient contribué à l'expansion de la Pandémie de coronavirus 19, selon les experts.

  • Le 27 février en Malaisie, un « Ijtima Tabligh » réunit, pendant jours 18 000 fidèles de 20 nationalités asiatiques différentes[14] dans la mosquée "Sri Petaling", dans une banlieue de Kuala Lumpur, alors que la Malaisie ne compte encore que 22 cas[14]. Deux tiers des cas de coronavirus en Malaisie ont été causés lors de cette première réunion. Des ressortissants de Brunei et du Cambodge y ont été infectés[15]. Le pays passe de 50 à 500 cas en une semaine[14] et tente retrouver et tester les 16 000 présents vivant sur son sol[14], désormais éparpillés aux quatre coins de la Malaisie, parmi lesquels environ 2000 réfugiés ou travailleurs migrants birmans, qui ne parlent souvent pas malais[14], dont plusieurs centaines de Rohingyas[14]. Faisal Islam Muhammad Kassim, président de la « Rohingyas Society in Malaysia » a participé à l'effort pour les retrouver et les dépister[14]. La Malaisie a fermé les lieux de culte après cet épisode[14]. Le principal Foyer de contagion de la Pandémie de coronavirus dans ce pays découle de cette réunion du Tablighi Jamaat[16].
  • Du 10 au 12 mars à Lahore, capitale de la province du Pendjab, à l'Est du Pakistan, pays où la détection du premier cas remonte au 26 février[17], un autre rassemblement religieux est organisé par le groupe piétiste [17] et devait durer cinq jours, avec une centaine de milliers de prêcheurs venus de 80 pays mais a été écourté dès le 12 mars, au lendemain de la première journée de réelle affluence, en raison de la pandémie[17]. Plusieurs participants ont été déclarés positifs dès leur retour chez eux[17]. Parmi eux, dans la bande de Gaza, selon l’ambassadeur de Palestine au Pakistan[17], les deux premiers cas de coronavirus recensés le 22 mars revenaient de ce rassemblement religieux[18],[19]. En Inde, les personnes contaminées à l'occasion du rassemblement de Lahore pourraient représenter 1023 cas soit 30% du total dans le pays, a déclaré dès le 3 avril le ministère de la Santé[20].Au Pakistan, où seulement 41 personnes sont mortes du nouveau coronavirus sur pays de 200 millions d'habitants[21], on apprend le 4 avril que «les autorités de tous les districts (du pays) tentent de retrouver les personnes qui ont assisté à l'événement»[22] et que «environ 100.000 personnes» y ont participé[21], dont 7 à 8000 participants placés en quarantaine dans la province du Pendjab[21], parmi lesquels plus de 900 étrangers - Chinois, Nigérians, Afghans ou encore Turcs[21]. Un membre du gouvernement de la province voisine du Sindh a signalé «300 à 400 pèlerins s'y baladant» et de centaines de confinés[21]. Selon lui, il aurait fallu interdire ce rassemblement, appelé à devenir «une source majeure propagation de l'infection»[21]. Au moins 154 pélèrrins avaient, au 4 avril, été testés positifs au Covid-19 dans le Pendjab et le Sind, dont 2 décédés, selon les autorités[21].
  • À la mi-mars à New Delhi, en Inde, plus de 3 000 musulmans participent à une congrégation du Tabligh Jamaat[23]. Quelques jours après, les autorités interdisent tout rassemblement, mais ces responsables religieux défient ces instructions[23], ce qui a provoqué une traque de ses participants, après qu'au moins 10 pèlerins indiens soient morts du Covid-19[21]. En Inde, en confinement total depuis le 25 mars[24] et dont l’économie est à l’arrêt depuis[24], beaucoup avaient eu, les jours d'avant, le temps de repartir vers leur provinces d’origine, aux quatre coins du pays[23], une crise sanitaire majeure se dessine[23]. Plus d’un millier ont cependant été retrouvés et placés en quarantaine[23] tandis que le confinement a amené plusieurs milliers de travailleurs pauvres, le pus souvent des journaliers, à quitter les grandes villes, à pied, vers leurs villages[24].
  • Le 18 mars en Indonésie, plus de 8000 croyants musulmans venus du monde entier et de toute l’Asie du Sud-Est[14], se sont réunis par ailleurs à l'appel du mouvement piétiste, malgré la demande des autorités de repousser l'événement, dans la province de Sulawesi du Sud, au centre du pays[25].

