Membre d’une frérie. Outre son acception ordinaire, le mot frère a conservé, en Normandie, celle que nous venons d’indiquer. Il est possible que le nom Frère se rattache aussi bien à l’une qu’à l’autre; mais il suffit qu’il puisse se lier à celle que nous proposons concurremment, pour qu' il y ait lieu d’expliquer ici cette dernière acception. On donne en Normandie le nom de fréries ou de charités à des confréries établies pour rendre les derniers devoirs aux morts. Ces corporations d’origine fort ancienne («L’origine des Charités, dit M. Delisle, dans l'Agric. en Norm. au moy. âge, p. 732, doit remonter au moins au XIIe siècle, époque où nous trouvons au Roncerei, à St-Pierre-du-Breuil, à Grandchamp et au Sap, des confréries de cette espèce, dont les membres étaient en communion de prières avec les moines de St-Evroul.» De son côté, M. Sainte-Marie Mevil, dans l’intéressante notice qu’il a publiée sur les Charles de la Charité de N.-D. de ta Couture, de Bernay (Eure) (Biblioth. de l’Ec. des Ch., 4e sér., t. I), écrit: « L’origine des Charités est à peu près inconnue. Quelques-unes prétendent remonter à une très-haute antiquité, et, si nous en croyons la tradition, l’une d’elles, la Charité de Saint-Martin de Landepereuse (arrondissement de Bernay), aurait été fondée en mars 1080, par les sires de Thevray.»"), sont encore en plein exercice dans tout le Lieuvin. Chacune a ses statuts particuliers, ses priviléges, ses insignes, sa bannière, et souvent la disposition exclusive d’une chapelle dans l’église. Les charités se composent généralement de quatorze frères: un échevin, un prévôt et douze servants; elles ont en outre pour auxiliaires un clerc et un crieur. Dans quelques paroisses, après l’inhumation, elles célèbrent auprès de la fosse et sans le concours du clergé, certaines cérémonies traditionnelles, accompagnées de chants religieux. En bas-lat. frateriæ et caritates.

"Nobis fuit humiliter supplicatum, quod eisdem concedere dignaremur, ut quosdam redditus dudum quibusdam caritatibus seu confrateriis, quæ in dicta villa fiebant, debitos tenere possent. Charte de Phil.-le-Bel, de 1312.

"Cy ensuivent les estatuts et ordonnances à la confrarie et carité ordonnée et establie eo l’eglise de Nostre Dame de la Coulture de Bernay, en l’honneur de la glorieuse vierge Marie et de la benoite Trinité, par le Prevost, esquevin, serviteurs et freres d’icelle carité." Préambule des Stat. de la Char. de N. D. de Cout. de Bernay, du 12 août 1406, publiés par M. Sainte-Marie Mevil, loc. cit.

"Tous les obits, renies de messes, de luminaires de fraternitez ou confreries furent vendus aux uns et aux autres, par le prix de 16 escuz le quartier de froment." S. de Carteret, Chron. de Jersey, ch. XXVI, p. 74.

Le nom de famille Carité, fort commun dans le Lieuvin, se rattache probablement à l’ancienne dénomination donnée aux charités. Dans la vieille France, on appelait fraries (du lat. fratria, tribu, collége, corporation) les associations de divers corps de métiers: "Gilot de la frarie des drapiers dist à Lochon, de la frarie des tanneurs..."Duc., Frateria.

L’on trouve, dans l’ancienne langue, s'afrarir pour se promettre une fraternité mutuelle: "En tel fourme Frere Menu Avoient parlement tenu, Tant que il se sunt accordé, Entrebaisié et afié Et afrari par sierement." Rom. du Ren., v. 7467.

Le nom de famille norm. Frary, a peut-être aussi pour origine le mot frarie, employé pour frérie. Jamais une frérie ou charité normande ne se réunit pour une inhumation, sans qu’à la suite il y ait un festin, avec libations plus ou moins prolongées. L’idée de frérie et celle de festin sont tellement insépa­rables, qu’au XVIIe siècle, les deux mots paraissent avoir eu une acception identique: "Les loups mangent gloutonnement. Un loup donc, étant de frairie, Se pressa, dit-on, tellement Qu’il en pensa perdre la vie." La Font., le Loup et la Cigogne, III, 9.