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Les '''Arumbayas''' sont une [[Tribu (ethnologie)|tribu]] [[Autochtones d'Amérique|amérindienne]] fictive créée par [[Hergé]] dans ''[[Les Aventures de Tintin]]''. Ils apparaissent dans ''[[L'Oreille cassée]]'', la cinquième aventure de la série, puis dans ''[[Tintin et les Picaros]]'', le dernier album achevé par le dessinateur.
Les '''Arumbayas''' sont une [[Tribu (ethnologie)|tribu]] [[Autochtones d'Amérique|amérindienne]] fictive créée par [[Hergé]] dans ''[[Les Aventures de Tintin]]''. Ils apparaissent dans ''[[L'Oreille cassée]]'', la cinquième aventure de la série, puis dans ''[[Tintin et les Picaros]]'', le dernier album achevé par le dessinateur.


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=== Présentation ===
=== Présentation ===
[[Fichier:Flag_of_San_Theodoros.svg|vignette|gauche|alt=Drapeau constitué de deux bandes horizontales, l'une verte (en haut), l'autre noire. Au centre, un cercle rouge entoure un disque noir.|Le drapeau du [[San Theodoros]].]]
[[Fichier:Flag_of_San_Theodoros.svg|vignette|gauche|alt=Drapeau constitué de deux bandes horizontales, l'une verte (en haut), l'autre noire. Au centre, un cercle rouge entoure un disque noir.|Le drapeau du [[San Theodoros]].]]
La tribu des Arumbayas vit le long du fleuve Badurayal, sur le territoire du [[San Theodoros]], un État imaginaire d'[[Amérique du Sud]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planche 1}}}}. Pour trouver des informations sur cette tribu, Tintin tire de sa bibliothèque l'ouvrage d'un certain Ch. J. Walker, intitulé ''Voyage aux Amériques'', paru chez Graveau en 1875. Dans ce livre, lui aussi fictif, l'auteur indique que les Arumbayas portent de longs cheveux noirs et huilés qui encadrent {{citation|leur face cuivrée}}. Pour chasser, ils utilisent des fléchettes empoisonnées au [[curare]] qu'ils propulsent à l'aide d'une [[sarbacane]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planche 2}}}}.
La tribu des Arumbayas vit le long du fleuve Badurayal, sur le territoire du [[San Theodoros]], un État imaginaire d'[[Amérique du Sud]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|1}}}}. Pour trouver des informations sur cette tribu, Tintin tire de sa bibliothèque l'ouvrage d'un certain Ch. J. Walker, intitulé ''Voyage aux Amériques'', paru chez Graveau en 1875. Dans ce livre, lui aussi fictif, l'auteur indique que les Arumbayas portent de longs cheveux noirs et huilés qui encadrent {{citation|leur face cuivrée}}. Pour chasser, ils utilisent des fléchettes empoisonnées au [[curare]] qu'ils propulsent à l'aide d'une [[sarbacane]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|2}}}}.


[[Fichier:Yahua Blowgun Amazon Iquitos Peru.jpg|vignette|alt=Photographie montrant un indigène soufflant dans une sarbacane, vu de profil.|Démonstration de sarbacane au [[Pérou]].]]
[[Fichier:Yahua Blowgun Amazon Iquitos Peru.jpg|vignette|alt=Photographie montrant un indigène soufflant dans une sarbacane, vu de profil.|Démonstration de sarbacane au [[Pérou]].]]
Les Arumbayas sont réputés pour être l'un des plus féroces [[peuples indigènes d'Amérique du Sud]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planche 45}}}}. Leur territoire, difficilement accessible, est situé dans la [[Amazonie|jungle amazonienne]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planches 46-47}}}}. Ils sont les ennemis des Bibaros, un peuple de [[Tête réduite|réducteurs de tête]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planches 49-50}}}}.
Les Arumbayas sont réputés pour être l'un des plus féroces [[peuples indigènes d'Amérique du Sud]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|45}}}}. Leur territoire, difficilement accessible, est situé dans la [[Amazonie|jungle amazonienne]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|46-47}}}}. Ils sont les ennemis des Bibaros, un peuple de [[Tête réduite|réducteurs de tête]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|49-50}}}}.


Un explorateur britannique, [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|Ridgewell]], s'est retiré de la civilisation et vit parmi les Arumbayas, ayant adopté leurs coutumes{{sfn|Mozgovine|1992|p=186}}. Deux membres de la tribu sont explicitement nommés, le chef Kaloma{{sfn|Mozgovine|1992|p=128}}, et un certain Bikoulou{{sfn|Mozgovine|1992|p=34}}. Le {{citation|stoumpô}}, un plat très épicé, fait partie de leur nourriture traditionnelle{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planche 34}}}}.
Un explorateur britannique, [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|Ridgewell]], s'est retiré de la civilisation et vit parmi les Arumbayas, ayant adopté leurs coutumes{{sfn|Mozgovine|1992|p=186}}. Deux membres de la tribu sont explicitement nommés, le chef Kaloma{{sfn|Mozgovine|1992|p=128}}, et un certain Bikoulou{{sfn|Mozgovine|1992|p=34}}. Le {{citation|stoumpô}}, un plat très épicé, fait partie de leur nourriture traditionnelle{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|34}}}}.


=== Apparitions dans les albums ===
=== Apparitions dans les albums ===
[[Fichier:Cultures précolombiennes MRAH Chimu Hergé 02 10 2011 B.jpg|vignette|redresse|gauche|alt=Statue en bois.|Statue [[chimú]] très semblable au fétiche arumbaya de ''[[L'Oreille cassée]]''.]]
[[Fichier:Cultures précolombiennes MRAH Chimu Hergé 02 10 2011 B.jpg|vignette|redresse|gauche|alt=Statue en bois.|Statue [[chimú]] très semblable au fétiche arumbaya de ''[[L'Oreille cassée]]''.]]
Dans ''[[L'Oreille cassée]]'', un [[Fétichisme|fétiche]] arumbaya exposé au musée ethnographique de [[Bruxelles]] disparaît, remplacé par une copie{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planches 1-3}}}}. [[Tintin]] mène son enquête et les différentes péripéties le conduisent au [[San Theodoros]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planche 12}}}}., où l'agitation politique du pays le contraint à se réfugier dans la [[jungle]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planches 20-45}}}}. Il y rencontre [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|Ridgewell]], un explorateur anglais que tout le monde croit mort et qui ne veut plus retrouver la civilisation, heureux de vivre aux côtés des Arumbayas. Il introduit Tintin auprès de la tribu, et ce dernier apprend que le fétiche volé contient un [[diamant]] dérobé aux autochtones. Le héros retourne en Europe et poursuit son enquête{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planches 48-53}}}}.
Dans ''[[L'Oreille cassée]]'', un [[Fétichisme|fétiche]] arumbaya exposé au musée ethnographique de [[Bruxelles]] disparaît, remplacé par une copie{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|1-3}}}}{{,}}{{Note|group=note|Les Arumbayas sous-tendent toute l'intrigue de ''L’Oreille cassée'', mais ils n’apparaissent que sur trois planches{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|50-52}}}}.}}. [[Tintin]] mène son enquête et les différentes péripéties le conduisent au [[San Theodoros]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|12}}}}, où l'agitation politique du pays le contraint à se réfugier dans la [[jungle]]{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|20-45}}}}. Il y rencontre [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|Ridgewell]], un explorateur anglais que tout le monde croit mort et qui ne veut plus retrouver la civilisation, heureux de vivre aux côtés des Arumbayas. Il introduit Tintin auprès de la tribu, et ce dernier apprend que le fétiche volé contient un [[diamant]] dérobé aux autochtones. Le héros retourne en Europe et poursuit son enquête{{sfn|group=alpha|id=oreille|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|48-53}}}}.


[[Fichier:A bottle of Old Overholt Straight Rye Whiskey.jpg|vignette|redresse|alt=Photographie d'une bouteille de whisky posée sur une table en plein air.|Une bouteille de [[whisky]].]]
[[Fichier:A bottle of Old Overholt Straight Rye Whiskey.jpg|vignette|redresse|alt=Photographie d'une bouteille de whisky posée sur une table en plein air.|Une bouteille de [[whisky]].]]
Dans ''[[Tintin et les Picaros]]'', les évènements le conduisent de nouveau dans la jungle san-théodorienne, cette fois-ci avec le [[capitaine Haddock]], le [[professeur Tournesol]] et le [[général Alcazar]], ce dernier les menant à la rencontre des Picaros, les membres de son armée révolutionnaire{{sfn|group=alpha|id=picaros|texte=Tintin et les Picaros|loc={{nobr|planche 27}}}}.
Dans ''[[Tintin et les Picaros]]'', les évènements le conduisent de nouveau dans la jungle san-théodorienne, cette fois-ci avec le [[capitaine Haddock]], le [[professeur Tournesol]] et le [[général Alcazar]], ce dernier les menant à la rencontre des Picaros, les membres de son armée révolutionnaire{{sfn|group=alpha|id=picaros|texte=''Tintin et les Picaros''|loc={{pl.|27}}}}{{,}}{{Note|group=note|Dans ''Tintin et les Picaros'', ce n’est que sur quatre planches que figurent les Arumbayas qui l’accueillent{{sfn|group=alpha|id=picaros|texte=''Tintin et les Picaros''|loc={{pl.|32-35}}}}.}}.


Avant d'atteindre le camp des Picaros, le groupe doit traverser le territoire des Arumbayas. Tintin retrouve Ridgewell et les membres de la tribu, et découvre, au grand dam de l'explorateur, que les Arumbayas sont alors les victimes collatérales des largages de cargaisons de [[whisky]] opérés par le [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|général Tapioca]]. Ce dernier, grand rival d'Alcazar, nourrit l'[[alcoolisme]] des Picaros pour les rendre inoffensifs{{sfn|group=alpha|id=picaros|texte=Tintin et les Picaros|loc={{nobr|planches 47-53}}}}. Après avoir partagé un repas avec la tribu, le groupe reprend sa route. C'est notamment lors de ce dîner avec la tribu que le professeur Tournesol essaie en secret le [[médicament]] de son invention rendant intolérant à l'alcool, avec succès{{sfn|group=alpha|id=picaros|texte=Tintin et les Picaros|loc={{nobr|planches 47-53}}}}.
Avant d'atteindre le camp des Picaros, le groupe doit traverser le territoire des Arumbayas. Tintin retrouve Ridgewell et les membres de la tribu, et découvre, au grand dam de l'explorateur, que les Arumbayas sont alors les victimes collatérales des largages de cargaisons de [[whisky]] opérés par le [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|général Tapioca]]. Ce dernier, grand rival d'Alcazar, nourrit l'[[alcoolisme]] des Picaros pour les rendre inoffensifs{{sfn|group=alpha|id=picaros|texte=''Tintin et les Picaros''|loc={{pl.|47-53}}}}. Après avoir partagé un repas avec la tribu, le groupe reprend sa route. C'est notamment lors de ce dîner avec la tribu que le professeur Tournesol essaie en secret le [[médicament]] de son invention rendant intolérant à l'alcool, avec succès{{sfn|group=alpha|id=picaros|texte=''Tintin et les Picaros''|loc={{pl.|47-53}}}}.