Notes et références

  1. L'article de l'Encyclopédie de l'islam s'intitule Tablīghī djamā'at et précise que l'équivalent en arabe est Djamā'at al-tablīgh. On trouve dans la presse et dans les revues scientifiques francophones des articles qui emploient l'une ou l'autre appellation et l'accordent selon l'un ou l'autre genre.
  2. Sylvain Mouillard et Bernadette Sauvaget, « Au Collectif contre l’islamophobie, de la suite dans les données », Libération,‎ (lire en ligne).
  3. (fr) René Otayek et Benjamin F. Soares, Islam, état et société en Afrique, éd. Karthala, 2009, p. 192
  4. a et b Isabelle Surun (dir), Les sociétés coloniales à l'âge des Empires (1850-1960), Atlande, 2012, p. 331.
  5. « Religion. En Inde, un important rassemblement musulman est à l’origine d’un foyer épidémique », sur Courrier international,
  6. Association enregistrée en avril 1972 à la préfecture de Seine-Saint-Denis, cf. Gilles Kepel, Les banlieues de l'islam : naissance d'une religion en France, Seuil, Paris, 1987.
  7. Enfants d'Islam et de Marianne: Des banlieues à l'Université. de Leyla Arslan, Presses Universitaires de France, Paris, 2010
  8. Bernard Godard et Sylvie Taussig, Les Musulmans en France. Courants, institutions, communautés : un état des lieux, Hachette, 2007
  9. [réf. incomplète] Moussa Khedimellah, « Jeunes prédicateurs du mouvement Tabligh : la dignité identitaire retrouvée par le puritanisme religieux ? »
  10. Les Imams en France: Une autorité religieuse sous contrôle de Solenne Jouanneau, éditions Agone, Marseille, 2013
  11. Géopolitique des islamismes: « Que sais-je ? » n° 4014. d'Anne-Clémentine Larroque, Que sais-je ?, 2016
  12. Les vrais ennemis de l'Occident: Du rejet de la Russie à l'islamisation des sociétés ouvertes. d'Alexandre Del Valle, éditions L'artilleur, 2016
  13. Moussa Khedimellah, op. cit.. La liste donnée par l'article de l'Encyclopédie de l'Islam n'est pas exactement la même.
  14. a b c d e f g h i j et k Gabrielle Maréchaux pour RFI le 24/03/2020 -[1]
  15. "INDONÉSIE : DES MILLIERS DE PÈLERINS MUSULMANS SE RASSEMBLENT MALGRÉ LE CORONAVIRUS" CNEWS, avec Reuters, le 18/03/202 [2]
  16. "Coronavirus : les contaminations dangereusement à la hausse en Asie du Sud-Est", par Bruno Philip dans Le Monde le 23 mars 2020 [3]
  17. a b c d et e "Face au coronavirus, le Pakistan s’en remet à l’armée" par Guillaume Delacroix, dans La Croix le 26 mars 2020 [4]
  18. "Coronavirus : comment les rassemblements religieux ont amplifié la propagation" par Xavier FRERE - 29 mars 2020 [5]
  19. Article de Salomé Parent, dans La Croix le 25/03/2020 [6]
  20. Times of India du 3 avril [7]
  21. a b c d e f g et h Article dans Le Figaro, avec AFP, le 4 avril 2020 [8]
  22. Déclaration à l'AFP du bureau du chef de l'administration de Lahore
  23. a b c d et e Article de Sébastien Farcis pour RFI, 2 avril 2020 [9]
  24. a b et c Article de Sébastien Farcis pour RFI, 26 mars 2020 [10]
  25. CNEWS le 18/03/2020 [11]

Annexes

Bibliographie

Liens externes