== Inspirations ==
== Inspirations ==
=== Culture, physique et traditions ===
=== Culture, physique et traditions ===
[[Fichier:Percival Harrison Fawcett.jpg|vignette|gauche|redresse|alt=Photographie en noir et blanc d'un homme portant un chapeau et tenant un porte-cigarette en bouche.|L'explorateur [[Percy Fawcett]] (ici en 1911) inspire le personnage de Ridgewell.]]
[[Fichier:Percival Harrison Fawcett.jpg|vignette|gauche|redresse|alt=Photographie en noir et blanc d'un homme portant un chapeau et tenant un porte-cigarette en bouche.|L'explorateur [[Percy Fawcett]] (ici en 1911) inspire le personnage de Ridgewell.]]
Dans sa conception du [[San Theodoros]], [[Hergé]] mêle différentes inspirations parfois contradictoires provenant de toute l'[[Amérique du Sud]]. Le fétiche arumbaya reprend en grande partie la forme d'une statuette [[chimú]] ([[civilisation précolombienne]], installée sur la côté nord du [[Pérou]]) exposée au [[Musée Art et Histoire|musée du Cinquantenaire de Bruxelles]]<ref>{{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Michel|nom1=Baudson|directeur1=oui|nom2=Hergé|lien auteur2=Hergé|prénom3=Pierre|nom3=Sterckx|lien auteur3=Pierre Sterckx|prénom4=Henri|nom4=Van Lier|lien auteur4=Henri Van Lier|titre=Le musée imaginaire de Tintin|lieu=Tournai|éditeur=[[Casterman]]|année=1980|pages totales=48|isbn=2-203-00401-0 |page=33}}.</ref>{{,}}{{sfn|Soumois|1987|p=98}}{{,}}<ref>
Dans sa conception du [[San Theodoros]], [[Hergé]] mêle différentes inspirations parfois contradictoires provenant de toute l'[[Amérique du Sud]]. Le fétiche arumbaya reprend en grande partie la forme d'une statuette [[chimú]] ([[civilisation précolombienne]], installée sur la côté nord du [[Pérou]]) exposée au [[Musée Art et Histoire|musée du Cinquantenaire de Bruxelles]]<ref>{{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Michel|nom1=Baudson|directeur1=oui|nom2=Hergé|lien auteur2=Hergé|prénom3=Pierre|nom3=Sterckx|lien auteur3=Pierre Sterckx|prénom4=Henri|nom4=Van Lier|lien auteur4=Henri Van Lier|titre=Le musée imaginaire de Tintin|lieu=Paris|éditeur=[[Casterman]]|nature ouvrage=publié pour la première fois à l'occasion de l'exposition itinérante organisée par la Société des expositions du [[Palais des Beaux-Arts (Bruxelles)|Palais des beaux-arts]] de Bruxelles, Bruxelles, {{Date-|28 juin}}-{{Date-|28 août 1979}}|année=1980|pages totales=48|format livre=31 cm|passage=33|isbn=2-203-00401-0|lire en ligne=http://saleilles.free.fr/telechar/Tintin%20Divers/Le%20Musee%20Imaginaire%20de%20Tintin.pdf|format électronique=pdf|titre chapitre=Tintin, trait pour trait}}.</ref>{{,}}{{sfn|Soumois|1987|p=98}}{{,}}<ref>{{Chapitre|prénom1=Frédéric|nom1=Brillet|titre chapitre=Amérique latine|sous-titre chapitre=un continent en réduction|auteurs ouvrage=Collectif|titre ouvrage=Tintin| sous-titre ouvrage=Les arts et les civilisations vus par le héros d'Hergé|passage=108-115|lieu=Paris ; Bruxelles|éditeur=[[Geo (magazine)|Geo]], [[Éditions Moulinsart]]|numéro dans collection=(également) Geo hors série |mois=novembre|année=2015|pages totales=160|format=32 cm|isbn=978-2-8104-1564-9|oclc=941803774|page=112-113}}.</ref>. Frédéric Soumois, spécialiste de l'univers de Tintin, indique que le dessinateur s'est inspiré d'un ouvrage paru en 1938 de [[Matthew Stirling]], ''{{langue|en|Historical and Ethnographical Material on the Jivaro Indians}}'', traitant du peuple des [[Shuars|Jivaros]], vivant dans les [[Forêt amazonienne|forêts]] de la haute [[Amazonie]], pour dessiner ses Arumbayas et leurs [[sarbacane]]s<ref name="jivaros">{{article|auteur=Catherine Delesse|titre=Le vrai-faux réel dans la bande dessinée|sous-titre=la presse et autres médias dans Tintin|périodique=Palimpsestes [Online]|numéro=24|titre numéro=Le réel en traduction : greffage, traces, mémoires|e-issn=2109-943X|année=2011|pages=103-118|lire en ligne=https://journals.openedition.org/palimpsestes/838?lang=en}}.</ref>.

{{Chapitre|prénom1=Frédéric|nom1=Brillet|titre chapitre=Amérique latine|sous-titre chapitre=un continent en réduction|auteurs ouvrage=Collectif|titre ouvrage=Tintin| sous-titre ouvrage=Les arts et les civilisations vus par le héros d'Hergé|passage=108-115|lieu=Paris ; Bruxelles|éditeur=[[Geo (magazine)|Geo]], [[Éditions Moulinsart]]|série=Geo hors série |numéro dans collection=Geo hors série |mois=novembre|année=2015|pages totales=160|format=32 cm|isbn=978-2-8104-1564-9|oclc=941803774|page=112-113}}.</ref>. Frédéric Soumois, spécialiste de l'univers de Tintin, indique que le dessinateur s'est inspiré d'un ouvrage paru en 1938 de [[Matthew Stirling]], ''{{langue|en|Historical and Ethnographical Material on the Jivaro Indians}}'', traitant du peuple des [[Shuars|Jivaros]], vivant dans les [[Forêt amazonienne|forêts]] de la haute [[Amazonie]], pour dessiner ses Arumbayas et leurs [[sarbacane]]s<ref name="jivaros">{{article|auteur=Catherine Delesse|titre=Le vrai-faux réel dans la bande dessinée|sous-titre=la presse et autres médias dans Tintin|périodique=Palimpsestes [Online]|numéro=24|titre numéro=Le réel en traduction : greffage, traces, mémoires|e-issn=2109-943X|année=2011|pages=103-118|lire en ligne=https://journals.openedition.org/palimpsestes/838?lang=en}}.</ref>.


[[Fichier:Cabeza reducida Jíbaro (M. América, Madrid) 01.jpg|vignette|redresse|alt=Photographie d'une tête réduite exposée dans un musée|Une tête réduite des [[Shuars|Jivaros]].]]
[[Fichier:Cabeza reducida Jíbaro (M. América, Madrid) 01.jpg|vignette|redresse|alt=Photographie d'une tête réduite exposée dans un musée|Une tête réduite des [[Shuars|Jivaros]].]]
L'explorateur [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|Ridgewell]], qui manie lui aussi cet instrument à la perfection, évoque le véritable explorateur britannique [[Percy Fawcett]], probablement mort en 1925 à la recherche d'une [[cité perdue]] dans la [[forêt amazonienne]]<ref name="angenot"/>{{,}}<ref>{{Ouvrage|prénom1=Christian|nom1=Clot|prénom2=Guillaume|nom2=Dorison|prénom3=Alessandro|nom3=Bocci|titre=Fawcett, Les cités perdues d'Amazonie|lieu=Grenoble|éditeur=[[Glénat]]|année=2013|passage=56|isbn=978-2-331-00105-5|lire en ligne=https://books.google.be/books?id=HecBAAAAQBAJ&pg=PA56}}.</ref>. Les Jivaros inspirent également le nom de la tribu rivale des Arumbayas, celle des Bibaros, réducteurs de têtes<ref name="jivaros"/>.
L'explorateur [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|Ridgewell]], qui manie lui aussi cet instrument à la perfection, évoque le véritable explorateur britannique [[Percy Fawcett]], probablement mort en 1925 à la recherche d'une [[cité perdue]] dans la [[forêt amazonienne]]<ref name="angenot"/>{{,}}<ref>{{Ouvrage|auteur1=Guillaume Dorison|responsabilité1=scénario|auteur2=Alessandro Bocci|responsabilité2=dessin|auteur3=Marc Sintes-Makma|responsabilité3=couleur|auteur4=Christian Clot|responsabilité4=concept général|titre=Fawcett|sous-titre=les cités perdues d'Amazonie|lieu=Grenoble|éditeur=[[Glénat]]|collection=Explora|année=2012|pages totales=47-[8]|format livre=32 cm|isbn=978-2-331-00105-5}}.</ref>. Les Jivaros inspirent également le nom de la tribu rivale des Arumbayas, celle des Bibaros, réducteurs de têtes<ref name="jivaros"/>.


Pour ''[[Tintin et les Picaros]]'', Hergé s'appuie notamment sur des photographies publiées par ''[[National Geographic]]'' de huttes indiennes au [[Venezuela]] afin de dessiner l'habitat des Arumbayas, et d'autres de femmes indiennes préparant le repas dans un grand chaudron<ref name="ArumbayasGéo">{{Article |auteur1=Valérie Kubiak |auteur2=Jean-Yves Durand |titre=Sauvages mais égaux à l'homme blanc |périodique=[[Geo (magazine)|Geo]] |numéro=15 (hors-série) |titre numéro=Tintin : les peuples du monde vus par le héros d'Hergé… et leur réalité aujourd'hui |date=avril-mai 2017 |pages=74-76}}</ref>. Dans cet album, les Arumbayas sont devenus ivrognes à cause des largages aériens de [[Loch Lomond]] par le régime tapioquiste<ref name="ArumbayasGéo"/>{{,}}{{sfn|Soumois|1987|p=297}}. La volonté d'Hergé de dénoncer l'[[alcoolisme]] ravageant certains [[Peuple autochtone|peuples autochtones]] vient de son séjour décevant en 1971 au sein d'une tribu d'[[Oglalas]], dans la [[réserve indienne de Pine Ridge]] aux États-Unis, un peuple décimé par l'alcool<ref name="ArumbayasGéo"/>.
Pour ''[[Tintin et les Picaros]]'', Hergé s'appuie notamment sur des photographies publiées par ''[[National Geographic]]'' de huttes indiennes au [[Venezuela]] afin de dessiner l'habitat des Arumbayas, et d'autres de femmes indiennes préparant le repas dans un grand chaudron<ref name="ArumbayasGéo">{{Article |auteur1=Valérie Kubiak |auteur2=Jean-Yves Durand |titre=Sauvages mais égaux à l'homme blanc|périodique=[[Geo (magazine)|Geo]]|numéro=Geo hors-série |titre numéro=Tintin : les peuples du monde vus par le héros d'Hergé… et leur réalité aujourd'hui |date=avril-mai 2017 |pages=74-76}}</ref>. Dans cet album, les Arumbayas sont devenus ivrognes à cause des largages aériens de [[Loch Lomond]] par le régime tapioquiste<ref name="ArumbayasGéo"/>{{,}}{{sfn|Soumois|1987|p=297}}. La volonté d'Hergé de dénoncer l'[[alcoolisme]] ravageant certains [[Peuple autochtone|peuples autochtones]] vient de son séjour décevant en 1971 au sein d'une tribu d'[[Oglalas]], dans la [[réserve indienne de Pine Ridge]] aux États-Unis, un peuple décimé par l'alcool<ref name="ArumbayasGéo"/>.


=== Langue ===
=== Langue ===
[[Fichier:BrusselSinte-Gelanchstroet.JPG|vignette|gauche|alt=Photographie d'une plaque de rue sur fond bleu et blanc, apposée sur un mur.|[[Plaque de rue]] en français et néerlandais (en bleu) et en bruxellois (en blanc).]]
[[Fichier:BrusselSinte-Gelanchstroet.JPG|vignette|gauche|alt=Photographie d'une plaque de rue sur fond bleu et blanc, apposée sur un mur.|[[Plaque de rue]] en français et néerlandais (en bleu) et en bruxellois (en blanc).]]
[[Hergé]] crée la langue arumbaya à partir du [[Brusseleer|marollien]], un dialecte bruxellois qu'il connaît bien<ref name="baetens">{{Ouvrage|prénom1=Jan|nom1=Baetens|lien auteur1=Jan Baetens|titre=Hergé écrivain|éditeur=Flammarion|lien éditeur=Groupe Flammarion|année=2011|pages totales=224|isbn=9782081246157|passage=19-22}}.</ref>{{,}}<ref name="Couvreur">Daniel Couvreur, ''Parlez-vous l'arumbaya ou le syldave (à la mode bruxelloise) ?'', in {{harvsp|id=Rire|texte=Le rire de Tintin|2014|p=100-101}}.</ref>{{,}}<ref name="ArumbayasGéo"/>{{,}}<ref name="grutman" />. Bien que francophone, il a grandi dans un milieu linguistique non homogène et ce dialecte parlé par sa grand-mère l'a durablement marqué<ref name="grutman">{{Article|auteur1=[[Rainier Grutman]]|titre=« ''Eih bennek, eih blavek'' »|sous-titre=l'inscription du bruxellois dans ''Le sceptre d'Ottokar''|traduction titre=J'y suis, j'y reste : l'inscription du bruxellois dans ''Le sceptre d'Ottokar''|périodique=[[Études françaises]]|lieu=Montréal|éditeur=[[Presses de l'Université de Montréal]]|volume=46|numéro=2|titre numéro=Hergé reporter : Tintin en contexte|année=2010|pages=83-99|issn=0014-2085|e-issn=1492-1405|lire en ligne=http://www.erudit.org/revue/etudfr/2010/v46/n2/044536ar.pdf|format=pdf|consulté le=7 février 2023|doi=10.7202/044536ar}}.</ref>{{,}}<ref>{{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Pierre Sterckx]]|titre=L'art d'Hergé|sous-titre=Hergé et l'art|éditeur=[[Éditions Gallimard|Gallimard]], [[Éditions Moulinsart|Moulinsart]]|année=2015|pages totales=240|isbn=9782070149544 |page=11}}.</ref>. Hergé s'est ensuite aussi amusé à fonder la langue [[Syldavie|syldave]] sur ce dialecte pour ''[[Le Sceptre d'Ottokar]]''<ref name="grutman"/>{{,}}{{sfn|Soumois|1987|p=297}}. Dans ''[[L'Oreille cassée]]'', les Arumbayas s'expriment dans leur langue lorsqu'ils dialoguent avec Tintin, qui ne les comprend pas, mais les discussions entre membres de la tribu sont retranscrites en français par Hergé pour en faciliter la compréhension au lecteur<ref>[[Alain Rey]], ''À chaque personnage son propre langage'', in {{harvsp|id=Rire|texte=Le rire de Tintin|2014|p=98-102}}.</ref>.
[[Hergé]] crée la langue arumbaya à partir du [[Brusseleer|marollien]]{{Note|group=note|Hergé, pour la construction de l’arumbaya, utilise précisément le brussels vloms variante du [[Brabançon (dialecte)|brabançon]] qui est le dialecte [[Flamand (dialecte)|flamand]] de Bruxelles<ref name=JJDG>{{Lien web|auteur1=Jean-Jacques De Gheyndt|titre=''Eï ben ek - Eï blaaiv ek !'' Le bruxellois chez Tintin|traduction titre=J'y suis, j'y reste ! Le bruxellois chez Tintin|description=site : ''Pour la Science et pour la Zwanze''|url=http://www.science-zwanze.be/413830204.html|site=www.science-zwanze.be|consulté le=5 février 2023|page=L'arumbaya : ''Pikuri toht narobo wa Walker''}}.</ref>.}}, un dialecte bruxellois qu'il connaît bien<ref name="baetens">{{Ouvrage|prénom1=Jan|nom1=Baetens|lien auteur1=Jan Baetens|titre=Hergé écrivain|lieu=Paris|éditeur=Flammarion|lien éditeur=Groupe Flammarion|année=2011|pages totales=224|isbn=978-2-0812-4615-7|numéro chapitre=1|titre chapitre=Tintin et les langues étrangères|passage=19-22}}.</ref>{{,}}<ref name="Couvreur">Daniel Couvreur, ''Parlez-vous l'arumbaya ou le syldave (à la mode bruxelloise) ?'', in {{harvsp|id=Rire|texte=''Le rire de Tintin''|2014|p=100-101}}.</ref>{{,}}<ref name="ArumbayasGéo"/>{{,}}<ref name="grutman" />. Bien que francophone, il a grandi dans un milieu linguistique non homogène et ce dialecte parlé par sa grand-mère l'a durablement marqué<ref name="grutman">{{Article|auteur1=[[Rainier Grutman]]|titre=« ''Eih bennek, eih blavek'' »|sous-titre=l'inscription du bruxellois dans ''Le sceptre d'Ottokar''|traduction titre=J'y suis, j'y reste : l'inscription du bruxellois dans ''Le sceptre d'Ottokar''|périodique=[[Études françaises]]|lieu=Montréal|éditeur=[[Presses de l'Université de Montréal]]|volume=46|numéro=2|titre numéro=Hergé reporter : Tintin en contexte|année=2010|pages=83-99|issn=0014-2085|e-issn=1492-1405|lire en ligne=http://www.erudit.org/revue/etudfr/2010/v46/n2/044536ar.pdf|format=pdf|consulté le=7 février 2023|doi=10.7202/044536ar}}.</ref>{{,}}<ref>{{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Pierre Sterckx]]|titre=L'art d'Hergé|sous-titre=Hergé et l'art|lieu=Paris ; Bruxelles|éditeur=[[Éditions Gallimard|Gallimard]], [[Éditions Moulinsart]]|année=2015|pages totales=240|format=29 cm|isbn=978-2-0701-4954-4|présentation en ligne=https://storage.googleapis.com/cantookhub-media-eden/be/7120f752dafe02bb25ab58154f3b57e3199bc4.pdf|format électronique=pdf|consulté le=8 février 2023|numéro chapitre=1|titre chapitre=Georges Remi, dit « Hergé » : une biographie|page=3 {{col.|2}}}}.</ref>. Hergé s'est ensuite aussi amusé à fonder la langue [[Syldavie|syldave]] sur ce dialecte pour ''[[Le Sceptre d'Ottokar]]''<ref name="grutman"/>{{,}}{{sfn|Soumois|1987|p=297}}. Dans ''[[L'Oreille cassée]]'', les Arumbayas s'expriment dans leur langue lorsqu'ils dialoguent avec Tintin, qui ne les comprend pas, mais les discussions entre membres de la tribu sont retranscrites en français par Hergé pour en faciliter la compréhension au lecteur<ref>[[Alain Rey]], ''À chaque personnage son propre langage'', in {{harvsp|id=Rire|texte=''Le rire de Tintin''|2014|p=98-102}}.</ref>.


Le dessinateur offre ainsi quelques jeux de mots aux locuteurs ou connaisseurs de ce dialecte. La formule de politesse {{citation|''Karah bistoup !''{{sfn|id=oreille|group=alpha|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planche 52}}}}}} cache à peine le terme « carabistouille »<ref name="grutman" />{{,}}{{Note|group=note|En 1937, dans la version originale noire et blanche, la transparence est encore plus grande : en rencontrant Tintin, Kaloma, le chef Arumbaya, adresse un {{citation|Karah bistouï}} à Tintin.}}. L'expression {{citation|''stoum érikos !''{{sfn|id=oreille|group=alpha|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planche 52}}}}}} dissimule le mot « sto(e)mmerik » qui signifie « imbécile »<ref name="grutman"/>. Si ceci fait l'unanimité, les difficultés de traduction subsistent et au moins quatre auteurs proposent des versions parfois différentes{{sfn|Soumois|1987|p=297-298}}{{,}}<ref>{{Ouvrage|auteur1=Daniel Justens|auteur2=Alain Préaux|titre=Tintin|sous-titre=Ketje de Bruxelles|traduction titre=Tintin : gamin de Bruxelles|lieu=Bruxelles ; Paris|éditeur=[[Casterman]]|année=2004|pages totales=135|format livre=23 cm|isbn=2-203-01716-3|bnf=39188463|consulté le=}}.</ref>{{,}}<ref name=JJDG>{{Lien web|auteur1=Jean-Jacques De Gheyndt|titre=''Eï ben ek - Eï blaaiv ek !'' Le bruxellois chez Tintin|traduction titre=J'y suis, j'y reste ! Le bruxellois chez Tintin|description=site : ''Pour la Science et pour la Zwanze''|url=http://www.science-zwanze.be/413830204.html|site=www.science-zwanze.be|consulté le=5 février 2023|page=L'arumbaya : ''Pikuri toht narobo wa Walker''}}.</ref>. Docteur ès-sciences à l'[[Université libre de Bruxelles]], Jean-Jacques De Gheyndt reprend ces traductions et expose sa version. Dans ''L'Oreille Cassée'', il s'attache au mot {{Citation|''pikuri''}}, cité lorsque Ridgewell présente Tintin au chef Kaloma. Tandis que Frédéric Soumois le traduit simplement par « piqûre », dans la mesure où le diamant contenu dans le fétiche est censé protéger contre les morsures de serpent<ref name=JJDG/>, De Gheyndt propose une interprétation basée sur le dialecte bruxellois, de ''pikke'' qui signifie « voler, dérober », et ''oeir'' qui signifie « oreille ». Pour cet auteur, {{Citation|''pikuri''}} peut donc se traduire par « oreille volée », car pour les Arumbayas, {{citation|le vol du fétiche est plus important que son état physique}}<ref name=JJDG/>. Ainsi, il traduit l'expression {{Citation|''Tintin zouka da pikuri. Wetche douvanèt ?''{{sfn|id=oreille|group=alpha|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planche 52}}}}}} par « Tintin cherche l’oreille cassée. Que sais-tu à ce sujet ? » Dans la réponse figure {{citation|''Pikuri toht narobo wa Walker''{{sfn|id=oreille|group=alpha|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planche 52}}}}}} que le même auteur traduit par « Ils savent que l’oreille cassée, jusqu’à maintenant volée, fut offerte à Walker ». Plus loin figure le terme {{citation|''albabas''{{sfn|id=oreille|group=alpha|texte=L'Oreille cassée|loc={{nobr|planche 52}}}}}} pour lequel il retient « ces diables de Blancs »<ref name=JJDG/>.
Le dessinateur offre ainsi quelques jeux de mots aux locuteurs ou connaisseurs de ce dialecte. La formule de politesse {{citation|''Karah bistoup !''{{sfn|id=oreille|group=alpha|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|52}}}}}} cache à peine le terme « carabistouille »<ref name="grutman" />{{,}}{{Note|group=note|En 1937, dans la version originale noire et blanche, la transparence est encore plus grande : en rencontrant Tintin, Kaloma, le chef Arumbaya, adresse un {{citation|Karah bistouï}} à Tintin.}}. L'expression {{citation|''stoum érikos !''{{sfn|id=oreille|group=alpha|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|52}}}}}} dissimule le mot « sto(e)mmerik » qui signifie « imbécile »<ref name="grutman"/>. Si ceci fait l'unanimité, les difficultés de traduction subsistent et au moins quatre auteurs proposent des versions parfois différentes{{sfn|Soumois|1987|p=297-298}}{{,}}<ref>{{Ouvrage|auteur1=Daniel Justens|auteur2=Alain Préaux|titre=Tintin|sous-titre=Ketje de Bruxelles|traduction titre=Tintin : gamin de Bruxelles|lieu=Bruxelles ; Paris|éditeur=[[Casterman]]|année=2004|pages totales=135|format livre=23 cm|isbn=2-203-01716-3|bnf=39188463}}.</ref>{{,}}<ref name=JJDG/>. Docteur ès-sciences à l'[[Université libre de Bruxelles]], Jean-Jacques De Gheyndt reprend ces traductions et expose sa version. Dans ''L'Oreille Cassée'', il s'attache au mot {{Citation|''pikuri''}}, cité lorsque Ridgewell présente Tintin au chef Kaloma. Tandis que Frédéric Soumois le traduit simplement par « piqûre », dans la mesure où le diamant contenu dans le fétiche est censé protéger contre les morsures de serpent<ref name=JJDG/>, De Gheyndt propose une interprétation basée sur le dialecte bruxellois, de ''pikke'' qui signifie « voler, dérober », et ''oeir'' qui signifie « oreille ». Pour cet auteur, {{Citation|''pikuri''}} peut donc se traduire par « oreille volée », car pour les Arumbayas, {{citation|le vol du fétiche est plus important que son état physique}}<ref name=JJDG/>. Ainsi, il traduit l'expression {{Citation|''Tintin zouka da pikuri. Wetche douvanèt ?''{{sfn|id=oreille|group=alpha|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|52}}}}}} par « Tintin cherche l’oreille cassée. Que sais-tu à ce sujet ? » Dans la réponse figure {{citation|''Pikuri toht narobo wa Walker''{{sfn|id=oreille|group=alpha|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|52}}}}}} que le même auteur traduit par « Ils savent que l’oreille cassée, jusqu’à maintenant volée, fut offerte à Walker ». Plus loin figure le terme {{citation|''albabas''{{sfn|id=oreille|group=alpha|texte=''L'Oreille cassée''|loc={{pl.|52}}}}}} pour lequel il retient « ces diables de Blancs »<ref name=JJDG/>.


Dans ''[[Tintin et les Picaros]]'', Hergé continue d'élaborer la langue arumbaya sur ce modèle. Par exemple, alors que le professeur Tournesol se fait dépouiller de ses vêtements incongrus pour les Arumbayas ceux-ci s'exclament {{citation|''Zedaniki !…''{{sfn|id=picaros|group=alpha|texte=Tintin et les Picaros|loc={{nobr|planche 32}}}}}} ce que Fontaine traduit par « Regarde-moi ça ! », ce n'est que l'intervention de Ridgewell {{Citation|''Wadesmadana ?…''{{sfn|id=picaros|group=alpha|texte=Tintin et les Picaros|loc={{nobr|planche 32}}}}}} « Qu’est-ce que cela veut dire ?… » qui met un terme à la situation. Plus tard, Kaloma fait goûter un plat et s'enquiert {{citation|''Wa païsde douvan ?''{{sfn|id=picaros|group=alpha|texte=Tintin et les Picaros|loc={{nobr|planche 34}}}}}} ainsi traduit par Fontaine « Qu’est-ce t’en penses ? ». De même quand il s'adresse à Tintin {{Citation|''Fretmô… Fretmô…''{{sfn|id=picaros|group=alpha|texte=Tintin et les Picaros|loc={{nobr|planche 34}}}}}} « Mangez… mangez… » Quant au ''stoumpô'' cuisiné par les Arumbayas, il tire son nom du ''[[stoemp]]'', un plat de [[Bruxelles]]{{sfn|Soumois|1987|p=298}}. Suit une boisson annoncée par {{Citation|Opa ! Opa !}} signifiant selon Fontaine « à la tienne ! », puis s'engage un dialogue entre Kaloma {{Citation|''Nagoum wazenh !… Yommo !… Nagoum ennegang !…''}} et Ridgewell méfiant {{citation| ''Mô preufh mô miki !''{{sfn|id=picaros|group=alpha|texte=Tintin et les Picaros|loc={{nobr|planche 34}}}}}} comprit par Fontaine comme « Maintenant on va voir quelque chose !… Maintenant on y va !… » « Mais goutte-moi ça une fois ! »<ref>{{Lien web|auteur1=Jean-Luc|responsabilité1=webmaster|auteur2=J.-P. Fontaine|responsabilité2=trad. d’Hergé|titre=Tintin et les secrets du langage arumbaya|url=https://tintinomania.com/tintin-langage-arumbaya|site=tintinomania.com (blog)|date=20 mars 2019|consulté le=06 février 2023}}.</ref>. Frédéric Soumois remarque que, dans cette seconde apparition, l'arumbaya {{citation|s'est simplifié légèrement, « déparasité » des lettres fantaisistes d'autrefois, pour devenir une transcription à peine déformée du bruxellois}}{{sfn|Soumois|1987|p=297}}.
Dans ''[[Tintin et les Picaros]]'', Hergé continue d'élaborer la langue arumbaya sur ce modèle. Par exemple, alors que le professeur Tournesol se fait dépouiller de ses vêtements incongrus pour les Arumbayas ceux-ci s'exclament {{citation|''Zedaniki !…''{{sfn|id=picaros|group=alpha|texte=''Tintin et les Picaros''|loc={{pl.|32}}}}}} ce que Fontaine traduit par « Regarde-moi ça ! », ce n'est que l'intervention de Ridgewell {{Citation|''Wadesmadana ?…''{{sfn|id=picaros|group=alpha|texte=''Tintin et les Picaros''|loc={{pl.|32}}}}}} « C'est quoi ce bazar ?… » qui selon De Gheyndt met un terme à la situation{{sfn|De Gheyndt|2018|loc=quatrième de couverture}}. Plus tard, Kaloma fait goûter un plat et s'enquiert {{citation|''Wa païsde douvan ?''{{sfn|id=picaros|group=alpha|texte=''Tintin et les Picaros''|loc={{pl.|34}}}}}} ainsi traduit par Fontaine « Qu’est-ce t’en penses ? ». De même quand il s'adresse à Tintin {{Citation|''Fretmô… Fretmô…''{{sfn|id=picaros|group=alpha|texte=''Tintin et les Picaros''|loc={{pl.|34}}}}}} « Mangez… mangez… » Quant au ''stoumpô'' cuisiné par les Arumbayas, il tire son nom du ''[[stoemp]]'', un plat de [[Bruxelles]]{{sfn|Soumois|1987|p=298}}. Suit une boisson annoncée par {{Citation|Opa ! Opa !}} signifiant selon Fontaine « à la tienne ! », puis s'engage un dialogue entre Kaloma {{Citation|''Nagoum wazenh !… Yommo !… Nagoum ennegang !…''}} et Ridgewell méfiant {{citation| ''Mô preufh mô miki !''{{sfn|id=picaros|group=alpha|texte=''Tintin et les Picaros''|loc={{pl.|34}}}}}} compris par Fontaine comme « Maintenant on va voir quelque chose !… Maintenant on y va !… » « Mais goutte-moi ça une fois ! »<ref>{{Lien web|auteur1=Jean-Luc|responsabilité1=webmaster|auteur2=J.-P. Fontaine|responsabilité2=trad. d’Hergé|titre=Tintin et les secrets du langage arumbaya|url=https://tintinomania.com/tintin-langage-arumbaya|site=tintinomania.com (blog)|date=20 mars 2019|consulté le=06 février 2023}}.</ref>. Frédéric Soumois remarque que, dans cette seconde apparition, l'arumbaya {{citation|s'est simplifié légèrement, « déparasité » des lettres fantaisistes d'autrefois, pour devenir une transcription à peine déformée du bruxellois}}{{sfn|Soumois|1987|p=297}}.


Ainsi dès 1937{{Note|group=note|La date de 1937 est celle de la première édition de l'album ''L’Oreille cassée''.}}, en figurant l'arumbaya, Hergé aborde en [[filigrane]] le risque de l'extinction d'une langue orale et de la culture des locuteurs. Les Arumbayas, qui, ne s’expriment et ne comprennent que l’arumbaya, ne peuvent être traduits que par Ridgewell. Or leur chef, Kaloma {{Incise|qui n'apparait pas vieux}}, détient une parcelle des éléments conduisant au fétiche. Ce problème est ultérieurement formulé à la conférence générale de l'[[Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture|Unesco]] de 1960 par la fameuse phrase d'[[Amadou Hampâté Bâ]] : {{Citation|En Afrique, quand un vieillard traditionaliste meurt, c’est une bibliothèque inexploitée qui brûle<ref>{{Chapitre|auteur1=[[Adame Ba Konaré]]|titre chapitre=Introduction générale|auteurs ouvrage= Adame Ba Konaré (dir.) {{et al.}} (préf. [[Elikia M'Bokolo]], postface [[Catherine Clément]])|titre ouvrage=Petit précis de remise à niveau sur l'histoire africaine à l'usage du président Sarkozy|lieu=Paris|éditeur=[[La Découverte]] via [[Cairn.info]]|collection=Cahiers libres|année=2008|pages totales=364|format=24 cm|isbn=978-2-7071-5871-0|doi=10.3917/dec.konar.2008.01|accès doi=inscription|lire en ligne=https://www.cairn.info/petit-precis-de-remise-a-niveau-sur-l-histoire--9782707158710-page-21.htm#no15|consulté le=3 février 2023|page début chapitre=21|passage=27 {{n.|15}}}}.</ref>.}}<ref>{{Lien web|titre=Les personnages|url=https://www.tintin.com/fr/characters/other/kaloma|site=www.tintin.com|lieu=Bruxelles|éditeur=[[Tintinimaginatio]] S.A.|consulté le=03 février 2023|page=Kaloma}}.</ref>
Ainsi dès les années 1930, en figurant l'arumbaya, Hergé aborde en [[filigrane]] le risque de l'extinction d'une langue orale et de la culture des locuteurs. Les Arumbayas, qui, ne s’expriment et ne comprennent que l’arumbaya, ne peuvent être traduits que par Ridgewell. Or leur chef, Kaloma {{Incise|qui n'apparait pas vieux}}, détient une parcelle des éléments conduisant au fétiche. Ce problème est ultérieurement formulé à la conférence générale de l'[[Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture|Unesco]] de 1960 par la fameuse phrase d'[[Amadou Hampâté Bâ]] : {{Citation|En Afrique, quand un vieillard traditionaliste meurt, c’est une bibliothèque inexploitée qui brûle<ref>{{Chapitre|auteur1=[[Adame Ba Konaré]]|titre chapitre=Introduction générale|auteurs ouvrage= Adame Ba Konaré (dir.) {{et al.}} (préf. [[Elikia M'Bokolo]], postface [[Catherine Clément]])|titre ouvrage=Petit précis de remise à niveau sur l'histoire africaine à l'usage du président Sarkozy|lieu=Paris|éditeur=[[La Découverte]] via [[Cairn.info]]|collection=Cahiers libres|année=2008|pages totales=364|format=24 cm|isbn=978-2-7071-5871-0|doi=10.3917/dec.konar.2008.01|accès doi=inscription|lire en ligne=https://www.cairn.info/petit-precis-de-remise-a-niveau-sur-l-histoire--9782707158710-page-21.htm#no15|consulté le=3 février 2023|page début chapitre=21|passage=27 {{n.|15}}}}.</ref>.}}<ref>{{Lien web|titre=Les personnages|url=https://www.tintin.com/fr/characters/other/kaloma|site=www.tintin.com|lieu=Bruxelles|éditeur=[[Tintinimaginatio]] S.A.|consulté le=03 février 2023|page=Kaloma}}.</ref>


== Analyse ==
== Analyse ==
=== Traitement des Arumbayas ===
=== Traitement des Arumbayas ===
[[Fichier:LA2-NSRW-1-0086.jpg|vignette|redresse|alt=Affiche regroupant le portrait de douze indigènes.|Représentations de peuples indigènes d'Amérique du Sud (1914).]]
[[Fichier:LA2-NSRW-1-0086.jpg|vignette|redresse|alt=Affiche regroupant le portrait de douze indigènes.|Représentations de peuples indigènes d'Amérique du Sud (1914).]]
Au premier abord, Hergé ne semble guère mieux traiter les Arumbayas que les [[San Theodoros|Santhéodoriens]] dans ''[[L'Oreille cassée]]''. Selon Marc Angenot, professeur de littérature, ils sont avant tout présentés comme des êtres {{citation|gentillets et un tant soit peu demeurés}}<ref name="angenot">{{article|auteur=[[Marc Angenot]]|titre=Basil Zaharoff et la guerre du Chaco|sous-titre=la tintinisation de la géopolitique des années 1930|périodique=[[Études françaises]]|lieu=Montréal|éditeur=[[Presses de l'Université de Montréal]]|volume=46|numéro=2|titre numéro=Hergé reporter : Tintin en contexte|année=2010|pages=47-63|lire en ligne=https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/2010-v46-n2-etudfr3908/044534ar/|consulté le=7 février 2023|doi=10.7202/044534ar}}.</ref>. L'explorateur [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|Ridgewell]], [[Paternalisme|paternaliste]], essaye en vain de leur apprendre à jouer au [[golf]], et peut déclencher la terreur de leurs voisins Bibaros par un simple tour de [[ventriloque|ventriloquie]]<ref name="angenot"/>.
Au premier abord, Hergé ne semble guère mieux traiter les Arumbayas que les [[San Theodoros|Santhéodoriens]] dans ''[[L'Oreille cassée]]''. Selon Marc Angenot, professeur de littérature, ils sont avant tout présentés comme des êtres {{citation|gentillets et un tant soit peu demeurés}}<ref name="angenot">{{article|auteur=[[Marc Angenot]]|titre=Basil Zaharoff et la guerre du Chaco|sous-titre=la tintinisation de la géopolitique des années 1930|périodique=[[Études françaises]]|lieu=Montréal|éditeur=[[Presses de l'Université de Montréal]]|volume=46|numéro=2|titre numéro=Hergé reporter : Tintin en contexte|année=2010|pages=47-63|lire en ligne=https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/2010-v46-n2-etudfr3908/044534ar/|issn=0014-2085|e-issn=1492-1405|consulté le=7 février 2023|doi=10.7202/044534ar}}.</ref>. L'explorateur [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|Ridgewell]], [[Paternalisme|paternaliste]], essaye en vain de leur apprendre à jouer au [[golf]], et peut déclencher la terreur de leurs voisins Bibaros par un simple tour de [[ventriloque|ventriloquie]]<ref name="angenot"/>.


Pour autant, les Arumbayas apparaissent comme de {{citation|bons sauvages}}, par opposition aux militaires santhéodoriens {{citation|bellicistes et corrompus}}<ref name="angenot"/>. [[Tintin]] leur rend justice en infirmant la réputation de barbarie et de férocité que leurs prêtent les riches planteurs blancs de la région<ref name="angenot"/>, et l'essayiste [[Jean-Marie Apostolidès]] affirme que ''L'Oreille cassée'' {{citation|met en place les fondements d'une anthropologie tintinienne}}. Il considère que dans cet album, [[Hergé]] prend plus de recul face aux valeurs occidentales qui marquent le début de la série, opérant ainsi ce que [[Roger Caillois]] nomme une {{citation|révolution sociologique}}{{sfn|Apostolidès|2006|p=131}}. Pierre Skilling porte le même jugement et explique que le héros de la série {{citation|franchit une nouvelle étape et devient capable de porter un regard critique sur sa propre culture}}. Il voit dans l'album un véritable éloge du {{citation|[[bon sauvage]]}}, notamment à travers le personnage de Ridgewell qui préfère partager la vie des Arumbayas, dont la société apparaît plus stable que celle moins harmonieuse incarnée par le [[général Alcazar]] et ses sujets<ref>{{Ouvrage|auteur1=Pierre Skilling|titre=Mort aux tyrans !|sous-titre=Tintin, les enfants, la politique|lieu=Québec|éditeur=[[Éditions Nota bene]]|collection=Études culturelles|année=2001|pages totales=191|format livre=23 cm|isbn=978-2-8951-8077-7|isbn10=2-8951-8077-6|consulté le=|numéro chapitre=5|titre chapitre=L'Autre semblable et la vision humaniste}}.</ref>. L'historien Philippe Marguerat dresse le même constat : il met en avant {{citation|l'approche ethnologique respectueuse}} du dessinateur dans cette aventure comme dans ''[[Le Temple du Soleil]]'', publié onze ans plus tard. Selon lui, Hergé se place du côté des {{citation|victimes de l'Histoire}}, et ces deux albums révèlent son souci de réalisme historique, en présentant d'une part les sociétés autochtones comme plus harmonieuses que celles des blancs dits civilisés, d'autre part en établissant une continuité idéologique entre la [[colonisation espagnole de l'Amérique]] et les spoliations économiques du {{s-|XX}}<ref>{{ouvrage|auteur1=[[Michel Porret]]|directeur1=oui|titre=Objectif bulles|sous-titre=Bande dessinée et histoire|lieu=Genève|éditeur=[[Georg éditeur|Georg]]|année=2009|pages totales=214}}.</ref>.
Pour autant, les Arumbayas apparaissent comme de {{citation|bons sauvages}}, par opposition aux militaires santhéodoriens {{citation|bellicistes et corrompus}}<ref name="angenot"/>. [[Tintin]] leur rend justice en infirmant la réputation de barbarie et de férocité que leurs prêtent les riches planteurs blancs de la région<ref name="angenot"/>, et l'essayiste [[Jean-Marie Apostolidès]] affirme que ''L'Oreille cassée'' {{citation|met en place les fondements d'une anthropologie tintinienne}}. Il considère que dans cet album, [[Hergé]] prend plus de recul face aux valeurs occidentales qui marquent le début de la série, opérant ainsi ce que [[Roger Caillois]] nomme une {{citation|révolution sociologique}}{{sfn|Apostolidès|2006|p=131}}. Pierre Skilling porte le même jugement et explique que le héros de la série {{citation|franchit une nouvelle étape et devient capable de porter un regard critique sur sa propre culture}}. Il voit dans l'album un véritable éloge du {{citation|[[bon sauvage]]}}, notamment à travers le personnage de Ridgewell qui préfère partager la vie des Arumbayas, dont la société apparaît plus stable que celle moins harmonieuse incarnée par le [[général Alcazar]] et ses sujets<ref>{{Ouvrage|auteur1=Pierre Skilling|titre=Mort aux tyrans !|sous-titre=Tintin, les enfants, la politique|lieu=Québec|éditeur=[[Éditions Nota bene]]|collection=Études culturelles|année=2001|pages totales=191|format livre=23 cm|isbn=978-2-8951-8077-7|isbn10=2-8951-8077-6|numéro chapitre=5|titre chapitre=L'Autre semblable et la vision humaniste}}.</ref>. L'historien Philippe Marguerat dresse le même constat : il met en avant {{citation|l'approche ethnologique respectueuse<ref name=DC>{{Article|auteur1=Danielle Corrado|titre=Michel Porret (dir.), ''Objectif bulles. Bande dessinée et histoire''|nature article=notes de lecture|périodique=[[Cahiers de civilisation espagnole contemporaine]] [en ligne]|lieu=Angers|éditeur= 3.LAM, Université d'Angers|numéro=7|mois=automne|année=2010|pages={{§|6}}|e-issn= 1957-7761|lire en ligne=https://journals.openedition.org/ccec/3546|consulté le=8 février 2023|doi=10.4000/ccec.3546}}.</ref>}} du dessinateur dans cette aventure comme dans ''[[Le Temple du Soleil]]'', publié onze ans plus tard. Selon lui, Hergé se place du côté des {{citation|victimes de l'Histoire<ref name=DC/>}}, et ces deux albums révèlent son souci de réalisme historique, en présentant d'une part les sociétés autochtones comme plus harmonieuses que celles des blancs dits civilisés, d'autre part en établissant une continuité idéologique entre la [[colonisation espagnole de l'Amérique]] et les spoliations économiques du {{s-|XX}}<ref>{{Chapitre|auteur1=Philippe Marguerat|titre chapitre=Des indiens à la guérilla|sous-titre chapitre=Tintin en Amérique latine ou la révolution intérieure|auteurs ouvrage=[[Michel Porret ]] (dir.), Viviane Alary, Alain Boillat, Danielle Chaperon, [[Frédéric Chauvaud]], Alain Corbellari, Sébastien Farré, Philippe Kaenel, Olivier Roche et Yann Schubert|titre ouvrage=Objectif bulles|sous-titre ouvrage=Bande dessinée et histoire|lieu=Genève|éditeur=[[Georg éditeur]]|collection=L'équinoxe|date=05 mai 2009|pages totales=302|format=24 cm|isbn=978-2-8257-0961-0|lire en ligne=https://libreo.ch/livres/objectifs-bulles/des-indiens-a-la-guerilla-tintin-en-amerique-latine-ou-la-revolution-interieure#tab=tab-toc|consulté le=8 février 2023|page début chapitre=233|passage=233-254}}.</ref>.


Quand les Arumbayas réapparaissent dans ''[[Tintin et les Picaros]]'', Hergé les dépeint en victimes. Dans cet album, il dénonce l'[[alcoolisme]] ravageant les [[Peuple autochtone|peuples autochtones]] en montrant les Arumbayas devenus ivrognes, victimes collatérales des largages aériens de [[Loch Lomond]] par le régime tapioquiste pour déstabiliser les partisans du général Alcazar<ref name="ArumbayasGéo"/>{{,}}{{sfn|Soumois|1987|p=297}}. Lors d'un séjour en 1971 au sein d'une tribu d'[[Oglalas]] dans la [[réserve indienne de Pine Ridge]], le dessinateur avait été choqué de découvrir un peuple, qu'il imaginait libre et fier, déshonoré et décimé par l'alcool<ref name="ArumbayasGéo"/>.
Quand les Arumbayas réapparaissent dans ''[[Tintin et les Picaros]]'', Hergé les dépeint en victimes. Dans cet album, il dénonce l'[[alcoolisme]] ravageant les [[Peuple autochtone|peuples autochtones]] en montrant les Arumbayas devenus ivrognes, victimes collatérales des largages aériens de [[Loch Lomond]] par le régime tapioquiste pour déstabiliser les partisans du général Alcazar<ref name="ArumbayasGéo"/>{{,}}{{sfn|Soumois|1987|p=297}}. Lors d'un séjour en 1971 au sein d'une tribu d'[[Oglalas]] dans la [[réserve indienne de Pine Ridge]], le dessinateur avait été choqué de découvrir un peuple, qu'il imaginait libre et fier, déshonoré et décimé par l'alcool<ref name="ArumbayasGéo"/>.


=== Le fétiche arumbaya, un élément structurant du récit ===
=== Le fétiche arumbaya, un élément structurant du récit ===
Spécialiste de l'œuvre d'[[Hergé]], [[Benoît Peeters]] souligne qu'à travers le fétiche arumbaya, le dessinateur utilise un élément récurrent suffisamment porteur pour assurer l'unité du récit dans ''[[L'Oreille cassée]]''{{sfn|Peeters|2006|p=158}}. Dès ''[[Les Cigares du pharaon]]'', le signe du pharaon Kih-Oskh pouvait prétendre à la même fonction mais son rôle demeurait secondaire derrière les nombreux rebondissements de l'intrigue et la quête des trafiquants de stupéfiants. Au contraire, le fétiche est présent du début à la fin du récit : son vol est annoncé dans la première planche et ce n'est qu'à la soixantième qu'il est retrouvé, tandis que les rebondissements du scénario y sont étroitement liés{{sfn|Peeters|2006|p=158}}. Par la suite, Hergé utilise fréquemment ce principe de « fil conducteur », qu'il s'agisse de la quête d'un objet disparu dans ''[[Le Sceptre d'Ottokar]]'' ou d'une personne chère dans ''[[Le Temple du Soleil]]'', ''[[L'Affaire Tournesol]]'' ou ''[[Tintin au Tibet]]''<ref>{{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Benoît|nom1=Peeters|lien auteur1=Benoît Peeters|titre=Le monde d'Hergé|lieu=Tournai|éditeur=[[Casterman]]|année=1984|mois=décembre|numéro d'édition=2|année première édition=1983|pages totales=320|passage=84|isbn=2-203-23124-6}}.</ref>. Ainsi le fétiche arumbaya peut être vu comme un [[MacGuffin]], comme le définit le cinéaste [[Alfred Hitchcock]], à savoir un élément poursuivi concentrant les énergies, celles des personnages aussi bien que celle du lecteur, et créant des réactions en chaîne{{sfn|Peeters|2006|p=158}}.
Spécialiste de l'œuvre d'[[Hergé]], [[Benoît Peeters]] souligne qu'à travers le fétiche arumbaya, le dessinateur utilise un élément récurrent suffisamment porteur pour assurer l'unité du récit dans ''[[L'Oreille cassée]]''{{sfn|Peeters|2006|p=158}}. Dès ''[[Les Cigares du pharaon]]'', le signe du pharaon Kih-Oskh pouvait prétendre à la même fonction mais son rôle demeurait secondaire derrière les nombreux rebondissements de l'intrigue et la quête des trafiquants de stupéfiants. Au contraire, le fétiche est présent du début à la fin du récit : son vol est annoncé dans la première planche et ce n'est qu'à la soixantième qu'il est retrouvé, tandis que les rebondissements du scénario y sont étroitement liés{{sfn|Peeters|2006|p=158}}. Par la suite, Hergé utilise fréquemment ce principe de « fil conducteur », qu'il s'agisse de la quête d'un objet disparu dans ''[[Le Sceptre d'Ottokar]]'' ou d'une personne chère dans ''[[Le Temple du Soleil]]'', ''[[L'Affaire Tournesol]]'' ou ''[[Tintin au Tibet]]''<ref>{{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Benoît|nom1=Peeters|lien auteur1=Benoît Peeters|titre=Le monde d'Hergé|lieu=Paris|éditeur=[[Casterman]]|année=1984|mois=décembre|numéro d'édition=2|année première édition=1983|pages totales=320 |partie=Créateur de 40 albums|numéro chapitre=1|titre chapitre=Les Aventures de Tintin |passage=84|isbn=2-203-23124-6}}.</ref>. Ainsi le fétiche arumbaya peut être vu comme un [[MacGuffin]], comme le définit le cinéaste [[Alfred Hitchcock]], à savoir un élément poursuivi concentrant les énergies, celles des personnages aussi bien que celle du lecteur, et créant des réactions en chaîne{{sfn|Peeters|2006|p=158}}.


[[Fichier:Tintin Oreille Cassee.jpeg|vignette|gauche|alt=Maquette d'un atelier de sculpture.|Reproduction d'un décor de l'album, où des copies du fétiche original sont fabriquées en grand nombre pour être vendues.]]
[[Fichier:Tintin Oreille Cassee.jpeg|vignette|gauche|alt=Maquette d'un atelier de sculpture.|Reproduction d'un décor de l'album, où des copies du fétiche original sont fabriquées en grand nombre pour être vendues.]]
Par ailleurs, la question du vol du fétiche suscite de nombreuses réflexions sur le plan philosophique. Cet objet sacré, transformé en marchandise et reproduit à l'infini, est alors noyé dans un océan de copies. Pour [[Benoît Peeters]], cette image fait écho à un essai du philosophe allemand [[Walter Benjamin]] paru en 1936, et donc contemporain du récit d'Hergé, ''[[L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique]]'', dans lequel le philosophe évoque la mutation radicale du statut de l'œuvre d'art engendrée par la reproduction mécanique{{sfn|Peeters|2006|p=159-160}}. Avec le développement de la [[photographie]] et du [[cinéma]], l'évolution des techniques permet de reproduire à grande échelle et avec la plus grande exactitude n'importe quel modèle, si bien qu'il devient difficile de déterminer la valeur de l'original. Walter Benjamin développe donc l'idée que la multiplication des exemplaires entraîne une déperdition de l'œuvre, un affaiblissement de son aura, voire sa disparition<ref name="philo">{{chapitre|langue=fr|titre chapitre=La reproduction|titre ouvrage=Tintin et le trésor de la philosophie|éditeur=[[Philosophie Magazine]]|année=2020|volume=Hors-série|pages totales=100|ISSN=2104-9246|passage=38-39}}.</ref>.
Par ailleurs, la question du vol du fétiche suscite de nombreuses réflexions sur le plan philosophique. Cet objet sacré, transformé en marchandise et reproduit à l'infini, est alors noyé dans un océan de copies. Pour [[Benoît Peeters]], cette image fait écho à un essai du philosophe allemand [[Walter Benjamin]] paru en 1936, et donc contemporain du récit d'Hergé, ''[[L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique]]'', dans lequel le philosophe évoque la mutation radicale du statut de l'œuvre d'art engendrée par la reproduction mécanique{{sfn|Peeters|2006|p=159-160}}. Avec le développement de la [[photographie]] et du [[cinéma]], l'évolution des techniques permet de reproduire à grande échelle et avec la plus grande exactitude n'importe quel modèle, si bien qu'il devient difficile de déterminer la valeur de l'original. Walter Benjamin développe donc l'idée que la multiplication des exemplaires entraîne une déperdition de l'œuvre, un affaiblissement de son aura, voire sa disparition<ref name="philo">{{Chapitre|titre chapitre=La reproduction|sous-titre chapitre=Walter Benjamin|auteurs ouvrage=[[Sven Ortoli]] (réd. en chef), [[Jean-Luc Marion]], [[Raphaël Enthoven]], [[Isabelle Sorente]], Laurence Devillairs, [[Felwine Sarr]], Marion Garcia, Alexis Lavis {{et al.}}|titre ouvrage=Tintin et le trésor de la philosophie Hergé|lieu=Paris|éditeur=Philo Éditions et [[Éditions Moulinsart]]|nature ouvrage=livre reprenant ''Tintin et le trésor de la philosophie Hergé'', [[Philosophie Magazine|Philosophie Magazine hors-série]], {{n°|45}}, {{date-|hiver 2020}}|année=2020|pages totales=100|format=31 cm|isbn=978-3-7817-8920-3|isbn2=3-7817-8920-9|e-issn=2259-7336|oclc=1241073933|partie=Métaphysique : le vrai, le réel, et le double|page début chapitre=38|passage=38-39}}.</ref>.


Le collectionneur américain [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|Samuel Goldwood]], qui fait l'acquisition du fétiche volé, semble incarner {{citation|celui qui veut changer le bois en or, c'est-à-dire tenter de restaurer nostalgiquement l'aura, en une étrange opération alchimique}}, dans la mesure où, en [[anglais]], ''{{langue|en|gold}}'' signifie « or » et ''{{langue|en|wood}}'' signifie « bois »{{sfn|Peeters|2006|p=159-160}}. En définitive, dès lors que la reproduction menace le statut de l'œuvre originale et authentique, la présence du diamant en son sein peut être interprétée comme le symbole d'un trésor qui résiste à la duplication<ref name="philo"/>.
Le collectionneur américain [[Liste des personnages des Aventures de Tintin|Samuel Goldwood]], qui fait l'acquisition du fétiche volé, semble incarner {{citation|celui qui veut changer le bois en or, c'est-à-dire tenter de restaurer nostalgiquement l'aura, en une étrange opération alchimique}}, dans la mesure où, en [[anglais]], ''{{langue|en|gold}}'' signifie « or » et ''{{langue|en|wood}}'' signifie « bois »{{sfn|Peeters|2006|p=159-160}}. En définitive, dès lors que la reproduction menace le statut de l'œuvre originale et authentique, la présence du diamant en son sein peut être interprétée comme le symbole d'un trésor qui résiste à la duplication<ref name="philo"/>.
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== Bibliographie ==
== Bibliographie ==
=== Albums des ''Aventures de Tintin'' ===
=== Albums des ''Aventures de Tintin'' ===
* {{Ouvrage|auteur1=[[Hergé]]|titre=L'Oreille cassée|lieu=Tournai|éditeur=[[Casterman]]|année=1943|pages totales=64|isbn=978-2-2030-0105-3|id=oreille|présentation en ligne=https://www.casterman.com/Bande-dessinee/Catalogue/les-aventures-de-tintin-les-albums-de-tintin/l-oreille-cassee}}.
* {{Ouvrage|auteur1=[[Hergé]]|titre=L'Oreille cassée|lieu=Tournai|éditeur=[[Casterman]]|année=1943|pages totales=64|isbn=978-2-203-00105-3|présentation en ligne=https://www.casterman.com/Bande-dessinee/Catalogue/les-aventures-de-tintin-les-albums-de-tintin/l-oreille-cassee|id=oreille}}.
* {{Ouvrage|auteur1=[[Hergé]]|titre=Tintin et les Picaros|lieu=Tournai|éditeur=[[Casterman]]|année=1976|pages totales=64|isbn=978-22030-0123-7|id=picaros|présentation en ligne=https://www.casterman.com/Bande-dessinee/Catalogue/les-aventures-de-tintin-les-albums-de-tintin/tintin-et-les-picaros}}.
* {{Ouvrage|auteur1=[[Hergé]]|titre=Tintin et les Picaros|lieu=Tournai|éditeur=[[Casterman]]|année=1976|pages totales=64|isbn=978-2-203-00123-7|présentation en ligne=https://www.casterman.com/Bande-dessinee/Catalogue/les-aventures-de-tintin-les-albums-de-tintin/tintin-et-les-picaros|id=picaros}}.


=== Autres ouvrages ===
=== Autres ouvrages ===
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Jean-Marie|nom1=Apostolidès|lien auteur1=Jean-Marie Apostolidès|titre=Les métamorphoses de Tintin|lieu=Paris|éditeur=[[Groupe Flammarion|Flammarion]]|collection=Champs|année=2006|année première édition=1984|pages totales=435|isbn=978-2-0812-4907-3|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Jean-Marie|nom1=Apostolidès|lien auteur1=Jean-Marie Apostolidès|titre=Les métamorphoses de Tintin|lieu=Paris|éditeur=[[Groupe Flammarion|Flammarion]]|collection=Champs|année=2006|année première édition=1984|pages totales=435|format livre=18 cm|isbn=978-2-08-124907-3|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Collectif|titre=Le rire de Tintin|sous-titre=Les secrets du génie comique d'Hergé|lieu=Paris ; Issy-les-Moulineaux|éditeur=[[L'Express]] ; [[Beaux Arts Magazine]]|année=2014|pages totales=136|format=30 cm|ISSN=0014-5270|id=Rire}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Collectif|titre=Le rire de Tintin|sous-titre=Les secrets du génie comique d'Hergé|lieu=Paris ; Issy-les-Moulineaux|éditeur=[[L'Express]] ; [[Beaux Arts Magazine]]|année=2014|pages totales=136|format livre=30 cm|isbn=978-2-212-55934-7|id=Rire}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Jean-Jacques|nom1=De Gheyndt|titre=''Eï ben ek - Eï blaaiv ek !''|sous-titre=bruxellois - syldave - arumbaya|traduction titre=J’y suis, j’y reste ! : bruxellois - syldave – arumbaya|nature ouvrage=dictionnaire français - bruxellois - arumbaya, consacré au vocabulaire de Tintin|lieu=Bruxelles|éditeur=Bernardiennes (Cercle d'histoire de Bruxelles)|année=2018|pages totales=216|format livre=21 cm|isbn=978-2-930738-58-1|isbn10=2-9307-3858-8|oclc=1281817345|présentation en ligne=https://www.cehibrux.be/chroniques/visites-conferences-livres/431-ei-ben-ek-ei-blaaiv-ek-le-bruxellois-chez-tintin|consulté le=}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Jean-Jacques|nom1=De Gheyndt|titre=''Eï ben ek - Eï blaaiv ek !''|sous-titre=bruxellois - syldave - arumbaya|traduction titre=J’y suis, j’y reste ! : bruxellois - syldave – arumbaya|nature ouvrage=dictionnaire français - bruxellois - arumbaya, consacré au vocabulaire de Tintin|lieu=Bruxelles|éditeur=Bernardiennes (Cercle d'histoire de Bruxelles)|année=2018|pages totales=216|format livre=21 cm|isbn=978-2-930738-58-1|isbn10=2-9307-3858-8|oclc=1281817345|présentation en ligne=https://www.cehibrux.be/chroniques/visites-conferences-livres/431-ei-ben-ek-ei-blaaiv-ek-le-bruxellois-chez-tintin}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Cyrille|nom1=Mozgovine|préface=[[Albert Algoud]]|titre=De Abdallah à Zorrino|sous-titre=Dictionnaire des noms propres de Tintin|lieu=Tournai|éditeur=[[Casterman]]|collection=Bibliothèque de Moulinsart|année=1992|pages totales=286|isbn=2-203-01711-2|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Cyrille|nom1=Mozgovine|préface=[[Albert Algoud]]|titre=De Abdallah à Zorrino|sous-titre=Dictionnaire des noms propres de Tintin|lieu=Paris|éditeur=[[Casterman]]|collection=Bibliothèque de Moulinsart|année=1992|pages totales=286|format livre=27 cm|isbn=2-203-01711-2|plume=oui}}
* {{Ouvrage|prénom1=Benoît|nom1=Peeters|lien auteur1=Benoît Peeters|titre=Hergé, fils de Tintin|lieu=Paris|éditeur=[[Groupe Flammarion|Flammarion]]|collection=Champs biographie|année=2006|pages totales=629|isbn=978-20812-6789-3|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Benoît|nom1=Peeters|lien auteur1=Benoît Peeters|titre=Hergé, fils de Tintin|lieu=Paris|éditeur=[[Groupe Flammarion|Flammarion]]|collection=Champs biographie|année=2006|pages totales=629|format livre=18 cm|isbn=978-2-08-126789-3|plume=oui}}
* {{Ouvrage|prénom1=Frédéric|nom1=Soumois|titre=Dossier Tintin|sous-titre=Sources, Versions, Thèmes, Structures|lieu=Bruxelles|éditeur=[[Jacques Antoine (éditeur)|Jacques Antoine]]|année=1987|pages totales=316|isbn=2-87191-009-X|sudoc=005927749|plume=oui}}
* {{Ouvrage|prénom1=Frédéric|nom1=Soumois|titre=Dossier Tintin|sous-titre=Sources, Versions, Thèmes, Structures|lieu=Bruxelles|éditeur=[[Jacques Antoine (éditeur)|Jacques Antoine]]|année=1987|pages totales=316|format livre=24 cm|isbn=2-87191-009-X|sudoc=005927749|plume=oui}}


=== Liens externes ===
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[[Catégorie:Personnage de Tintin]]
[[Catégorie:Personnage de Tintin]]

Dernière version du 6 avril 2023 à 17:53

Les Arumbayas sont une tribu amérindienne fictive créée par Hergé dans Les Aventures de Tintin. Ils apparaissent dans L'Oreille cassée, la cinquième aventure de la série, puis dans Tintin et les Picaros, le dernier album achevé par le dessinateur.

Les Arumbayas habitent dans la jungle de l'État, fictif lui aussi, du San Theodoros, le long du fleuve Badurayal. Réputés pour leur férocité, ils se montrent plutôt accueillants envers Tintin, notamment par l'intermédiaire de Ridgewell, un explorateur britannique retiré du monde pour vivre à leurs côtés.

Le vol du fétiche arumbaya, conservé au musée ethnographique de Bruxelles, est au cœur de l'intrigue de L'Oreille cassée, et permet à l'auteur de développer de nombreux thèmes, comme la perte de valeur d'une œuvre d'art à travers sa reproductibilité, tout en structurant le récit. À travers les Arumbayas, Hergé fait preuve d'humanisme en présentant les sociétés autochtones comme plus harmonieuses que celles des blancs dits civilisés, tout en dénonçant leur spoliation par les colons européens.

Les Arumbayas dans l'œuvre d'Hergé

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Présentation

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Drapeau constitué de deux bandes horizontales, l'une verte (en haut), l'autre noire. Au centre, un cercle rouge entoure un disque noir.
Le drapeau du San Theodoros.

La tribu des Arumbayas vit le long du fleuve Badurayal, sur le territoire du San Theodoros, un État imaginaire d'Amérique du Sud[a]. Pour trouver des informations sur cette tribu, Tintin tire de sa bibliothèque l'ouvrage d'un certain Ch. J. Walker, intitulé Voyage aux Amériques, paru chez Graveau en 1875. Dans ce livre, lui aussi fictif, l'auteur indique que les Arumbayas portent de longs cheveux noirs et huilés qui encadrent « leur face cuivrée ». Pour chasser, ils utilisent des fléchettes empoisonnées au curare qu'ils propulsent à l'aide d'une sarbacane[b].

Photographie montrant un indigène soufflant dans une sarbacane, vu de profil.
Démonstration de sarbacane au Pérou.

Les Arumbayas sont réputés pour être l'un des plus féroces peuples indigènes d'Amérique du Sud[c]. Leur territoire, difficilement accessible, est situé dans la jungle amazonienne[d]. Ils sont les ennemis des Bibaros, un peuple de réducteurs de tête[e].

Un explorateur britannique, Ridgewell, s'est retiré de la civilisation et vit parmi les Arumbayas, ayant adopté leurs coutumes[1]. Deux membres de la tribu sont explicitement nommés, le chef Kaloma[2], et un certain Bikoulou[3]. Le « stoumpô », un plat très épicé, fait partie de leur nourriture traditionnelle[f].

Apparitions dans les albums

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Statue en bois.
Statue chimú très semblable au fétiche arumbaya de L'Oreille cassée.

Dans L'Oreille cassée, un fétiche arumbaya exposé au musée ethnographique de Bruxelles disparaît, remplacé par une copie[g],[note 1]. Tintin mène son enquête et les différentes péripéties le conduisent au San Theodoros[i], où l'agitation politique du pays le contraint à se réfugier dans la jungle[j]. Il y rencontre Ridgewell, un explorateur anglais que tout le monde croit mort et qui ne veut plus retrouver la civilisation, heureux de vivre aux côtés des Arumbayas. Il introduit Tintin auprès de la tribu, et ce dernier apprend que le fétiche volé contient un diamant dérobé aux autochtones. Le héros retourne en Europe et poursuit son enquête[k].

Photographie d'une bouteille de whisky posée sur une table en plein air.
Une bouteille de whisky.

Dans Tintin et les Picaros, les évènements le conduisent de nouveau dans la jungle san-théodorienne, cette fois-ci avec le capitaine Haddock, le professeur Tournesol et le général Alcazar, ce dernier les menant à la rencontre des Picaros, les membres de son armée révolutionnaire[l],[note 2].

Avant d'atteindre le camp des Picaros, le groupe doit traverser le territoire des Arumbayas. Tintin retrouve Ridgewell et les membres de la tribu, et découvre, au grand dam de l'explorateur, que les Arumbayas sont alors les victimes collatérales des largages de cargaisons de whisky opérés par le général Tapioca. Ce dernier, grand rival d'Alcazar, nourrit l'alcoolisme des Picaros pour les rendre inoffensifs[n]. Après avoir partagé un repas avec la tribu, le groupe reprend sa route. C'est notamment lors de ce dîner avec la tribu que le professeur Tournesol essaie en secret le médicament de son invention rendant intolérant à l'alcool, avec succès[n].

Inspirations

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Culture, physique et traditions

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Photographie en noir et blanc d'un homme portant un chapeau et tenant un porte-cigarette en bouche.
L'explorateur Percy Fawcett (ici en 1911) inspire le personnage de Ridgewell.

Dans sa conception du San Theodoros, Hergé mêle différentes inspirations parfois contradictoires provenant de toute l'Amérique du Sud. Le fétiche arumbaya reprend en grande partie la forme d'une statuette chimú (civilisation précolombienne, installée sur la côté nord du Pérou) exposée au musée du Cinquantenaire de Bruxelles[4],[5],[6]. Frédéric Soumois, spécialiste de l'univers de Tintin, indique que le dessinateur s'est inspiré d'un ouvrage paru en 1938 de Matthew Stirling, Historical and Ethnographical Material on the Jivaro Indians, traitant du peuple des Jivaros, vivant dans les forêts de la haute Amazonie, pour dessiner ses Arumbayas et leurs sarbacanes[7].

Photographie d'une tête réduite exposée dans un musée
Une tête réduite des Jivaros.

L'explorateur Ridgewell, qui manie lui aussi cet instrument à la perfection, évoque le véritable explorateur britannique Percy Fawcett, probablement mort en 1925 à la recherche d'une cité perdue dans la forêt amazonienne[8],[9]. Les Jivaros inspirent également le nom de la tribu rivale des Arumbayas, celle des Bibaros, réducteurs de têtes[7].

Pour Tintin et les Picaros, Hergé s'appuie notamment sur des photographies publiées par National Geographic de huttes indiennes au Venezuela afin de dessiner l'habitat des Arumbayas, et d'autres de femmes indiennes préparant le repas dans un grand chaudron[10]. Dans cet album, les Arumbayas sont devenus ivrognes à cause des largages aériens de Loch Lomond par le régime tapioquiste[10],[11]. La volonté d'Hergé de dénoncer l'alcoolisme ravageant certains peuples autochtones vient de son séjour décevant en 1971 au sein d'une tribu d'Oglalas, dans la réserve indienne de Pine Ridge aux États-Unis, un peuple décimé par l'alcool[10].

Photographie d'une plaque de rue sur fond bleu et blanc, apposée sur un mur.
Plaque de rue en français et néerlandais (en bleu) et en bruxellois (en blanc).

Hergé crée la langue arumbaya à partir du marollien[note 3], un dialecte bruxellois qu'il connaît bien[13],[14],[10],[15]. Bien que francophone, il a grandi dans un milieu linguistique non homogène et ce dialecte parlé par sa grand-mère l'a durablement marqué[15],[16]. Hergé s'est ensuite aussi amusé à fonder la langue syldave sur ce dialecte pour Le Sceptre d'Ottokar[15],[11]. Dans L'Oreille cassée, les Arumbayas s'expriment dans leur langue lorsqu'ils dialoguent avec Tintin, qui ne les comprend pas, mais les discussions entre membres de la tribu sont retranscrites en français par Hergé pour en faciliter la compréhension au lecteur[17].

Le dessinateur offre ainsi quelques jeux de mots aux locuteurs ou connaisseurs de ce dialecte. La formule de politesse « Karah bistoup ![o] » cache à peine le terme « carabistouille »[15],[note 4]. L'expression « stoum érikos ![o] » dissimule le mot « sto(e)mmerik » qui signifie « imbécile »[15]. Si ceci fait l'unanimité, les difficultés de traduction subsistent et au moins quatre auteurs proposent des versions parfois différentes[18],[19],[12]. Docteur ès-sciences à l'Université libre de Bruxelles, Jean-Jacques De Gheyndt reprend ces traductions et expose sa version. Dans L'Oreille Cassée, il s'attache au mot « pikuri », cité lorsque Ridgewell présente Tintin au chef Kaloma. Tandis que Frédéric Soumois le traduit simplement par « piqûre », dans la mesure où le diamant contenu dans le fétiche est censé protéger contre les morsures de serpent[12], De Gheyndt propose une interprétation basée sur le dialecte bruxellois, de pikke qui signifie « voler, dérober », et oeir qui signifie « oreille ». Pour cet auteur, « pikuri » peut donc se traduire par « oreille volée », car pour les Arumbayas, « le vol du fétiche est plus important que son état physique »[12]. Ainsi, il traduit l'expression « Tintin zouka da pikuri. Wetche douvanèt ?[o] » par « Tintin cherche l’oreille cassée. Que sais-tu à ce sujet ? » Dans la réponse figure « Pikuri toht narobo wa Walker[o] » que le même auteur traduit par « Ils savent que l’oreille cassée, jusqu’à maintenant volée, fut offerte à Walker ». Plus loin figure le terme « albabas[o] » pour lequel il retient « ces diables de Blancs »[12].

Dans Tintin et les Picaros, Hergé continue d'élaborer la langue arumbaya sur ce modèle. Par exemple, alors que le professeur Tournesol se fait dépouiller de ses vêtements incongrus pour les Arumbayas ceux-ci s'exclament « Zedaniki !…[p] » ce que Fontaine traduit par « Regarde-moi ça ! », ce n'est que l'intervention de Ridgewell « Wadesmadana ?…[p] » « C'est quoi ce bazar ?… » qui selon De Gheyndt met un terme à la situation[20]. Plus tard, Kaloma fait goûter un plat et s'enquiert « Wa païsde douvan ?[q] » ainsi traduit par Fontaine « Qu’est-ce t’en penses ? ». De même quand il s'adresse à Tintin « Fretmô… Fretmô…[q] » « Mangez… mangez… » Quant au stoumpô cuisiné par les Arumbayas, il tire son nom du stoemp, un plat de Bruxelles[21]. Suit une boisson annoncée par « Opa ! Opa ! » signifiant selon Fontaine « à la tienne ! », puis s'engage un dialogue entre Kaloma « Nagoum wazenh !… Yommo !… Nagoum ennegang !… » et Ridgewell méfiant « Mô preufh mô miki ![q] » compris par Fontaine comme « Maintenant on va voir quelque chose !… Maintenant on y va !… » « Mais goutte-moi ça une fois ! »[22]. Frédéric Soumois remarque que, dans cette seconde apparition, l'arumbaya « s'est simplifié légèrement, « déparasité » des lettres fantaisistes d'autrefois, pour devenir une transcription à peine déformée du bruxellois »[11].

Ainsi dès les années 1930, en figurant l'arumbaya, Hergé aborde en filigrane le risque de l'extinction d'une langue orale et de la culture des locuteurs. Les Arumbayas, qui, ne s’expriment et ne comprennent que l’arumbaya, ne peuvent être traduits que par Ridgewell. Or leur chef, Kaloma — qui n'apparait pas vieux —, détient une parcelle des éléments conduisant au fétiche. Ce problème est ultérieurement formulé à la conférence générale de l'Unesco de 1960 par la fameuse phrase d'Amadou Hampâté Bâ : « En Afrique, quand un vieillard traditionaliste meurt, c’est une bibliothèque inexploitée qui brûle[23]. »[24]

Traitement des Arumbayas

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Affiche regroupant le portrait de douze indigènes.
Représentations de peuples indigènes d'Amérique du Sud (1914).

Au premier abord, Hergé ne semble guère mieux traiter les Arumbayas que les Santhéodoriens dans L'Oreille cassée. Selon Marc Angenot, professeur de littérature, ils sont avant tout présentés comme des êtres « gentillets et un tant soit peu demeurés »[8]. L'explorateur Ridgewell, paternaliste, essaye en vain de leur apprendre à jouer au golf, et peut déclencher la terreur de leurs voisins Bibaros par un simple tour de ventriloquie[8].

Pour autant, les Arumbayas apparaissent comme de « bons sauvages », par opposition aux militaires santhéodoriens « bellicistes et corrompus »[8]. Tintin leur rend justice en infirmant la réputation de barbarie et de férocité que leurs prêtent les riches planteurs blancs de la région[8], et l'essayiste Jean-Marie Apostolidès affirme que L'Oreille cassée « met en place les fondements d'une anthropologie tintinienne ». Il considère que dans cet album, Hergé prend plus de recul face aux valeurs occidentales qui marquent le début de la série, opérant ainsi ce que Roger Caillois nomme une « révolution sociologique »[25]. Pierre Skilling porte le même jugement et explique que le héros de la série « franchit une nouvelle étape et devient capable de porter un regard critique sur sa propre culture ». Il voit dans l'album un véritable éloge du « bon sauvage », notamment à travers le personnage de Ridgewell qui préfère partager la vie des Arumbayas, dont la société apparaît plus stable que celle moins harmonieuse incarnée par le général Alcazar et ses sujets[26]. L'historien Philippe Marguerat dresse le même constat : il met en avant « l'approche ethnologique respectueuse[27] » du dessinateur dans cette aventure comme dans Le Temple du Soleil, publié onze ans plus tard. Selon lui, Hergé se place du côté des « victimes de l'Histoire[27] », et ces deux albums révèlent son souci de réalisme historique, en présentant d'une part les sociétés autochtones comme plus harmonieuses que celles des blancs dits civilisés, d'autre part en établissant une continuité idéologique entre la colonisation espagnole de l'Amérique et les spoliations économiques du XXe siècle[28].

Quand les Arumbayas réapparaissent dans Tintin et les Picaros, Hergé les dépeint en victimes. Dans cet album, il dénonce l'alcoolisme ravageant les peuples autochtones en montrant les Arumbayas devenus ivrognes, victimes collatérales des largages aériens de Loch Lomond par le régime tapioquiste pour déstabiliser les partisans du général Alcazar[10],[11]. Lors d'un séjour en 1971 au sein d'une tribu d'Oglalas dans la réserve indienne de Pine Ridge, le dessinateur avait été choqué de découvrir un peuple, qu'il imaginait libre et fier, déshonoré et décimé par l'alcool[10].

Le fétiche arumbaya, un élément structurant du récit

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Spécialiste de l'œuvre d'Hergé, Benoît Peeters souligne qu'à travers le fétiche arumbaya, le dessinateur utilise un élément récurrent suffisamment porteur pour assurer l'unité du récit dans L'Oreille cassée[29]. Dès Les Cigares du pharaon, le signe du pharaon Kih-Oskh pouvait prétendre à la même fonction mais son rôle demeurait secondaire derrière les nombreux rebondissements de l'intrigue et la quête des trafiquants de stupéfiants. Au contraire, le fétiche est présent du début à la fin du récit : son vol est annoncé dans la première planche et ce n'est qu'à la soixantième qu'il est retrouvé, tandis que les rebondissements du scénario y sont étroitement liés[29]. Par la suite, Hergé utilise fréquemment ce principe de « fil conducteur », qu'il s'agisse de la quête d'un objet disparu dans Le Sceptre d'Ottokar ou d'une personne chère dans Le Temple du Soleil, L'Affaire Tournesol ou Tintin au Tibet[30]. Ainsi le fétiche arumbaya peut être vu comme un MacGuffin, comme le définit le cinéaste Alfred Hitchcock, à savoir un élément poursuivi concentrant les énergies, celles des personnages aussi bien que celle du lecteur, et créant des réactions en chaîne[29].

Maquette d'un atelier de sculpture.
Reproduction d'un décor de l'album, où des copies du fétiche original sont fabriquées en grand nombre pour être vendues.

Par ailleurs, la question du vol du fétiche suscite de nombreuses réflexions sur le plan philosophique. Cet objet sacré, transformé en marchandise et reproduit à l'infini, est alors noyé dans un océan de copies. Pour Benoît Peeters, cette image fait écho à un essai du philosophe allemand Walter Benjamin paru en 1936, et donc contemporain du récit d'Hergé, L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, dans lequel le philosophe évoque la mutation radicale du statut de l'œuvre d'art engendrée par la reproduction mécanique[31]. Avec le développement de la photographie et du cinéma, l'évolution des techniques permet de reproduire à grande échelle et avec la plus grande exactitude n'importe quel modèle, si bien qu'il devient difficile de déterminer la valeur de l'original. Walter Benjamin développe donc l'idée que la multiplication des exemplaires entraîne une déperdition de l'œuvre, un affaiblissement de son aura, voire sa disparition[32].

Le collectionneur américain Samuel Goldwood, qui fait l'acquisition du fétiche volé, semble incarner « celui qui veut changer le bois en or, c'est-à-dire tenter de restaurer nostalgiquement l'aura, en une étrange opération alchimique », dans la mesure où, en anglais, gold signifie « or » et wood signifie « bois »[31]. En définitive, dès lors que la reproduction menace le statut de l'œuvre originale et authentique, la présence du diamant en son sein peut être interprétée comme le symbole d'un trésor qui résiste à la duplication[32].

La quête de cet objet relève également du fétichisme. Pour les Arumbayas d'abord, la statuette est un objet unique qui possède une valeur sacrée, presque magique. Les bandits qui veulent s'en emparer font preuve d'un fétichisme marchand et s'intéressent plutôt à la valeur d'échange de l'objet qu'à sa valeur religieuse, tandis que le collectionneur Samuel Goldwood est lui aussi un fétichiste dans la mesure où il accorde une valeur abstraite et en dehors de toute utilité au fétiche[33].

Les Arumbayas dans la culture

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En 2011, dans le cadre du festival Europalia qui célèbre cette année-là le Brésil, le Musée Hergé organise une exposition en partenariat avec les Musées royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles qui propose une découverte des Arumbayas. Des pièces originales, comme la statuette chimú ayant inspiré le fétiche, et des œuvres d'art amazonien sont présentées à côté des planches de l'album L'Oreille cassée[34].

Notes et références

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  1. Les Arumbayas sous-tendent toute l'intrigue de L’Oreille cassée, mais ils n’apparaissent que sur trois planches[h].
  2. Dans Tintin et les Picaros, ce n’est que sur quatre planches que figurent les Arumbayas qui l’accueillent[m].
  3. Hergé, pour la construction de l’arumbaya, utilise précisément le brussels vloms variante du brabançon qui est le dialecte flamand de Bruxelles[12].
  4. En 1937, dans la version originale noire et blanche, la transparence est encore plus grande : en rencontrant Tintin, Kaloma, le chef Arumbaya, adresse un « Karah bistouï » à Tintin.

Références

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  • Renvois aux albums :
  1. L'Oreille cassée, pl. 1.
  2. L'Oreille cassée, pl. 2.
  3. L'Oreille cassée, pl. 45.
  4. L'Oreille cassée, pl. 46-47.
  5. L'Oreille cassée, pl. 49-50.
  6. L'Oreille cassée, pl. 34.
  7. L'Oreille cassée, pl. 1-3.
  8. L'Oreille cassée, pl. 50-52.
  9. L'Oreille cassée, pl. 12.
  10. L'Oreille cassée, pl. 20-45.
  11. L'Oreille cassée, pl. 48-53.
  12. Tintin et les Picaros, pl. 27.
  13. Tintin et les Picaros, pl. 32-35.
  14. a et b Tintin et les Picaros, pl. 47-53.
  15. a b c d et e L'Oreille cassée, pl. 52.
  16. a et b Tintin et les Picaros, pl. 32.
  17. a b et c Tintin et les Picaros, pl. 34.
  • Autres références :
  1. Mozgovine 1992, p. 186.
  2. Mozgovine 1992, p. 128.
  3. Mozgovine 1992, p. 34.
  4. Michel Baudson (dir.), Hergé, Pierre Sterckx et Henri Van Lier, Le musée imaginaire de Tintin (publié pour la première fois à l'occasion de l'exposition itinérante organisée par la Société des expositions du Palais des beaux-arts de Bruxelles, Bruxelles, -), Paris, Casterman, , 48 p., 31 cm (ISBN 2-203-00401-0, lire en ligne [PDF]), « Tintin, trait pour trait », p. 33.
  5. Soumois 1987, p. 98.
  6. Frédéric Brillet, « Amérique latine : un continent en réduction », dans Collectif, Tintin : Les arts et les civilisations vus par le héros d'Hergé, Paris ; Bruxelles, Geo, Éditions Moulinsart (no (également) Geo hors série), , 160 p., 32 cm (ISBN 978-2-8104-1564-9, OCLC 941803774), p. 108-115.
  7. a et b Catherine Delesse, « Le vrai-faux réel dans la bande dessinée : la presse et autres médias dans Tintin », Palimpsestes [Online], no 24 « Le réel en traduction : greffage, traces, mémoires »,‎ , p. 103-118 (e-ISSN 2109-943X, lire en ligne).
  8. a b c d et e Marc Angenot, « Basil Zaharoff et la guerre du Chaco : la tintinisation de la géopolitique des années 1930 », Études françaises, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, vol. 46, no 2 « Hergé reporter : Tintin en contexte »,‎ , p. 47-63 (ISSN 0014-2085, e-ISSN 1492-1405, DOI 10.7202/044534ar, lire en ligne, consulté le ).
  9. Guillaume Dorison (scénario), Alessandro Bocci (dessin), Marc Sintes-Makma (couleur) et Christian Clot (concept général), Fawcett : les cités perdues d'Amazonie, Grenoble, Glénat, coll. « Explora », , 47-[8], 32 cm (ISBN 978-2-331-00105-5).
  10. a b c d e et f Valérie Kubiak et Jean-Yves Durand, « Sauvages mais égaux à l'homme blanc », Geo, no Geo hors-série « Tintin : les peuples du monde vus par le héros d'Hergé… et leur réalité aujourd'hui »,‎ , p. 74-76
  11. a b c et d Soumois 1987, p. 297.
  12. a b c d et e Jean-Jacques De Gheyndt, « Eï ben ek - Eï blaaiv ek ! Le bruxellois chez Tintin » [« J'y suis, j'y reste ! Le bruxellois chez Tintin »], site : Pour la Science et pour la Zwanze, sur www.science-zwanze.be (consulté le ), L'arumbaya : Pikuri toht narobo wa Walker.
  13. Jan Baetens, Hergé écrivain, Paris, Flammarion, , 224 p. (ISBN 978-2-0812-4615-7), chap. 1 (« Tintin et les langues étrangères »), p. 19-22.
  14. Daniel Couvreur, Parlez-vous l'arumbaya ou le syldave (à la mode bruxelloise) ?, in Le rire de Tintin, p. 100-101.
  15. a b c d et e Rainier Grutman, « « Eih bennek, eih blavek » : l'inscription du bruxellois dans Le sceptre d'Ottokar » [« J'y suis, j'y reste : l'inscription du bruxellois dans Le sceptre d'Ottokar »], Études françaises, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, vol. 46, no 2 « Hergé reporter : Tintin en contexte »,‎ , p. 83-99 (ISSN 0014-2085, e-ISSN 1492-1405, DOI 10.7202/044536ar, lire en ligne [PDF], consulté le ).
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  20. De Gheyndt 2018, quatrième de couverture.
  21. Soumois 1987, p. 298.
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  28. Philippe Marguerat, « Des indiens à la guérilla : Tintin en Amérique latine ou la révolution intérieure », dans Michel Porret (dir.), Viviane Alary, Alain Boillat, Danielle Chaperon, Frédéric Chauvaud, Alain Corbellari, Sébastien Farré, Philippe Kaenel, Olivier Roche et Yann Schubert, Objectif bulles : Bande dessinée et histoire, Genève, Georg éditeur, coll. « L'équinoxe », , 302 p., 24 cm (ISBN 978-2-8257-0961-0, lire en ligne), p. 233-254.
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  31. a et b Peeters 2006, p. 159-160.
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  33. Apostolidès 2006, p. 138-140.
  34. « Tintin et Milou chez les Arumbayas », sur tintin.com, (consulté le ).

Bibliographie

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Albums des Aventures de Tintin

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Autres ouvrages

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Liens externes

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